27 - Notre nouvelle partie.

23 minutes de lecture

J’ai ouvert la porte sans difficultés mais à peine ai-je mis le pied dehors qu’un frisson me parcourut l’échine : l’odeur est écœurante. Épouvantablement putride. J’ai légèrement reculé à cause de la surprise pour me heurter à la personne juste derrière moi, à savoir Gabriel.

Celui-ci le prit à la rigolade :

« Ben alors ? T’as vu un fantôme ? »

Il s’est avancé pour se mettre à ma place. Seulement quelques secondes lui ont été nécessaire pour nous faire part de son ressenti, bien différent du mien.

« On est à la fin d’un couloir aussi vide que la cervelle de Joey, y’a rien à craindre. »

La petite pique n’a pas loupé puisque la personne visée s’est mise à beugler un « Quoi ?! » de colère avant que je ne me mette à expliquer ma réaction.

« Mais, l’odeur est horrible ! Ça m’a prise au coeur.

— Je sais pas ce que tu racontes, y'a rien de bizarre répondit Joey sûr de lui, va falloir que t’arrêtes de faire le malin toi par contre ! fit-il en s’adressant à Gabriel.

Gabriel se mit à rire en même temps que mon soupir, ces deux là risquent d’être fatiguant…

Malgré ma répulsion, nous sommes tous sortis dans le couloir un par un. Celui-ci est plongé dans une forte obscurité. Ce n'est qu'une question d'habitude pour mes yeux mais pour l’instant, c’est le noir total à plus de quatre mètres devant moi.

« On voit que dalle ! s’exclama Petra, y’en a pas un qui a une lampe ? »

Comme pour lui répondre, Joey sortit un briquet un peu ancien de sa poche, ceux qui s’ouvrent pour enclencher la flamme. Un petit bloc argenté d’une dizaine de centimètres qui semble très bien entretenu de par sa couleur vive et sa brillance.

« Bon bah il va nous servir lui. »

Je suis juste à côté de lui et malgré les ténèbres, je peux voir qu’il a le regard nostalgique. Un peu comme s’il pensait à quelque chose qui lui tenait à cœur. Ce briquet a sûrement de l’importance pour lui.

« Euh, t’as pas autre chose ? demanda Petra étrangement inquiète.

— Je ne crois pas que c’est le moment de chipoter ai-je répondu, c’est déjà bien mieux que rien.

— J’en ai rien à foutre ! Jette-moi cette merde, c’est super dangereux ! » s’écria Petra.

Elle qui semble tout prendre à la légère depuis le début, sa voix prend un timbre très sérieux d’un seul coup.

« C’est un vieux briquet, tu crois que j’ai un lance-flamme ou quoi ?

— C’est dangereux ! »

Sans écouter les craintes de Petra, Joey alluma le briquet d’un geste du poignet. La douce flamme emplissant les alentours d’une lumière faible mais rassurante nous est alors parvenu détendant légèrement l’atmosphère pesante du couloir.

Nous pouvons donc à présent apercevoir une porte un peu plus loin en face de la pièce d’où l’on vient. Cette porte, qui est d’ailleurs entrouverte, indique très clairement que ce sont les toilettes avec le signe masculin et féminin dessus qui s’est un peu effacé sûrement à cause du temps. Tout le couloir est très court en fin de compte puisque au bout, on peut y apercevoir une intersection en "T" et ce simplement grâce à la lumière que nous procure ce vieux briquet. Les murs sont envahis de moisissures, d’insectes qui grouillent un peu partout. Il y a également de la poussière qui enveloppe tout le couloir par une fine couche, l’air est de très mauvaise qualité ici alors il ne faut pas rester là longtemps. Mes narines me piquent et me chatouillent en même temps mais ça n’a pas l’air de choquer les autres qui ne semblent pas affectés par la dégradation avancée de l’air.

Petra est la seule qui se mit à réagir puisque nous étions occupés à regarder nos alentours. Celle-ci fit quelques pas en arrière en direction des toilettes, sans même regarder derrière elle et tout cela d’un regard apeuré.

« Éteins ce briquet ! Je… je ne supporte pas le feu ! »

Sa voix est devenue plaintive, ce qui me fit compatir malgré sa tendance à être assez malpolie.

« Joey, je pense que…

— Que quoi ? On va éteindre notre seule source de lumière parce qu’elle a peur d’une flamme de trois centimètres ? Dans ses rêves.

— Peu importe ce qu’elle veut, j’ai pas envie de me mettre à écraser un cafard par erreur ou de trébucher sur un truc juste parce qu’on ne l’a pas vu alors qu’on a un briquet. »

Euh Gabriel… ce n’est pas vraiment pour ça qu’on choisit de garder la lumière.

« On va le garder surtout pour rester ensemble et pour explorer les environs. Donc Petra, il va falloir que tu t’adaptes. »

Alors que Petra allait répondre, la lumière disparut nous laissant de nouveau dans le noir complet. Passé la surprise, il me fallut tout de même quelques secondes pour réagir :

« Joey ? Qu’est-ce qui se passe ? »

Aucune réponse. Seul le bruit du briquet qui s’ouvre et qui se referme se faisait entendre. Un peu comme le cliquetis d’un ciseau si je devais le comparer.

Après une dizaine de secondes, la voix de Joey se manifesta :

« Y’a plus rien dans le réservoir. T’as de la chance toi… »

Petra ne répondit pas, un simple rire un peu nerveux s’ensuivit de sa part pour qu’elle reprenne une voix très sûre d’elle :

« On a pas besoin de ça. Je vois très bien sans lumière alors je vois pas pourquoi c’est pas le cas pour vous. »

Une lumière est plus rassurante et nous aurait beaucoup aidé afin d’explorer le bâtiment. C’est ce que j’ai envie de répondre mais Gabriel se fit un plaisir de me couper dans mon élan :

« Vous avez entendu la gamine ? On se prive d’une ressource élémentaire qui est la lumière pour se la jouer infiltration. Parce que t’as des lunettes de vision nocturne peut-être ?

— Eh, déjà, c’est pas de ma faute si son truc ne marche plus et c’est juste une question d’habitude. Je vois très bien dans le noir puisque-

— On s’en branle ! s’écria Joey visiblement énervé de ne pas avoir de lumière, on trouvera un autre moyen d’avoir de la lumière et j’aimerais bien que ça soit une torche pour que tu la fermes un peu ! »

Je me souviens que la première fois que j’ai entendu la voix de Petra, je l’ai trouvée très mignonne puisqu’elle a des tonalités très douces lorsqu’elle parle à voix basse mais mélangé à son caractère, elle en devient difficilement supportable.

« Pff ! Sale con. » termina Petra en crachant par terre.

Joey ne réagit pas, il a l’air satisfait en l’ayant ridiculisée à propos de sa peur du feu.

« Je dois avouer qu’une source de lumière nous ferait le plus grand bien. Partons à sa recherche. » fit Aiko sûre d’elle et totalement détachée de ce conflit.

Joey a remis son briquet dans sa poche avant de prendre les devants, j’ai décidé de le suivre ce qui fait que nous sommes tous les deux arrivés devant la porte des toilettes. Celle-ci est très légèrement ouverte nous laissant constater la plus complète des obscurités à l’intérieur. Mais en arrivant près de l’ouverture, j’ai fait quelques pas en arrière, assommée par une odeur encore pire que celle que je suis obligé de subir depuis que nous sommes dans le couloir. Joey, lui aussi, se mit à se boucher le nez.

« Ça schlingue ici ! C’est quoi ces chiottes ?! J’aimerais aller pisser ! »

Toujours aussi raffiné et délicat, Joey fit part à sa manière de ce ce que je venais de ressentir bien que contrairement à lui, je n’ai aucunement envie d’aller aux toilettes.

« Ben c’est des toilettes en même temps, tu crois que ça peut sentir quoi d’autre que la merde ? répondit Petra, c’est déjà pas mal d’en avoir.

— Non. C’est encore pire, ce ne sont pas des déjections. Enfin, sûrement aussi mais l’odeur que l’on sent n’est pas celle-ci. »

Intriguée, Petra nous a rejoints et les deux autres ont fait de même, ils ont ainsi pu constater par eux-mêmes de ce que nous voulions dire.

« C’est une odeur de pourrie, de… de chair en décomposition. Je la reconnaîtrai entre mille ! »

Tous les autres se sont tournés vers moi, étonnés par mon affirmation.

« Non, attendez. Mon père nous avait acheté un chat à mon frère et moi, on s’en occupait bien et il était tellement choupi…

— Abrège, me coupa Gabriel.

— Ahem… un matin, il avait disparu. Nous l’avons cherché très longtemps mais aucune trace de lui. Nous nous sommes résignés à continuer notre vie normalement, peut-être qu’il reviendrait, après tout, les chats sont des animaux très actifs, surtout la nuit. Nous sommes partis en vacances chez ma mamie au bout de deux semaines où il n’était d'ailleurs toujours pas revenu, nous y sommes restés un mois. En revenant, personne ne remarquait quoi que ce soit mais j’étais écœurée par une odeur très désagréable. Guidée par mon odorat, j’ai fini par découvrir notre chat dans la cheminée de notre maison. Il s’était coincé en voulant entrer et est resté à agoniser pour finir par mourir de faim et de soif. Son cadavre empestait la maison, c’était horrible. Je me souviendrai toujours de ça alors j’en suis certaine, quelque chose est mort à l’intérieur ! »

Après tout, ce bâtiment a l’air abandonné alors ce ne serait pas étonnant mais l’odeur que je sens actuellement est beaucoup plus intense, j’en ai même les yeux qui piquent.

« Ça va aller… fit Aiko en mettant sa main sur mon épaule, toutefois, j’ai l’impression que tous tes points de compétences sont passés dans l’odorat vu ta sensibilité extrême. »

Je ne sais pas si Aiko essaie de me réconforter en me complimentant mais je ne comprends pas trop ce qu’elle raconte avec ses "points de compétences".

« Oui je sais. Ma mère me dit souvent que je pourrais devenir cuisinière ou travailler dans le domaine du parfum.

— Mais ce n’est pas vraiment ce que tu veux faire pas vrai ?

— Effectivement, j’adore dessiner et mon rêve serait de faire des dessins animés. Mais ma mère trouve que c’est "du gâchis" et ça me rend triste.

— Oh, pauvre petite. Tu parleras de ta vie plus tard, y’a un problème là. »

Pendant que je parlais, Joey s’est dirigé vers le fond du couloir à la croisée des chemins. Il y a Petra à côté de moi qui a le regard vague, elle ne m’écoute pas et cela se voit. Quant à Joey, il ne s’est pas gêné à rester comme elle puisqu’il n’est même plus à côté de nous. Seuls Gabriel et Aiko sont restés à m’écouter parler de ma vie, bien que je soupçonne Gabriel de faire semblant.

« Qu’est-ce qu’il y a ? ai-je demandé un peu dégoûtée de son manque d’intérêt aussi marqué.

— Le sol. Regarde le sol fit-il tout en le pointant avec son doigt.

— Quoi… ? »

J’ai à peine posé les yeux à mes pieds qu’un frisson me fit écarquiller les yeux : du sang. Du moins, un liquide pourpre parcoure le sol sur une longue distance traversant le couloir pour se diriger vers les toilettes. La trace semble continuer à l’intérieur d’ailleurs.

Pour voir cela, il m’a fallu m’accroupir puis suivre la traînée les yeux rivés dessus. Vu qu’il est impossible de voir à travers la légère ouverture des toilettes, je n’ai pas voulu continuer.

« Raison de plus pour ne pas entrer dans cet endroit pour l’instant ai-je affirmé.

— Je mets à jour nos quêtes, après "trouver une source de lumière", "chercher un moyen de se défendre." »

Une arme donc. Je ne comprends presque rien de ce qu’elle raconte mais je sais à quoi elle fait allusion cette fois-ci.

La trace est très large là où Joey l’a trouvé. Cela peut vouloir dire plusieurs choses : peut-être qu’une personne est resté à se vider de son sang ici ou bien qu’elle ait été blessée d’un seul coup à cause d’une action très violente résultant en une giclée de sang.

Les deux pensées me sont terriblement terrifiantes. En fait, tout cet endroit commence à me mettre fortement mal à l'aise. J'aimerais beaucoup rester calme mais plus je vois toutes ces horreurs, moins j'arrive à contrôler un stress qui m'envahit au fur et à mesure que l'on progresse.

« Qu'est-ce qu'on fout dans un endroit pareil ?! Y'a des gens morts ici ? »

Personne ne peut répondre avec certitude à la question de Joey mais cette probabilité ne fait que s'accroître, des choses horribles se sont passés dans cet endroit aux allures de vieil hôpital abandonné.

« Il vaut mieux rester ensemble, cela serait terrifiant si l'un de nous se mettait à disparaître... ai-je dit pour me rassurer, ce que Gabriel a tout de suite compris.

— J'ai plutôt l'impression que c'est toi qui ne veux pas te retrouver seule, me trompe-je ? fit-il, le sourire en coin.

— Bien sûr que non ! Qui aimerait que ça lui arrive ?

— Moi je m'en fous tant que y'a personne pour me faire chier. »

Petra n'a pas vraiment l'air effrayée à l'idée d'être toute seule ici et je dois avouer que je n'arrive pas à la comprendre.

« J'ai déjà dormi dans des endroits bien pires alors bon...

— Q-Quoi qu'il en soit, nous nous devons de rester ensemble !

— Alors on arrête de parler pour rien et on cherche ce qu'on doit chercher. »

Joey conclut sa phrase en commençant à avancer vers la gauche de l'intersection en T, nous l'avons suivi sans rien dire, pour ma part, c'est surtout parce que je n'ai pas envie de perdre le groupe de vue, en particulier à cause de la très mauvaise visibilité.

Nous sommes arrivés dans un couloir plus large et plus long, des portes se trouvent de tous les côtés, Joey essaie d'en ouvrir la plupart mais chacun de ses choix révèle une porte verrouillée, un total de quatre portes se trouve sur le mur de gauche tandis que seulement deux sont à l'opposé sur le mur de droite. Après quelques minutes, nous, ou plutôt Joey, en a conclu qu'aucune des portes ne pouvait être ouverte. Notre angoisse grimpait en même temps que notre incompréhension, nous ne savons même pas pourquoi nous sommes là et toutes les portes semblent avoir été verrouillé manuellement !

J'ai le coeur qui bat de plus en plus vite, je ne me sens vraiment pas bien. L'endroit est répugnant, de façon générale : l'odeur, les moisissures, l'incroyable quantité de poussière... Tout cela, c'est de plus en plus difficile pour moi de le supporter.

Nous arrivons, après d'autres portes qui ne s'ouvrent pas non plus, dans une salle gigantesque. Toute la pièce est recouverte de chaises, certaines brisés, d'autres non, me faisant penser à une sorte d'émeute. Un grand comptoir se dresse en face de nous, je peux aussi voir qu'il y a une pièce (et même sûrement plusieurs) derrière celui-ci grâce au passage se trouvant à côté. Sur notre gauche, vers le fond, il y a l'entrée d'une cage d'escalier, signe que cet endroit n'a pas qu'un seul étage et qu'il est sûrement bien plus grand que je ne me l'imagine. Enfin, je pense aussi apercevoir une porte près de la cage d'escalier, à sa gauche, mais je n'en suis pas certaine à cause de la visibilité très médiocre.

« C'est le grand luxe ici on dirait ! s'exclama Petra.

— Tu parles ! Y'a que les clochardes comme toi qui trouvent ce genre d'endroit intéressant...

— Ou bien les chasseurs de fantômes. Je suis sûr qu'il doit y en avoir un ou deux ici. » répondit Gabriel à Joey.

Nous nous sommes dirigés vers l'ouverture derrière le comptoir puisqu'elle est la plus proche, je sens mon coeur me serrer dans ma poitrine, je n'aime définitivement pas cet endroit. Je l'aime de moins en moins en fait tant son atmosphère est pesante et son état mauvais. Je suis restée quelques secondes à hésiter à entrer dans l'ouverture, finalement, c'est Joey qui s'y est engouffré avec un soupir. Il est vrai que je ne suis pas la plus courageuse ici, j'ai même l'impression d'être la seule à avoir peur ce qui ne me rassure pas vraiment.

« Mais ralentit ! Il va trop vite ce mec ! T'es un taureau ou quoi ?!

— Nan, je suis vierge. »

Petra s'est instantanément arrêté de parler pour éclater de rire, je me suis mise à rougir et Gabriel à ricaner. Aiko, elle, ne fit rien si ce n'est détourner le regard vers ses pieds.

« Pourquoi vous rigolez ?

— Eh bien, je ne veux pas être méchante mais je ne pense pas que votre vie sexuelle nous intéresse. »

Moi qui pensais que Gabriel aurait fait une remarque salace, c'est Aiko qui a répondu avant tout le monde.

Malgré l'obscurité, je suis sûre que Joey a du rougir à ce moment-là, il s'est mis à nous hurler dessus seulement quelques secondes après que Aiko a parlé :

« Bande d'abrutis ! Je parlais de mon signe astrologique ! »

Ah... il faut croire que nous avons tous mal compris ce qu'il voulait dire. Cela rend la situation bien gênante tout à coup malgré cette atmosphère très glauque.

« Putain ! Arrêtez de croire des choses comme ça ! J'ai une copine et je suis plus puceau hein !

— Comme je viens de le dire, ce n'est pas quelque chose que nous voulons savoir.

— Pfff... »

Petra ne peut pas s'arrêter de rire, je n'arrive pas à m'arrêter de rougir face à ce qu'il vient de dire et Gabriel garde un regard très moqueur.

« T'aurais dû être du signe du taureau alors ! À foncer partout que ce soit dans des endroits que tu connais pas ou dans des ch-

— Merci Petra ! On a compris ! ai-je crié, ce n'est pas la peine d'aller plus loin !

— Roh, t'as l'air d'être sacrément coincée toi.

— Non, je veux juste qu'on sorte d'ici. Je suis nerveuse et... j'ai peur, d'accord ? »

J'arrive enfin à le dire, et le fait même de devoir le souligner est étrange en soi. Bien évidemment qu'un bâtiment aux allures d'hôpital abandonné, ça fait peur mais suis-je la seule à la ressentir, cette peur ?

« On vient de voir une grosse tache de sang au sol, il y a des rats partout ici, des choses horribles se sont sûrement passés alors j'aimerais qu'on sorte le plus vite possible et qu'on évite de faire des blagues indécentes ! Comment vous y arrivez de toute façon ?! »

Ce que je viens de dire a jeté un froid dans notre groupe, chacun s'est regardé en perdant le sourire ou la quelconque expression qu'ils avaient sur le visage il y a de cela quelques secondes.

« Ena... fit calmement Aiko.

— Parce que tu crois que j'ai pas peur, moi ? »

Joey s'est tourné vers moi, puis continua et termina sa phrase.

« J'ai juste pas le droit, c'est tout. C'est ce que mon père me dit toujours. »

Il ne continue pas à dire quoi que ce soit, à la place, il se dirige vers là où il aurait été si on ne s'était pas arrêté. Très calmement en plus.

Petra ne rit plus et Gabriel non plus, lui n'a qu'une expression neutre sur le visage mais elle garde un léger sourire en coin.

Aiko, en passant, me fit une tape sur l'épaule.

« Ne t'en fais pas, nous avons tous peur ici. J'ai juste l'impression que personne ne veut le montrer. »

J'ai hoché la tête, je les comprends un peu. Je pense que suivant le vécu des gens, certains sont prêts à exprimer leurs émotions plus que d'autres. Et il faut croire que ces trois-là sont plus difficiles à cerner qu'on ne le pense.

« Le couloir continue très loin si on va tout droit, mais j'ai l'impression que c'est une cantine de ce côté. Ou plutôt l'endroit pour faire la queue. Ah ! Y'a des plateaux par terre donc j'en suis sûr. »

Nous l'avons rejoint assez vite, au-delà de l'ouverture, il y a un chemin qui continue tout droit et qui semble amener vers d'autres couloirs ou bien une autre partie du bâtiment, mais là où se trouve Joey, le chemin se resserre un peu. Il y a quelques plateaux sur le sol et même les restes du petit chariot sur lequel sont posés les plateaux.

Personne n'a fait de commentaires, nous avons continué de ce côté. Des bris de verres, des couverts puis des assiettes en mille morceaux nous ont confirmé que l'on s'approchait d'un self et donc de nourriture potentielle. Bien que je ne vais pas essayer d'imaginer l'état de celle-ci sinon je vais faire un malaise...

Nous sommes à présent à l'endroit où il faut prendre les différents plats qui composeront notre plateau, bien évidemment, il n'y a absolument rien. Juste une odeur de plus en plus insupportable de nourriture décomposée. Par pitié, je ne veux pas voir ça...

« J'espère que y'a de la bouffe comestible ici. J'ai la dalle fit Joey.

— Moi, je veux une bonne bière continua Petra.

— Et moi, je ne veux pas voir de nourriture en mauvais état... »

Et pourtant, l'odeur s'intensifie à mesure que nous nous approchons de la fin du self qui nous emmènera très sûrement à la cantine. Voir les endroits où se tiennent normalement les serveuses ou les cuisinières vides me rend presque triste. Cela ne fait pas si longtemps mais en regardant ça, l'école commence à me manquer...

Le manque de lumière et mon odorat plus que jamais stimulé ont finit par me faire chanceler, je commence à tomber mais par chance, j'ai réussi à me rattraper sur un mur avant de me rendre compte que ce n'en est pas un. Le toucher est différent, très froid et lisse un peu comme une vitre.

En me voyant ainsi, les autres sont venus dans ma direction en pensant que j'ai dû me casser la figure.

« Est-ce que ça va ? me demanda Aiko.

— Oui... J'ai juste la tête qui tourne à cause du stress. Mais sinon, je viens de trouver quelque chose d'étrange ici. Regardez. »

À ma demande, tout le monde s'est mis à inspecter le "mur" que je venais de toucher. Et il ne fallut que quelques secondes pour savoir ce que c'est.

« On dirait une chambre froide, y'a des conserves et pas mal de bouteilles d'eau.

Gabriel à sa main sur son front et scrute l'intérieur. Quant à moi, j'ai tenté d'ouvrir la porte. Sans succès, elle semble être verrouillée elle aussi.

« Eh, je suis en train de regarder à l'intérieur. N'essaie pas d'ouvrir alors que je suis collé à la vitre.

— Ah, désolée... »

Mais alors que je m'apprêtais à reculer pour lui laisser de l'espace, j'ai remarqué un bout de papier suspect collé avec un bout d'adhésif juste à côté de la serrure de la chambre. Curieuse, je me suis baissé pour le ramasser.

« Qu'est-ce que c'est que ça ? C'était au sol.

— Y'a marqué quoi dessus ? demanda immédiatement Joey.

— Attends... »

L'écriture est assez petite et l'obscurité n'arrange rien mais j'ai tant bien que mal réussi à lire à haute voix ce qu'il y a d'écrit :

"Pour accéder à la chambre, un maître du jeu doit être présent et utiliser son bracelet ainsi que la clé pour débloquer la serrure. Il est interdit de s'enfermer ici durant la partie. Les informations concernant cette partie vous seront dévoilées par votre prochaine rencontre. Mais n'oubliez pas : la mort ici a autant d'importance pour certain qu'elle n'en a pas pour d'autres."

J'ai eu un frisson d'horreur très prononcé à la lecture de la fin de la note, je sens mon pouls s'accélérer ainsi que quelques gouttes de sueur couler le long de ma tempe. À vrai dire, je ne comprends presque rien à ce que je viens de lire mais pour une raison que j'ignore, celle-ci me terrifie. C'est sûrement le mot "mort" et sa signification très mystérieuse dans la phrase.

« Je savais bien que nous étions dans une "partie" mais je ne pensais pas que ce serait le terme utilisé commenta Aiko un peu embarrassée, les gens qui nous ont kidnappés attendent quelque chose de nous.

— Ah ouais ? J'en ai rien à cirer ! Pourquoi ça parle de "maître de la partie" ? Personne n'est maître de qui que ce soit ici !

— Calme toi Joey. Moi, je vois surtout que le "maître de la partie" est censé avoir un bracelet. Or, il n'y a qu'une seule personne qui en a un ici. »

Tout en parlant, Gabriel s'est tourné vers moi. Chacun d'entre eux est à présent en train de me regarder de travers, je sens leurs yeux me transpercer de part en part d'une méfiance aussi soudaine que malsaine.

« Attendez, je sais que j'ai un bracelet mais ça ne veut pas forcément dire que je suis le "maître de la partie" ! Et puis-

— Arrête de nier l'évidence ! Bien sûr que c'est toi ! Les fiches parlaient de nous en tant que "joueurs" et cette note fait maintenant allusion à un "maitre" en désignant son bracelet, un "maitre" est une personne qui dirige tout. Ces colliers doivent donc être notre symbole en tant que joueurs. Tu es par conséquent la personne qui nous dirige. Mais dans quel but ? Pourquoi est-ce que tu nous aurais réunis dans un endroit aussi reculé en nous parlant d'une histoire de "partie" ? Comment as-tu réussi à nous kidnapper un par un ? Y'a-t-il un lien entre nous tous ou sommes-nous des personnes que tu as choisies au hasard ? »

Gabriel ne cesse de m'accabler de questions accusatrices, j'ai peur que Joey s'en prenne à moi par colère en pensant que j'ai quelque chose à voir avec cette "partie", j'ai cette angoisse qui ne cesse de croître, la peur commence à me faire légèrement trembler. Je m'inquiète vraiment de ce qui pourrait arriver si je ne dis rien. Alors, j'ai parlé sans réfléchir :

« Et si j'étais celle qui doit vous protéger ? »

Je dois l'avouer, j'ai dit ça sur le coup du stress. Ça n'a absolument aucun sens mais c'est sorti tout seul.

Gabriel éclata de rire avant de répondre très froidement :

« Nous protéger ? Avec quoi ? T'as une arme ? Un superpouvoir peut-être tant que t'y est ?

— Je... je ne sais pas ! Mais je vous prie de me croire quand je vous dis que je n'ai rien à voir avec tout ça ! Je le prouverai en vous protégeant de ce qu'il y a ici ! »

Ce que je dis sort sous le coup de la peur que quelque chose de mauvais arrive, je n'arrive pas à réfléchir tant la pression que le regard de Gabriel, de Joey et de Petra m'inflige est forte. Il n'y a que Aiko qui ne répond pas et qui semble ne pas être affectée par la situation.

« Il suffit que je vous protège de la "prochaine rencontre" ! J'ai l'impression que la "partie" commencera lorsqu'ils arriveront. Je ne sais pas quel genre de personne est ici avec nous mais je ferai en sorte qu'elle ne vous fasse pas de mal ! Vous pouvez me faire confiance si je fais ça ? »

Je suis en train de me mettre dans une situation délicate, est-ce une sorte de marchandage pour "acheter" leur confiance ? Le contexte entrave fortement cette confiance qu'ils pourraient avoir envers moi. Il faut donc que j'emploie des moyens plus drastiques car c'est vraiment mon intention.

Joey s'est approché de moi, de plus en plus, pour finir par me plaquer contre la paroi de la chambre. Il a ensuite posé ses deux mains à plat sur la vitre des deux côtés de ma tête puis s'est mis à me fixer de ses yeux effrayants. Deux revolvers chargés me font face et j'en suis paralysée. Avoir un garçon aussi proche de moi pourrait me faire rougir en temps normal mais tout ce que je ressens actuellement, c'est une peur bleue. J'ai l'impression qu'il est sur le point de me mettre un coup de poing tant son regard est empli de colère. Puis, après une dizaine de secondes, il s'est mis à me menacer de sa voix profonde :

« Très bien. Je vais décider de te faire confiance. Mais si jamais tu fais un truc de travers... »

Sans terminer sa phrase, Joey leva sa main droite, la serra, puis frappa d'une force inouïe la paroi de verre juste à côté de mon visage. Je la sentis trembler légèrement malgré l'évidente épaisseur de celle-ci. Le bruit sourd résonna dans toute la pièce, sûrement tout l'étage ainsi que dans mes tympans. J'en suis morte de peur tant l'intensité du coup s'est fait ressentir.

« Compris ? »

J'ai hoché la tête en silence, mes jambes tremblent, mes bras aussi.

« Je pense qu'elle a compris, tu peux arrêter... fit Aiko un peu surprise elle aussi de la brutalité de Joey, tu n'as pas à aller jusqu'à des menaces.

— Haha, on dirait bien que le taureau a besoin de se défouler ! »

Petra, qui jusqu'à maintenant avait gardé un regard froid envers moi, se mit à rire de la situation comme si de rien n'était.

« Ah là là... Quelle violence. Il te suffisait juste de l'intimider, le coup sur la paroi était complètement inutile... »

Sans s'inquiéter le moins du monde de mon état, Gabriel semblait juger Joey sur sa "performance" d'intimidation. Un peu comme un jury. Bien que ça commence à ne plus m'étonner de sa part.

Nous étions sur le point de rentrer dans la cantine lorsqu'une voix féminine apeurée se mit à crier :

« Qui que vous soyez, nous sommes armés alors on n'hésitera pas à se défendre ! »

Nous avons tous été surpris, il y une autre personne ici. Non, plusieurs autres personnes ! Cette fille se mentionne en disant "on". La voix provient de la grande pièce délabrée dans laquelle nous sommes passés. D'où viennent ces gens ? De la cage d'escalier ?

Joey s'est très vite mis en direction de la pièce, absolument pas intimidé par ce qu'il venait d'entendre. Je l'ai très vite rattrapé pour le dépasser. Je viens de dire que je les protégerais de ceux qui arriveront, alors je le ferais. Je serais la première personne qu'ils verront.

« Chut Ophélia ! Le monsieur peut être dangereux, je ne veux pas vous voir mourir sans que je ne puisse rien faire ! »

Une autre voix féminine répondit à la première. La première personne se nomme donc "Ophélia". Ces personnes sont sûrement dangereuses vu qu'ils sont armés alors je vais tenter tout ce que je peux pour être la plus pacifique possible :

« Alors vous êtes déjà là ? J’ai pas envie d’en arriver là, s’il vous pl-

— Ta gueule ! C’est que du bluff leur truc ! Je vais les crever un par un moi ! »

Joey vient de me couper la parole pour directement être agressif. Nous aurions pu nous présenter plus poliment mais il faut croire que je peux oublier ça.

Petra éclata d'un rire bien plus puissant qu'avant, elle semble tout particulièrement apprécier voir la situation partir en vrille. Elle n'hésita pas d'ailleurs à se moquer de Joey :

« Hahahahaha ! Ouais ! Tout le monde va crever ! Allez le taureau, allez ! Hahahahaha ! »

Cette fille est fatigante de par sa voix en totale contradiction de ses paroles et de ses actes. Ce n'est clairement pas grâce à elle que les choses s'arrangeront.

Gabriel soupira puis se mit à commenter l'attitude de Joey :

« Fais-donc, tu ne sers qu’à ça de toute façon. Toute la matière de ton corps est allé dans tes biceps, que dalle dans le ciboulard. »

Bien évidemment, Gabriel non plus n'est pas là pour calmer le jeu. Il n'y a que Aiko pour rester silencieuse.

J'ai donc décidé de me montrer. De franchir le passage qui nous amène dans la pièce au comptoir. Peut-être que mon assurance aura raison de moi, peut-être aurait-il été mieux pour nous de rester cachés... Mais nous étions à présent démasqués et faire profil bas ne serait qu'une perte de temps.

La boule au ventre mais en me forçant à adopter une attitude confiante, j'ai mis les pieds dans la pièce au comptoir pour faire face aux mystérieux inconnus.

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