Jour 5

17 minutes de lecture

Un poids sur ma poitrine. C’était la première sensation qui vint à mon esprit lorsque je me réveillai. Je vis avec stupeur le téléphone fixe posé sur mon torse. Me souvenant parfaitement du rêve, je commençai à paniquer. Je m’empressai d'ouvrir les volets, laissant entrer la lumière dans la pièce. Rien d’autre ne semblait avoir bougé.

Essayant de donner un sens à tout cela, je pris la direction de la douche. Le message des toilettes n’était plus là. Sans doute nettoyé. Sans doute. D’après ce que j’avais vu, mon téléphone et celui de la chambre du meurtre devaient être liés. Donc la respiration d’hier provenait de ce même endroit. C’était du moins ce que j’imaginais.

Je menais depuis toujours une vie logique et prosaïque. Ou du moins je m’y évertuais. Mais bon parfois on n’a pas le choix, pensai-je gravement. Tout était remis en cause depuis ces quelques jours.

Je sortis de cette chambre infernale avec une idée en tête. Une fois encore je me dirigeai vers l’accueil. L’hôtesse prit un air étrange avant de m’offrir un sourire de façade. Je me lançai.

— Bonjour, je voudrais savoir si le téléphone de ma chambre pourrait être relié à celui de l’hôtel voisin.

L’hôtesse me regarda un instant avant de me répondre.

— Vous savez, on peut contacter n’importe qui avec un téléphone.

Le ton de sa réponse laissait entendre que je faisais partie de ces clients pénibles qu’elle devait rencontrer parfois. C’était sans doute la limite avant qu’elle ne m’envoie vérifier si elle n’était pas dans une autre pièce. Ce qui, à vrai dire, ne m’aurait pas étonné dans les conditions actuelles. Je ne me préoccupai pas des conséquences et je pris le risque de franchir cette limite. Je n’allais pas me laisser faire sans réagir !

— C’est certain en effet. D’ailleurs serait-il possible de contacter les personnes logeant au-dessus de ma chambre également ? déclarai-je d’un ton se voulant ironique.

Encore un silence.

— Il n’y a jamais eu personne au-dessus de votre chambre Monsieur. À cause du meurtre, il y a eu pas mal d’annulation.

Elle fronça les yeux devant mon désarroi, et je vis son expression virer de l’agacement à la pitié. Elle devait me prendre pour un fou. Je la remerciai avant de sortir de l’hôtel avec un empressement exagéré. Je n’eus pas l’occasion de beaucoup réfléchir car je vis Jean marcher dans ma direction.

— Eh, belle journée pas vrai ? me gratifia-t-il d’un sourire.

— Sans doute, répondis-je platement.

— Ça n’a pas l’air d’aller fort toi !

Je hochai la tête. J’avais envie d’être seul.

— Te bile pas va. Tiens ça te dirait que je te ramène un fruit du dragon ? Ils en font en glace aussi mais le fruit est pas mal.

Ne me laissant pas répondre, il tapota mon épaule avant de partir dans la direction opposée. Peu m’importait. De toute façon j’avais laissé ma chambre ouverte, il pourrait le déposer.

Mon corps s’était retourné vers le chemin menant à l’hôtel voisin. Je me mis à marcher dans sa direction, comme si je savais ce que je devais faire. Sur le trajet, je ne pensais à rien. Je me contentais d’avancer. Il me fallut une quinzaine de minutes pour atteindre l’hôtel. Je n’y étais jamais allé jusqu’alors.

Je m’arrêtai un instant pour observer l’architecture extérieure qui ressemblait trait pour trait à celle de mon hôtel. Quoique, quelque chose me semble différent, pensai-je. J’avançai alors vers le hall d’entrée, identique également ; du moins à première vue. Je pris le parti d’ignorer l’hôtesse d’accueil et me dirigeai vers la droite, comme si je voulais rejoindre ma chambre. Apparemment, j’avais vu juste. Deux fois à droite, une fois à gauche. Cet hôtel semblait être construit à l’inverse de l’autre. Comme si le mien était le recto et celui-ci le verso. Ou inversement, ça dépend de qui était là le premier.

Une fois arrivé devant ma porte, ou du moins celle qui aurait dû l’être, je perçus de nouveau cette sensation qui m’avait laissé un bref répit. Elle refroidit mon corps entier et me figea sur place. J’étais mal à l’aise tout à coup. Je devais partir. De toute façon je n’avais même pas la clé permettant l’accès à cette pièce.

Je jetai un coup d’œil à ma poche.

— Après tout pourquoi pas ? Je pourrais très bien faire le test.

Je sortis la clé de ma chambre et l’introduisis dans la serrure. Je retins mon souffle en la faisant tourner dans le verrou.

Click.

La porte était ouverte. Mon cœur manqua des battements. Comment cette putain de clé peut-elle déverrouiller cette putain de porte ?! Je n’osais pas l’ouvrir. J’avais l’impression d’être un enfant ayant peur du monstre dans le placard, terrorisé et n’osant ni bouger ni faire le moindre bruit.

Des éclats de voix me donnèrent le courage nécessaire pour tourner la poignée. Après tout c’est un hôtel, si je crie on viendra. J’ouvris la porte à moitié tout en restant sur le palier. La chambre était dans le noir. Les volets semblaient fermés. Je percevais la forme du bureau, du lit, de la télé, le tapis au sol, les deux tables de nuit de chaque côté du lit. Rien ne semblait anormal jusqu’au moment où une odeur âcre vint me rappeler l’affreux moment que j’avais passé dans la douche. Je pris peur et refermai la porte dans un claquement. Je reculai puis courus vers la sortie. J’entendis alors un ricanement dans le couloir avant d’arriver dans le hall. Quelle femme pouvait avoir un tel rire ?! Je ne prêtai pas attention à la présence ou non de personnel, peu importait tant que je pouvais revoir la lumière du soleil.

Une fois dehors je repris mon souffle. Je n’avais pas couru longtemps mais la peur m’avait privé de mes capacités. Je repensai au ricanement. On aurait dit le rire d’une vieille dame. Un rire ironique. J’eus un frisson. Je voyais des signes partout. Ce n’était rien. Une coïncidence.

Les quinze minutes en sens inverse semblaient s’étirer. J’avais l’impression que je n’atteindrais jamais le cœur du village. Pourtant au bout d’un moment, j’y parvins. Je m’assis alors dans un bar et n’y bougeai plus de la journée. Je n’aimais pas la foule d’ordinaire, mais l’ordinaire ne semblait plus faire partie de mon quotidien.

Alors que le soleil commençait à descendre bas vers l’horizon, je décidai de regagner ma chambre. Je repensai alors à Jean qui devait me faire voir le fruit du dragon. Je me concentrais sur cette idée pour ne pas me faire des films et ainsi dormir paisiblement. Passé le seuil de ma porte, je fus étonné qu’il n’y ait rien sur mon lit. Il devait avoir oublié, ou bien il n’y en avait plus. J’allumai la télé et pris un magazine sur la table basse juste en dessous.

Il n’était pas tard. Entre chien et loup. L’heure à laquelle personne ne voit même si la lumière est allumée. Je commençais à feuilleter le chapitre consacré aux endroits à visiter aux alentours. Mon attention était partagée entre le son de la télé, ma vision du magazine et mes pensées allant vers l’hôtel voisin. Pourtant, un dessin attira mon attention. « Grand-mère Kalle » était le titre de la photo. On y voyait une vieille dame en noir avec un chapeau. Intrigué, je lus l’article. Elle faisait partie des légendes de la Réunion. Cette dame hébergeait des condamnées à mort et, en échange de sa protection, ils devaient dévaliser des voyageurs passant près de chez elle. Puis, ils les poussaient au fond d’un ravin. Quand elle est morte, son âme a continué à hanter la Réunion. On peut l’entendre parfois près du lit d’un malade. Si elle ricane, c’est un présage de mort. Mais si elle pleure, c’est plutôt bon signe pour le souffrant.

Je refermai précipitamment le magazine. Je trouverais sans doute des choses moins stressantes à la télé. Au bout d’un moment, je ne tenais plus. Il me semblait que le silence s’épaississait malgré mon engouement à ne pas y penser. En plus, l’odeur du lit semblait se dégager dans l’atmosphère à la manière de l’encens. Je me levai et sortis de ma chambre sans plus de cérémonie. Les couloirs étaient déserts, ce qui me fit presser le pas. Je croisai alors la femme de ménage que je connaissais.

— Vous sortez manger ? dit-elle en me gratifiant d’un sourire.

— Oui sans doute. Dites-moi ? Est-ce que vous pouvez m’expliquer pourquoi mes draps ont cette étrange odeur d’encens ? C’est pour me purifier ? répondis-je en essayant d’adopter un ton d’humour ce qui ne sembla pas fonctionner.

En effet, elle me regardait maintenant avec un air de reproche.

— Sous entendez-vous que nous faisons mal notre travail, Monsieur ?

Elle insista sur le Monsieur comme pour établir une certaine distance. Perdu pour perdu, je ne lâchai pas.

— Dans ce cas, comment pouvez-vous expliquer toutes ces choses qui m’arrivent depuis ? Vous avez sans doute remarqué le message sur la cuvette des toilettes ! rétorquai-je.

— Oh oui je ne l’ai pas loupé ! Et pour répondre à votre question, sans doute par le fait que le problème vient de vous. J’ai entendu dire que vous sembliez bizarre ces derniers temps, et je ne peux que le constater. Vous devenez sans doute fou, je vous conseille de consulter.

Et sur ce, elle partit sans même un signe de compassion. Je n’étais pas si étrange que ça ; du moins pas autant que tout ce qui m’arrivait depuis. Maudissant l’injustice, je sortis de l’hôtel. Ce dialogue m’avait au moins donné un but : aller manger.

En revenant du restaurant, je pensais encore à tout ce qui m’était tombé dessus. Depuis mon départ de la France et de mon passé, jusqu’à aujourd’hui, seul, marchant sur un sentier peu éclairé. Mes pensées noires ôtèrent le sens de l’orientation à mon esprit et c’est ainsi, qu’au bout d’un moment, je me rendis compte que je marchais en direction du cimetière. Je me stoppai net, à l’entrée, juste avant les grilles en fer. Pour une raison que j’ignorais, elles n’étaient pas fermées pour la nuit.

Je pris un instant pour reprendre mes esprits, écoutant le monde alentour. Il faisait nuit et froid de surcroît, une fine bruine transperçant mes vêtements. Le cimetière n’était éclairé que par le reflet des lampadaires qui encadraient la route où je me trouvais. J’étais seul. Du moins, c’est ce que je croyais avant d’apercevoir une forme arrondie se mouvoir sur l’une des tombes. Sans doute un chat. Au fur et à mesure que je regardais, la forme me parut plus visible, mes yeux s’habituant à l’obscurité. Elle n’était pas sur une tombe. Elle en sortait. Sans doute un chien solitaire. La forme devint alors plus grosse et elle semblait s’extirper de terre. Cette pensée me valut un frisson de terreur qui me parcourut l’échine. Je vis avec effroi cette ombre se redresser. Elle était plus grande que moi. Peut-être un ours ? Je ne savais pas s’il y en avait ici. Je fis un pas en arrière. À présent je pouvais distinguer une silhouette plutôt grande et étirée. De chaque côté se détachaient des bras aux très longs doigts. Je ne voyais pas bien les détails mais une pensée surgit dans mon esprit : C’est un monstre.

Je poussai un malheureux cri d’effroi lorsque l’église se mit à sonner. La chose sembla alors se rapprocher à chaque gong. Gong. Un pas de plus. Gong. Son bras se tendit. Gong. Je m’enfuis en courant. Gong. Espérons qu’il ne puisse pas courir. Gong. Je passai la porte de l’hôtel. Gong. Deux fois à droite, une fois à gauche. Les bruits de l’église étaient étouffés, je n’entendais plus que mon souffle et mon cœur remontant dans mes tympans. Je passai la porte de la chambre, la refermant aussitôt. Il fallait que je me protège. Je passais vingt minutes à me barricader, commençant même à délirer. À chaque bruit, je sursautais, regardant avec désespoir autour de moi. Je ne pus me résoudre à sombrer dans les bras de Morphée cette nuit-là.

Essayant de donner un sens à tout cela, je pris la direction de la douche. Le message des toilettes n’était plus là. Sans doute nettoyé. Sans doute. D’après ce que j’avais vu, mon téléphone et celui de la chambre du meurtre devaient être liés. Donc la respiration d’hier provenait de ce même endroit. C’était du moins ce que j’imaginais.

Je menais depuis toujours une vie logique et prosaïque. Ou du moins je m’y évertuais. Mais bon parfois on n’a pas le choix, pensai-je gravement. Tout était remis en cause depuis ces quelques jours.

Je sortis de cette chambre infernale avec une idée en tête. Une fois encore je me dirigeai vers l’accueil. L’hôtesse prit un air étrange avant de m’offrir un sourire de façade. Je me lançai.

— Bonjour, je voudrais savoir si le téléphone de ma chambre pourrait être relié à celui de l’hôtel voisin.

L’hôtesse me regarda un instant avant de me répondre.

— Vous savez, on peut contacter n’importe qui avec un téléphone.

Le ton de sa réponse laissait entendre que je faisais partie de ces clients pénibles qu’elle devait rencontrer parfois. C’était sans doute la limite avant qu’elle ne m’envoie vérifier si elle n’était pas dans une autre pièce. Ce qui, à vrai dire, ne m’aurait pas étonné dans les conditions actuelles. Je ne me préoccupais pas des conséquences et je pris le risque de franchir cette limite. Je n’allais pas me laisser faire sans réagir !

— C’est certain en effet. D’ailleurs serait-il possible de contacter les personnes logeant au-dessus de ma chambre également ? déclarai-je d’un ton se voulant ironique.

Encore un silence.

— Il n’y a jamais eu personne au-dessus de votre chambre Monsieur. À cause du meurtre il y a eu pas mal d’annulation.

Elle fronça les yeux devant mon désarroi, et je vis son expression virer de l’agacement à la pitié. Elle devait me prendre pour un fou. Je la remerciai avant de sortir de l’hôtel avec un empressement exagéré. Je n’eus pas l’occasion de beaucoup réfléchir car je vis Jean marcher dans ma direction.

— Eh, belle journée pas vrai ? me gratifia-t-il d’un sourire.

— Sans doute, répondis-je platement.

— Ça n’a pas l’air d’aller fort toi !

Je hochai la tête. J’avais envie d’être seul.

— Te bile pas va. Tiens ça te dirait que je te ramène un fruit du dragon ? Ils en font en glace aussi mais le fruit est pas mal.

Ne me laissant pas répondre, il tapota mon épaule avant de partir dans la direction opposée. Peu m’importait. De toute façon j’avais laissé ma chambre ouverte, il pourrait le déposer.

Mon corps s’était retourné vers le chemin menant à l’hôtel voisin. Je me mis à marcher dans sa direction, comme si je savais ce que je devais faire. Sur le trajet, je ne pensais à rien. Je me contentais d’avancer. Il me fallut une quinzaine de minutes pour atteindre l’hôtel. Je n’y étais jamais allé jusqu’alors.

Je m’arrêtai un instant pour observer l’architecture extérieure qui ressemblait trait pour trait à celle de mon hôtel. Quoique, quelque chose me semble différent, pensai-je. J’avançai alors vers le hall d’entrée, identique également ; il me parut pourtant différent. Je pris le parti d’ignorer l’hôtesse d’accueil et me dirigeai vers la droite, comme si je voulais rejoindre ma chambre. Apparemment j’avais vu juste. Cependant, au lieu de faire « deux fois à gauche, une fois à droite » je devais faire ici « deux fois à droite, une fois à gauche ». Cet hôtel semblait être construit à l’inverse de l’autre. Comme si le mien était le recto et celui-ci le verso. Ou inversement, ça dépend de qui était là le premier.

Une fois arrivé devant ma porte, ou du moins celle qui aurait dû l’être, je perçus de nouveau cette sensation qui m’avait laissé un bref répit. Elle refroidit mon corps entier et me figea sur place. J’étais mal à l’aise tout à coup. Je devais partir. De toute façon je n’avais même pas la clé permettant l’accès à cette pièce.

Je jetai un coup d’œil à ma poche.

— Après tout pourquoi pas ? Je pourrais très bien faire le test.

Je sortis la clé de ma chambre et l’introduisis dans la serrure. Je retins mon souffle en la faisant tourner dans le verrou.

Click.

La porte était ouverte. Mon cœur manqua des battements. Comment cette putain de clé peut-elle déverrouiller cette putain de porte ?! Je n’osais pas l’ouvrir. J’avais l’impression d’être un enfant ayant peur du monstre dans le placard, terrorisé et n’osant ni bouger ni faire le moindre bruit.

Des éclats de voix me donnèrent le courage nécessaire pour tourner la poignée. Après tout c’est un hôtel, si je crie on viendra. J’ouvris la porte à moitié tout en restant sur le palier. La chambre était dans le noir. Les volets semblaient fermés. Je percevais la forme du bureau, du lit, de la télé, le tapis au sol, les deux tables de nuit de chaque côté du lit. Rien ne semblait anormal jusqu’au moment où une odeur âcre vint me rappeler l’affreux moment que j’avais passé dans la douche. Je pris peur et refermai la porte dans un claquement. Je reculai puis courus vers la sortie. J’entendis alors un ricanement dans le couloir avant d’arriver dans le hall. Quelle femme pouvait avoir un tel rire ?! Je ne prêtais pas attention à la présence ou non de personnel, peu importait tant que je pouvais revoir la lumière du soleil.

Une fois dehors je repris mon souffle. Je n’avais pas couru longtemps mais la peur m’avait privé de mes capacités. Je repensai au ricanement. On aurait dit le rire d’une vieille dame. Un rire ironique. J’eus un frisson. Je voyais des signes partout. Ce n’était rien. Une coïncidence.

Les quinze minutes en sens inverse semblaient s’étirer. J’avais l’impression que je n’atteindrai jamais le cœur du village. Pourtant au bout d’un moment, j’y parvins. Je m’assis alors dans un bar et n’y bougeais plus de la journée. Je n’aimais pas la foule d’ordinaire, mais l’ordinaire ne semblait plus faire partie de mon quotidien.

Lorsque le soleil commençait à descendre bas vers l’horizon, je décidai de regagner ma chambre. Je repensai alors à Jean qui devait me faire voir le fruit du dragon. Je me concentrais sur cette idée pour ne pas me faire des films et ainsi dormir paisiblement. Passé le seuil de ma porte, je fus étonné qu’il n’y ait rien sur mon lit. Il devait avoir oublié, ou bien il n’y en avait plus. J’allumai la télé et pris un magazine sur la table basse juste en dessous.

Il n’était pas tard. Entre chien et loup. L’heure à laquelle personne ne voit même si la lumière est allumée. Je commençais à feuilleter le chapitre consacré aux endroits à visiter aux alentours. Mon attention était partagée entre le son de la télé, ma vision du magazine et mes pensées allant vers l’hôtel voisin. Pourtant, un dessin attira mon attention. « Grand-mère Kalle » était le titre de la photo. On y voyait une vieille dame en noir avec un chapeau. Intrigué, je lus l’article. Elle faisait partie des légendes de la Réunion. Cette dame hébergeait des condamnées à mort et, en échange de leur protection, ils devaient dévaliser des voyageurs passant près de chez elle. Puis, ils les poussaient au fond d’un ravin. Quand elle est morte, son âme a continué à hanter la Réunion. On peut l’entendre parfois près du lit d’un malade. Si elle ricane, c’est un présage de mort. Mais si elle pleure, c’est plutôt bon signe pour le souffrant.

Je refermai précipitamment le magazine. Je trouverais sans doute des choses moins stressantes à la télé. Au bout d’un moment, je ne tenais plus. Il me semblait que le silence s’épaississait malgré mon engouement à ne pas y penser. En plus, l’odeur du lit semblait se dégager dans l’atmosphère à la manière de l’encens. Je me levai et sortis de ma chambre sans plus de cérémonie. Les couloirs étaient déserts, ce qui me fit presser le pas. Je croisai alors la femme de ménage que je connaissais.

— Vous sortez manger ? dit-elle en me gratifiant d’un sourire.

— Oui sans doute. Dites-moi ? Est-ce que vous pouvez m’expliquer pourquoi mes draps ont cette étrange odeur d’encens ? C’est pour me purifier ? répondis-je en essayant d’adopter un ton d’humour ce qui ne sembla pas fonctionner.

En effet, elle me regardait maintenant avec un air de reproche.

— Sous entendez-vous que nous faisons mal notre travail, Monsieur ?

Elle insista sur le Monsieur comme pour établir une certaine distance. Perdu pour perdu, je ne lâchais pas.

— Dans ce cas, comment pouvez-vous expliquer toutes ces choses qui m’arrivent depuis ? Vous avez sans doute remarqué le message sur la cuvette des toilettes ! rétorquai-je.

— Oh oui je ne l’ai pas loupé ! Et pour répondre à votre question, sans doute par le fait que le problème vient de vous. J’ai entendu dire que vous sembliez bizarre ces derniers temps, et je ne peux que le constater. Vous devenez sans doute fou, je vous conseille de consulter.

Et sur ce, elle partit sans même un signe de compassion. Je n’étais pas si étrange que ça ; du moins pas autant que tout ce qui m’arrivait depuis. Maudissant l’injustice, je sortis de l’hôtel. Ce dialogue m’avait au moins donné un but : aller manger.

En revenant du restaurant, je pensais encore à tout ce qui m’était tombé dessus. Depuis mon départ de la France et de mon passé, jusqu’à aujourd’hui, seul, marchant sur un sentier peu éclairé. Mes pensées noires ôtèrent le sens de l’orientation à mon esprit et c’est ainsi, qu’au bout d’un moment, je me rendis compte que je marchais en direction du cimetière. Je me stoppai net, à l’entrée, juste avant les grilles en fer. Pour une raison que j’ignore, elles n’étaient pas fermées pour la nuit.

Je pris un instant pour reprendre mes esprits, écoutant le monde alentour. Il faisait nuit et froid de surcroît, une fine bruine transperçant mes vêtements. Le cimetière n’était éclairé que par le reflet des lampadaires encadrants la route où je me trouvais. J’étais seul. Du moins, c’est ce que je croyais avant d’apercevoir une forme arrondie se mouvoir sur l’une des tombes. Sans doute un chat. Au fur et à mesure que je regardais, la forme me parut plus visible, mes yeux s’habituant à l’obscurité. Elle n’était pas sur une tombe. Elle en sortait. Sans doute un chien solitaire. La forme devint alors plus grosse et elle semblait s’extirper de terre. Cette pensée me valut un frisson de terreur qui me parcourut l’échine. Je vis avec effroi cette ombre se redresser. Elle était plus grande que moi. Peut-être un ours ? Je ne savais pas s’il y en avait ici. Je fis un pas en arrière. À présent je pouvais distinguer une silhouette plutôt grande et étirée. De chaque côté se détachaient des bras aux très longs doigts. Je ne voyais pas bien les détails mais une pensée surgit dans mon esprit : C’est un monstre.

Je poussai un malheureux cri d’effroi lorsque l’église se mit à sonner. La chose sembla alors se rapprocher à chaque gong. Gong. Un pas de plus. Gong. Son bras se tendit. Gong. Je m’enfuis en courant. Gong. Espérons qu’il ne puisse pas courir. Gong. Je passai la porte de l’hôtel. Gong. Deux fois à droite, une fois à gauche. Les bruits de l’église étaient étouffés, je n’entendais plus que mon souffle et mon cœur remontant dans mes tympans. Je passai la porte de la chambre, la refermant aussitôt. Il fallait que je me protège. Je passais vingt minutes à me barricader, commençant même à délirer. À chaque bruit, je sursautais, regardant avec désespoir autour de moi. Je ne pus me résoudre à sombrer dans les bras de Morphée cette nuit-là.

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