Le baratin

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Vendredi matin, Magasin bio, j’ai terminé de prendre les fruits, je rejoints ma femme aux légumes. Là, tranquille, je n’ai rien à faire, les légumes, c’est son domaine. Trop grand, trop petit, mur pas mur, trop compliqué pour moi. Il n’y a qu’elle pour savoir. Donc, je poirote, je consulte mon téléphone, pas de message, dommage. Autour de moi c’est la cohue, le sourire forcé, je balade mon caddie dans tous les sens :

- Excusez-moi, madame, j’en prends de la place !

- Mais non monsieur, le magasin est petit. Ce n’est pas votre faute.

- Et patati et patata.

Je n’ai rien d’autres à faire que de regarder les gens et les écouter. Peut-être vais-je trouver la perle rare qui m’inspirera. Bingo !

Au rayon des consommables, un homme et une femme conversent. La discussion porte sur une conférence à laquelle ils ont participé tous les deux. L’homme fait l’éloge de l’orateur :

- M… est très doué, clair, précis, capable de vulgariser des principes scientifiques complexes. Il a tenu pendant deux heures à nous parler de la terre, de la planète. J’ai adoré la façon dont il a évoqué l’impact de l’être humain sur l’environnement, c’était vraiment chouette, clair, très documenté. J’ai vraiment aimé sauf que

« Sauf que », deux petits mots insignifiants, mais oh combien terribles lorsqu’ils se combinent. Ils peuvent en un rien de temps faire exploser en vol tout ce que vous avez dit ou faire au paravent. Vous pouvez avoir sauvé vingt fois l’humanité, le petit « sauf que » vous pourrira la vie, vous deviendrez un paria.

Ecoutez ! Si je vous dis, monsieur « Ce gars est super sympa sauf … qu’à certains moments il peut lui arriver de péter un câble », vous passerez vos vacances avec lui ? Non et pourtant, il est super sympa, sauf que…

Autre exemple ! Si je vous dis, madame, « Ce gars est super canon sauf que c’est un porc, il se lave une fois tous les six mois », vous partirez en week-end avec lui ? Non et pourtant, il est super canon.

Ce qui veut dire qu’après le « sauf que » il faut s’attendre au pire.

Ce qui est intéressant dans les paroles de cet homme c’est ce qu’il a dit après le sauf que : « sauf qu’à un certain moment il nous a sorti son baratin. Il n’a pas pu s’en empêcher, c’est chaque fois pareil. »

Baratin, c’est intéressant. Baratin, il aurait pu dire boniment, bobard et tant d’autres expressions qui nous auraient montré un homme venu là pour vendre sa salade, pour nous convaincre. Mais j’ai l’impression que le sens qu’il veut donner à cette expression est plutôt celle d’une rengaine, d’un sujet que l’orateur aime par-dessus tout aborder, comme un jardin secret qu’il veut ouvrir aux autres, son dada, en quelque sorte qu’il enfourche à la moindre occasion.

Cette scène me ramène en arrière de quelques années quand je suivais assidument des émissions politiques. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Je me souviens d’un homme politique, en particuliers, dont les discours n’étaient pas de ceux que j’appréciais le plus. Ses idées étaient à l’opposé des miennes mais j’avais un certain plaisir à l’écouter, un certain plaisir je précise, pas un enthousiasme délirant, non, un certain plaisir. Je me répète un peu trop, c’est vrai, vous allez croire que je veux à tout prix me justifier d’écouter ce genre de mec, un mec de Droite, merde. Oh, et puis chiote, on a le droit d’écouter qui on veut, non ? Mais je m’égare, revenons à nos …

J’écoutais donc ce gars, mais je vous rassure, pas très longtemps, juste le temps qu’il débite son « baratin ». Et son baratin à lui, c’était sa ville. Il parlait de sa ville, de tout ce qu’il faisait pour elle. Il en faisait des tonnes et pas qu’une fois. Non toutes les fois qu’on lui tendait le micro il ne pouvait s’empêcher de nous asséner la même rengaine. Effet immédiat, je décrochais, je zappais et continuais à manger mes pains au chocolat, mes chocolatines (à Bordeaux c’est comme ça qu’on dit).

Mais je ne veux pas l’accabler, il n’était pas le seul. Il suffisait d’être un peu attentif et il était facile de débusquer ce fameux baratin dans le discours de n’importe quel autre colporteur.

Mais pouvons-nous dire que nous ne sommes jamais tombés dans ce travers ? Pouvons-nous affirmer que dans nos conversations le baratin, pernicieusement et à notre insu, ne s’est jamais immiscé et n’a pas fini par agacer notre interlocuteur ? Je vous laisse juge.

Quant à moi, j’arrête de parler de moi, j’ai l’impression que mon baratin commence à vous énerver. Non ?

La prochaine fois, je vous parlerai de l’expression « en même temps », j’adore.

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