Chapitre 4

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Aboyant à pleins poumons, les braques allemands se ruèrent vers le véhicule des Anderson. Sous l’excitation, ils griffèrent, maladroitement, la carrosserie de la Jaguar Mark 1.

— Maudites bestioles ! râla Cliff Anderson, ses yeux noirs rivés sur le rétroviseur. 

Bradford Harris, fusil maintenu sous son aisselle, s’avança avec élégance vers ses convives, Tom sur ses pas. Tous deux avaient déjà revêtu leur tenue. Le patriarche afficha un sourire radieux puis rappela à l’ordre ses chiens. Ses cheveux d’un noir de jais brillaient au soleil. Cliff en profita pour quitter le siège conducteur, pestant intérieurement contre les animaux de compagnie. Ces bêtes n'avaient aucune utilité, elles restaient accrochées à vos basques comme de vulgaires tiques et se comportaient tels des bambins capricieux. Il avait déjà assez à faire avec sa propre famille.

—  Bienvenue ! lança chaleureusement Bradford. Quel temps fantastique pour une partie de chasse ! Ne trouvez-vous pas ?

Il présenta une poignée de mains à un Cliff sur la réserve. Ce dernier ne voulait pas prendre le risque de se comporter comme un nouveau riche sans manières, auprès d’une des familles les plus influentes de Londres.

— Père, laissez nos invités respirer ou vous allez les faire fuir.

Tom aida Pippa à s’extirper de la banquette arrière avec galanterie. Même si la jeune femme s’évertuait à lui trouver des défauts, elle ne pouvait, à cet instant précis, rien lui reprocher.

— Vous avez fait bon voyage ? lui susurra-t-il. 

— Nous n’habitons pas si loin, vous savez. Le trajet avait de faibles chances d’être incommodant.

Pippa mesura ses propos. Il n’était pas question d’être irrespectueuse et de blâmer leurs hôtes. Ses parents avaient une réputation à préserver et elle ne tenait pas à l’entacher. Mais cet homme lui tapait sur les nerfs. Elle flairait son petit jeu à des kilomètres à la ronde. Mais elle n’était pas naïve au point de tomber dans le panneau. Elle replaça ses longs cheveux roux derrière ses oreilles et battit en retraite vers l’entrée du manoir. Les domestiques, droits comme un i, les attendaient au pied levé sur le perron. Ils se chargèrent de leurs manteaux qu’ils emportèrent à l‘intérieur.

Bradford les guida vers la salle de collection d'armes à feu. La pièce était si vaste que deux immenses vitrines, un billard et un canapé chesterfield suffisaient à peine à remplir l’espace. Heureusement un tas innombrable de boui-boui et de breloques, posés de part et d’autre, apportaient un peu de chaleur au décor. Bradford déverrouilla une des deux vitrines et sortit un Winchester Model 100. Il le tendit à Cliff, avec entrain, tandis que les deux femmes s’éloignèrent, préférant de loin la quiétude de la banquette. 

— Celui-ci sera parfait pour vous. 

Ce dernier l’accepta sans sourciller, incapable de faire la différence entre un pistolet et un fusil juxtaposé. Se taire était toujours mieux que se couvrir de ridicule. 

— Mon épouse ne devrait pas tarder à nous rejoindre, ajouta Bradford en jetant un coup d’œil aux femmes Anderson.

Il baissa d'un ton, mais ses paroles restèrent audibles à tous. 

—  Je soupçonne qu’elle perd son temps en cuisine pour déserter notre partie de chasse. 

Pippa dissimula un sourire sous sa main. Elle n’était pas si différente de cette famille, tout compte fait ! Sa réaction ne laissa pas indifférent Tom qui se réjouit de voir en elle une jeune femme moins hostile. Il s’avança vers le canapé en cuir.

— Nous ne chassons qu’en famille. C’est bien plus amusant, poursuivit Bradford.

Cliff approuva. Toujours avec retenue. Il s‘accouda contre le billard, triturant une bille noire entre ses doigts. Son regard se posa sur Pippa.

— Vous jouez ? lui murmura-t-il.

Celle-ci frémit, surprise.

— Très mal, je dois l’avouer. Mais, croyez-le ou non, je préfère amplement me prendre une déculottée au billard que de torturer un animal.

Son visage s'empourpra. Rétorquer n’était pas quelque chose d’instinctif chez elle. Mais cet homme avait le don de la mettre hors de ses gonds. 

— Nous ne tuons que des pigeons, parfois quelques perdrix. Mais nous ne pratiquons pas la chasse à courre. C’est une activité des plus … méprisable.

Depuis le coin de la pièce, Olivia Anderson tentait de déchiffrer l’échange entre les deux jeunes gens. Ils étaient si beaux songea-t-elle. Ils feraient un très joli couple. Si seulement, Pippa n’était pas une telle tête de mule. Elle pourrait se rendre à l’évidence, comme elle l’avait fait jadis en choisissant de s’unir à Cliff. Certes, l'amour n’était pas à l’origine de leur mariage mais parfois, la vie justifiait amplement ce choix. Elle espérait que sa fille ne l’oublierait pas. Elle jeta un regard vers son époux. Celui-ci écoutait avec intérêt Bradford Harris. Elle ne s’était pas doutée que cet homme puisse être une vraie pipelette. Cette famille était bien plus surprenante qu’elle le pensait. Elle sortit de la poche de sa veste un paquet de Piccadilly et en porta une à ses lèvres pulpeuses, sans quitter des yeux les êtres présents. Cliff lui adressa un regard noir, sans pour autant la réprimander. Il ne tenait pas à s’afficher devant les Harris.

— Ma chérie, te voilà !

Bradford s’empressa de rejoindre son épouse et plaça délicatement son bras sur sa taille.

— Monsieur Anderson, voici ma femme, Milldred Harris. 

Ce dernier la salua d’un hochement de tête, ses cheveux gris épousant les mouvements de sa nuque. Il ignorait s'il devait lui faire un baise-main ou tout simplement lui tendre une poignée de main. Ces gens-là étaient si ... différents. 

Bradford présenta son épouse aux femmes Anderson. Elle leur adressa un sourire chaleureux, bien que la tristesse se lisait sur son visage. Pippa aurait aimé deviner à quoi Milldred pensait. Tout en elle était si intriguant. Ses longs cheveux blond clair cendré, ses traits fins ainsi que cette posture, proche de la perfection, qu’elle adoptait. Bradford mit fin à ses songes. 

— Et si nous y allions ? Les perdrix ne vont pas nous attendre.

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