Le soleil caresse mon corps étendu. La plénitude du travail accompli jusque tard dans la nuit alourdit mon sommeil profond. Une main, une main sur mon épaule me secoue. J’ouvre des yeux qu’une fine croute emprisonne. Je baille et découvre mon mentor agenouillé face à moi. Le sourire dans les yeux, il écarte ses joues et fait briller l’éclat de ses dents blanches. Sa voix forte ricoche dans son énorme cage thoracique.

- Et alors Abi ? Tu as travaillé tard dis donc !

Je me réveille. Entre les bassines et les ustensiles, mon lit. Par habitude, je vérifie mon seul meuble construit à l’aide de quelques planches de récupération. Ma petite étagère contient mes trésors. Mon mentor suit mon regard. Ces quelques livres sont ses premiers cadeaux, lorsque j’apprenais le français et qu’il me trouvait doué. Son énorme paluche vient me secouer une nouvelle fois.

- Ho Abi ! Réveille-toi ! Toute la classe t’attend. Aujourd’hui c’est toi qui fais la leçon !

Lorsque j’arrive dans la grande salle de cours, j’entends les mains de mes camarades battre le rythme. Leurs applaudissements sont mille djembés cadencés. Ils secouent la classe à m’en faire vibrer l’âme. Je ne comprends ni leurs sourires ni la fierté dans le regard de mon mentor. La main délicatement posée dans le dos, il me pousse une nouvelle fois en avant.

J’approche du tableau, mes mots, mes secrets, mon amour, ma joie, ma lettre à Abayomi a une couleur de craie. Du jaune, du blanc, du bleu du rose, toutes ces couleurs qui font éclater les sentiments que les mots ne suffisent pas à exprimer. J’ai tout mis, tout ce que j’avais en moi. Cette nuit, je l’ai offerte au monde pour qu’ils comprennent, mais surtout, pour qu’elle sache. Dans la classe, mille visages attirent mon regard, mais moi, je n’en cherche qu’un.