Chapitre 3

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16 mai 1962

La pièce tournait dangereusement lorsque Pippa Anderson ouvrit les yeux. Les doux rayons du soleil caressèrent sa peau de pêche, sublimant ses taches de rousseur. Elle laissa échapper un grognement puis pressa son oreiller sur son visage. En plus de lui griller les neurones, cette lumière lui donnait la nausée ! 

— Debout Mademoiselle.

Maggie se pressa dans la chambre et posa son plateau en argent sur la table basse. La gouvernante tira un peu plus sur les rideaux déjà entrouverts. Une forte odeur de thé embauma la pièce. Retenant un haut-le-cœur, Pippa lâcha sa taie et s’enfonça sous les draps, sous le regard interloqué de Pablo. Ce dernier sauta sur le lit, pointant son museau de gauche à droite puis miaula. Visiblement, quelque chose le chiffonnait. 

— Descends de là, toi ! rouspéta la domestique. Tu vas encore mettre des poils partout.

La rouquine gloussa, amusée malgré elle par la situation. Son corps se cambra sous la douleur et elle se promit de ne plus jamais boire une goutte d’alcool. 

 — Vous feriez mieux de vous habiller. Je ne préfère pas imaginer ce que ferait Madame votre mère si elle vous voyait dans cet état.

La petite bonne femme ouvrit la fenêtre à l'anglaise et la brise matinale s’engouffra dans la chambre. Belgravia était si beau au lever du jour. Les pavillons blancs à colonnes et à pilastres, copie miniature des opulents clubs anglais de l’aristocratie, avaient adopté Motcomb Street. Mais Maggie, elle, ne s’était jamais faite à ce décor. Tout lui semblait, si … superficiel. Bien loin de la classe sociale qu’elle fréquentait.

— Et toi, viens par ici ! ordonna-t-elle. 

La domestique souleva le matou et le posa sur le tapis persan. Celui-ci manifesta son mécontentement puis courut se réfugier sous le fauteuil victorien à oreilles. Ses pupilles observèrent avec intérêt les allées et venues de la gouvernante, se demandant quand il pourrait retrouver sa tranquillité. Il chercha du regard sa maîtresse dans l’espoir qu’elle mette fin à son calvaire. Celle-ci émergea enfin des couvertures. Elle se redressa avec lenteur, massant ses tempes du bout des doigts. Ses pieds nus entrèrent au contact du parquet avant de s'enfermer dans d’imposantes pantoufles en tissu duveteux. Vacillante, elle s'installa face à la coiffeuse et démêla avec peine sa chevelure incandescente.

— Buvez un peu de thé Mademoiselle. Ça vous fera du bien.

Pippa lâcha sa brosse, souffla dans sa main et fit la moue. Maggie était trop polie pour lui dire qu’elle sentait l’alcool à plein nez. Son ventre gargouilla bruyamment, laissant la gouvernante perplexe.

— Je ne peux pas Maggie... Mon estomac ne me le permettrait pas.

La bonne grimaça, ne tenant guère à éponger les restes de cette beuverie. Elle essuya ses mains contre son tablier et s’approcha de Pippa. Compatissante, elle aida la jeune femme à retirer sa chemise de nuit en nylon. 

— Vous auriez dû retirer votre déshabillé avant de vous coiffer. Regardez dans quel état vous êtes ! Vous feriez fuir un mort. Si Monsieur vous voyait ainsi...il...s’enfuirait en courant !

Pippa ne prêta pas attention à ce commentaire, concentrée sur l’application de sa crème hydratante. Maggie se hâta vers l'extrémité de la chambre et ouvrit avec une rapidité exemplaire l’armoire massive. La jolie rousse fronça les sourcils. Que faisait Maggie avec sa tenue de chasse ? 

— Puis-je savoir ce que vous faites ? s'étonna Pippa. 

— Je sors vos affaires.

—  Je le vois bien, merci. Mais, pourquoi choisissez-vous cette tenue ?

Maggie baissa les yeux, embarrassée. Elle savait très bien que la jeune femme n’apprécierait pas sa réponse. Il fallait être aveugle pour ne pas remarquer que Pippa se figeait à chaque fois que l’on prononçait le nom Harris.

— Vous avez été conviée à dîner chez les Harris. Vos parents se font une joie de découvrir leur propriété.

Son cœur s’emballa et la soirée de la veille lui revint en mémoire. L’insistance de Tom, l’indifférence de Jill et cette proposition impromptue... Sa poitrine se serra. Elle connaissait Jill depuis la maternelle et jamais, encore, elle ne lui avait manqué de respect à ce point. Et cela lui brisait le cœur. Leur amitié avait comme volé en éclats, en un claquement de doigts. 

—  Vous allez bien Mademoiselle ? s'inquiéta Maggie.

La jeune femme hocha la tête, les larmes aux yeux. Ne tenant pas à ce que la gouvernante la voit dans cet état, elle enfila son col roulé, boutonna son pantalon prince-de-galles.

Un bruit de verre brisé émana du rez-de-chaussée. 

—  Tu te crois irréprochable ? hurla une voix masculine.  Ce n’est pas moi qui passe mon temps chez mes amies ! Si c’est bien chez elles que tu passes toutes tes journées !

Un nouveau fracassement retentit. Plus sourd que le précédent. Pippa bondit. Une porte claqua puis une autre. Le personnel s’attelait sûrement à la tâche. Une maison devait toujours rester propre. Quelles que soient les circonstances.

—  Venez Mademoiselle ou votre père risquerait de s’énerver davantage.

La rouquine descendit quatre à quatre les marches, derrière une Maggie agitée. Elle n’avait aucune envie d’aller chasser et encore moins de diner chez les Harris. Mais, elle détestait être en retard. Et encore plus décevoir ses parents. Surtout, après ce qui venait de se passer. 

— Enfin te voilà ! se détendit Olivia Anderson, en finissant d'étaler du fond de teint sur sa pommette gauche. La voiture nous attend.

Elle fourra son poudrier dans son sac à main et lui lança un regard réprobateur.

— Regarde-toi, tu as une mine épouvantable. 

La rouquine haussa les épaules. Elle se fichait bien de plaire aux Harris. 

— Tu aurais pu faire un effort pour être présentable. Les Harris ne méritent pas une telle désinvolture. 

Olivia aspergea sa fille de son eau parfum. 

— Ça devrait faire l’affaire, affirma-t-elle, sans grande conviction. 

Elle posa le flacon sur la commode du hall d’entrée et attrapa sa capeline tandis que Jim, leur majordome, poussa la porte principale. 

— Dépêche-toi, lui dicta-t-elle sans se retourner, les Harris n'aiment pas qu’on soit en retard.

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