Je veux être Dictateur

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"Alors, cette première journée à l’ENA ?

— Chiante !

— Ah, non, faut pas commencer comme ça, mon ami. Si tu veux devenir, un jour, président…

— Président, moi, jamais. Ce que je veux, c’est être un dictateur.

— Dictateur ? Comme tu y vas ! ça s’improvise pas, tu sais ?

— Je sais. Pour ça il faut que je sois beau, fort et très intelligent. D’avantage que pour entrer à l’ENA.

— Beau et fort, c’est pas utile. Regarde, Hitler un petit malingre, aucun charisme et Mussolini, je te dis pas, un guignol. Quant à Franco ou Staline c’étaient pas des top-modèles. Pour le physique, tu es très bien comme tu es, quelconque à souhait.

— C’est sympa ! Intelligent, voilà ce que je veux être.

— Intelligent ou malin comme un singe ?

— Un singe, n’importe quoi. T’as déjà vu un singe, roi de la jungle. Le lion, par contre, lui, il a de la gueule.

— Tu veux l’intelligence d’un lion. Une espèce de loche qui fout rien de sa journée et qui attend que sa bonne femme fasse les courses pour daigner se lever et aller bouffer ?

— T’as raison, ça je le fais déjà.

— Je te le fais pas dire. On appelle ça la dictature domestique du mâle dominant. Bon, disons que tu as le QI adéquat pour la fonction, dis-moi comment tu t’y prends pour accéder au pouvoir.

— Je lèche les bottes d’un cheval de course performant. Je rentre dans son équipe de campagne. Je l’aide à se faire élire…

— Pourquoi tu te présentes pas directement ?

— Trop compliqué ! Ecoute-moi, le mec se fait élire président. Il me nomme conseiller. Je le manipule, je l’incite à faire voter des lois iniques avec lesquelles je ne suis plus d’accord, un an ou deux avant les élections suivantes.

— C’est futé !

— Je m’arrange pour qu’il soit trainé dans la boue par les média. Je passe alors pour le père « La morale » et les gens m’adorent. Six mois avant les élections, je démissionne du gouvernement et je crée un parti.

— Un parti, t’es sûr ?

— T’as raison, pas un parti, c’est ringard. Autre chose, un truc qui fait rêver, qui swingue, un mouvement. Un mouvement pour un nouveau monde, c’est chouette ça !

— Tu crois ? Les gens, ils risquent de rien piper à ton charabia.

— Non, je te dis. Un nouveau monde avec de nouveaux mots. Il faut changer le langage. C’est hyper important !

— Et pourquoi ?

— Les mots expriment la pensée. Nouveaux mots, nouvelles pensées, c’est limpide !

— Très malin ! Donc, tu as réussi à mystifier tout le monde, maintenant t’as le pouvoir, il faut que tu le gardes. Au fait, tu veux en faire quoi de ton pouvoir ?

— Rien, je veux rien en faire. Je veux être dictateur, c’est tout !

— Faut bien que tu ais un programme, que tu fasses bouger les choses. Autrement, ça va être le bordel. Tu vas te faire éjecter fissa.

— T’as raison ! Je vais d’abord museler les médias en remplaçant les patrons de chaines TV et des journaux par des mecs à moi. Pas besoin que ce soit des lumières. Il leur suffira de répéter mes éléments de langage et ça suffira.

— Il y aura toujours des récalcitrants, des idéalistes, des démocrates.

— Arrête ! Je t’ai dit que ces mots n’existeront plus. Cela, je les dégage.

— Tu les élimines ?

— Non, je leur fous dans les pattes des casseroles dont ils auront du mal à se défaire. J’utiliserai d’abord mes médias et si ça suffit pas je ferai appel à la justice qui sera à ma botte, évidemment.

— Comment ça la justice ?

— La base c’est le pognon et le cul. Un compte dans un paradis fiscal, même si c’est pas vrai, le temps que la vérité vienne à la surface, le mec aura, depuis longtemps, disparu du paysage politique. Où une bonne femme qui porte plainte pour harcèlement. Ça marche du feu de Dieu.

— Et s’il reste encore des opposants ?

— Les derniers ? Et bien je les ferai condamner pour terrorisme ou intelligence avec l’ennemi.

— Quel ennemi ?

— Ah oui, j’oubliais, je me taperai une bonne petite guerre avec un pays. Je sais pas encore lequel. Faudra que j’y réfléchisse.

— Et le peuple ?

— Quoi le peuple ?

— Tu crois qu’il te laissera faire ?

— Le peuple, comme tu y vas. Ça n’existe pas le peuple, la populace, peut-être, mais le peuple. D’ailleurs, je ferai supprimer ce mot du dictionnaire.

— Tu crois que tu pourras y arriver ?

— Je crois. Mais toi, chérie, qu’en penses-tu ? Et que ferais-tu ? Tu serais la première dame.

— Tu sais mon attachement aux valeurs républicaines et mon amour pour les mots. Tu le sais ça ?

— Oui, oui !

— Je serais ta tendre et dévouée épouse mais tous les soirs, j’instillerais quelques gouttes de poison dans ton bouillon. Mais juste ce qu’il faut pour que ta santé décline peu à peu. Je serais à tes côtés, je te bichonnerais, je te pleurerai surtout devant les caméras. Je passerais pour une sainte qui sacrifie sa vie pour son mari. Je ferais tout pour que, le jour venu, celui de ta mort, le peuple et les autres se tournent vers moi et me demandent de prendre ta place. Alors qu’est-ce que t’en pense ?

— Ça me fait froid dans le dos. J’en pense que je vais laisser tomber cette idée et suivre les cours à l’ENA et je rentrerai dans l’administration.

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