Chapitre 11

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Je tentais de me redresser avec mes dernières forces mais fus prise d'un vertige une fois assise. Sariel se laissa tomber à côté de moi.

— Il faut arrêter le saignement, dit-il.

— Ma sacoche... dis-je difficilement. Matériel de soin...

— J'ai ce qu'il faut, affirma-t-il en ouvrant son propre sac.

— Zelen ! appelai-je, inquiète pour lui.

Un faible grognement me répondit, m'indiquant qu'il était encore en vie. Je soupirais.

— J'ai perdu pas mal de sang…

— Ça va aller, ne t'inquiète pas. Tu vas t'en sortir.

Après avoir nettoyé ma plaie avec un liquide brûlant, Sariel entreprit d'appliquer un baume. Putain... me guérir était aussi douloureux que me blesser... Je me retins de toute mes forces pour de pas crier de douleur.

— C’est une crème régénérante. Ça va aider à cicatriser plus vite, m’informa-t-il.
J’eus envie plus d’une fois de m’arracher le bras pour ne plus ressentir cette douleur. Je me demande même si je ne m’évanouis pas quelques secondes…
Zelen émergea alors, se traînant vers nous.

— Ça va ? demanda-t-il.

— Oh oui, très bien, je viens juste de me faire bouffer le bras par une putain de chimère de merde, rien de très important quoi, ironisai-je.

— Quelle vulgarité… se moqua Sariel.

Je n'avais même plus la force de répondre... ni même de le fusiller du regard. J'eus un vertige et arrêtais de bouger pendant quelques secondes.

— Quelle équipe de bras cassés…

Il y eu un silence d'une seconde. Ce n'était pas dans les habitudes de Zelen de faire de l'humour, aussi, j'explosai de rire, rapidement rejoint par Sariel. C'était nerveux, mais ça faisait du bien.
— Ça fait mal... me plaignis-je.

— On finit par s’y habituer.

— Au baume ?

— Non, rit-il. Enfin, si, dans quelques minutes tu ne sentiras plus rien. Je parlais de la blessure : les koeliens sont régulièrement blessés en mission, mais on s’habitue assez vite à la douleur.

— Si c’est censé me rassurer…

Il osa se moquer de moi et rire ! Quel enfoiré ! Comme s'il était dans un bien meilleur état que moi, avec son crâne qui saignait.

— Il faudra s'occuper de ta plaie aussi, signalai-je. Elle te rend encore plus moche.

Il eut un sourire amusé, alors qu'il enroulait mon bras dans un bandage.

— Je termine de te rafistoler avant.

Lorsqu'il eut terminé, Zelen entreprit de nettoyer sa plaie. j'en profitais pour me rallonger et fermer les yeux quelques secondes. Un léger coup de pieds dans ma cuisse me fit sursauter.

— Hé ! râlai-je.

— Ne t'endors pas ! prévint Sariel. Et regarde dans mon sac, il y a à manger dedans. Ça te fera du bien.

Me tournant sur le dos, je glissais vers son sac d'une façon peu avantageuse pour mon image. Je l'ouvris et avalais tout ce que je trouvais de comestible, à savoir : pas grand chose. Mais il avait raison : cela me redonna un peu de force.

— On devrait rentrer, cette mission est un échec, affirma Sariel alors que Zelen venait de terminer de soigner sa plaie.

— Il faudrait que l'on réussisse à sortir d'ici, précisa Zelen.

— Hors de question ! objectai-je. Je ne me suis pas fait déchiqueter le bras pour abandonner ! On continue, et on lui casse la gueule à cet enfoiré de voleur de merde ! Ensuite seulement on pourra rentrer.

— Regarde l'état dans lequel tu es ! Même Zelen et moi avons prit un bon coup à la tête.

— Tu n’es plus capable de te battre ? demandai-je, sûre de la réponse.

Il avala sa salive avant de répondre.

— Si, je le pourrais… Mais...

— Zelen ? l'interrompis-je.

Il hocha la tête. Je m'adressais de nouveau à Sariel :

— Si tu avais fait cette mission avec un autre koelien, vous vous seriez arrêtés là ?

Il ne répondit pas et détourna le regard.

— La réponse est non, je le sais très bien. Et tu le dis toi-même : ce sont les risques du métier. Tant qu’on est encore capable de se battre, on n’abandonne pas. Ce n'est pas parce que je suis débutante que je ne suis capable de rien. Bon, je ne pourrais pas me servir de mon bras avant un moment... mais je suis certaine que vous auriez été capable d’effectuer cette mission sans moi de toute façon.

Enfin... si on oubliait la chimère. Et je suis assez en colère pour tenir debout.

— Tu es inconsciente… ça me rappelle quelqu'un, marmonna-t-il en faisant la moue.

— Écoute-moi bien, Sariel, l'interrompis-je, c'est ma première mission…

— Et quelle mission… marmonna Zelen.

— Et je n'ai pas l'intention de la rater, continuai-je. C'est important pour moi. Je refuse d’abandonner !

Il soupira bruyamment, mais il avait un léger sourire amusé aux coins des lèvres.

— Zelen ? interrogea-t-il.

— Je me sens prêt à continuer. Ils ne feront pas de mal à mes amis sans en payer le prix fort.

Je l'avais rarement vu aussi déterminé. Zelen était vraiment un papa ours.

— Très bien, je vous fais confiance, capitula-t-il. Reposons-nous un peu. De toute façon, on ne peut pas sortir tant qu'ils ne viennent pas chercher nos « cadavres ». Même si, en fait, c'est leur toutou qui est mort. En parlant de ça : bien joué tous les deux ! Les chimères sont des créatures particulièrement dangereuses. En tuer une pour votre première mission, c'est impressionnant.

— Honnêtement, je dirais qu'on a eu une chance incroyable. C'était un travail d'équipe, et tu as fait le plus dur. Et j'ai failli tout faire foirer en beauté... et te faire tuer.

Je regardais mon bras bandé avec une moue triste. Une idée stupide qui permettait de gagner devenait-elle une bonne idée ? Au moins, grâce au baume, je ne sentais presque plus rien.

— Une chimère ! Vous vous rendez compte ? Ça reste un sacré exploit.

— Oui, c'est vrai. C'est plutôt cool en fait. Je ne manquerai pas de m'en vanter !

***

Nous nous reposâmes pendant un bon moment avant d’entendre des bruits de pas se rapprocher. En silence, nous nous cachâmes de chaque côté de l'entrée, et je me saisis de mon sabre. En arrivant, l’homme qui nous avait enfermé vit que la chimère était morte et, ne nous voyant pas, ouvrit la grille précipitamment. Une fois à l'intérieur, il se jeta sur la bête pour tenter de la sauver.

— Désolé, lançai-je à l'homme, le faisant sursauter, mais on a été obligée de la tuer…

Ses yeux s'agrandirent de surprise et sa peau devint livide. Je m'avançai vers lui, qui me suppliait de le laisser en vie en se traînant à mes pieds. Je le saisis par les cheveux, et lui mis un violent coup de genou dans le visage, l’assommant par la même occasion.

— Ton chien m'a fait mal, enfoiré.

Sariel sourit, amusé, et l’attacha fermement. Zelen se proposa pour le porter puis nous sortîmes de la salle. Je regardais à droite puis à gauche dans le couloir, mais j'étais incapable de savoir où nous étions... Et je n'étais pas la seule. Sariel soupira. Peut-être que je n’aurais pas dû l’assommer finalement…

— Comment allons-nous retrouver notre chemin ? s'inquiéta Zelen.

— On y va au talent ? ironisai-je.

— Tu veux demander ton chemin ? Qui sait, ils ont peut-être une autre chimère…
— Ça va, j'ai compris, je me tais.

Sariel me sourit, et prit le chemin de droite. Nous arrivâmes à une intersection.

— À droite ou à gauche ? questionnai-je.

— Tu as une pièce ?

— Oui, répondis-je, surprise. Pourquoi ?

— Pile ou face, tu connais ? rit-il. Pile à droite, face à gauche.

— J’y crois pas… Et ça se dit koelien.

Il lança la pièce. Je jetais un regard à Zelen, cherchant un peu de soutien, mais il se contenta de hausser les épaules, impuissant.

— C'est parti pour la droite ! affirma Sariel.

Nous tournâmes dans l'antre pendant une éternité, fouillant les salles au hasard sur notre chemin, sans croiser personne. Nous commencions à désespérer lorsque, au détour d'un couloir, nous tombions sur un homme. Celui-ci était recroquevillé sur lui-même dans un coin et tremblait de tous ses membres. Il avait la tête rentrée dans les genoux et ses bras entouraient son corps. Il pleurait.

— Monsieur, appela doucement Zelen, vous allez bien ?

Il tressaillit au son de sa voix et releva la tête. Son visage était sale et couvert de petites coupures et de sang séché. Il se redressa sur ses genoux et se pencha vers le sol.

— Ne me faites pas de mal, s'il vous plaît ! supplia-t-il. Je veux juste rentrer chez moi ! Je ne voulais pas voir ça, je vous le promets ! Je ne suis descendu qu'à cause d'un pari stupide, je promets de ne rien dire ! Je vous en supplie… laissez-moi partir…

Des flots de larmes coulaient sur ses joues pâles et il tremblait de tout son corps. Je regardai Sariel et le questionnai du regard. Il haussa les épaules et prit la parole :

— Qu'avez-vous vu ? Décrivez-nous exactement ce dont vous vous souvenez. Nous ne vous voulons aucun mal.

— V… Vraiment ? bredouilla-t-il.

Je m'agenouillai également près de lui et posai ma main sur son épaule.

— Je vous le promets.

— Très bien, articula l'homme, rassuré. J'étais au bar avec des amis, et j'ai perdu un pari stupide. Mon gage était de venir ici et de rester quelques minutes, puis de ressortir. Alors je suis entré. Et, en me baladant, je… je suis tombé sur cet homme… Il questionnait quelqu'un, près d'ici. Il lui demandait des trucs bizarres, je ne comprenais pas. Et l’autre hurlait, il hurlait si fort…

— Dîtes-nous ! Sur quoi le questionnait-il ?

— Ils parlaient d'une meute, de localisation, de quelque chose nommé « Ypône », de guerre… je n’ai pas tout compris…

— Ypône ? demandai-je à Sariel.

— Ça ne me dit rien.

— Moi non plus, ajouta Zelen.

— Et une meute de quoi ? De loups ?

— C’est possible. Le terme de « meute » est souvent utilisé pour désigner les animaux grégaires comme les loups ou les chiens. Mais il désigne également un clan de métamorphes.

— Que vous est-il arrivé ensuite ?

— Une femme… Elle est arrivée dans le couloir alors que j'écoutais… et elle est allée chercher quelqu'un qui… qui m'a…

Il éclata de nouveau en sanglots, sans terminer sa phrase, se recroquevillant de nouveau sur lui-même. C’est là que je réalisais que ses coupures étaient beaucoup trop nettes pour être le fruit du hasard. Je fronçais les sourcils, et Sariel mima « torture » avec ses lèvres.

— Je vois, fit mon coéquipier. Et, où avez-vous entendu l'homme qui en… questionnait un autre ?

— C'était dans ce couloir-là, montra-t-il du doigt. Une fois qu’ils en ont eu assez, ils m’ont laissé ici. Maintenant, ils ne semblent plus faire attention à moi…

— Très bien, merci pour ces informations. Nous avons une mission à accomplir ici avant de nous en aller. Soit vous nous suivez jusqu’à ce que nous ayons terminé, soit vous pouvez essayer de retrouver votre chemin, proposa Sariel en sortant sa boussole et en lui tendant. La sortie se trouve au nord-ouest.

— Il faut que je sorte, je ne supporterai pas de rester ici une minute de plus…

— Soyez prudent, conseilla Zelen.

— Merci infiniment… Vous m’avez redonné du courage.

Nous nous séparâmes sur ces mots et prîmes la direction qu’il venait de nous indiquer. Le fameux interrogatoire fut facile à trouver, il suffisait de suivre les gémissements. Depuis combien de temps ça durait au juste ?

La porte de la salle était entrouverte, nous laissant le champ libre pour écouter sans nous faire repérer.

— Réponds, sale chien ! cria une voix à l'intérieur, me faisant frémir. Ypône ? Où est-ce que je le trouve ?

— Dans ton cul, connard ! répondit une voix plus grave, qui semblait à bout de souffle.

Nous entendîmes un grognement menaçant et à ce son, Sariel entra dans la salle, nous à sa suite. Les occupants tournèrent leur tête vers nous, étonnés d'une telle intrusion.

— Occupez-vous du blessé !

Je me dirigeai donc vers le torturé : celui-ci était grand, très musclé (ce que je voyais aisément étant donné qu'il était torse nu). Son corps était couvert de sang plus ou moins séché, si bien que je distinguais à peine sa peau en dessous. Mais ses yeux n’étaient pas ceux d’un homme qu’on torture, ou en tout cas, pas comme je l'imaginais. C’était les yeux d’un homme prêt à en découdre. Et en colère, très en colère. Il semblait plus vieux que moi, voire même que Sariel, et en toute honnêteté, à cet instant-là, je n'aurais pas voulu être sa cible.

Détacher la ceinture de cuir qu'il avait au cou était la partie la plus simple. Ce n'est qu'après de nombreux essais infructueux que je réussis à défaire les liens de ses mains, tandis que Zelen s'occupait de celui de ses pieds. Il était retenu par des chaines en métal, et nous n'avions pas réussis à en trouver les clés. Je dus les casser avec une grosse pierre trouvée à terre.

Quand il fut détaché, je remarquai les brûlures sur ses poignets et sur ses chevilles, et je compris. Les chaînes étaient en argent, et l’argent brûlaient les métamorphes… C’était soit ça, soit les chaînes étaient empoisonnées, mais si ça avait été le cas, j'aurais moi-même été touchée… Je n’avais jamais vu de métamorphe avant ce jour, et, impressionnée (et probablement un peu effrayée), je reculais d’un pas. L’homme me remercia d'un clin d’œil et d’un sourire énigmatique.

Sariel, n’ayant eu aucun mal à maîtriser son ennemi, le tenait fermement au sol. Le métamorphe se jeta alors sur lui, le bousculant, et essaya d'atteindre son tortionnaire. Mais Sariel ne se laissa pas faire.

Zelen alla l'aider à maintenir l'homme au sol, et Sariel en profita pour se positionner entre eux et le métamorphe.

— Laisse-le-moi ! grogna celui-ci avec rage.

— Tu es libre maintenant. Tu n'as qu'à t'en aller, nous avons besoin de lui ! s'énerva Sariel. Je ne te laisserai pas le tuer avant que nous n'obtenions les informations dont nous avons besoin.

— Qu'est-ce que vous cherchez ? cracha-t-il.

— Ce ne sont pas tes affaires.

— Dans la mesure où tu m’empêches de m’occuper de son cas, si !
— On cherche quelqu'un, et on a de bonnes raisons de penser que cet homme peut nous dire où il se trouve ! dit Zelen d'une voix calme, tentant d’apaiser les tensions.

— Et bien démerdez-vous pour trouver une autre balance ! s’écria-t-il en tentant une nouvelle fois de l’atteindre, en vain.

On était à deux doigts de finir par se battre contre lui ! Ce qui était ridicule. Garder son calme et réfléchir en toute situation, telle était le comportement de tout bon koelien.

— Et si on lui faisait prendre votre place ? proposai-je en désignant le poteau sur lequel le métamorphe était attaché peu de temps avant

Ils tournèrent tous la tête vers moi, surpris. Au moins, j'avais leur attention, et la tension avait légèrement diminuée.

— Je m'explique : on l'accroche à ce truc-là, et pendant qu'on le questionne, vous le torturez. Comme ça, on a nos réponses, et vous, vous avez votre vengeance. Ça va vous à tout le monde ?

Sariel et lui se jetèrent un regard mauvais, mais acceptèrent néanmoins. Je soupirai de soulagement. L'homme fut attaché, en dépit de ses plaintes, et le métamorphe afficha un sourire sadique.

— On cherche un voleur, mais j’imagine qu’ils prolifèrent par ici, commença Sariel, mauvais. Il a volé des documents importants aux koeliens. Où est-il ?

Pas de réponse.

— Prends ton temps pour répondre, que j'aie le temps de m'amuser un peu, fit le métamorphe.

Comme pour soutenir ses propos, il taillada la peau de son bras. Un frisson me parcouru tandis que l'homme geignait. J’espérais qu’il réponde rapidement, mais après plusieurs minutes, je constatais qu'il résistait à la torture beaucoup mieux que je résistais à ce que je voyais.

— Il… répondit le nouveau torturé, il n'est pas là en ce moment…
— Mauvaise réponse, affirma Sariel.

Prenant ses paroles comme une autorisation, l’homme lui planta son couteau dans la cuisse. Cette fois-ci, un hurlement s'échappa de ses lèvres.

— Je ne vise rien qui pourrait te faire perdre trop de sang, ce ne serait pas drôle que tu meures trop vite, n’est-ce pas ?
Il laissa le couteau planté, ne laissant qu’un mince filet de sang couler, mais il le fit bouger légèrement. Cela me rappela la douleur des crocs de la chimère dans mon bras, et je manquais de vomir. Je commençais même à avoir des difficultés pour respirer correctement. La scène était d'une telle violence, mais aucun des deux tortionnaires ne semblaient avoir de remords, ni même de dégoût.

Mais je n’en montrais rien, essayant de rester aussi calme qu'eux. Zelen, lui, semblait plus attristé que choqué. Il n'approuvait pas la torture, je ne voyais sur son visage.

Le sang coulait encore et encore, et les cris se multipliaient. C'était de pire en pire, de plus en plus sadique. Je commençais à avoir chaud et à voir trouble. Un coup plus violent que les autres me fit regarder ailleurs, mais il m'était impossible de détourner les yeux très longtemps : j’étais comme hypnotisée par l'horreur qui se déroulait devant moi. Ce spectacle me répugnait mais il m'était impossible d'y échapper.

— Kaely.

Sariel me sortit momentanément de mon cauchemar en m'appelant. Un cauchemar un peu trop réel pour ma santé mentale.

— On en a pour un moment, fit-il, tu devrais aller surveiller le couloir, t'assurer que personne n'arrive, et que notre prisonnier est encore inconscient. Tu peux l'accompagner si tu veux Zelen.

Je le regardai, surprise, et il me sourit doucement en me faisant un signe de tête. Il avait compris.
— Fermez la porte derrière vous.
Je baissai la tête et sortis sans un mot. J'étais encore très faible, bien plus que je ne me l'étais imaginé. J'avais toujours pensé qu’en grandissant entourée de koeliens, blesser ou tuer serait comme une seconde nature. Je n’étais pas stupide, j’avais conscience que torturer et tuer étaient des actes terribles et qu’il était difficile pour tout le monde de s’y habituer, mais j’étais la fille du Drezen. Je ne pouvais pas me laisser submerger par mes émotions. Je devais être forte !

De retour dans le couloir, nous retrouvions l'enfoiré de tout à l'heure, toujours inconscient et ligoté. Zelen posa silencieusement sa main sur mon épaule pour me réconforter, et nous attendîmes. On entendait toujours ce qu'il se passait à l'intérieur, mais juste des bribes. Il tentait de leur indiquer un mauvais chemin, de les tromper… mais prendre Sariel et le métamorphe pour des idiots était… suicidaire. Plus le temps passait, plus le torturé s’obstinait à ne pas répondre.

Je fermais les yeux et tentais de penser à autre chose, en vain. Je voulu poser mes mains sur mes oreilles pour ne plus l’entendre mais alors j’aurais été inutile à mon poste de garde. Même si je savais pertinemment que ce n’étais pas la vraie raison pour laquelle Sariel m’avait fait sortir, je pouvais au moins accomplir cette tâche. C’était le minimum.

Des bruits de pas retentirent au loin, et avant que le nouvel arrivant n’ait le temps de nous voir, nous nous précipitâmes à l’intérieur en fermant la porte derrière nous.

— Que se passe-t-il ? s’inquiéta Sariel.

— Quelqu'un arrive ! le prévins-je.

— Merde ! fit le koelien.

— De toute façon, il a craché le morceau, affirma le métamorphe, vous avez ce que vous voulez.

Un sourire mauvais fendit le visage de l’inconnu.

— Comment peux-tu le savoir ? Jusqu’à maintenant, tu prétendais qu’il mentait ! demanda Sariel.

— Tu vas devoir me croire sur parole…

Sur ces mots, il leva sa dague et la planta dans le front de l'homme, sous nos yeux choqués. J'étouffai un cri d'horreur et tournai la tête en fermant les yeux. Mais c’était trop tard, j’avais tout vu.

— Es-tu complètement aveugle ou juste une bête sauvage ! cracha Sariel. Tu vois bien qu…

— Ils finiront bien par s’y habituer ! coupa-t-il. C’est votre truc à vous, les koeliens, d’être sans cœur. Être sensible, c'est être faible, n’est-ce pas ?

Ses yeux tombèrent sur mon bras blessé.

— Mignonne comme elle est, elle ne devrait pas s'exposer ainsi au danger, ce serait vraiment dommage qu'il lui arrive quelque chose.

Je n'arrivais pas à déterminer si c'était un compliment ou une menace. Mais tout ce que je retenais, c'était que j'étais faible. Je baissai la tête, honteuse et incapable de me défendre. Il fallait que je m'endurcisse pour devenir un koelien digne de ce nom.

Sariel bouillait de rage.

— Cette blessure, elle l'a eu en combattant une chimère ! contra-t-il.

Le métamorphe haussa les sourcils de surprise et posa un regard nouveau sur moi.

— Crois-moi, cette fille que tu vois, dans quelques années, elle sera capable de buter n'importe lequel de tes congénères sans ciller. Alors je te conseille de baisser d'un ton quand tu t'adresses à elle. Même quelqu'un comme toi doit savoir qu'il ne vaut mieux pas plaisanter avec des koeliens.

Le métamorphe ne sembla pas apprécier qu'on lui parle sur ce ton, mais il garda son calme. J’étais reconnaissante envers Sariel : non seulement il prenait ma défense, mais en plus il me croyait capable de devenir assez forte pour battre un métamorphe. Ce qui n'était pas rien.

— J’attends de voir ça… répliqua finalement l’inconnu.
Je me demandais soudain en quel animal il se transformait... mais j'avais peur de sa réaction si je lui posais la question. Foutue curiosité.

— Qu'est-ce que t'as ? me demanda-t-il froidement, me faisant sursauter.

Prenant mon courage à deux mains (je n'avais plus trop le choix maintenant), je lui répondis honnêtement.

— Je... je me demandais en quel animal vous étiez capable de vous changer...

— Pourquoi tu veux savoir ? répondit-il, froid.

— Curiosité, avouai-je. Beaucoup de métamorphes ont le sang chaud, mais vous réussissez à vous contrôler malgré votre colère. Je me demandais juste... si votre animal avait une influence sur ce contrôle...
De nouveau surpris, il pouffa doucement, un léger sourire étirant ses lèvres.

— Le loup, répondit-il simplement.

Étonnant, je n'aurais pas parié sur celui-là. C'était intéressant, j'aurais adoré creuser la question. Mais je me rendis alors compte que cela faisait un moment que nous étions entrés dans la pièce, et que personne ne nous avait suivi. La personne que nous avions entendu dans le couloir devait être partie depuis longtemps. Pourtant, nous n’avions pas vraiment été discrets.

— Il faudrait peut-être y aller, fis-je remarquer.

— Je sais où se trouve le voleur, affirma Sariel. Allons lui dire bonjour !

— Je vous accompagne, je vais lui montrer ce qu'il en coûte de me les briser.

— Pas question, s’opposa fermement Sariel, on a besoin de lui en vie. On ne peut pas prendre le risque que tu le tues également. Alors tu fais ce que tu veux, mais tout seul.

Et voilà, c'est repartit !

— Dans ce cas, voyons qui le trouve en premier ! lança-t-il avant de se précipiter vers la sortie.

— Non, criai-je, en me plaçant sur son chemin. Venez avec nous.

Le loup-garou voulait nous accompagner, et on ne pouvait pas prendre le risque qu’il le trouve avant nous et le tue. Cela rendrait encore plus difficile la recherche des documents, qui était notre priorité. Tant que nous étions avec lui, si jamais le loup-garou décidait de tuer notre cible, nous pourrions toujours l’arrêter. Sariel avait peut-être trop de fierté pour l’autoriser à rester, mais pas moi. De tous les points de vue, il fallait qu'il nous accompagne.

— Si c'est une aussi jolie jeune fille qui me le demande, je ne peux pas refuser, déclara-t-il, me faisant rougir.

Sariel soupira.

— Cache ta joie, koelien !

— Allons-y, ordonnai-je avant le drame. C'est par où ?

— Par-là ! répondirent-ils en même temps.

Ils échangèrent un regard de tueur (ce qu'ils étaient) et avancèrent dans le couloir. Je les suivis, soupirant : avec ceux-là, nous n'allions pas nous ennuyer.

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