Après avoir attendu quelques minutes dans la salle d’embarquement, nous avons été conviés à nous présenter à l’entrée B par un haut-parleur. Là, un steward et une hôtesse de l’air nous ont demandé nos cartes d’embarquement. Ces gens là ont une confiance toute relative dans les inquisiteurs, enregistreurs et autres douaniers de tous poils, car ils ont jugé nécessaire d’examiner à nouveau nos passeports.

A partir de ce moment là, nous avons parcouru vingt mètres dans un couloir hermétique, au bout duquel se trouvait une porte d’avion, flanquée des deux hôtesses les plus suspicieuses de la terre. Elles ont en effet souhaité que leur soient présentés les talons de nos cartes d’embarquement ainsi que nos passeports !

Alors, pensez-vous, après tous ces contrôles, il ne peut monter dans les avions que des personnes parfaitement en règle, de haute moralité et de grande tenue intellectuelle. Faux, faux et archi-faux !

Vous pouvez fort bien être le plus dévoyé des criminels habité par les intentions les plus malfaisantes. Si c’était le cas, vous n’avez cependant aucune chance d’entrer aux Etats-Unis, car il vous reste à répondre à un questionnaire, dont il me paraît possible de citer quelques extraits dans ces pages, sans crainte de lasser le lecteur :

« Demandez-vous l’entrée aux Etats-Unis dans l’intention de vous livrer à des activités criminelles ou immorales ? »

« Etes-vous impliqué dans des activités d’espionnage, de sabotage, de terrorisme, de génocide ou, entre 1933 et 1945, avez-vous participé en aucune façon à des persécutions perpétrées au nom de l’Allemagne Nazie ou de ses alliés ? »

« Avez-vous obtenu ou cherché à obtenir un visa ou l’admission aux Etats-Unis par voie de fraude ou de fausse déclaration ? » (sic)

Je ne sais si vous avez remarqué, mais les célèbres criminels qui ont marqué notre temps ont toujours été d’illustres ennemis du mensonge et fait preuve de la plus grande honnêteté. C’est la raison pour laquelle vous n’en trouverez aucun aux Etats-Unis. On ne les laisse pas rentrer ! D’ailleurs, le questionnaire est très clair sur ce point : « ATTENTION : Si vous avez répondu Oui à une ou plusieurs de ces questions ... il est possible que l’entrée aux Etats-Unis vous soit refusée. »

Nous avons fait croire à Sylviane que le voyage se passait bien. Toutefois, mon amour de la vérité m’oblige à vous dire que notre avion était très fatigué. Il ne devait plus servir qu’à quelques traversées nolisées, pour des gens cherchant à se déplacer à bon compte. Et tant pis si tous les contrôles techniques n’ont pas été faits du moment qu’il reste une petite chance d’arriver à bon port.

Évidemment, Sylviane s’en était rendu compte, mais s’agissant de son premier voyage sur un avion de ligne, nous n’avions pas trop de mal à répondre à ses nombreuses questions pour la rassurer faussement.

Les courts-circuits qui affolaient les lampes à l’intérieur du cockpit : normaux. Les roues de l’avion beaucoup trop petites pour supporter un si gros appareil : normales. Les traces noires et les rayures blanches sur la calandre : normales. Les vibrations infernales lors du décollage : normales. Les secousses en vol : de simples trous d’air normaux. Le commandant de bord qui titubait dans les allées : normal (il n’en était qu’à sa troisième cure de désintoxication). Le train d’atterrissage qui se ferme après le décollage : normal. Le train d’atterrissage qui s’ouvre avant le décollage : normal. Le bruit : normal. Le silence : normal ! Normal ! Normal !