26 - Mes réponses, les miennes et celles des autres.

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« Récapitulons, il y a presque une dizaine de personnes qui ont été kidnappés sans raison apparente…

— Il y a bien le fils Mélono qui pourrait rapporter gros mais je ne pense pas que le patron céderait face à des menaces…

— On parle quand même d’un père et de son fils, il aurait sûrement une réaction ! »

Un groupe de policiers se trouve autour d’une table remplie de dossiers et de témoignages. Chacun d’entre eux arborait un visage alourdi par le stress et la pression de leur discussion. L’odeur de café âpre teinté d’amertume emplissait la pièce bien trop petite pour le nombre de personnes présentes. Au bout de table se trouvait ce qui semblait être le chef, plus vieux mais également plus expérimenté, son uniforme qui avait traversé les années était accompagné d’un pistolet à sa hanche et d’une radio à son autre jambe.

« Silence ! Ce n'est pas le sujet ! Nous faisons le bilan de ce que nous savons, je me passerais bien de vos commentaires inutiles ! »

Les bavardages cessèrent à la demande de leur supérieur. Les officiers se turent pour laisser la parole à celui qui l'avait demandé.

« D'après les témoignages, nous ne savons qu'une chose : ils étaient tous seul.

— Et alors ? demanda un officier.

— Ai-je besoin d'argumenter ? S'ils savaient à quel moment les aborder, ils ont dû apprendre leurs habitudes. Peut-être pourriez vous me dire que c'était par chance mais je vous contredirais avec le fait qu'aucune personne n'a reporté avoir vu ne serait-ce qu'un des enlèvements. De plus, ils ont tous eut lieu en l'espace d'une journée ! Nous avons affaire à des professionnels si je puis dire... »

Le chef se tut quelques secondes pour soupirer, puis continua :

« Je veux que tout le pays sache ça ! Nous avons besoin de plus d'effectif ! Ce n'est pas avec nos trois postes de police dans la ville que nous allons faire quelque chose ! C'est un problème d'envergure nationale ! Imaginer un peu si d'autres enlèvements du genre ont lieu de manière répétée ?! Les gens ne se sentiront plus en sécurité, ils auront une pression constante de se faire ne serait-ce qu'aborder. Chacun vivra dans la peur. »

Tous baissèrent les yeux, honteux.

« Ce que je veux vous faire comprendre, c’est l’importance de la situation. Il faut que des recherches soient entreprises.

— Évidemment… mais comment ? Je veux dire, nous n’avons aucun indice ! Ce type ou cette équipe qui a fait ça sont des fantômes !

— Oui… mais-

Interrompant le chef, la porte de la petite pièce s’ouvrit d’une vigueur pesante, un homme entra, quelques papiers dans la main, un air grave sur le visage.

« Monsieur, j’ai quelques informations qui pourraient vous intéresser.

— Bon timing. »

L’homme rehaussa ses lunettes :

« Nous avons fait quelques recherches sur les disparus, je pense qu’il existe un lien entre eux et c’est ce que nous essayons de chercher. J’ai commencé par Mademoiselle Nyakoa et Mademoiselle Sokovy. Et j’ai constaté avec stupeur que leurs pères respectifs ont tous les deux été impliqué dans une affaire sordide. Vous savez déjà pour Sokovy mais je vous donnerai les détails pour Mademoiselle Nyakoa plus tard. De plus, Monsieur Ilsoya et Mademoiselle Ymise ont perdu un ou des parents. Sachant que l’une a été interné dans un hôpital psychiatrique et l’autre a eu des modifications radicales de comportement depuis un terrible accident dans son jeune âge.

— Vous parlez beaucoup ! Abrégez ! Je ne vois pas où vous voulez en venir. Ces gosses ont des problèmes mais c’est comme tout le monde. On ne va pas les plaindre non plus. Ils sont en grave danger en ce moment donc ce n’est pas une raison de s’en préoccuper.

— Vous vous trompez Monsieur, et si le kidnappeur avait fait en sorte de choisir ses victimes en fonction de leur passé ? »

Tous les regards se posèrent sur l’homme qui, restant sur le pas de la porte, rehaussa de nouveau ses lunettes, sûrement comme un tic nerveux.

« Et pourquoi ferait-il ça ?

— Ça… je n’en ai pas la moindre idée, mais ça peut être une piste.

— Non... je ne vois pas pourquoi on choisirait des personnes en fonction de leur "passé". Il faudrait espionner tout le monde, connaître tellement de choses personnelles. C'est impossible ! »

L’homme qui était resté sur le pas de la porte se grattait nerveusement le menton, prenant quelques secondes de réflexion. Puis, il leva le doigt en l’air, l’air satisfait.

« Sauf si cette personne travaille pour l’administration de notre ville. Ou bien qu’elle soit dans les services de police… voir même les deux ! Je ne pense pas qu’un enlèvement aussi ordonné soit l’œuvre d’une seule et unique personne. »

Soudainement pris d’un élan de colère, le chef se leva précipitamment de sa chaise pour pointer du doigt son interlocuteur :

« Vous êtes en train de dire qu’il y aurait un traître parmi nous ?! Je n’y crois pas une seconde !

— Il faut pourtant se rendre à l’évidence, chaque personne capturée a un point commun : elle a soit fait partie d’une histoire avec les services de police, soit eut des problèmes personnels très important. Ça ne peut être une coïncidence sur une dizaine de personnes au total répondant à ce critère. Pour réussir un enlèvement pareil en une nuit, il faut connaître chacune des personnes ainsi que leur emploi du temps.

— Et quand bien même vous auriez raison, pourquoi faire autant d'efforts pour une chose pareil ? Mettre tout cela en place pourrait prendre plusieurs mois de "travail", il n'y a pas de rançon, pas de motif, rien. Cela pourrait même être un culte satanique qui capturerait des gens pour faire des offrandes au Diable que l'on ne le saurait même pas. Merde quoi ! Plus d'une dizaine de personnes ont disparu d'un seul coup sans aucune information pour les retrouver malgré les témoignages ! Il y a de quoi se foutre en rogne ! Il n'y a vraiment personne qui n'a pas le moindre indice ? La moindre piste nous serait utile à ce stade-là ! »

Chaque personne dans la pièce tournait la tête vers un de ses collègues dans l’espoir que l’un d’eux puisse faire avancer l’enquête. Mais après une quinzaine de secondes de silence, le chef soupira de désespoir :

« Tout est déjà terminé avant même que cela commence… »

L’homme qui se tenait au pas de la porte se racla la gorge puis repris :

« Monsieur, je suis venu ici pour également vous montrer quelque chose que j’ai trouvé dans les archives mais il faut venir voir par vous-même. »

Nonchalamment, celui-ci se leva et partit avec son collègue laissant les autres discuter de l’affaire.

Après quelques minutes de marche, ils étaient à présent dans une pièce sombre et lugubre, la lumière clignotait de manière irrégulière et l’odeur de vieux papier s’en dégageant rendait l’atmosphère générale très amère. La pièce des archives est plutôt sinistre par rapport aux autres du bâtiment tant celle-ci n’est pas ou très peu utilisée.

« Vous avez trouvé quelque chose ? » demanda le chef d’un air désintéressé.

Pas de réponse. Celui-ci gardait un tas de feuilles dans ses mains en les serrant contre son torse, le regard au sol,

« Écoutez, je déteste tirer au flanc alors soit vous me dites ce que vous avez trouvé, soit je vous flanque un bon coup de pied au cul pour m’avoir fait perdre mon temps… »

Le ton de voix du chef se mit à baisser progressivement au fur et à mesure de sa phrase, en effet, l’homme qui se tenait face à lui avait laissé tomber les feuilles qu’il tenait pour laisse place à ce qu’il cachait derrière : une grande lame aiguisée.

« Vous… qui êtes-vous ? » demanda calmement le chef.

Son assaillant ne répondait pas, des larmes commençaient à couler de ses yeux fatigués.

« Je… j’en peux plus. Si je ne fais pas ce qu’il dit, ma femme mourra ! Des menaces, des menaces, il ne sait faire que ça ! »

Le chef savait très bien qu’il ne pouvait pas appeler à l’aide, la salle des archives est très reculée par rapport aux autres pièces du commissariat et celle-ci n’est visitée qu’une à deux fois par semaine en moyenne. Les chances que quelqu’un vienne à sa rescousse étaient proche du néant.

« Vous comptez me tuer alors ? Réfléchissez deux secondes, si jamais vous le faite, vous irez en prison illico presto ! Et vous ne pourrez pas revoir votre femme !

— Non. J’ai déjà tout prévu, si j’ai parlé de traître tout à l’heure, ce n’est pas pour rien. J’inverserais la situation, je ferais croire à tout le monde que c’est vous qui avez essayé de me supprimer parce que j’avais réussi à découvrir le fait qu’il pourrait y avoir un "traître" et que tôt ou tard, vous finiriez par être trouvé. »

Une goutte de sueur commença à couler sur la tempe du chef, son coeur s’accéléra et ses poings se serrèrent.

« Je suis désolé mais je vais devoir vous tuer. Alors… Adieu, monsieur. »

Si un jour, une fille devait se confesser devant moi, je me suis toujours dit que je ne pourrais pas répondre ou que je ne saurais pas quoi dire, que je serais désemparé face à une situation aussi improbable pour moi. Mais ici, c’était différent. Le contexte et la personne me donnaient toutes les clés pour répondre. Après m’être un peu calmé par sa tentative de m’embrasser, j’ai rationalisé et pensé à quelque chose qui m’intriguait bien plus que le discours qu’elle venait de faire :

« Claria… pourquoi ? Pourquoi est-ce que tu as fait ça ? »

Celle-ci parut étonnée par la réponse que je lui ai donné, puis elle s’empressa de répondre dans les secondes qui suivirent :

« Je pense être tombé amoureuse de toi alors je le dis, qu’on soit devant ma mère, des gens que je ne connais que depuis peu ou bien dans un lieu aussi glauque, j’en ai rien à faire ! »

C’est vrai qu’elle a de l’audace de faire ça ici et maintenant mais… tu as essayé de me tuer ! Tu n’as pas arrêté de me haïr toute la nuit pour les mensonges que je suis obligé de faire et que tu as visiblement remarqué et tu me connais depuis autant de temps que les autres ! Et maintenant, tu oses dire que tu es "amoureuse de moi" ?! Tout cela m’énervait plus qu’autre chose.

« Je ne parle pas de ça. J’ai réussi à sauver ta mère dans l’épreuve. J’ai fait ce qu’il fallait pour que tu ne vives pas la mort de ton parent restant. Tout devait bien ou en tout cas mieux se passer, je pensais que tu serais rassurée face à cette situation… Alors pourquoi as tu essayé de te suicider malgré tout ?! »

Claria perdit son sourire puis se mit à fixer le sol, après quelques secondes, elle bougonna :

« J’étais seule. »

La réponse choqua tout le monde, la mère de Claria demanda l’air surpris :

« Comment ça "seule" ?

— Quand vous vous êtes évanouis, je me suis retrouvée seule. Il y avait bien Valya au tout début mais elle s’est très vite endormi de fatigue elle aussi. Pendant plusieurs heures, j’ai déambulé dans les couloirs avec la ferme intention de trouver ses "indices", mais à peine avais-je commencé que j’ai senti l’affreux poids de la solitude : j’étais seule dans un endroit qui puait l’horreur et la mort dans tous les coins. J’ai fait plusieurs fois le tour de l’étage sans même penser à savoir comment sortir ou bien descendre à l’étage d’en dessous. Je ne faisais que penser à cette solitude qui m’accablait. Le temps avançait et personne ne se réveillait. J’ai alors commencé à croire que vous étiez tous morts.

— Vous n’auriez pas dû penser cela ! Cet horrible homme nous a pourtant dit qu’il allait nous faire dormir. »

Céleste avait répondu ce que je voulais dire, toutefois, je reste stupéfait par ce "stratagème" de Christophe : ne pas endormir Claria en sachant ce qui allait lui arriver. C’est horrible mais encore une fois, ça ne m’étonne qu’à moitié.

« Je ne sais pas ce qui m’a pris de faire ça. Je pensais que j’étais guérie et que j’allais arrêter…

— Attends, parce que ce n’est pas la première fois ?! fis-je avec effroi en écarquillant les yeux.

— Claria… »

Sa mère s’était tue pour poser sa main sur la joue de sa fille qui ferma les yeux, semblant se rappeler quelque chose de douloureux.

« Vous en savez beaucoup sur nous mais il reste quelque chose que je ne vous ai pas dit… Claria… a été dans un hôpital psychiatrique. »

Je n’étais pas spécialement choqué d’entendre ça mais les autres si visiblement vu la tête qu’ils faisaient. Bien que nous n’ayons pas eu le temps de réagir puisque sa mère continua :

« Après la mort de mon mari, sa dépression s’amplifia et elle était devenue folle de rage envers elle-même. C’était bien trop grave pour que je ne reste sans rien faire alors je l’ai emmené dans cet hôpital. Pour faire court, elle y est restée près d’un an et demie et avait tellement de crises qu’elle était, d’après l’administration, une des "pire" patientes qu-

— Tu n’as pas à aller jusque-là ! termina froidement Claria.

— Ahem… oui, tu as raison. »

À partir de là, nous savions tout ce qu’avait vécu Claria et ce qui l’avait rendu comme ça. C’est de ça que voulait parler l’autre enflure : le passé de certains peut nuire à notre survie. Mais si ce qu’elle a vécue peut l’amener à mourir voire à tuer comme elle avait pu le faire avec moi, qui sait ce que les deux autres filles peuvent cacher ? Haron pouvait lui aussi tuer mais j’ai très vite arrangé la situation et vu comment il s’est calmé durant la nuit, je ne pense pas qu’il recommencera. Mais nous ne savons rien sur Céleste et Ophélia , et je pense que comme Claria et Haron, il suffit d’un évènement important pour que cela change.

« Je suis vraiment dévastée… j’ai l’impression que depuis que je suis avec vous, il n’arrive que des mauvaises choses.

— Nan, depuis le début, il ne se passe que de mauvaises choses comme tu dis » ai-je répondu.

La mère de Claria s’avança vers moi puis tourna la tête dans plusieurs directions dans la salle :

« D’ailleurs, je voulais vous demander-

— Il ne se passe pas que des mauvaises choses. »

Claria coupa la parole de sa mère et prit sa place, elle était de nouveau juste en face de moi :

« Bien évidemment, j’ai passé une très mauvaise nuit en général et tout le monde aussi ici d’ailleurs, j’ai même eu envie de mourir à la fin mais je sais maintenant que j’ai une nouvelle raison de me battre. Avant que l’on continue, j’aimerais te dire quelque chose Sorel sauf que j’ai encore un peu peur donc… »

En terminant sa phrase, Claria s’approcha de mon visage et… mit ses deux mains sur mes oreilles en faisant en sorte de les boucher. Je n’entendais plus rien ! Je dois avouer que je ne m’attendais pas à ça et sur le coup de la surprise, je n’ai pas essayé de la repousser ou quoi que ce soit.

Je voyais ses lèvres bouger, elle parlait. Je ne sais pas ce qu’elle disait parce qu’elle parlait vite, si avant que l’on entre dans l’infirmerie, j’avais sur percevoir son conseil sur le fait de ne pas bouger parce qu’elle avait parlé très lentement, là, je n’y arrivais tout simplement pas. Après une bonne vingtaine de secondes, Claria retira ses mains et recula de trois pas.

« Voilà. » termina-t-elle.

J’ai lancé un regard vers Valya, qui est la première à avoir été dans mon champ de vision et je pus voir son visage souriant, bien qu’un peu étonnée. Les autres, eux, avaient un regard et un visage similaires.

« Qu’est-ce que vous me cachez encore ? Qu’est-ce que tu as dit ?! »

Claria, qui d’après mes expériences, aurait commencé à s’énerver, s’est simplement contenté de dire d’un ton très calme :

« Je te le dirais quand nous serons libres. C’est une promesse. »

J’ai ouvert la bouche d’étonnement puis l’ai refermé à la même vitesse, sans savoir quoi répondre.

« Et si nous arrêtions de parler de choses tristes et que nous allions chercher à manger ? »

Ophélia a raison, la faim me donnait des maux de ventre, je ne m’en étais pas rendu compte jusqu’à maintenant mais vu que les choses se sont calmés, cette sensation devenait la seule chose qui occupait mon esprit. Mais tout de même, je vais garder cette promesse en tête.

La clé en main, nous nous sommes dirigés vers la cage d’escalier supposée nous faire avancer à l'étage suivant. L'atmosphère était devenue plus calme de par la présence de rayons de soleil qui reflétait les particules de poussières omniprésentes dans le bâtiment. Maintenant que la lumière naturelle éclaire la majeure partie de là où nous nous trouvons, il nous était plus facile de nous situer entre nous et de s’orienter. Les portes qui retenaient le passage vers la cage d’escalier étaient solidement fermées par d'épaisses chaînes métalliques, nous n’aurions jamais pu les forcer même si nous avions eu une scie tant l’épaisseur des chaînes est imposante, de plus, le bruit aurait alerté la gamine et nous aurait mis dans une situation assez délicate exactement comme la fois avec l’alarme… De plus, je pense que Christophe aurait trouvé un moyen de nous en empêcher.

Claria s’était mise devant les chaînes pour les examiner d’un air minutieux :

« Elles sont sacrément lourdes quand même… fit-elle en les prenant dans la main qui ne tenait pas la clé, il ne voulait vraiment pas qu’on aille en dessous pendant la nuit. »

Après avoir examiné les chaînes et trouvé le cadenas, Claria utilisa la clé pour débloquer l’accès à la cage d’escalier. Un fort "clic" métallique fut le signal pour nous indiquer que la voie était libre. Les chaînes tombèrent dans un grand fracas et nous nous sommes empressés d’ouvrir les portes. Le couinement lors de leur ouverture trahissait leur vieillesse et le poids qu’elles faisaient les rendait difficile à ouvrir ce qui retarda de quelques secondes encore notre passage à l’étage inférieur.

La première chose que nous vîmes fut la cage d’escalier très sombre malgré la lumière du jour qui arrivait légèrement sur nos visages éreintés par la fatigue, même Valya que je connaissais toujours enthousiaste et pleine d’énergie ne faisait que traîner des pieds l’air bien plus silencieux que d’habitude. Ces escaliers n’avaient absolument rien de particulier si ce n’est l’état pittoresque dans lequel ils étaient. Nous nous sommes regardés quelques secondes avant que je décide de m’engager en premier dans cet espace sombre et sinueux.

Nous sommes arrivés à un point où les choses se sont calmés, même si nous allons à un endroit totalement nouveau, cela reste un moment bien plus posé que ce que nous avons connus jusqu’alors. Avec cette enfant hors-service pour le moment, nous étions tous plus rassurés même si la présence du gamin et d’Aftovma rendait cet état incomplet.

Je me suis cependant mis à réfléchir, réfléchir à tout ce qui m’était arrivé sur l’espace de quelques heures : je suis mort un nombre presque incalculable de fois, je me suis même fait tuer par un membre de notre groupe, j’ai assisté impuissant à une Valya toute aussi impuissante face à ma mort et ce plusieurs fois, j’ai vu Claria qui s’est pendue dans une pièce remplie de sourire et qui en avait un énorme gravé sur le visage… En repensant à tout cela, je frémissais de terreur : vais-je avoir un syndrome post-traumatique ? Aurai-je des conséquences néfastes sur mon état de santé mental ? Et qui me dit que ce que je vais vivre la deuxième nuit ne sera pas pire ? Que nous réserve Christophe pour la suite ? Pourquoi est-ce qu’il fait tout ça ?! Pourquoi est-ce qu’il m’a choisi comme "Maître du jeu" ?! Comment je vais faire pour survivre à tou-

« Eh Sorel ? Pourquoi tu trembles comme ça? »

La voix de Haron me fit retrouver mes esprits qui commençait à se perdre dans un océan de pensées négatives.

« Si mon maître a peur, il faut le dire ! rétorqua Valya d’un air simplet.

— Ooooh ! Tu as peur de quoi ? me demanda Claria tout en me prenant la main sans que je puisse faire quoi que ce soit, t’inquiète pas, y’a rien dans cet escalier. »

Haron a été celui qui avait remarqué que je tremblais parce qu’il était juste derrière moi mais Claria fut celle qui s’était la plus approchée pour en être sûre. Nous sommes actuellement sur la première marche des escaliers tous les deux, Haron et Valya sont juste derrière moi et Céleste ainsi qu’Ophélia sont à côté de la mère de Claria.

Sans répondre à Claria, j’ai dégagé ma main de son "emprise" pour m’approcher des autres filles :

« Nous allons vous porter pour descendre, je vais m’en charger. Quant à toi Claria, prends son fauteuil pour l’amener en bas. »

Un peu étonnée que je n’ai pas réagi à son contact et que je demande quelque chose d’un seul coup, Claria acquiesça sans broncher et se mit en direction de sa mère avec moi pour la suivre.

Nous nous sommes chargés de faire ce que je venais de dire avec succès, nous avons descendu les sinistres escaliers avec moi qui portait la mère de Claria sur le dos, Claria qui, elle, avait son fauteuil à bout de bras. Quant aux trois autres, ils nous suivaient sans rien dire, inquiets de leur entourage puisqu’ils tournaient la tête assez fréquemment en restant très attentifs.

Après être descendu des escaliers et reposé la mère de Claria sur son fauteuil, je me suis dirigé vers l’ouverture qui marquait la fin de la cage d’escalier. Nous arrivions dans un nouvel endroit.

La première chose que je peux dire, c’est que nous sommes maintenant dans un lieu très espacé. L’étage dans lequel nous étions ressemblait à de longs couloirs parsemés de chambres et de quelques salles servant d’autres fonctions comme des réunions.

Mais ici, c’était tout autre chose : une gigantesque salle d’attente !

L’endroit est totalement différent de l’étage du dessus, il semble beaucoup moins abandonné. Ou du moins plus "fréquenté" parce que cela reste très délabré. Une quantité incalculable de chaises jonchent le sol, tantôt debout, tantôt brisés en mille morceaux. Un grand comptoir occupe la partie avant de la salle ce qui me faisait plus penser, maintenant que je pose les yeux dessus, à une sorte de "salle des enchères" ou encore à un tribunal. Le plafond est garni de néons brisés ne laissant paraître aucune lumière de par leur piteux état mais également à cause du manque évident d’électricité. Au fond de la pièce, à côté du grand comptoir, sur la droite, se trouve une ouverture vers un endroit que l’on ne peut pas voir de là où nous sommes. Tandis que sur la gauche, une porte tout ce qu’il y a de plus classique mais qui est fermée. Enfin, sur le côté droit, un grand couloir comme nous les connaissons si bien qui n’a pas l’air très grand bien qu'assez effrayant.

« C’est quoi cet endroit ? On est dans un bar dansant maintenant ?! s’exclama Ophélia dans la plus grande des indifférences quant au côté glauque du lieu.

— C’est assez étrange effectivement, je pencherais plus pour une grande salle d’attente répondit Céleste d’un ton beaucoup plus calme.

— Je suis d’accord, je pensais la même chose continuais-je dans le même ton que Céleste, bien que ça soit assez grand quand même…

— Attendez, on s’en fiche de ça ! »

Haron nous surpris tous avec ce qu’il venait de dire. D’un air presque agacé, celui-ci continua :

« Il y a plusieurs choses dont j’aimerais parler et qui m’ont fait réfléchir…

— Euh, si tu veux mais après qu’on ait trouvé de quoi se mettre sous la den-

— Non, maintenant ! »

Claria fut étonnée de s’être fait interrompre d’un seul coup par Haron, sa seule réaction fut de d’écarquiller les yeux et de reculer devant l’agressivité dont il avait fait part.

Il s’en rendit compte très vite puisqu’il s’excusa tout aussitôt :

« Je suis désolé… Je sais que dès le début de la nuit, j’ai donné une mauvaise image de moi à cause de mon père mais je réfléchissais à ce que j’ai appris quand nous avons été séparé. »

C’est vrai qu’il n’a jamais eu le temps de nous en parler, nous avons été forcé de battre en retraite à cause du bruit du revolver puis j’ai fini par m’évanouir quand nous avons examiné cette montre.

« Je pense que la montre n’est pas liée à un potentiel lien entre Christophe et toi. »

Nous nous sommes regardés, incrédules, sans savoir quoi dire. Céleste fut cependant celle qui lui répondit :

« Pourtant, nous avons conclu que c’était le cas.

— Non. Je veux dire, il connaît toutes ces choses sur le passé de Sorel, il aurait très bien pu poser cette montre en sachant que Sorel allait mal réagir en la voyant. Si ce que je suppose est vrai, alors il sait pourquoi cette montre l’affecte autant.

— S’il en sait autant, c’est parce que justement, il a été en contact avec lui continua Ophélia.

— Non… Et je pense qu’on est très bien placé pour le savoir, vous vous souvenez de ce qu’il nous avait dit à propos de son passé ? »

Un moment de silence s’ensuivit, silence que je ne comprenais pas puisque j’étais le seul à être totalement dans le flou.

« Tu veux dire que le passé de Sorel a un rapport avec une montre aussi vieille ? » demanda Valya, intriguée.

Haron baissa les yeux, mit plusieurs secondes à répondre avant de déclarer d’un ton assuré :

« Plus j’y pense, et plus j’en suis certain. »

Je regardais les autres et eux aussi semblaient comprendre, ce qui m’agaçait un peu d’être le seul dans un brouillard des plus épais :

« Attendez, quoi qu’il ait pu dire sur moi et mon foutu passé, vous êtes en train de me dire qu’une montre a autant d’importance pour moi ? »

Haron acquiesca :

« Nous n’avons pas tous les détails mais oui, c’est ça. »

Je n’avais même plus le courage de m’énerver, cela n’avancerait à rien de toute manière. Valya non plus ne savait pas quoi dire puisqu’elle restait l’air pensive sans dire mot.

« Il y avait ça mais également le fait que j’aimerais vous poser des questions Madame… fit-il en se tournant vers la mère de Claria.

— Je suis désolée mais ça sera sans moi. J’aimerais beaucoup vous parler des quelques choses que je connais sur cet endroit mais bon… »

Tout en nous parlant, elle sortit un morceau de papier de sa poche puis nous le fit lire, il y avait marqué au stylo rouge et en énorme :

"Pas de spoil, merci :-)"

Très charmant…

Bien évidemment, nous avons tous compris qu’il ne voulait pas qu’elle nous donnes des informations mais ça voulait également dire qu’elle savait des choses qui pourraient nous être utiles dans la compréhension de là où nous sommes.

Soupir de ma part et de tous les autres.

« Bon euh, ben du coup, j’aimerais vous dire ce que, moi, j’ai appris. »

Haron prit une grande inspiration, puis continua :

« J’ai eu du mal au début puisque j’étais sous le choc mais maintenant, je peux le faire. »

Il prit de nouveau une profonde bouffée d’air, puis il commença :

« Nous ne sommes pas les premiers à faire une partie de la sorte, l’homme qui était avec moi a déjà été victime d’un jeu comme ça.

— Sérieux ?! s’étonna Ophélia.

— Chut ! Laisse-le parler fit Claria, concentrée sur ce que disait Haron.

— Il s’appelait Evan, il m’a dit qu’il avait été forcé comme nous dans une partie. Nous nous trouvons dans l’ancien centre Vitolia aujourd’hui abandonné. Le but de cet endroit était de tester des "expériences" sur des cobayes en manque d’argent qui venait de leur plein gré. On les payait grassement pour ça. Sauf que ces "expériences" terminaient toujours mal, des personnes tués, devenus aveugles et j’en passe… Il m’a aussi parlé de la petite fille qui nous poursuivait, elle s’appelle Milly et Eneko semble être un esprit qui la possède en permanence, enfin je crois. Il a essayé de me rassurer malgré la situation de vie ou de mort. C’était une personne sympathique, je le sentais. Et… euh... je crois que c'est tout... »

Eh ben… En l’espace de quelques secondes, nous avons plus appris sur notre situation que durant toute la nuit, cette quantité d’informations est difficile à avaler tant elle semble invraisemblable. Mais pourtant, Haron ne nous mentirait pas et certaines choses s’expliquent comme le bout de papier montrant l’expérience d’une femme qui arrivait à soulever de lourdes charges. Cet endroit est un ancien centre qui utilisait des cobayes humains contre de l’argent en comptant sur leur désespoir concernant leur manque de moyens justement.

« Eh bien, il faut croire que je n’ai pratiquement rien à vous apprendre en fait, il a tout compris tout seul. »

La mère de Claria semblait féliciter Haron qui esquissa un sourire en réponse. Ce qui d’ailleurs nous prouve la véracité des propos qu’il tenait.

« Mais, et la police là-dedans ? N’est-elle pas au courant d’une affaire aussi sordide ? demanda Céleste, inquiète.

— Il m’a juste répondu en rigolant puis de me dire de demander à Christophe.

— Ça ne nous aide pas beaucoup… termina Claria, aussi pensive que Valya.

— C’est vrai, mais ça peut vouloir dire que la police sait quelque chose, non ? ai-je demandé.

— Je ne pense pas, ou en tout cas, je n’en sais rien. Mais c’est une hypothèse à garder en tête. »

Tandis que la mère de Claria me répondait, le ventre de plusieurs personnes en même temps se mit à faire des bruits de gargouillements.

« Ah ! Ça, c’est signe qu’il faut trouver de quoi casser la croûte ! » assura Claria en rigolant.

Malgré son rire, je ne peux m’empêcher de remarquer que Claria fait tout pour oublier sa tentative de suicide, et je pense que tout le monde ici aussi mais malgré les efforts que je peux faire, je n’arrive pas à oublier deux choses à propos d’elle : son corps pendu avec un grand sourire gravé à même son visage et ce même visage empli de dégoût lorsqu’elle m’avait brisé le genou avant de me condamner à mourir sous les ciseaux de Milly. Je me rappelle toujours ses mots :

"Crève, pourriture de menteur."

Rien que d'y repenser, je ressens une profonde haine envers elle ainsi qu'un désir de vengeance... Ces deux évènements contradictoires me laissent perplexes à ce que je dois penser de ce qu’elle m’a dit :

"Je pense que je suis tombée amoureuse de toi."

Je n’en sais rien, mais il est clair que ce n’est pas réciproque pour le moment.

Haron prit les devants :

« Si on trouve de quoi cuisiner, comptez sur moi !

— Haha, ça m’étonnerait que ça soit aussi simple ! »

Malgré ce que je venais de dire, je crois qu’il doit y avoir des choses facile à manger quelque part dans cet endroit. On est là pour fouiller après tout.

Nous avons tout de même un peu ris, malgré cette faim qui nous tiraille le ventre, et je dois l’avouer, ça fait pas mal de bien après ce qu’on vient de vivre.

Et c’est exactement à ce moment que nous entendîmes un énorme fracas, comme un poing tapé sur un mur.

Nous avons tous sursauté, moi le premier. Jamais nous ne nous attendions à une manifestation à ce moment, je croyais que la journée, nous étions hors de danger !

Nous avons tous fait un pas en arrière en guise de réflexe et l’ambiance générale est redevenue exactement comme elle était. Le bruit venait du fond que l’on ne voyait pas et cela rendait la chose plus compliquée car nous ne connaissions rien du tout, ni de la personne qui a fait ça, ni pourquoi, ni sa position exacte. Je frémissais à l’idée de revoir Milly ou encore ce gamin au sourire terrifiant, je ne voulais pas de ça ! N’y a-t-il pas moyen d’être tranquille un peu ici ?!

Le bruit du coup restait tout de même un peu éloigné, mais d’une intensité dangereuse qu’il ne faut pas négliger. La personne ou l’esprit qui a fait ça doit être sacrément fort physiquement… et ce n’est pas pour nous rassurer.

« Sorel, prends ton téléphone s’il te reste de la batterie et éclaire le fond de la pièce pour voir ce qu’il y a. Je vais garder le revolver dans les mains pour lui faire peur.

— Attends Haron, t’avais encore le revolver depuis tout ce temps ?!

— T’occupes pas de ça ! Vas-y ! »

Il a raison, nous devions prendre l’avantage sur la personne. J’ai sorti le téléphone de ma poche pour vérifier sa batterie : quatorze pourcents. Autant dire qu’il ne va pas tenir la prochaine nuit, j’avais bien fait de le charger au travail tiens…

J’ai allumé la lampe torche le plus vite possible, un flash lumineux se mit à envahir toute la pièce malgré sa taille. J’ai alors de suite remarqué un bout de papier particulier puisqu’il était dans une pochette plastique ! Exactement comme ma fiche avec mes informations personnelles dessus !

Je me suis empressé de le ramasser, celui-ci était posé sur une des rares chaises encore debout, pendant que Haron gardait son revolver levé vers le fond de la pièce.

Je pris la fiche dans les mains pour commencer à la lire :

« Nom du maître du jeu : Ena Nery. Âge : 17 ans. Sexe : Féminin. Date de naissance : 24 novembre 2001. Groupe sanguin : O-. Hobbie : Le dessin et plus particulièrement l’animation sur ordinateur. »

Je crois qu’il y a un problème là.

« Qui que vous soyez, nous sommes armés alors on n'hésitera pas à se défendre ! »

Ophélia se mit à hurler avant même que je puisse dire quoi que ce soit, elle est tellement en confiance grâce au revolver qu’elle n’hésite pas à donner notre position en plus d’informer notre opposant que nous sommes armés.

« Chut Ophélia ! Le monsieur peut être dangereux, je ne veux pas vous voir mourir sans que je ne puisse rien faire ! » cria presque Valya, ce qui faisait tout autant de bruit.

Sans que je ne puisse dire quoi que ce soit, une voix féminine inconnue nous répondit :

« Alors vous êtes déjà là ? J’ai pas envie d’en arriver là, s’il vous pl-

— Ta gueule ! C’est que du bluff leur truc ! Je vais les crever un par un moi ! » hurla une autre voix masculine très agressive.

Un rire féminin s’ensuivit, un rire très dérangé par une voix qui l’est tout autant :

« Hahahahaha ! Ouais ! Tout le monde va crever ! Allez le taureau, allez ! Hahahahaha ! »

Cette personne n’est visiblement pas consciente de ce qu’elle dit et son rire fait froid dans le dos tant il est dépourvu de sens.

« Fais-donc, tu ne sers qu’à ça de toute façon. Toute la matière de ton corps est allé dans tes biceps, que dalle dans le ciboulard. »

C’était encore une autre voix ! Mais combien sont-ils ?!

Alors que je me posais la question intérieurement, une silhouette se dessina à l’entrée de là où je pointais la lampe torche : c’est une fille, visiblement de mon âge. Les cheveux mi-longs qui lui arrivent un peu plus bas que les épaules, cheveux qui sont d’un noir profond. Son visage mince et son expression assurée lui donnent cet air de fille forte, un peu comme Claria sauf que sa bouche a un rictus plus triste qu’autre chose, elle ne veut pas venir à notre rencontre, cela se voit. Ses grands yeux au regard profond accentuent sa ressemblance avec Claria excepté leur couleur qui est exactement la même que moi : d’un puissant argent. Maintenant que j’y pense, son apparence générale correspond avec la mienne : ses vêtements sont intégralement noirs, que ce soit sa veste à capuche, son tee-shirt ou bien son pantalon. Ses vêtements sont d’une sobriété très similaire à ce que je porte.

Alors qu’elle s’avançait vers nous, des pas derrière elle se firent entendre. Attendez, ne me dites pas qu’en fait…

La fille s’arrêta, puis, tout en nous regardant comme si elle nous analysait, commença à prendre un ton plus en adéquation avec son air :

« Je sais que ça peut vous paraître stupide mais apparemment, je suis le « maître de la partie », je m’appelle Ena. J'ai un groupe avec moi et il est probable que, justement, notre "partie" vient de commencer. »

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