Chapitre 5-1

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Ma sœur vient au monde un jour de février, lors d’une éclipse totale de Soleil. Il ignore si cela a pu avoir une influence, mais il l'a toujours pensé. L'enfant naît à sept mois et demi, il pèse 1 kg 200 et tient dans une seule main. Il aime à ajouter, plus petit qu'un faible chat ! Quelques heures après avoir été placée en couveuse, elle fait une double hémorragie méningée. Le médecin tranche. Elle a peu de chance de survivre et, de toute façon, si elle vit, elle sera idiote. Ma mère mutique.

Elle est une femme enfant d’à peine dix-huit ans dépassée par les événements. Son imagination bridée se révèle incapable de mettre des mots sur ce qui vient de lui arriver. Il n'y a pas de cadeaux, pas de fleurs. Pourquoi y aurait-il des fleurs puisque l'enfant est suspendue dans un entre-deux-rives ? Elle pleure. J’ai l’impression qu’elle ne sait faire que ça. Après le vert de l'éclipse, c'est le gris des journées de février. La pluie froide caresse les bâtiments plongés dans une ombre malsaine. Dans la couveuse, l’enfant ferme les yeux. Ambiance chaude et humide. Le bruit filtre, assourdi par les parois de verre. Les membres sont maintenus, la tête recouverte d'un voile de coton. On l'intube. C'est une machine à remettre en route. Le jour de la naissance de ma mère, il a pris une décision. Puisqu'il en est ainsi, il préfère que personne ne voie l'enfant, elle en premier ; tout cela pour lui éviter une peine qu'il juge inutile. Le nouveau-né reste seul dans sa couveuse. Elle n'a pas le droit de le bercer et s’en retourne chez eux. Le bébé inspire, expire, respiration saccadée, yeux clos fermés. Une jeune femme qui met 48 heures à accoucher d'un nourrisson presque et qu'on lui retire sans qu'aucun lien puisse se créer, ça se résume à ces quelques mots. Une époque.

Des années plus tard, dans ses draps tire-bouchonnés, la femme qu'elle est devenue se retourne. Elle rêve en position fœtale qu'une main maladroite se glisse sur son thorax bombé et la tapote d'un doigt d'une douceur inouïe.

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