Chapitre 2

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— Les voilà, s'égosilla Jill à l’instant même où elle franchit le seuil du Clark’s.

Avachis sur la banquette capitonnée, Rory Cunningham et Poppy McGill s’embrassaient langoureusement, sous l'œil discret de Tom Harris. Pippa sourit. C’était du Poppy tout craché ! Elle agissait toujours comme bon lui semblait, faisant fi des conventions. 

Poppy décrocha ses lèvres de celles de Rory et lui fit signe. L’ambiance feutrée accueillait les clients à bras ouverts. Curtis, serveur pour le Clark’s avait racheté les lieux il y a tout juste un an, pour une bouchée de pain. Son investissement fut couronné de succès. Jamais il n’y avait eu autant de monde à fréquenter Carnaby Street. Pippa retira son chapeau Pillbox en velours, salua Richard Moore, un ami de son père, et regagna la tablée, nerveuse.

— Trinquons à la reine de la soirée

Tom Harris leva son verre de Gin et tous les regards se braquèrent sur Pippa. Elle s’installa sur la banquette, incapable d’aligner deux mots. Elle n’aimait pas être au cœur de l’attention. Et encore moins, le regard de cocker que lui lançait Tom. 

— Et si nous allions passer quelques jours à Paris ? 

Jill guetta la réaction de Tom. En posant cette question, Pippa avait très vite deviné à quel jeu jouait son amie. Mais elle préféra s’abstenir de tout commentaire. 

—  Excellente idée, applaudit Poppy McGill. 

 La joie pouvait se lire sur son visage rond. La blondinette tira une longue bouffée de sa cigarette et envoya des ronds de fumée vers le plafond.

Tom se racla la gorge, irrité. Il ne comptait pas donner à cette fille l’occasion de lui gâcher ses plans. Il avait bien d'autres projets pour cet été et la capitale française n'en faisait pas partie.

—  Pourquoi n’irions-nous pas dans le sud de l’Italie ? rectifia-t-il.

Pippa but une goutte de Gin. Elle rêvait de partir, ne serait-ce que pour quelques jours, en Italie. Visiter Capri et son Arco Naturale, sillonner en automobile la via Krupp et se baigner dans l’eau turquoise lui permettrait de retrouver l’inspiration. Et peut-être même, d'écrire le roman qui l’élèverait au sommet de sa carrière. Or, le fait que cette proposition émanait de la bouche de Tom la mettait mal à l’aise. Elle ne lui faisait pas confiance. Et rien ni personne ne la ferait changer d’avis.

Les musiciens entonnèrent les notes de Moon Rivers et les premiers couples rejoignirent la piste de danse. Poppy pria Rory Cunningham d’en faire de même. Ce dernier céda, ne désirant pas être l’objet d’un esclandre. Tout le monde savait à quel point Poppy pouvait se montrer capricieuse. 

—  Un whisky pour moi et pour ces demoiselles, deux bloody mary, lança Tom à l’attention du serveur.

Pippa grimaça, elle n’appréciait que peu le tabasco. Cela lui donnait des aigreurs d’estomac. Mais il était incorrect de refuser un verre si généreusement offert. 

—  Alors Pippa qu'en dites-vous ? 

La jeune femme cessa de jouer avec son dessous de verre et le regarda avec surprise. 

— Si nous allions passer quelques jours à Capri ? 

Pippa déglutit avec peine. Le barman les interrompit, lui offrant un peu de répit.  Avec un peu de chance, elle n’aurait plus besoin de trouver une excuse pour décliner cette invitation. 

Jill porta son bloody mary à ses lèvres, désireuse de changer de sujet. Elle avait la désagréable sensation de tenir la chandelle et cela ne l’enchantait guère.

— Alors Tom, comment se portent les affaires ? 

Harris leva son verre, ignorant Jill. Il n’avait aucune envie d'évoquer son travail. Il était là pour se divertir et se prendre une cuite monumentale. Rien de plus. 

—  Tu ne bois pas ? 

L’indienne pointa du doigt le cocktail que Pippa tenait fermement entre ses doigts. La jeune femme resta muette. Jill avait la fâcheuse habitude de décortiquer chaque petit détail. Et Pippa aurait préféré que celui-ci passe inaperçu. 

— Qu’avons-nous loupé ?

Bras dessus bras dessous, Poppy et Rory s'installèrent à nouveau autour de la table, plus amoureux que jamais.

Cet interlude était une occasion en or pour Pippa d’échapper à Tom Harris. D’autant plus que l’orchestre s’attaquait à du Dee Dee Sharp. Cet homme avait beau se comporter en véritable gentleman, elle ne voyait en lui que l’être qui la priverait de sa liberté. Pippa se rua vers la piste de danse et entama les premiers pas du Mashed Potatoes. 

— Pippa est éblouissante ce soir, observa Rory.

Tom approuva d’un hochement de tête, incapable de détourner son regard de la jeune femme.

— Je me demande bien quel intérêt elle peut trouver à toute cette agitation, observa-t-il. 

Rory haussa les épaules. Cette effervescence ne le dérangeait pas le moins du monde tant qu’elle leur permettait de prendre du bon temps.

— Et à ce type d’ailleurs.

La voix de Tom s’était faite plus dur. Poppy se mordit la lèvre. Ce magnat de la finance venait de perdre sa femme, il y avait tout juste six mois et il ne pensait qu’à conquérir Pippa. Comment pouvait-on faire le deuil de son épouse aussi facilement ?  Cet homme se comportait comme un amant jaloux. Après tout, son amie ne faisait rien de mal. Elle fêtait simplement ses vingt-trois ans en charmante compagnie. 

—  Regardez-le. Il n’attend qu’une chose : lui mettre la main au panier.

— Ne sois pas grossier Tom, je te prie, lâcha Poppy avec raideur.

— Il n’a pas tort. Tous les hommes ici présents rêveraient de l’épouser, approuva Rory.

Poppy lui donna un coup de coude réprobateur. 

—  Et bien pas moi ! rétorqua sèchement Jill. Elle est si … indépendante... Le mariage la rendrait malheureuse.

— Heureusement : tu n’es pas un homme, railla Rory.

Tom fixa Jill avec intérêt. Décontenancé, il écarta sa mèche ondulée de son visage et termina son verre d’une traite.

—  Qu’y a-t-il de si drôle ? s'étonna Pippa.

Ses yeux verts scrutaient Rory avec interrogation, encore essoufflée par sa performance. Ce dernier baissa les yeux, gêné. Pendant quelques minutes, elle avait pu mettre de côté ses tracas du quotidien. Mais voilà que ses amis la tenaient à l’écart de leurs confidences.

— Ne les écoute pas chérie, ce ne sont que des idiots, répondit Poppy en fronçant les sourcils.

La blondinette lui prit la main avec tendresse et l’entraina vers la piste, ne tenant pas à ce que Pip’ découvre à quel point Tom se conduisait comme un goujat. Cela lui gâcherait tout plaisir d’être ici.

Tom les regarda s’éloigner et lorsque la rouquine fut suffisamment loin pour qu'elle ne l’entende pas, il se pencha vers ses deux compères. 

— Ce qui lui faut, c’est un homme bon et honnête. Pas un gorille ! Une femme comme elle, il faut en prendre soin.

Jill trépigna, incapable de réprimer sa jalousie. 

— Pippa n’a pas besoin qu’on la traite comme un oiseau blessé. Ce serait mal la connaître.

Remontée comme un coucou, elle se leva d’un bond et se colla à un groupe de jeunes gens auprès duquel elle joua les aguicheuses. Tom se fichait d'elle. Certes. Mais, ce n’était pas pour autant qu’elle devait se morfondre. Elle espérait bien le piquer au vif. Tout espoir n’était pas encore perdu.

***

Minuit sonnait tout juste, quand, Pippa épuisée par cette folle soirée, posa un pied hors du Clark’s. Le trottoir, encore humide, brillait à la lueur des lampadaires. Elle huma l’air, appréciant la friture du Fish and Chips au coin de la rue. 

Comme c’était bon de vivre à Londres ! 

Elle manqua de trébucha lorsqu’une Tom la rattrapa.  La respiration de la jeune femme se saccada. Elle ignorait si elle devait rire ou pleurer. Mais une chose était sûre : elle détestait qu’on l'aborde par surprise. Tout autant qu’elle ne supportait pas ce parfum hors de prix qu’il portait. 

— Laissez-moi vous raccompagner, lui dit-il avec douceur. Je crois que nous avons tous un peu trop bu.

Pippa leva le menton, imperturbable. 

— Je préfère marcher.

— Ma voiture est juste à côté. 

Il l'empoigna par la manche de son manteau, avec détermination. Pippa se crispa, perturbée par ce geste d’apparence si anodin. 

— Je me sentirais honteuse de saccager votre nouvelle voiture, murmura-t-elle, les yeux rivés sur la Triumph Spitfire rouge.

— Ne dites pas de bêtises. 

Il sourit, sûr de lui. 

— Il n’est pas convenable pour une femme de rentrer seule, à pied, à une heure si tardive, argumenta-t-il.

Il l'empoigna plus fermement. Trop à son goût. La jeune femme chercha Jill du regard. Celle-ci discutait à gorge déployée avec deux hommes d’une trentaine d’années. Pippa avait beau puiser dans sa mémoire, ces deux types ne lui disaient rien. 

— Jill m’accompagnera. N’est-ce pas Jill ?

La jolie brune l’ignora. Puis, alors que Pippa se croyait perdue, Jill se tourna soudain vers eux :

— A vrai dire Tom, je ne dirais pas non à une virée en décapotable.

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