Un pépin d'éternité

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Un paysan avait un pommier dans son potager, un seul. Il n’était pas très grand et guère volumineux et donnait un an sur deux. L’année de disette, pas une fleur et bien sûr pas une pomme à l’automne.

L’année suivante, par contre, le paysan remplissait des tombereaux de pommes à n’en savoir que faire. Il en mangeait jusqu’à plus faim, en faisait des compotes, du jus de pomme, du cidre, des tartes, mais après tout cela, il lui en restait des quantités incroyables. Alors, à contrecœur, vraiment à contrecœur, il en donnait quelques-unes à ses voisins. Il passait ainsi pour un homme généreux alors qu’il ne l’était pas du tout. Combien de fois, il avait expulsé à coup de fourche des gamins qui sautaient par-dessus la clôture et ramassaient des pommes au pied de l’arbre. Les pauvres nécessiteux étaient accueillis à coup de chevrotine chargé au gros sel.

Il ne dispensait sa « générosité » uniquement lorsqu’il avait épuisé tous les moyens d’accommoder ce généreux fruit. Il lui arrivait, certaines années, de remplir les derniers cageots les jetait dans la Dordogne.

Ce que ce vieillard avare ne savait pas, c’est que Dame Nature a horreur que l’on méprise les dons qu’elle daigne prodiguer. Quand elle vit le peu de cas que ce paysan faisait de ses pommes, elle décida de lui donner une leçon. La première mesure qu’elle prit fut d’apparaitre dans un des rêves du vieil acariâtre.

Il était appuyé sur son arbre, son béret rabattu sur son visage, ronflant assez bruyamment pour que tous les insectes ou rongeurs trainant dans les parages s’éloignent le plus loin possible. Même son chien, Léopold, se tenait à bonne distance. Lui aussi souhaitait jouir de cet été indien pour piquer un agréable roupillon sans être importuné par le brouhaha que faisait son maître .

Le vieux paysan acariâtre et avare plongea dans un sommeil profond qui le porta dans un rêve des plus étranges.

Les branches de son pommier croulaient sous le poids d’innombrables fruits et le vieux paysan avait depuis quelques jours surpris un merle en croquer trop à son goût. Il montait donc la garde, une fourche à la main, tournant et tournant autour de son arbre.

Un brouillard épais venant du terrain voisin rampa jusqu’à lui puis couvrit d’un voile opaque le potager. Le paysan distingua tout de même des animaux qui virevoltaient autour de son pommier. C’étaient les animaux qu’il chassait l’hiver. Il y avait là des faisans, des chevreuils, des sangliers avec des marcassins rayés de noir. Il voulut se précipiter vers la maison pour s’emparer de son fusil quand un halo luminescent l’emprisonna et le cloua net sur place. Il lui était impossible de faire le moindre geste.

C’est à ce moment-là qu’il la vit, se dessinant à la lisière du potager : une déesse, les cheveux d’un noir de jais tombant sur son dos en une longue crinière et vêtue d’une étincelante robe blanche. Il ne distingua pas son visage effacé par la brume. Elle s’avança vers l’arbre, caressa chacun des animaux qui, à son contact, cessèrent de tourner autour de l’arbre et s’assirent. Elle darda son regard sur lui, un regard gris, intense, fâché. Elle avança de quelques pas jusqu’à ce que son visage touche presque le sien.

Il fronça les yeux tant la lumière que diffusait cette femme était intense, aussi intense que le halo qui l’entourait. Puis le visage apparut clairement. Il était trait pour trait le même que celui de sa femme disparue depuis de nombreuses années. À n’en pas douter, c’était elle. Il n’en croyait pas ses yeux, ni ses oreilles lorsqu’il l’entendit lui dire, sans qu’elle bouge la moindre lèvre.

¾ Pauvre vieux fermier grincheux et avare, je te vois jeter à la rivière les fruits de ton arbre et cela m’attriste et me révolte même. Tu ne peux impunément gaspiller les dons de la nature. C’est vraiment dommage, dit la dame aux cheveux couleur de jais, un sourire malicieux au coin des lèvres, car ton arbre pourrait un jour t’offrir un cadeau…

¾ Un cadeau ? Quelle sorte de cadeau ?

¾ Une pomme bien particulière.

¾ Une pomme qui, à elle seule, pourrait me rassasier ?

¾ Non, une pomme d’éternité. Une pomme qui te donnerait la jeunesse éternelle. Une seule parmi les centaines que tu récolteras aura ce pouvoir.

¾ Comment ferais-je pour la reconnaître ?

¾ Au moment même où tu la croqueras, tu rajeuniras instantanément et tu reviendras à l’âge que tu avais lorsque nous nous sommes rencontrés.

Sur ces mots, la belle apparition s’évapora en volutes multicolores. Le vieux paysan se réveilla brusquement, le corps ruisselant de sueur ou… des perles de la brume qui s’était abattue sur lui. Ce rêve était tellement réel qu’il en fut fort désappointé.

« Ce n’est qu’un rêve après tout. Les fées n’existent pas, dit-il en se parlant à lui-même ». Ce qui fit dresser les oreilles du bon Léopold (le chien, je vous le rappelle) fort peu habitué à entendre son maître parler. Hormis des sifflements et quelques onomatopées, le vieux paysan n’usait d’aucun autre moyen pour s’adresser à lui. Par ailleurs, comme il ne parlait à personne, personne, par conséquent, ne savait s'il parlait ou non.

Il voulut oublier ce rêve troublant, mais les jours passaient et le rêve chaque nuit revenait et refusait de sortir de sa mémoire. Le trouble maintenant était à son comble. Il fallait qu’il sache. Il s’adressa, alors, au premier interlocuteur dont la compétence dans le domaine des rêves et de tout autre chose d’ailleurs n’est plus à prouver : internet*.

*Ceci est de l’ironie, je précise au cas où vous le prendriez au premier degré.

C’est vrai, je dois tout de même vous préciser que ce vieux paysan acariâtre et avare était loin d’être un idiot. Pour dire vrai, il n’avait pas été paysan toute sa vie et pour être précis, il ne l’était que depuis quelques années. Ce vieillard à la longue barbe blanche, habillé comme un gueux, avait été toute sa vie durant un riche homme d’affaire.

Jeune freluquet boutonneux et surdoué, il était sorti diplômé d’une école d’informatique et avait produit une appli révolutionnaire qui avait pour mérite essentiel de faciliter drastiquement la vie des gens*.

*Mon opinion, mais c’est mon opinion, est qu’il contribua à sa manière à l’abêtissement de l’espèce humaine.

Pour cette découverte, on le couvrit de louanges et on lui fit un pont d’or. Ainsi, il vécut riche, vénéré et courtisé durant cinquante longues années. Il eut une femme et des enfants qui l’aimaient mais que lui négligeait trop absorbé qu’il était par l’évolution de sa carrière et surtout de sa fortune. Il passait ses journées devant son écran d’ordinateur à consulter courbes et graphiques. Le résultat fut pour lui des plus désastreux. Les enfants quittèrent le foyer familial et sa femme mourut terrassée par une maladie foudroyante. Il plongea dans une dépression profonde et ne trouva pour s’en sortir qu’un moyen : plonger encore plus dans l’antre sordide du travail.

Il devint encore plus riche, immensément riche. On frappait à sa porte à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit pour le solliciter ou lui faire des propositions plus scabreuses les une que les autres. Son caractère, à force de visites intempestives se rembrunit. Il finit par devenir ce qu’il était désormais : un homme acariâtre, ne pouvant supporter personne et avare plus par méfiance vis-à-vis des autres que par amour immodéré de l’argent. Il était convaincu, et il avait en grande partie raison, que les gens ne s’intéressaient à lui uniquement pour son argent.

D’ailleurs, lorsque son étoile commença à décliner et que sa fortune se réduit comme peau de chagrin suite aux innombrables placements plus qu’hasardeux effectués par des conseillers plus ou moins honnêtes, les louanges se dissipèrent comme neige au soleil, les marques d’affection ne furent plus que de tristes souvenirs, et bien sûr, il se retrouva seul dans sa grande maison, oublié de tous.

Il ne resta pas longtemps sans réagir. Sa décision fut radicale : il vendit sa belle demeure et les quelques biens qu’il possédait encore, et acheta un petit corps de ferme dans ce petit coin de la Dordogne.

Il renonça à ses passe-temps intellectuels qui lui avaient tant apporté et tant coûté pour se consacrer pleinement à la terre. Il entreprit de se transformer en un véritable fermier. Il défricha la parcelle de terre qui périclitait depuis bon nombre d’années, acheta un motoculteur, des outils et commença par planter des arbres fruitiers et des légumes. Sur le terrain, seul survivait de l’ancienne exploitation ce pommier chétif en apparence mais, comme nous l’avons vu, très généreux un an sur deux.

Dans un premier temps, l’homme, sema, planta au petit bonheur la chance. Il ne récolta la première année que des mauvaises herbes. Il prit conscience, à cette occasion, qu’être paysan, cultiver est un véritable métier qui requiert toutes sortes d’intelligence bien plus pointues que celles dont il avait eu besoin pour devenir riche.

Il avait besoin de conseils, des tutos (tutoriel, en langage ancien), disait-il, donc il revint à ses premières amours. Il fit installer internet, acheta un ordinateur et alla à la pêche aux informations. Il trouva ce qu’il voulut et se remit au travail. Malheureusement, la terre était revêche et n’avait aucune envie de satisfaire l’intrus. Elle aussi était vieille et n’aspirait qu’à se reposer. Elle n’offrit comme cadeau au vieil homme que du chiendent, des ronces et du chèvrefeuille. Seul le pommier trouvant grâce à ses yeux continuait, un an sur deux, de se couvrir de pommes.

Pour revenir au rêve, il dût admettre qu’il remettait en question tout sa philosophie de vie, car Monsieur était philosophe et avait des valeurs, certes monétaires, mais des valeurs tout de même. Une pomme qui donne la vie éternelle, qui redonne la jeunesse, tout de même, ce n’est pas rien.

Lui, avait, comme l’immense majorité des gens sur cette terre, fait le choix de l’Argent. Il avait passé sa vie entière à amasser une fortune. Pour quel résultat ? Pour que ses enfants qu’il avait négligés pendant des années de sa vie, partent le plus loin possible ⸺ c’est ce qu’ils lui avaient dit lorsqu’ils avaient fait leurs valises ⸺ et ne reviennent jamais, n’écrivent jamais la moindre lettre, même pas à Noël ou aux dates d’anniversaire ? Pour que sa femme, certes couvertes de bijoux et de robes de grands couturiers, négligée elle aussi, rongée par la solitude et la tristesse finisse par tomber malade, refuse de se battre et meure ? Pour qu’en fin de compte, cette fortune disparaisse du jour au lendemain ?

Il avait fini par comprendre, qu’au bout du compte, l’argent n’est rien mais la vie, par contre, ce don que la nature nous offre et que nous perdons si rapidement, est un trésor qu’aucune fortune ne peut égaler.

Et si je refaisais le chemin ? se dit-il. Certes, je ne referais pas la même erreur. Je pourrais… Mais ce n’est qu’un rêve.

Une nuit, le rêve se fit plus précis, plus intense, plus vrai à tel point qu’il se réveilla brusquement et qu’il vit, assise au bord du lit, la dame blanche qui le regardait de ses yeux gris et profonds, un sourire amical au coin des lèvres.

¾ Je ne suis pas un rêve, Archibald (j’avais oublié de vous le dire mais ce vieux paysan qui n’en était pas un, s’appelait Archibald, Constantin de Césarini, héritier d’une longue lignée de Césarini, très grande et très vieille famille toscane), je suis ton ange protecteur, le reflet de ton âme et si je te dis que tu peux recouvrer ta jeunesse et ne plus mourir, tu dois me croire.

Archibald ⸺ puisque c’est ainsi que nous allons nommer désormais ce vieux paysan ⸺ cligna des yeux, d’un revers de la main, les frotta énergiquement pour effacer cette vision, mais en vain, la vielle dame était toujours là, assise, une main tendue lui caressant la joue. Lorsqu’un doigt de la main entra en contact avec sa peau, un phénomène extraordinaire se produisit. Sous ses yeux ébahis défila les scènes les plus heureuses de sa vie avec sa femme.

¾ Tu pourras vivre de nouveau ces moments de bonheur, mais pas avec moi, avec une autre sûrement. Qu’en dis-tu ?

¾ Tu n’existes pas, tu es une vision, cria-t-il. Je suis en train de rêver. Vas-t-en !

Sur ces mots, la dame blanche s’éleva au-dessus du lit et s’évapora en une brume rose qui enveloppa la chambre. Quand la dernière volute se fut évanouie, Archibald s’endormit.

Le lendemain, quand il se réveilla, il prit le parti de tout faire pour se débarrasser de ce mauvais rêve. Il alla consulter internet, les forums, les réseaux sociaux, des psys en ligne, des voyants, enfin tous ceux qui pouvait lui donner quelques informations utiles. Du moins celles que son bon sens, le seul apte à séparer le bon grain de l’ivraie, jugerait pertinentes. Il en vint à la conclusion que s’il voulait effacer ce rêve de sa mémoire, il devait le partager, le scinder en morceau en quelques sortes. Plus il en parlerait, plus il viderait son cerveau des images enregistrées lors de ces innombrables nuits.

En parler, facile à dire, mais à qui ? Cet indécrottable ermite n’adressait la parole à personne dans le village. Il y avait bien son voisin immédiat, le bon Aurélien, un homme aimable et généreux, son exact contraire. Aurélien qui, tous les matins, le saluait gentiment malgré la mine renfrognée qu’il lui renvoyait.

Archibald ne l’aimait pas (d’ailleurs qui aimait-il ?), ce voisin était gluant de gentillesse. Il avait une flopée d’enfants à ces basques en permanence tant il était aimable et généreux avec eux. Pourtant, le pauvre homme qui était pauvre justement, ne possédait qu’un arpent de terre cinq fois plus petit que le sien et qui de surcroît ne donnait pas grand-chose. Même ses arbres fruitiers, qui partout ailleurs fleurissaient au printemps et se remplissaient de magnifiques fruits, périclitaient et donnaient à peine de quoi satisfaire quelques repas.

Archibald le regardait s’échiner à retourner la terre, à arracher quelques maigres racines pour s’alimenter et il ne lui venait jamais à l’esprit de lui céder un cageot de pommes au lieu de le jeter dans la rivière.

Archibald était vraiment odieux.

Non, il ne lui dirait rien, il ne dirait rien à personne, il garderait le secret pour lui. Car après tout si quelqu’un apprenait cette miraculeuse nouvelle, il s’empresserait de lui voler toutes ses pommes. Et de toute manière, personne ne le croirait, pire on le prendrait pour un fou.

Ne rien dire, ne rien faire était la meilleure des attitudes.

Car, après tout, ce n’était qu’un rêve.

Cet automne là, il recueillit plus de pommes que les autres années. Il en fit grand usage. Il eut même la chance que le directeur du supermarché du village passant par hasard devant la propriété, voie son arbre et lui propose de lui acheter sa récolte. Il n’en céda que la moitié et fut satisfaisait de ne pas avoir à en jeter.

Ce dont cette vieille folle se réjouirait, songea-t-il en pensant à celle qui le tourmentait encore les nuits.

L’hiver fut rude, l’arbre résista au gel. Son voisin tomba malade, fut même sur le point de mourir mais les gens du quartier vinrent à son secours. Pendant plusieurs semaines, Archibald put assister à un va et vient permanent de voitures qui passaient devant sa porte et s’arrêtaient devant celle d’Aurélien. Des personnes en descendaient, des paniers sous les bras remplis à ras bord de victuailles Archibald, derrière les rideaux de sa fenêtre, assistait à ce spectacle avec grand mépris.

Aurélien recouvrit la santé, mieux que ça, il afficha un embonpoint qui rendit fou de jalousie Archibald surtout lorsqu’il apprit qu’on lui avait donné de quoi s’alimenter durant des années entières.

Les rêves persistaient et Archibald les percevait avec plus d’acuité. La dame blanche s’adressait à lui avec véhémence. Elle l’enjoignait de le croire mais l’esprit cartésien d’Archibald était le plus fort et rejetait tous ces suppliques.

L’année passa, l’année de la disette. L’arbre se couvrit de feuilles au printemps. Les fleurs ne virent pas le jour et l’automne venu, Archibald, sachant pertinemment que son arbre ne donnerait aucune pomme, ne prit même pas la peine de se rendre à son potager .

Ce qui fut le cas, sauf que, (vous devez l’imaginer), aux beaux jours, entre les branches feuillus du pommier, une petite fleur rose naquit, puis l’été venant, elle se transforma en une petite pomme verte, minuscule mais qui disposant de toute la sève de l’arbre se gorgea et grossit jusqu’à devenir une superbe pomme rouge.

Quand, à la fin de l’été indien, les feuilles de l’arbre jaunirent, puis tombèrent dévoilant cette superbe pomme mure, à point pour être croquée, il se produisit un phénomène météorologique exceptionnel. Il neigea et la terre gela.

La pomme s’arracha de sa branche, tomba sur la neige glacée et roula en pente raide jusqu’à la lisière du potager. Elle se faufila sous la clôture, poursuivit sa course, traversa le terrain d’Aurélien, atteignit le palier de sa maison et rebondit sur la vitre de la porte de la cuisine où il était assis en train de lire un bon livre.

Alerté par ce petit cognement insolite, Aurélien ouvrit la porte, baissa la tête et vit ce fruit tellement beau à ses pieds, écarlate, miroitant sur sa surface courbe les rayons du soleil. Il le ramassa, balaya les alentours du regard et entra après avoir refermer la porte derrière lui. Perplexe, ne sachant trop qui pouvait avoir posé cette pomme devant chez lui, il retourna à sa chaise, nettoya d’un revers de sa manche le superbe fruit, ouvrit son couteau à cran d’arrêt, coupa la pomme en deux, porta à sa bouche l’une des deux moitiés et la croqua.

Les jours passèrent. Les rêves d’Archibald cessèrent. Ce qui eut le don de le tranquilliser. Il finit même par oublier cette femme et sa prophétie tellement stupide.

Mais, un matin de printemps qu’il était assis dans son jardin à admirer ses fleurs. C’est vrai, j’oubliais, je dois vois préciser que cette terre tellement avare en fruits et en légumes ne l’était pas pour ce qui est de produire des fleurs. C’était une terre à fleurs, une terre artistique plus qu’agricole en quelque sorte.

Donc, un matin qu’Archibald était assis sur son banc devant un parterre de fleurs, la clochette du portillon d’entrée retentit. Il se leva la mine renfrognée. Il avait toujours la mine renfrognée et le dos raide, malgré son grand âge, comme s’il avait un balai enfoncé …

Qui vient m’importuner à cette heure si matinale de la journée ? se demanda-t-il et il alla ouvrir. Quand il écarta de sa main les branchages d’un buisson qui cachait son portillon, il s’arrêta net, les yeux exorbités par l’apparition qui se manifesta devant lui : la dame blanche de ses rêves qu’il avait finie par oublier était là en chair et en os.

Elle était d’une majesté au-delà de toutes ses pensées, si belle et ressemblant tellement à sa femme. Elle portait à un bras un panier de pommes. Elle lui sourit et lui répéta mot pour mot tout ce que durant des nuits et des nuits elle lui avait révélé. Fou de joie, il bondit sur elle, voulut l’enlacer dans ses bras mais la dame fit un pas en arrière. Elle l’avertit que n’appartenant pas à son monde, il y avait tout lieu de craindre que le moindre contact physique entre eux deux aurait pour conséquence de le projeter dans le sien. Elle lui répéta une dernière fois son message et disparut en volutes bleutées cette fois. Elle lui précisa, avant de disparaître, qu’il ne devait croquer uniquement les pommes tombées de l’arbre.

Archibald attendit avec impatience l’automne suivant. Dès l’apparition des premiers fruits, il s’installa au pied de l’arbre et le fusil à la main, monta la garde jour et nuit.

Quand les premières pommes commencèrent à tomber, il les croqua toutes, ⸺ une seule fois suffisait lui avait dit la dame blanche ⸺ et les jeta, les laissant ainsi pourrir sur place ou faire la joie des oiseaux, des guêpes, des mulots et même des écureuils. Les sangliers et les chevreuils qu’il chassait avec tant d’ardeur vinrent la nuit participer au festin.

Cette année-là, il ne fit ni compote, ni jus de pommes, ni cidre, ni tartes aux pommes. Quand le directeur du supermarché passa pour lui acheter la moitié de sa récolte, il le renvoya manu militari. Les enfants et les pauvres déshérités crevant de faim furent accueillis à coup de chevrotine.

Pendant ce temps, son voisin rayonnait de bonheur et de santé. À tel point qu’un jour Archibald vaquant dans son potager, le vit jouer dans le sien avec des enfants et eut un doute sur qui il était. Il crut qu’il s'agissait d'un de ses petits enfants qui avait repris la propriété après sa mort. Il fut stupéfait de voir que le terrain d’Aurélien n’était plus stérile et offrait désormais des récoltes des plus généreuses.

Quelques temps plus tard, à force d’avoir trop croqué de pommes, Archibald tomba malade et dût être alité. Aurélien, enfin celui qui était censé être le petit-fils d’Aurélien, vint à son chevet et le soigna grâce aux fruits et aux légumes de son terrain. Il lui offrit une pomme semblable en tous points à celles qu’il avait ramassées l’automne précédent. Archibald vit son état s’améliorer à tel point que ses rhumatismes tellement douloureux disparurent et que…

Aujourd’hui, Aurélien et Archibald passent leur Bac. Vu leurs connaissances engrangées dans leur première vie, ce ne sera pour eux qu’un jeu d’enfant. Mais ils n’ont pas l’intention d’utiliser leur savoir en de choses futiles. La vie simple et tranquille de la campagne leur est amplement suffisante. Ils ont l’intention de poursuivre leurs études et espèrent un jour être d’excellents ingénieurs agronomes mais uniquement dans le but de respecter leur terre et d’aider leurs voisins à bien cultiver la leur.

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