Mickey Mouse Party

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Un de mes bons amis que je n’avais pas vu depuis bien plus de temps que vous ne pensez, m’a abordé l’autre jour dans la rue en me tapant dans le dos[1] et en me disant :

 

— Tiens ! Voilà un type qu’il est courageux !

 

Je déteste que l’on me tape dans le dos mais ce raseur impénitent que j’évite soigneusement dès que je l’aperçois m’avait abordé par surprise.

 

Les propos accablants qui vont suivre m’obligent à taire son nom.

 

Je dois avouer cependant que pour une fois il y avait un fond de vérité dans ses paroles. J’ai en effet la réputation d’être un homme de cran, audacieux et téméraire - on a pu dire héroïque - du jour où j’ai entrepris de poser des chaînes sur les roues de ma voiture au bord d’un chemin pentu et verglacé des Carroz d’Arâches.

 

Toutefois, je doutais que cet importun fisse allusion à ce haut fait (1139,98 mètres d’altitude, environ), ainsi qu’était prêt à en témoigner devant n’importe quel jury mon regard interrogatif. Aussi, l’envahissant cru t’il bon d’ajouter :

 

Tu pars bien pour la Floride ?

 

Pour le coup, mon incrédulité se teinta d’effarement. Comment cet esprit superficiel à la désinvolture horripilante pouvait-il être informé ? Avant que j’aie eu le temps de lui poser la question, le malvenu poursuivait :

 

Ben oui. T’as entendu parler de cet avion qui s’est écrasé dans les marais des Everglades ? C’est truffé d’alligators là-bas. Pas un survivant !

 

Et dans un éclat de rire,

 

Tu vas te réincarner en sac à main ! Ha ! Ha ! Ha !

 

Je me demandais bien en quelles circonstances hasardeuses cet esbroufeur rabat-joie avait pu pénétrer le cercle très fermé de mes bons amis. Enfin, l’erreur est humaine, comme disait je ne sais plus quel dieu.

On n’est pas des pythonisses.

 

Au surplus, il était déjà quatre heures moins le quart, quatre heures, peut-être même quatre heures et quart, quatre heures et demi, et j’étais très pressé. Cette conversation m’assommait.

 

Lorsque j’ai mieux à faire ailleurs, les traits de l’ennui déforment rapidement mon visage, à tel point que je suis capable de devenir laid. Enfin, presque, car c’est très difficile pour moi.

 

Mon raisonneur, doué de la même sensibilité qu’un jeune chien de terre-neuve et du même sens de l’observation qu’un locataire de la morgue, continuait son On Man Show.

 

Et ce n’est pas tout ! Le 17 juillet, - tu vois, je suis bien informé -, (il semblait que oui), une mère brésilienne qui se promenait en famille et en vélo au bord des marais, a retiré la tête de son fils des mâchoires d’une de ces charmantes bêtes qui infestent littéralement les lieux !

 

Où avais-je donc bien pu rencontrer cet enquiquineur pour la première fois ? Je déteste tout ce qui rampe et les alligators en particulier. Un livre vient de sortir en librairie affirmant que « Les caïmans sont des gens comme les autres ». J’ai peine à le croire.  et je demande des preuves. Je n’en menais pas large, mais essayais de le dissimuler derrière un masque de marbre panaché d’airain.

 

Et cet avion espagnol qui a été détourné le 26 juillet sur MIAMI ! C’est pas gai, hein ?

 

Evidemment, c’est pas gai ! Quel farceur ! Ce sont les Portugais qui sont gais. Les Espagnols, eux, ils sont gnols. C’est bien connu. Mais comment expliquer cela à cet imbécile primaire ? N’empêche que mine de rien, il réussissait à me miner le moral, petit à petit. J’en menais de moins en moins large avec toutes ces histoires d’avions qui partent et n’arrivent pas là où on les attend.

 

Et la bombe sur le boeing New-York - Paris ! 240 morts ! Et l’attentat d’Atlanta ! 2 morts, 130 blessés ! Non, vraiment, tu es courageux d’aller aux Etats-Unis.

 

Cette fois, j’en menais très étroit, mais, crâneur :

 

Oh, tu sais, lui dis-je, profitant qu’il reprenait sa respiration, j’ai une assurance tous risques. Il ne peut pas m’arriver grand chose. Je fais partie de cette élite qui a mangé de la mousse à la banane chocolatée de Sylviane.

 

Là, j’ai bien vu que je marquais des points. Ce monstre d’arrogance vacilla sur le piédestal de ses convictions. Il perdit de son assurance dans les proportions de 75 à 80 pour cent, environ. Chacun sait aujourd’hui que les survivants à la « mousse à la banane chocolatée de Sylviane » bénéficient de tarifs très privilégiés auprès des compagnies d’assurances du monde entier. Alors, profitant de mon faible avantage, j’enrichis :

 

Et pour être sûr de ne pas en manquer, j’emmène Sylviane dans mes bagages.

 

Le présomptueux était moins bavard. J’empilai :

 

Ainsi qu’ Oncl’ Jack’, le roi du toboggan, qui défie tous les dangers et dont la réputation n’est plus à faire.

 

C’était le coup de grâce. L’outrecuidant avait perdu sa morgue, ce qui le rendait plus observateur. Il ne pensait pas à contre-attaquer en évoquant par exemple les ouragans qui nettoient souvent cette région du globe, ni même la criminalité, multiforme et omniprésente sur ce terrain d’aventures. Il me regardait avec une lueur de respect et d’envie au fond des yeux.

 

J’en profitai toutes affaires cessantes. J’avoue que la perspective de partir en Floride en si belle compagnie m’a soudainement envahi d’une fierté et d’une suffisance propre à me rendre parfaitement odieux auprès de toute personne m’approchant à moins de trois mètres. Alors, je lui ai servi en vrac Aurélien, le premier de classe, capable de réciter les guides de voyages en commençant par la fin ; Florent, heureux propriétaire de 5864 fiches de joueurs de basket et champion médaillé lui-même ; Emilie, la seule fille impossible à semer dans la foule de la place Saint Marc à Venise en plein mois d’Août[2].

 

En plein mois d’Août ?

 

Oui. Parfaitement Monsieur Coïdal. En plein mois d’Août.

 

Dans mon emportement, je me rends compte que j’ai dévoilé par inadvertance le nom de mon interlocuteur. Autant pour moi. Mais ce qui est dit est dit. Poursuivons.

 

Un bien drôle de nom, dites-vous ?

  

Je vous l’accorde. Aussi j’appelerai désormais cet homme par son prénom. Oh, un tout petit prénom, réservé le plus souvent aux mineurs, aux porcs et aux cons[3].

 

Attendez-vous donc à savoir, Monsieur Elie, que je ne pars pas seul. A sept, nous formons une vraie expédition. Sous la haute autorité de la Reine de l’Organisation, j’ai nommé : Christine 1ère d’Angleterre, chacun et chacune a une mission à remplir pour l’harmonieux déroulement de ce voyage.

 

Par exemple, Emilie doit s’assurer que la température ne dépasse jamais 35° celcius en toute circonstance. Aurélien est chargé de veiller à ce qu’aucun ouragan ne vienne perturber notre séjour. Christine tient la caisse, Oncl’ Jack’ le volant, Florent à ses cartes de basket et moi le bon bout ...

 

Dans ces conditions, je ne vois pas ce qui pourrait nous empêcher de vivre un séjour de rêve.



[1] Tant qu’il ne s’agit pas d’argent, je supporte !

[2] Lire « Le Costa Riviera ».

[3] L’auteur dont le langage est généralement plus châtié, aura certainement voulu faire ici quelques jeux de mots oiseux, avec hélium, élimineur, héliport et hélicon, car c’est un incorrigible calembourgeois (NDLR).

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