Chapitre 3 – Héliconia

2 minutes de lecture

Les couleurs de la vie se multiplient lorsque les sourires fleurissent. Ce jour, les visages, colorés de bonheur, exultent de joie. Les courtes culottes gambadent, les sandales rebondissent et les mains battent en rythme. Les chansons sont répétées depuis plusieurs mois pour célébrer la fête de l’école.

Deux ans, deux ans déjà d’un labeur quotidien que les sourires spontanés transforment en exploit. Apprendre c’est comme cultiver répète mon professeur. Je me souviens des premiers soirs. Les autres rentraient chez eux mais moi, Abioni, je restais à l’école. J’avais alors la chance de vivre ces instants privilégiés avec mon mentor. Minuscule à côté de ce grand homme, j’observais la vie s’incliner à l’approche de la nuit. Lorsque le soleil brûlant s’enfonçait dans la terre, il me montrait ces arbres gigantesques qui creusaient l’horizon. Tu vois ? Notre terre paraît asséchée et aride, mais des sols pauvres jaillissent parfois les plus grands joyaux de la nature.

Le regard perdu dans mes souvenirs, je souris. J’ai douze ans et je danse, je chante et je ris avec les autres de mon âge. Les plats ploient sous les victuailles. Chaque habitant avoisinant a répondu, pour faire d’un rien, un grand festin. Le riz jolofs, frit dans sa chapelure de pain, baigne dans son coulis rouge feu. Les piments font chanter les papilles. Heureusement, les bananes plantins s’empressent de venir adoucir l’incendie par leur sucrosité naturelle. Je m’empiffre de gâteaux aux pistaches. Ma bouche colle, imprégnée de joie. Mais dans ce tourbillon de bonheur. Je ne vois qu’elle, Abayomi… Celle qui apporte la joie. Ses yeux amande croisent les miens depuis plusieurs jours déjà. Pour la fête, elle revêt un petite blouse jaune dont l’éclat sauvage rehausse les traits de son visage. Son regard dégage la force d’une lionne mais ses gestes délicats sont ceux de la fleur, ces Héliconia jaunes qui poussent dans ces endroits improbables. Je lui en ai cueilli un bouquet et si l’audace me vient, je le lui offrirai.

La fête s’éloigne et sans l’avoir décidé, elle et moi nous retrouvons seuls, seuls à l’intérieur de la grande classe. Le bâtiment rend sa chaleur moite. Une goutte de sueur me parcourt le front. Mon cœur s’emballe, mes mains tremblent. Mon corps ne m’appartient plus. Sans un mot, car en cet instant ils sont inutiles, j’avance et lui tends mes quelques tiges. Surmontées de ces becs de perroquets jaunes, ma brassée me semble médiocre, défraichie. J’ai l’air stupide. Jusqu’à ce que ses mains s’emparent des miennes. Ses yeux amandes sont deux tourbillons. Ils m’aspirent. Le bouquet vient parer ses poignets pour les rendre magnifiques. Alors qu’elle hésite, ses doigts détachent une fleur pour venir la déposer au creux de mon oreille. Elle sourit avec ce côté espiègle qui me désarme. Elle accompagne son geste d’un léger baiser qu’elle dépose sur mes joues comme une rosée matinale. Ensuite Abayomi s’évapore.

Avec ma fleur à l’oreille, j’ai l’air stupide, mais de ma vie, ai-je jamais été aussi heureux ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Thomas Dansor ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0