Faux semblant

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Je suis enfoncé dans le siège avant de ma voiture, le stylo à la main à la recherche d’une idée géniale. Ma douce est à quelques pas de là, dans le magasin à faire un complément de course, c’est ce qu’elle m’a dit. Elle en a pour 5 minutes, c’est ce qu’elle m’a dit. Elle revient très vite, c’est ce qu’elle m’a dit. Moi, bien sûr je la crois, c’est ce que je lui ai dit.

Je regarde les voitures se garer et les gens en sortir. Rien de bien original, des vieux, beaucoup de vieux, enfin des gens de mon âge en vérité.

Je vois passer la dame de la « poste », je ne connais pas son nom, donc c’est ainsi que je la nomme. Une dame âgée, très âgée qui, un vendredi, au rayon légumes, m’avait fait part du désarroi qui la prit, à la poste, face à un distributeur de timbres. Elle me raconta son histoire en ces termes :

- « Je rentre dans la poste, un employé, enfin le petit Durand, que j’ai eu au collège, (dans une autre vie, cette dame était enseignante, le petit Durand a maintenant 45 ans.) s’approche de moi, me demande ce que je désire. Je lui dis que je veux un carnet de timbres. Je sors ma monnaie pour payer, lui, me montre du doigt ce qu’il appelle « l’automate distributeur ». J’ai beau lui dire que je veux simplement un carnet de timbres, il n’en démord pas et toujours le doigt levé, me dit que la machine distribue les timbres et que c’est comme ça et pas autrement. Je le toise, lui rappelle certains souvenirs qui ne manquent pas de le faire rougir et lui fait comprendre que la poste est un service public au service du public. J’ai beau faire, le gamin est têtu, c’était déjà le cas quand il était gosse, ça ne m’étonne pas. Je lui dis que je veux voir son « chef », rien n’y fait, il garde le doigt levé en direction de la machine. Je me résigne donc à me confronter à la « bête ». Je ne comprends rien à ce qu’elle veut. Je lui envoie deux à trois jurons bien gratinés et un coup de pied dans les gencives et je sors. Tant pis, je me dis que je verrai plus tard avec ma petite fille, elle est, comme ils disent à la télé, une « geeks », une accro à l’informatique. Le gamin, lui, a beau courir derrière moi en me disant qu’il va m’aider, je l’envoie bouler sans même me retourner. C’est bien fait pour lui, il se fera rabrouer par ses collègues pour ne pas avoir aidé une petite vieille comme moi. L’infâme ! Hé, Hé ! Le meilleur dans l’histoire, c’est que la lettre était pour le receveur de la poste. »

J’adore cette dame, elle a toujours l’art de me faire rire. Elle doit avoir les 90 ans bien tassés et elle est beaucoup plus jeune que la plus part d’entre nous. Je l’envie.

Passent devant moi, des jeunes aussi, beaucoup plus jeunes que moi, la trentaine, style baba cool, la dégaine qui va avec, assez sympathiques en fin de compte. Les habitués me saluent, je leur réponds par un sourire, tout va bien.

Je commence à trouver le temps long, mon stylo n’a pas encore déversé sur les feuilles de mon carnet la moindre trace d’encre. Je me morfonds, je n’ai vraiment rien à raconter.

Quoique,… une voiture, pas de toute première jeunesse, déboule sur le parking, fait crisser ses pneus et s’arrête net dans un demi-tête à queue. L’affaire m’intéresse, voyons voir qui en sort. Je ne suis pas déçu…

Un mec, vraiment « zarbi » : le crâne rasé, une véritable tête d’œuf avec plus de poil sur le menton que sur le caillou, une barbe de bucheron canadien, une légère balafre en travers de la joue, des binocles, style « Men in Black », un t-shirt, à moitié déchiré, bariolé de peintures psychédéliques devant et un gros aigle sur le dos. La caricature, quoi !

Attends, c'est pas fini! Des bras où pas un morceau de peau n’émerge, des tatouages partout, « Maman, je t’aime ! », « Viva la muerte ! », « C’est-qui le plus beau ? », et j’en passe. Un véritable roman .

Le bas du corps n’est pas mal non plus: un pantacourt ou un bermuda ou plutôt un vieux jean qui aurait explosé sur une mine anti personnelle. Il a du pot d’avoir toujours ses jambes sur lui. Des mollets de poulet pas du tout en harmonie avec le reste du corps. Le gaillard a l’air plutôt costaud du torse et des bras mais tout finaud du reste. Il doit faire des altères assis toute la journée sans même voir le soleil. Il a les gambettes avec trois poils qui se battent en duel, elles sont bonnes à fourrer dans une boîte d’allumettes. Je te dis pas les groles, des « rangers » des années 60, sûrement des rebus d’un vieux stock américain. Avec ses engins, s’il veut faire une « rando » il ne dépassera pas le périf.

Bon, le véritable « Hipster » ou « Punk à chien » ou « Métro sexuel », je ne sais pas. C’est comme ça qu’on les désigne. Moi, de mon temps, oui je suis assez vieux pour dire de mon temps, on aurait dit des « clodos », des « branques ». Mais de mon temps, c’est vrai, ils étaient beaucoup plus vieux et sûrement sans le sous. Là, j’ai l’impression que ce n’est pas du tout le cas. S’il se fringue comme un clodo, je pense que c’est soit par snobisme, soit par révolte, soit par simple désintérêt pour l’apparence, soit enfin parce qu’il il en a envie tout bonnement.

Merde, il s’est rendu compte que je le mate. Il jette un regard dans ma direction, mais fait signe de ne pas me voir. Il doit avoir l’habitude ! Il a l’air de n’en avoir rien à faire.

Il ouvre la portière arrière de la voiture. Je m’attends à voir sortir un molosse, au collier à clou et une laisse aussi large que mon bras. Un doberman ou un pitbull prêt à me dévorer. Pas possible, il ne pourra pas entrer dans le magasin avec des chiens. Alors, qui va en sortir et pourquoi prend-il la délicate attitude d’ouvrir cette putain de porière et à qui l’ouvre-t-il ?

Une fillette, six ou sept ans, de belles boucles blondes, une jolie robe fleurie. Je rêve ou quoi ? Elle sort, se jette aux bras de la « bête » et lui lance :

- Papa chérie, tu m’achètes des glaces ?

Lui, enlève ses lunettes, « il a de beaux yeux, tu sais », prend sa fille dans ses bras et lui répond :

- Mon cœur, maman t’a dit que tu sors juste de ta grippe. Ce ne serait pas sage !

- Mais papa, je suis guéri !

- On verra ! J’appellerai maman quand on sera dans le magasin.

Surréaliste ! Ce mec, qui aurait pu faire fondre un iceberg rien qu’en le regardant, se liquéfie devant sa fille. Et ce n’est pas tout, une autre enfant, plus petite que la précédente, s’extirpe du véhicule et se jette dans les jambes du « maous costaud ».

- Papa ! Papa ! Moi, je ne suis pas malade ! J’ai droit aux glaces !

Attends ! Ce n’est pas tout ! Arrive un troisième larron. L’ainé des enfants, semble-t-il, sapé comme un ministre. Harry Potter à son premier jour à Poudlard, quoi ! Une chemise à carreau, bien enfoncée dans un pantalon repassé du matin, pas un jean pourri, non, un pantalon en tergal, super propre. Des binocles rondes, style Harry Potter, je l’ai déjà dit !

- Les filles, s’il vous plaît ! N’embêtez pas papa ! Il ne fait pas assez chaud pour des glaces ! Nous verrons avec maman ! Pensons plutôt à l’aider à faire les courses !

Je n’y crois pas ! Le gosse ! J’ai l’impression d’être embarqué dans la « DeLoréan » et être revenu aux années 20. Je vais me réveiller. Le gosse prend la plus petite par la main et se dirige vers le magasin. La plus grande trottine devant et le père suit derrière, protecteur, le sourire aux lèvres. En passant devant ma voiture, il me fait un clin d’œil et laisse un sourire dérider son visage.

Je l’ai vu, une demi-heure plus tard, oui, ma femme n’était pas encore sortie, passer avec son caddie plein de victuailles. Son chargement ressemblait en tout point à celui que j’aurai pu ramener moi-même du magasin.

C’est fou comme il est facile de cerner le mode de vie des gens en examinant le contenu de leurs courses. C’est ce qui m’arrive de faire parfois lorsque la file aux caisses est trop longue. Untel à des chiens, un autre des chats, un autre n’a que des produits « éco », une autre enfin se gave de saloperies hyper sucrées, etc.

Là, tout est calculé, mesuré, pas de snickers, nuggets, donuts, … que des produits de qualité, légumes, fruits frais, jus de pommes et autres.

J’ai essayé, dans le fatras de son caddie, le rangement ne semble pas être son fort, d’y trouver les glaces…

Elles y étaient.

Bravo les filles.

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