Jour 6

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La venue du jour et avec lui la lumière permit de m’apaiser un peu. Lorsque mon réveil sonna 9 h, je sortis de la chambre sans me changer. Ma nuit blanche devait être apparente car j’eus le droit à plusieurs regards en biais auxquels je ne prêtai guère attention. Il fallait que je parte d’ici. Pas seulement de l’hôtel, mais de la Réunion.

Peu de temps après, je franchissais la porte d’une agence de voyage. Je souhaitais raccourcir mon séjour et prendre le premier avion en direction de la France. Une fois ma requête formulée, l’hôtesse d’accueil me jaugea du regard avant de consulter son écran d’ordinateur.

— Il n’y a plus aucun avion en partance pour la France, Monsieur, y compris les vols avec escales. Les seuls vols disponibles sont programmés dans trois jours.

Un mélange de déception et de désespoir remonta dans ma gorge. Cherchant en vain une solution alternative, je formulai un instant l’hypothèse de prendre un avion pour un autre pays. Malheureusement, l’état actuel de mon compte en banque ne me permettait pas d’y accéder. Voyant mon désarroi et semblant vouloir se débarrasser de moi, elle me réserva un billet « pour dans trois jours donc ». Fataliste, je sortis de la boutique.

Ma nuit blanche avait un effet certain sur ma façon de penser car je me mis à échafauder un plan stupide pour repousser ce qui cherchait à m’atteindre. Peut-être avais-je simplement rêvé éveillé. Peut-être que non. J’avais du mal à me souvenir de certains épisodes et trouver de la logique dans cette histoire. En marchant dans le village, je me dis qu’il serait bien de prendre des objets contre le mauvais œil. Après tout, ce sont des légendes réunionnaises qui me suivent, pourquoi cela ne marcherait-il pas ? J’avais repéré une boutique de ce genre à force de marche et de détours. Au départ cela m’avait tout l’air d’un attrape touriste ; mais plus maintenant. J’étais même prêt à croire en Dieu si cela pouvait me sortir de ce cauchemar.

En arrivant devant le magasin, je fus soulagé qu’il soit ouvert. Les cloches accrochées à la porte tintèrent lorsque que je la poussai. Une odeur d’encens émanait de la boutique. Pas cette odeur qui me suivait depuis quelques jours. Non. Une odeur rassurante et protectrice. Les murs étaient recouverts de tissus de toutes les couleurs, ainsi que les fenêtres, ce qui donnait un éclairage tamisé à la pièce. De multiples objets étaient posés sur des présentoirs. J’admirais une pierre aux reflets turquoise lorsqu’une dame d’un certain âge entra dans la pièce par derrière le comptoir. Je n’avais pas prêté attention à la porte cachée par les rideaux de corde.

— Bienvenue dans l’Antre du dragon, en quoi puis-je vous aider ?

Je me mis à lui expliquer la raison de ma venue.

— Je me sens suivi depuis quelques temps et je ne me sens pas en sécurité. Y aurait-il un moyen de repousser… cette chose qui me suit ?

Sans un mot, elle se mit à me concocter un panier censé m’aider. Il y avait différents types de pierres, des grigris, une croix surmontée de perle, des flacons de poudres, entre autres. Elle m’expliqua comment les utiliser et aussi à quoi ils servaient. Je buvais ces précieuses paroles qui me seraient salvatrices si je les appliquais avec soin. Je la remerciai chaleureusement avant de rejoindre l’hôtel.

Je passais le reste de la journée à appliquer les conseils de la vendeuse. Je plaçais de la poudre tout autour de la chambre et disposai les babioles à droite et à gauche, dont la croix au-dessus du lit. La pancarte « Ne pas déranger » étant accrochée à ma porte, je ne craignais plus d’être ennuyé.

Je me sentais rassuré. J’avais perdu la notion du temps mais le soleil était bas dans le ciel. J’étais assis dans un coin de la chambre, dos au mur, attendant simplement que le temps passe. Les bruits des passants se turent lorsque le ciel se fit plus sombre. Le Silence établit sa monarchie.

Je finis par me lever, fermer les volets et tirer les rideaux. Le soleil ne pourra plus me protéger désormais. J’allumai la télé et m’assis sur le lit. Je m’endormis sans m’en rendre compte.

L’église sonna vingt-trois heures lorsque mes yeux se rouvrirent sur le monde. Je ne comprenais pas la raison de mon éveil : il était encore tard et mon corps réclamait du repos. Sans doute devais-je être trop à l’affut du moindre danger, telle une proie craignant son prédateur. Ma conscience était encore embourbée dans le sommeil et je mis un certain temps à appréhender la véritable raison de mon retour à la réalité.

Une respiration s’était ajoutée au murmure de la télé que j’avais laissée allumée. Mon corps se mit en alerte et je compris que le souffle provenait de derrière les rideaux. La sensation se fit un malin plaisir de refroidir mon corps déjà glacé par cette présence étrangère. De mémoire, je ne m’étais jamais senti aussi mal de ma vie. Je réfléchissais à mes chances de m’en sortir en tentant de le prendre par vitesse en m’enfuyant par la porte, mais je ne connaissais pas la rapidité de l’inconnu. De surcroît, je ne souhaitais pas accélérer la confrontation avec lui, surtout si c’était la même personne, le même monstre, que j’avais eu l’occasion de voir la veille.

Par chance j’étais sur le dos, pouvant ainsi oser un regard vers les rideaux baignés de la lueur du téléviseur. Mon souffle était court, erratique ; mon front dégoulinant de sueur. Une forme semblait se détacher des tissus et se mouvoir dans un grognement prenant de l’ampleur à chaque instant. Une forme semblable à celle du cimetière. Instinctivement, je me mis à réciter des prières dans ma tête. J’avais fermé les yeux dans une tentative vaine de m’échapper de ce cauchemar.

Je l’entendis alors se rapprocher. Lentement. Ces mêmes pas traînés que j’avais déjà entendu dernièrement. Je me crispai en redoublant le débit de mes pensées, attendant l’issue fatale. Pourtant les pas s’arrêtèrent aussi net qu’ils avaient commencé. Je tremblais, la télé couvrant mon souffle haché. Je finis par me résigner à ouvrir les yeux, la sensation glaciale dans ma nuque me brûlant trop intensément pour la supporter plus longtemps.

Je le vis. Il était là, accroché juste au-dessus de moi, au plafond. Je n’avais jamais vu pareil monstre. Un corps humain d’où des os saillants perçaient la peau au niveau des coudes, des hanches et des doigts ; à moins que ce ne soient des griffes. La couleur de sa peau était un mélange entre de la terre et des cendres humides. De sa colonne vertébrale sortaient des lances acérées qui se recourbaient vers le haut. Mais le pire, c’était sans aucun doute la partie supérieure. Sa tête semblait articulée d’une manière étrange ; elle avait la capacité de se retourner à la manière des hiboux. Son visage était façonné dans de la roche où se logeaient des yeux ronds, immobiles et fixes à l’instar des serpents, avec un ovale noir en guise de pupille. Son nez se résumait à deux petits points minuscules. Et sa bouche, Dieu n’existe pas, étirée en un large sourire figé et inhumain, se composait d’une rangée de dents triangulaires rougies par du sang frais et parsemées de caillots.

Pris d’un élan de panique comme jamais je n’en avais eu, je fis une roulade pour me dégager du lit et tomber sur le sol. Dans la seconde je fus devant la porte de ma chambre tentant de l’ouvrir maladroitement à cause de l’adrénaline qui faisait trembler mes mains. Sans un regard en arrière, je sortis en trombe et courus jusqu’à en perdre haleine.

Je pris rapidement la décision de rejoindre la cabane de Jean. Je ne ralentis ma course que lorsque que je fus obligé de frapper à la porte de mon ami. Des coups rapides et prononcés. Jugeant qu’il ne venait pas assez vite je commençai à paniquer et criai qu’il vienne m’ouvrir en martelant sa porte avec le plat de mes mains. C’est un Jean endormi et grincheux qui m’ouvrit.

Voyant mon état, il me fit entrer chez lui sans poser de question et referma la porte non sans jeter un regard circulaire dehors.

— Que t’arrive-t-il nom de non ? On dirait que tu es en danger de mort, me dit-il.

Je ne pus répondre tant j’étais essoufflé par ma course. Il fronça les sourcils.

— Que dirais-tu de prendre une douche, et ensuite de me raconter calmement la raison de ton marathon nocturne ?

J'acquiesçai en tentant de retrouver ma respiration. Jean m’accompagna dans sa salle d’eau, me donna une serviette ainsi que de vieux habits, puis sortit en refermant la porte derrière lui. Sa présence dans la pièce d’à côté me rassura quelque peu mais je ne voulais pas rester trop longtemps seul. Cette chose m’avait-elle suivi ?

Je sortis de la salle de bain au bout de cinq minutes. Jean m’attendait, attablé comme d’habitude devant une feuille blanche raturée qu’il ne tarderait pas à jeter. En me voyant approcher, il releva la tête et m’indiqua la chaise opposée.

Je m’assis en me demandant ce que j’allais bien lui raconter. Oh c’est juste une grosse bête qui s’est accrochée à mon plafond et m’a regardé d’un drôle d’air ! pensai-je ironiquement.

Il me fixait, attendant que je prenne la parole. J’hésitais. Je passais déjà pour un fou auprès du personnel de mon hôtel. Valait-il la peine que je risque de perdre le seul ami que j’avais ici ?

— Je ne sais pas comment l’expliquer, déclarai-je finalement.

— Avec des mots, simplement, me conseilla Jean.

J’inspirai profondément puis expirai.

— Depuis quelques jours, j’ai l’impression que quelqu’un essaie de me faire peur, ou pire. Cette nuit, cette personne s’est introduite dans ma chambre.

Simple, concis. Jean ne laissait paraître aucune émotion. La sensation dans ma nuque me tiraillait et je n’arrivais plus à aligner une pensée avec une autre. La fatigue me jouait des tours et je crus un instant que j’étais en train de rêver, que j’allais me réveiller dans ma chambre en me disant que tout ceci n’était que le fruit de mon imagination. Malheureusement, j’étais toujours assis sur cette chaise en bois inconfortable à souhait, Jean m’observant impassiblement.

— Je te crois, finit-il par dire.

Mes yeux s’écarquillèrent. Il ne me disait pas cela par pitié ou compassion. Il comprenait.

— Une histoire semblable m’est arrivée il y a quelques années, ajouta-t-il.

Je l’écoutais, sidéré.

— Je venais d’arriver sur l’île. J’avais fui un passé douloureux. Je pensais trouver ici la paix et la force de tout recommencer à zéro. Mais j’y ai trouvé autre chose…

Il chuchota presque les derniers mots.

— Qu’as-tu trouvé ? demandai-je sur le même ton.

Il sembla hésité à me répondre, regardant la porte puis la fenêtre d’un air soucieux.

— Quelque chose qu’il ne vaut pas mieux réveiller.

Il soupira avant d’ajouter :

— Écoute, si tu as essayé de fuir quelque chose en venant ici, elle t’a certainement retrouvé.

Il jeta de nouveau un coup d'œil vers la porte.

— Ton seul espoir maintenant, c’est de quitter l’île au plus vite. Sinon tu seras bloqué. Comme moi.

— Comme toi ? repris-je.

— Oui, maintenant, il ne faut plus en parler. C’est tabou ces choses-là.

Il se leva de sa chaise et marcha jusqu’à une armoire d’où il sortit une bouteille de whisky et deux verres. La nuit fut courte.

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