Au fil de mes histoires

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Je suis éreinté, j’ai dû planter une tonne de pommes de terre ce matin. Je commence à en avoir ras le bol de faire toujours la même chose : planter un piquet, tirer un fil, tracer un sillon puis poser délicatement mes précieuses tubercules.

Le soleil tape dur, il ne va pas être loin de midi, je ne vais pas tarder à entendre la voix de ma femme qui va annoncer le repas.

— Ohé, du jardin, le repas est prêt ! T’arrive ?

Qu’est-ce que je disais ! Allez ! Je jette ma bêche, j’enlève le premier piquet et enroule le fil. J’enroule, j’enroule. Bizarre, où est le deuxième piquet ?

Il a disparu. Je vois le fil prendre la poudre d’escampette. Il disparait sous les plants de tomates. Tout cela m’intrigue.

Je jette ma bobine et essaie de le suivre du regard. Je le vois, il continue sa course, traverse le ruisseau et trace son chemin entre deux rangs de vigne. Je saute par-dessus le ruisseau, une simple rouille en fait, d’un mètre de large. J’atterris sur l’autre versant mais dans un mouvement de bascule je perds l’équilibre et penche en arrière. Je réussis à m’emparer du fil en lévitation sous mon nez, je m’accroche à lui, me redresse mais là ...

La vigne a disparu, le ruisseau aussi.

Je me trouve dans une rue. Je connais cette rue. C’est ma rue.

Au beau milieu du trottoir, quatre enfants, hilares, sont assis sur un escalier et se réjouissent de voir des adultes se disputer. Je suis là avec eux à rire du spectacle grotesque que les gens du quartier nous offrent.

Une femme, petite bourgeoise de province, est prise à partie par trois autres et deux hommes. L’une d’entre elles, une clocharde lui fonce dessus avec un caddie, une autre en profite pour s’esquiver. Elle court dans ma direction. Ses talons-aiguilles et sa robe trop serrée la ralentissent. Elle passe devant moi, ses lèvres au rouge scandaleux me sourient. La bourgeoise réussit à s’extraire de la mêlée, tente de la rejoindre. Les autres foncent aussi, ils vont m’écraser si je ne les esquive pas. Ils sont sur moi…

Je lâche le fil. Mes bras, tels les ailes d’un papillon, tourbillonnent dans le vide,. Mon corps tombe au ralenti en arrière. Je m’affale dans le ruisseau, les fesses dans la bouillasse.

Sacrée hallucination ! Je me relève, dégoulinant et cours jusqu’au bout du rang de vigne. Je vais enfin en voir le bout de ce sacré fil. Que nenni ! Il revient en arrière, prend sur sa droite, slalome entre les pieds de vigne et, je le vois, il s’engouffre dans un bosquet.

J’hésite. Le fourré est dense. Un cri strident retentit. C’est le fil qui se tend. Il m’appelle. Il poursuit son chemin, maintenant à hauteur d’homme. Le bosquet s’est effacé et je suis entouré d’arbres sur lesquels le fils s’accroche. Il tourne autour de moi à une allure folle. Il m’encercle, se rapproche dangereusement. Il n’est plus qu’à un mètre et a pris maintenant la forme d’un énorme serpent. Il m’enlace, …

La forêt à nouveau disparaît. Je me trouve dans un ascenseur avec quatre femmes et un homme. Nous sommes serrés comme des sardines.

L’ascenseur s’arrête et je panique. Je manque d’air. Une bonne femme essaie de me rassurer en me disant que tout ceci n’est pas grave, qu’elle a l’habitude et que ça va s’arranger. Bien sûr, je la crois. Le gars déblatère des solutions à deux balles. Une autre femme, une rouquine, n’arrête pas de geindre. La pire c’est celle qui me regarde avec des yeux hystériques. Elle me fout la trouille. Et ces petits cris qu’elle pousse, j’en ai des frissons. Je n’en peux plus, je vais me jeter sur la porte et leur dire que l’on va tous mourir.

Je me tourne vers la porte, face à moi, une femme, blonde, nous regarde. Elle sourit, semble comme satisfaite, enfin presque, une légère moue au coin des lèvres dénote une certaine contrariété à mon encontre. Qu’est-ce que j’ai bien pu faire ? Je veux en avoir le cœur net, je tambourine à la porte, elle s’ouvre.

— Tu en as mis du temps ! J’ai failli manger seule.

— Excuse-moi ! J’ai fait un drôle de voyage !

— La grosse aventure, j’imagine ! De tes plants de patates à ceux des courgettes, c’est ça ?

— Non, tu n’imagines pas.

— Ah ! Au fait, j’ai oublié, peux-tu aller chercher des tomates, je vais faire une salade.

— J’y vais !

Je retourne au potager avec un peu d’appréhension. Je ramasse quelques tomates et vais m’en retourner quand de l’autre côté du ruisseau une femme passe devant les rangs de vigne. Elle me fait un signe de la main.

Le même sourire en coin et la même moue à mon encontre.

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