Chapitre 5

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Le groupe traversa le couloir menant au hall d’entrée dans le plus grand calme. Leurs talons claquaient contre le sol en pierre, vieux de plusieurs générations. La hauteur sous plafond offrait un élan de fraîcheur au lieu morne à la limite de l’austérité. Des statues à l’effigie des maîtres ayant habité les lieux ornaient l’espace. Tout était digne d’une reproduction de Breakfast at Tiffany's. Tom tendit un fusil à Pippa. Elle ne put s’empêcher de penser que son père l'avait choisi pour lui. Bradford n'était pas du type à laisser les autres décider par eux-mêmes. Un trait de caractère qu’il avait légué à son fils. Pippa accepta l’arme, non sans une pointe de dégoût. 

— Quelle belle journée ! s'extasia Bradford Harris

— Mon cher, vous radotez.

Milldred leva les bras au ciel, agacée par la conduite de son époux. Peut-être même était-elle énervée d’être là ? Elle semblait être le genre de femme à avoir une vie très chargée, bien loin d'entretenir une existence routinière et bien rangée. Chaque minute comptait et quand elle ne se trouvait pas là où elle devait être, elle ne prenait pas de pincettes pour le faire comprendre. Quitte à rabaisser son tendre mari. 

— Bien, bien, bien. Suivez-moi, poursuivit-il.

Le cinquantenaire avança à grandes enjambées vers les hectares de forêts entourant la propriété. Pippa s’arrêta un instant pour humer l'herbe fraichement coupée. L’air encore frais pour un mois de mai fouetta ses longues boucles rousses et dévoila les notes rondes de son parfum. Elle se figea, s’imaginant tirer dans des assiettes jetées en l’air plutôt que sur ses pauvres volatiles. Cette journée aurait pu être agréable, si les choses avaient été différentes.  

— La campagne anglaise est si belle à cette heure de la journée, ne trouvez-vous pas ?

Tom la devança, marchant à reculons face à elle.

— Très, lui répondit-elle.

Pippa lutta pour ne pas faire tomber son fusil. Tirer une balle perdue ne figurait pas dans ses plans. Quoi que, encore fût-il qu’elle eût des plans. 

— Ne vous inquiétez pas, tout ira bien, affirma-t-il, marchant à présent à ses côtés.

Pippa hocha la tête, perdue. Elle ne savait pas sur quelle jambe danser avec cet homme. Elle replaça une mèche de ses cheveux derrière son oreille comme elle le faisait chaque fois qu’elle cherchait à masquer son embarras. 

— Je ne sais même pas tirer, lui répondit-elle. Comment cela pourrait-il bien aller ? 

Tom rit, ce qui n’amusa pas le moins du monde Pippa. Elle détestait la moquerie. Ne pas savoir se servir d’une arme n’avait rien de drôle. Au contraire, cela était plutôt respectable, non ? D’autant plus, qu’un accident était vite arrivé. 

— Je vous montrerai. Vous n’aurez qu’à suivre mes mouvements ou plutôt mes … instructions.

— Et si je ne veux pas que l’on m’apprenne, rétorqua-t-elle, les bras serrés contre sa poitrine.

Il pivota puis s’arrêta face à elle. Son regard transperça le sien.

— Vous resterez en retrait. J’ignore pour qui vous nous prenez mais nous ne sommes pas des tirants.

Il afficha son plus beau sourire. Un de ces sourires qui auraient pu faire fondre n’importe quelle femme célibataire. À l’exception de Pippa. Elle semblait comme immunisée à son charme. 

Eh oui, on ne pouvait pas gagner à tous les coups ! 

Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de se dire qu’en famille, le Tom coureur de jupons, parfois imbu de lui-même, qu’elle connaissait, était un tout autre personnage, très éloigné de celui qu’elle avait fréquenté à l’occasion. 

— Vous êtes un être complexe Monsieur Harris, souffla-t-elle.

Les deux familles s’enfonçaient déjà à vive allure dans la forêt lorsque Pippa et Tom franchirent la lisière. 

— Nous devrions les rattraper, continua-t-elle. Je ne voudrais pas leur faire perdre leur temps.

— Ne vous inquiétez pas pour eux. Mon père maniera son fusil que nous soyons présents ou non.

Pippa accéléra le pas. Elle préférait faire partie de la mêlée qu'être en queue de peloton. Encore plus si cela signifiait de semer Tom. Elle se laissa guider par la voix de Bradford Harris et pénétra à l’intérieur du bois. Le soleil filtrait difficilement à travers les arbres touffus. Un tir se fit entendre puis un deuxième. Des applaudissements s’ensuivirent. Pippa tourna la tête de gauche à droite mais ne vit rien, pas même Tom Harris. Elle avança avec une certaine anxiété. Elle ne souhaitait pas être le gibier du repas de ce soir. Elle sursauta, lorsque Tom sortit du bosquet. 

Elle trébucha et tomba face contre terre. Le son de sa voix résonna comme un écho. Elle se releva, tentant de prendre appui sur ses pieds. Une vive douleur irradia de sa cheville droite et elle lutta pour ne pas s’écrouler. Manquait plus que ça, songea-t-elle, et pour couronner le tout, il fallait qu’elle tombe devant Tom. Elle regrettait de ne pas avoir joué les malades imaginaires. Cela lui aurait évité cette situation. Au moins, elle aurait pu avancer sur l’écriture de son roman. Ces dernières semaines avaient été si agitées qu’elle n’avait pas eu le temps de s’y consacrer. Et cela l’inquiétait autant qu’errer, seule, au milieu des bois. Si elle comptait vivre de son art, elle devait se donner les moyens d’y parvenir. Mais au lieu de ça, elle passait son temps à lambiner chez Poppy, à se goinfrer – sans toutefois prendre un gramme – et à s’afficher en compagnie de Tom Harris. 

Tout bonnement, navrant...

— Vous allez bien ? lui demanda-t-il.

Pippa rougit puis leva les yeux en direction du ciel. Celui-ci s’assombrissait à vue d'œil. Superbe ! Il fallait qu’il pleuve à verse. Une goutte s’écrasa sur sa joue, une autre sur sa main. 

— Fantastique ! pesta-t-elle.

— Vous pouvez marcher ?

Pippa haussa les épaules. Elle fit un pas en avant et la douleur se réitéra. Elle fit de son mieux pour ne pas boiter mais Tom avait un œil de lynx. On ne l’entourloupait pas aussi facilement.

— Vous voilà, s’impatienta Milldred lorsqu'ils rejoignirent la clairière. 

Bradford tira et le volatile, pris au piège, s’écrasa dans la broussaille. 

— Bravo, le félicita Olivia Anderson.

Son engouement, trop expressif pour entrer dans les règles de bienséance, lui valut un regard noir de son époux, tout comme celui de Milldred Harris. Cette dernière noua son foulard en soie autour de son cou aussi long qu’une girafe. Son attitude suffisait à elle seule à témoigner de sa frustration. Ou plutôt était-ce de la désapprobation. 

—  A vous mademoiselle Anderson, lança Bradford tandis qu’il ramassait la perdrix. 

Pippa chancela. La sueur perlait le long de sa nuque. Sa blessure était bien plus importante qu’elle ne le pensait. Elle parvenait à peine à maintenir son équilibre. En proie au malaise, elle s’éventa avec son gant. 

Milldred la fixa de ce même regard indéchiffrable, aussi froid qu’un glaçon. Pippa se mordit la lèvre pour retenir un gémissement.  

—  Un coup de main, lui souffla Tom ?

—  ça ira merci, lui répondit-elle sèchement.

Elle n’avait aucune envie qu’on lui prête main-forte. Mais simplement qu'on lui fiche la paix. Et peut-être besoin... d'un bon bain chaud.

—  Comme vous voudrez, la nargua-t-il, en affichant ce même rictus qui lui était familier.

Elle releva fièrement la tête. Il pouvait toujours essayer, son petit jeu ne marchait pas sur elle. Son mascara mis à rude épreuve par la brimasse, Pippa se positionna aux côtés de Bradford. Sa mère grimaça à la vue de son allure négligée. Son père, quant à lui, demeurait aussi rigide qu'une statue de pierre. Ni l’un, ni l’autre ne semblait vouloir mettre fin à son supplice. 

— Tirez, brailla Bradford Harris lorsque le volatile s’approcha furieusement de Pippa. 

Celle-ci tremblait, incapable de faire face à l’animal. Son inexpérience et la peur la paralysait. Tout comme son incapacité à faire du mal à cette pauvre bête.

— Vite ! s'impatienta-t-il. Vous allez la perdre. 

La jolie rousse pressa la détente tout en gardant les yeux fermés. S’apprêtait-elle réellement à le faire ?

— Ne bougez pas, lui ordonna doucement Tom.

Bradford s’approcha de Pippa et elle sentit son arme se dresser. Elle ouvrit un œil. L’oiseau, aussi beau que Mélingue se trouvait à quelques centimètres d’elle. Un coup fut tiré en l’air et l’animal s'envola loin du groupe de chasseurs. Pippa aurait pu jurer que Tom était l’auteur de ce tir et qu'il venait de faire diversion pour empêcher la mort de cette jolie perdrix. Elle avala bruyamment sa salive. Après tout, Tom n’était peut-être pas un goujat ...

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