Chapitre 9

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La Triumph Spitfire rouge sillonnait la falaise en direction de Sorrente. Installée confortablement sur le siège passager, les cheveux maintenus par un foulard en soie, Pippa se sentait telle une Jackie Kennedy en road trip. La vue était imprenable. Tom savait s’y prendre pour amadouer la gent féminine. C’était indéniable. Il l’avait d’abord invité à déjeuner dans un restaurant traditionnel face à la mer puis ils avaient visité les ruines de Pompei. Il s’était montré très drôle. D’ailleurs cela faisait bien longtemps que Pippa n’avait pas autant ri. Et elle devait reconnaître que cela lui avait grandement manqué. Tom avait su se montrer bienveillant et indispensable. Il connaissait parfaitement les lieux, l’aidait à contourner les pièges à touristes et se montrait attentionné et à l’écoute. Il avait toutes les qualités qu’elle recherchait chez un homme. Elle se pinçait régulièrement, croyant rêver. Son bras en était même recouvert d’ecchymoses. 

La nuit tombait paisiblement lorsque le véhicule atteint le village de Ravello. La mer étincelait à la lueur de la pleine lune. La cadre était une nouvelle fois parfait. Pippa tendit le bras pour ressentir l’air frais sur sa peau. C’était si bon, songea-t-elle. 

Un couple de retraités se baladait main dans la main le long du port lorsqu’une étrange odeur émana du capot. Une légère fumée grise vint perturber leur champ de vision, rendant dangereuse leur conduite.

— Que se passa-t-il ? s'inquiéta Pippa.

— Je ne sais pas, répondit Tom.

Il se gara devant un hôtel délabré et coupa le contact. Il sauta du véhicule et se dirigea vers un vieillard, assis sur un banc. Il tenait entre sa pomme gauche une canne rongée par les vrillettes, tout en fixant l’horizon, hagard. 

— Excusez-moi Monsieur. Savez-vous où se trouve le garagiste le plus proche ?

Le vieil homme tourna la tête et le scruta de haut en bas.

— Le garagiste ? Il est en vacances, prononça-t-il d’une voix tremblante.

— Pourrait-il faire une exception ? insista Tom tout en fourrant ses mains dans ses poches.

Il avait adopté cette fâcheuse habitude pour dissimuler son agacement.

— ça m’étonnerait. Il est en voyage à Pise avec sa femme.

Tom soupira.

— Et le dépanneur le plus proche, où se trouve-t-il ?

— En cette saison, sûrement à Naples.

Tom s’impatienta. Personne n’était capable de lui répondre d’une autre manière que par des suppositions ?

— Luigi saura vous aider, poursuivit le vieillard.

— Et où puis-je le trouver ? 

Tom ne cessait de tourner et retourner son briquet logé dans la poche de son pantalon en toile.

— C’est le gérant de l’hôtel qui se trouve juste derrière vous.

— Merci, répondit Tom. 

Il profita que Pippa porte son attention sur son sac à main pour tendre une pièce au vieux bonhomme. Celui-ci le regarda, stupéfait.

— Pour votre bonne aide, rétorqua Tom qui n’appréciait que peu qu’on lui tienne tête.

— Gardez cette pièce pour Luigi. Peut-être vous offrira-t-il une chambre acceptable pour un homme de votre condition.

Il grimaça, visiblement vexé par le geste de Tom.

— Je ne compte pas passer la nuit ici.

Mais l’homme brandit la main pour le faire taire et s’éclipsa en clopinant. Ces gens étaient des plus étranges, pensa Tom. Il regagna la voiture les bras ballants. Il ouvrit la portière et extirpa son portefeuille de la boite à gants. 

— Où allez-vous ? demanda Pippa, en frissonnant.

La température avait considérablement chuté depuis le milieu d’après-midi. 

— Attendez ici, je reviens.

Il retira sa veste et la posa sur les épaules de la jeune femme. Celle-ci se cala contre le siège passager en cuir, épuisée. Elle savait que Tom cherchait à la préserver mais elle aurait préféré l’accompagner. Certes le cadre était bucolique. Or, il était tard, elle mourait de fatigue et à l’exception de la présence de rares marcheurs, les ruelles étaient presque entièrement vides. On ne laissait pas une femme seule à la tombée de la nuit, que l’on chercha à la préserver ou non. Elle attrapa son sac à main crocodile et s’extirpa de la décapotable. Elle poussa les portes de l’hôtel, là où s’était engouffré Tom quelques secondes plus tôt et pénétra à l’intérieur. Une odeur de poisson grillé émanait des cuisines. Il n’y avait pas foule. A l’exception peut-être d’une famille modeste riait aux éclats dans la petite salle de réception tandis que leur chien faisait des courbettes. Le serveur s’avança vers elle d’un pas déterminé. 

— Que puis-je faire pour vous Madame ? 

— J’accompagne Monsieur Harris. Il vient d’entrer à l’instant. 

— Suivez-moi. 

Pippa l'accompagna sans un mot. Le jeune homme s’arrêta devant un local digne d’un QG de malfrat. Tom se tenait debout face au bureau croulant sous la paperasse. Penché en avant, le combiné plaqué contre son oreille, il semblait contrarié. Même s’il tentait de contenir l’intonation de sa voix. Il raccrocha furieux puis prit sa tête entre ses mains. Lorsqu’il releva les yeux, il croisa le regard de Pippa.

— Que faites-vous ici ? 

Son ton était sec presque froid.

— On ne vous a pas dit qu’une femme ne devait jamais rester seule ?

Elle sourit, essayant de le dérider. Mais l’effet inverse se produit. Tom se braqua. Il ouvrit la bouche puis la referma, laissant Pippa perplexe. 

— Je crois que nous allons devoir passer la nuit ici, avoua-t-il.

Pippa le fixa d’un œil interrogateur.

— Le garagiste est en vacances et le dépanneur ne pourra pas faire une halte à Ravello avant demain. 

Tom se tourna vers le serveur resté scotché dans l’embrasure de la porte.

—  Vous reste-t-il deux chambres ? Deux lits simples nous conviendront.

— Je vais me renseigner.

Le garçon se volatilisa plus vite que son ombre. Dans la restauration, se montrer discret était essentiel. Et ce serveur l’avait bien compris. D’autant plus lorsque votre interlocuteur se montrait des plus hostile. Pippa et Tom ne tardèrent pas à le suivre. Quelques pas suffirent pour qu’ils se retrouvent devant le registre.

— Il ne me reste plus qu’une chambre double, dit-il en se râclant la gorge.

Pippa baissa les yeux mal à l’aise. 

— Puisque nous n’avons pas le choix, reconnut Tom.

— Bien. Suivez-moi.

Ils montèrent les escaliers. Ceux-ci craquèrent sur leur poids. Pippa crut même voir de la poussière s’échapper des planches. 

— Chambre six. Je vous laisse vous installer. Désirez-vous quelques rafraichissements ?

— Non merci, le remercia Tom poliment avant de fermer la porte. 

Il s’avança vers la fenêtre de la pièce exiguë. Une table d’appoint, un placard, deux tableaux et un lit deux places ornaient la chambre.

Rudimentaire. 

— Je dormirais par terre, s’inclina Tom.

Il se dirigea vers l’armoire et en retira une couverture en laine, qu’il étendit sur la moquette tachée. Fantastique. 

Il grimaça.

— Pourriez-vous me donner un traversin ?

Pippa n’osait pas faire le moindre mouvement. Les bras croisés, debout face au matelas, elle ne savait comment se comporter. C’était bien la première fois qu’elle partageait sa chambre avec un homme. Et pas n’importe quel homme. Tom ne la laissait pas indifférente. 

— Je suis désolée de vous infliger cela, couina-t-elle, en tournoyant une de ses longues mèches entre ses doigts. 

La pièce lui paraissait soudainement étouffante. 

— Pourquoi vous excusez-vous ?  Vous n’y êtes pour rien. 

Il s’empara lui-même de l’oreiller. Pippa s’assit sur la housse de couette et retira ses escarpins. Elle se défit de la veste de Tom et la posa au pied du lit. Tom se coucha à même le sol et plaça ses mains derrière la tête. Ses yeux se perdirent sur le plafond jaunâtre. Cette nuit s’annonça des plus inconfortables. Et ce dans tous les sens du terme.

Pippa se décida enfin à s’étendre sur le lit et se tourna vers la fenêtre. D’ici, on pouvait entendre le clapotis des vagues. Et étrangement cela l’apaisa. Elle ferma les yeux et se laissa sombrer dans le néant.

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