23 - Ma détermination, la mienne et non celle des autres.

22 minutes de lecture

J'ai toujours aimé mes parents.

Depuis toute petite, ils m'apportaient du bonheur. Ils riaient, s'amusaient, faisaient attention à nous. Mon frère et moi avons toujours été heureux, il n'y a jamais eu de problèmes dans notre famille.

Mes deux parents travaillaient dans le milieu médical, mon père était chirurgien, ma mère infirmière. Ils s'étaient rencontrés au sein même de leur travail et le résultat a été notre naissance.

Mon frère adore la musique, il souhaite faire en sorte que les gens du monde entier puissent écouter ses créations. Il le dit lui-même :

« La musique permet de s'imaginer dans un autre monde. Un univers où seule la personne et la musique cohabite. »

Et lorsque je lui demandais ce qu'il en était des concerts ou quand on écoute de la musique à plusieurs, il me répondait en souriant :

« Alors l'univers est partagé. Tout le monde y est. »

Ça me faisait rire mais d'un côté, je restais admirative. C'est comme ça que j'ai décidé de commencer le piano.

Faire du piano, c'est vachement difficile au début. Je m'embrouillais dans les touches et mes doigts ne suivaient pas.

Mais j'ai continué. Avec le support de mes parents et de mon frère, j'ai réussi à rapidement m'améliorer et à avoir de solides bases ainsi qu'un niveau plutôt bon.

Mon père faisait très attention à moi, il me donnait des astuces même s'il ne s'y connaissait pas ce qui était franchement amusant. Contrairement à ma mère, mon père nous montrait toujours son amour pour ses enfants.

Un papa "poule" comme on dit...

Quand je faisais des bêtises lorsque j'étais encore bébé, c'est lui apparemment qui prenait puisqu'il lui arrivait de m'aider. En fait, je crois que malgré son métier qui demande énormément de concentration, il restait très immature dans sa tête. Un enfant dans un monde d'adultes.

C'est ce que j'aimais appeler mon monde parfait. Tout semblait se diriger vers un avenir des plus radieux. Un avenir où chacun des membres de ma famille vivrait heureux en s'entraidant les uns les autres.

J'avais un objectif, des ambitions, une famille aimante ainsi qu'une situation favorable à tout cela.

Il n'y avait qu'un seul problème. Une chose qui allait ronger tout sur son passage. Une chose qui se résume à une simple personne : moi.

Malgré mon apparence très amicale, je pouvais avoir des phases où je me renfermais totalement sur moi-même. Je n'avais qu'une question en tête : qui suis-je ? Pourquoi est-ce que j'existe sur cette planète ?

Drôle de question pour une enfant qui vient à peine d'entrer en maternelle, pas vrai ? C'est pourtant quelque chose qui me retombait toujours dessus au moment où je ne m'y attendais pas. Parfois, il m'arrivait d'être soudainement très triste. Je perdais de l'intérêt pour tout ce qui m'entourait. Plus rien ne m'importait si ce n'est cette question : pourquoi j'existe ?

Beaucoup de choses se sont passés entre les premières apparitions de cette question dans mon esprit et mon moi d'aujourd'hui. Mais ces pensées subsistent toujours.

Et c'est depuis que j'ai été responsable de cet accident que je n'ai fait que sombrer dans la dépression. J'ai perdu beaucoup de poids puisque je ne m'alimentais même plus n'en trouvant pas l'utilité. Je ne travaillais plus à l'école, je me renfermais sur moi-même ce qui fait que mes amis me délaissaient. Mes loisirs devenaient fades, inutiles à mes yeux.

Puis vint ce jour. J'ai eu une discussion avec mon frère qui ne pouvait plus supporter tout cela. Il m'a parlé longtemps, durant presque deux heures. Je sentais dans sa voix que c'était plus qu'une simple discussion pour lui, comme un dernier espoir de me redonner le sourire.

C'est comme ça que j'ai commencé à sourire. Il me l'avait affirmé : "Sourit et les choses s'amélioreront. Ta situation n'en deviendra que meilleur."

C'est depuis ce jour que je souris. Tous les jours et devant tout le monde, ce cliché de la personne souriante qui cache sa vraie personnalité, je l'incarne tout le temps et consciemment. Même si ce sourire est faux, il est efficace puisque je me suis rapidement fait de nouveaux amis et je devins plutôt populaire même, certains garçons voulaient même sortir avec moi ! Chose qui ne m'était jamais arrivé auparavant.

Sauf que même en trainant avec eux sans pour autant être leur copine, je n'ai jamais réellement souris. Un sourire sincère. C'en devient presque une obsession chez moi...

J'espère qu'un jour, je trouverais la personne qui déterrera le sourire véritable enfoui en moi.

Ma première réaction fut de hurler. J'ai sûrement eu la pire peur de ma vie ! Claria s'est suicidée ! Elle qui était tout le temps en train de sourire et qui était sûrement la personne la plus improbable à abandonner, elle qui nous encourageait malgré la difficulté évidente de tenir tête à cette fillette...

Elle n'est plus là maintenant.

Jamais mon estomac ne m'avait fait aussi mal, tout comme mon coeur que je sentais se serrer tellement fort qu'il pouvait à tout moment jaillir de ma cage thoracique. Une source de courage nous avait été volé. Claria était bien plus mal en point que tout ce que je pouvais imaginer, et moi, je n'ai rien vu de cela ! En tant que "maître du jeu", j'aurais dû faire plus attention à cette fille qui voulait déjà me voir mourir ! Déjà ça, ça aurait dû me mettre la puce à l'oreille ! J'aurais dû m'intéresser un peu plus à elle et à pourquoi elle agissait ainsi, essayer de comprendre que chaque sourire qu'elle faisait n'était qu'une façade pour cacher sa véritable personnalité. Elle joue un rôle de manière constante, même dans cette situation où nous sommes tous en danger de mort, elle gardait un contrôle sur ce qu'elle incarnait : une personne souriante et digne de confiance. Alors que moi, j'étais ce qu'on pourrait appeler l'exact opposé ! J'aurais dû comprendre tout cela et bien plus vite pour pouvoir agir et tenter quelque chose... n'importe quoi !

J'aurais dû comprendre tout cela... mais c'est trop tard maintenant. Il n'est plus l'heure des regrets et des "j'aurais dû ceci, j'aurais dû cela..." parce que c'est terminé. C'en est arrivé au point de non-retour.

Oui, je peux remonter dans le temps comme si rien de tout cela n'était arrivé, oui, je peux empêcher quelqu'un de se donner la mort... mais jamais je ne pourrais oublier que quelque part, j'ai provoqué indirectement le suicide d'une personne ! Une conséquence du genre marquerait tout le monde à vie, je passerais alors en sortant d'ici comme le second meurtrier de Claria. Sa mère ainsi que son frère, après avoir pleuré la mort de leur fille/soeur, irait s'en prendre au coupable. Et je ne pourrais m'empêcher de penser que j'ai une part de responsabilité dans l'histoire, la majorité de la faute est sur Christophe, oui, mais c'est moi qui aie raté l'épreuve et laissé mourir cette femme.

Tout ça, j'y ai pensé en l'espace de trois à quatre secondes parce que mes yeux scrutaient déjà la pièce dans la confusion la plus extrême.

La pièce avait un aspect de film d'horreur : elle était tapissée de traces de sang sur les murs, une écriture qui était saccadée et qui ressemblait à celle d'un psychopathe. Sauf que le sang venait de Claria et plus précisément de ses bras : des mutilations profondes envahissaient tous ses avant-bras. Le sang ne coulait que très peu ce qui signifie que son cadavre est ici depuis un moment. Toutes les traces de sang portaient l'inscription suivante : "Smile"

Pourquoi écrire "sourire" en anglais ? Je n'ai jamais été vraiment bon en anglais mais au moins, je comprends les bases. Que cherchait-elle en inscrivant cela partout dans la pièce ?! Parce que le sourire, tu l'as en grand sur le visage ! Elle se l'est taillé en se découpant le bord des lèvres.

Ignorant le fait que la pièce avait un des aspects les plus glauques possible, je me suis précipité devant le cadavre. La pièce n'est pas vraiment très grande ni même large alors le cadavre à vraiment l'air imposant. Celui du docteur nous avait gênés mais celui de Claria est bien plus effrayant : le sang sortant de ses avant-bras et de sa bouche, son regard perçant qui fixe droit devant elle... Chaque angle de vue que je prenais avait un aspect horrifique.

« Pourquoi ?! P-Pourquoi t'as... ! »

Je n'arrivais plus à parler tant la colère et la tristesse envahissait mon esprit et l'embrumait. Ma gorge ne pouvait même plus s'ouvrir pour y laisse s'échapper la quantité astronomique de culpabilité me submergeant.

J'étais littéralement écrasé, et malgré l'odeur horrible qui se dégageait de la salle ainsi que l'état même du cadavre de Claria, je n'ai pas pu m'empêcher d'essayer de détacher cette corde. Je ne voulais pas voir ça. Absolument pas !

Elle est accrochée à un des tuyaux composant le plafond, il y a parfois ce genre de méli-mélo de tuyauteries sur le plafond dans les vieux bâtiments, et bien, c'est exactement le cas ici et j'ai envie de dire que ça n'aurait jamais dû être là ! On aurait évité deux morts par pendaison dans cet endroit tout pourri !

Je tirai de toutes mes forces avec Valya qui me regardait, apeurée. Elle semblait vouloir m'aider mais la vue du cadavre et sûrement l'odeur qui va avec l'empêchait de faire quoi que ce soit.

J'essayais de tirer sur le tuyau, je ne sais pas si c'est ce qu'il fallait faire mais... je n'arrivais pas à réfléchir, à penser de manière rationnelle : j'avais en face de moi un cadavre pendu dégoulinant de son sang !

« Sorel ?! Je vous ai entendu crier, qu'est-ce que vous avez vu ? »

La timide voix de Céleste me fit reprendre mes esprits pendant quelques secondes, je me suis presque jeté en arrière, horrifié par ce que je venais de tenter.

Les pas de Céleste résonnaient juste derrière moi :

« Vous avez trouvé quelque chose ? »

De son point de vue, elle ne voyait rien, et j'étais dos à elle. La seule chose qui trahissait la monstruosité que je cachais était...

« Quelle odeur... tousse répugnante ! »

Découragé, je sentais déjà toute cette culpabilité qui se contenait en moi, je voulais hurler que ce n'était pas de ma faute mais bien celle de l'organisateur ! Je voulais disparaître, m'enfuir, ne pas avoir à affronter cela...

« Céleste... tu n'as pas à voir ça... marmonna Valya. Tu peux encore te retourner, mon maître et moi, on t'expliquera ce que c'est. »

J'aurais simplement pu me retourner et la faire fuir le plus loin possible d'ici, mais le cacher aurait encore plus aggravé ce que je ressentais.

Je me suis simplement agenouillé, anéanti, tout en regrettant ce que j'allais dire :

« Claria s'est suicidé. »

C'est comme si je sentais le regard étonné de Valya, elle voulait arrondir les angles, ne pas choquer celle qui était "victime" de toutes ses louanges sur son apparence mignonne. Je ne pouvais que regretter de ne pas l'avoir compris plus tôt.

Un silence lourd s'ensuivit, nous pouvions à peine entendre les autres arriver vers nous.

« Est-ce que ça va Sorel ? On t'a entendu crier... »

Je pense que là non plus, je n'ai pas eu besoin de me retourner pour comprendre la réaction des deux autres.

Ophélia laissa échapper un juron à moitié étouffé tandis qu'Haron, quant à lui, poussa un cri de terreur.

Je me suis finalement retourné, les yeux noyés dans les larmes, leur faire face était difficile parce que j'avais l'impression d'être le coupable de son meurtre :

« J-j'aurais dû le comprendre plus tôt ! Si j'avais fait en sorte qu'elle ne me déteste pas, j'aurais pu comprendre ce mal-être qu'elle ressentait ! J'aurais pu la sauver ! C'est... c'est mon rôle ici... ! »

Pourquoi est-ce que je ressens autant cette culpabilité ? Elle m'avait tué, devrais-je être honteusement satisfait... ?

« A-a-a-attendez ! C'est Aftovma ! J'en suis certaine ! Claria ne ferait pas ça, elle semblait toujours rigoler... balbutia Ophélia, si j'avais été moins désagréable tout le long, elle aurait sûrement-

— Arrêtez. »

Céleste, d'une voix tranchante qu'aurait pu prendre Claria, eut ses premières paroles depuis cette découverte.

Celle-ci s'avança d'un pas lourd en direction du cadavre pendu, sa marche fut lente, très lente. Nous l'avons regardés faire sans bouger le petit doigt, personne ne voulait faire quoique ce soit pour l'empêcher de voir cela de plus près.

Arrivée en face de Claria, Céleste se pencha pour ramasser un objet que je ne parvins pas à distinguer directement. Puis elle se dirigea vers moi, toujours avec le même pas en tenant l'objet dans ses petites mains.

Elle me le tendait tout en ayant le regard baissé :

« C'est son casque. Elle aimait la musique, non ? Je me rappelle que sur sa fiche, il était écrit qu'elle aimait jouer du piano. Elle devait tenir à ce casque si elle le gardait toujours autour du cou.

— Mais il est intact... »

Céleste aquiesca, l'air toujours aussi grave :

« C'est qu'elle l'a retiré, sous le joug d'Aftovma, elle l'aurait détruit d'une quelconque façon et elle se serait suicidée en se griffant le cou. Mais elle s'est pendu. Elle a pris le temps pour enlever le cadavre déjà présent puis se passer la corde au cou avant de se laisser pendre. Nous avons déjà vu comment Aftovma possède ses victimes, est-ce que vous vous souvenez de la réaction brouillonne de Claria quand elle s'est faite toucher par l'enfant ? Aftovma n'a pas un contrôle assez puissant pour permettre des actions aussi précises... »

Nous devions tous affronter la réalité : c'était la décision de Claria. Elle seule et de son plein gré avait décidé de se donner la mort.

Alors que faire maintenant ? Je m'en voulais tellement de ne pas avoir pu la sauver, d'être passé à côté d'une telle chose, d'un mal-être si profond. Ça s'était senti lorsqu'elle s'était mise à hurler après la découverte du cadavre de sa mère, bien évidemment, n'importe quelle personne dans sa situation aurait très mal réagi mais... c'était bien plus qui était sorti. Un hurlement mélangeant le désespoir et la douleur de toute une vie, c'était ça que j'avais ressenti.

« Je ne voulais tellement pas que quelqu'un... que quelqu'un meurt ! Et là, on se retrouve devant une de nos amies pendue ?! Pourquoi est-ce que ça nous arrive ?! »

Ophélia, tu considérais Claria comme une amie ? Malgré la très forte culpabilité que je ressentais, c'était parce que j'étais en quelque sorte responsable dans tout ça. Même si elle s'est suicidée, je ressens encore la douleur de la jambe qu'elle m'avait brisée. Je peux encore sentir cette trahison, peut-être justifiée, qu'elle m'avait fait subir. Mais, il reste quelque chose qui pèse sur moi...

« Claria n'est plus parmi nous. Ça ne sert à rien de rester ici, allons-nous-en. »

Pourquoi est-ce que Céleste dit ça ? Je suppose que sur le coup, je n'étais pas le seul à être étonné puisque personne n'écouta. Tout le monde restait immobile, muet de surprise.

Puis vinrent enfin des paroles :

« Qu'est-ce qu'on va faire pour elle ? Sa mère est morte, et maintenant elle aussi. Qu'est-ce qu'on va dire devant son frère ? Je... je ne pourrais pas lui faire face... ! Que va penser mon père de moi quand je lui dirais que j'ai été témoin d'un suicide, que j'aurais pu agir mais que je suis resté aveugle tout ce temps ? Pensez-vous que sa réaction sera positive ?! Il dira encore que je suis un faible ! Ce n'est pas uniquement de ta faute Sorel, tout le monde aurait pu l'aider ici ! La comprendre au moins ! »

Haron était sincère dans ses dires, sa voix tremblait, il était au bord des larmes. La mort de la mère de Claria a été l'élément déclencheur, et ça, j'aurais pu l'empêcher.

Par contre, Ophélia n'a pu s'empêcher de s'effondrer de désespoir tout en fondant en larmes.

« Et puis snif, pourquoi est-ce qu'il y a marqué "sourire" partout dans la p-pièce ? Et-et pourquoi est-ce qu'elle sourit justement ? Je ne comprends rien ! »

Nous non plus Ophélia... nous non plus. Ici, personne ne connaissait Claria, personne ne peut prétendre qu'il la comprenait.

Haron prit la parole à son tour, il semblait trembler :

« On va... on va devoir vivre avec ça. Avec cette pensée qu'on aurait pu sauver quelqu'un du suicide. Mon père aurait raison de me traiter de faible, je... ne supporte plus rien ici ! »

La fin de sa phrase avait été crié. Haron était à bout et cela se sentait.

« Pourquoi ? »

La voix bien plus sombre que d'habitude de Céleste me fit se tourner vers elle et vers les autres. Céleste pensait à voix haute, sa voix était très basse mais audible, c'est comme si elle faisait un monologue.

« Pourquoi est-ce que chaque chose auquelle je tiens finit par m'échapper... ? J'ai choisi d'être forte ici, j'ai fait des efforts pour ne pas complètement tomber dans la démence, je fais ce que je peux pour y arriver ! Alors qu'ai-je fait de mal ?! Pourquoi chaque chose ici est présente pour nous blesser ? Est-ce que je suis maudite ? Suis-je destinée à perdre tous ceux qui je porte de l'affection ? »

Je ne savais pas quoi dire, tout le monde était chamboulé, je me souviens la première fois que j'ai vu Céleste, elle s'est mise à crier et à avoir peur, elle pensait que c'était la fin pour elle et qu'elle ne pourrait rien faire d'elle-même ou du moins sans sa soeur. J'ai eu cette impression de fille faible mais elle n'a cessé d'être courageuse depuis, elle se retenait depuis tout ce temps ? C'est compréhensible d'un côté, je suis presque admiratif devant de tels efforts...

Mais tout le monde craquait, le moral général descendait dans le négatif.

« Écoutez-moi ! »

Valya se mit finalement à prendre la parole, toujours apeurée mais elle prenait sur elle, ça se sentait dans sa voix :

« P-partons d'ici. Rester ne fera qu'empirer la situation dans laquelle nous sommes. On doit surmonter cette épreuve et... et on doit avancer !

— Vous ressemblez tant à ma soeur... répondit Céleste.

— J'aimerais juste que cela ne nous arrive pas. Claria avait besoin d'aide mais nous ne l'avons pas vu. Personne n'était au courant qu'elle pouvait se s-suicider... »

Elle a eu du mal avec le dernier mot.

« Lorsqu'on sortira, on ira tout expliquer à la garde de ce monde !

— La police, corrigea Haron.

— On leur dira tout ce qu'il a fait, tout ce qu'on a enduré ! On lui offrira un enterrement digne de ce nom, on présentera nos excuses les plus sincères à ses proches. On la fera vivre au travers de nous ! Je sais que c'est difficile à comprendre, que je suis très souvent compliquée mais je recherche toujours le meilleur côté de ce qui nous entoure. Ce sera un fardeau à accepter, j'en suis consciente, mais nous le porterons tous ensemble et non chacun de notre côté. Et un jour, on réussira à surmonter cette épreuve ! »

J'en avais les larmes aux yeux, plus personne ne parlait.

J'en pleurais parce que je venais de prendre une grosse décision, quelque chose qui allait tout annuler.

Tout recommencer.

« Ce n'est pas la peine ! »

Valya eut un léger cri de surprise :

« Ne t'inquiète pas maître, je serais là pour toi aussi. Je vous aiderais tous !

— Mais le pouvez-vous réellement ? questionna Céleste. Vous vous donnez tant de mal... »

Alors que Valya allait répondre, j'ai hurlé :

« Arrêtez ! »

Cette fois, tout le monde me regardait. Peu importe ce qu'ils allaient me dire, j'avais déjà pris ma décision :

« J'ai quelque chose à vous dire. »

Je pris une grande inspiration, prêt à affronter les conséquences :

« Je peux remonter dans le temps ! Alors je peux tout changer ! Rien n'est moins grave qu'une mort ici ! »

— Quoi ?! »

Seule Valya me répondit, si l'on peut appeler cela une réponse, tandis que j'assistais de nouveau et toujours aussi impuissant à une chute de désormais cadavres. J'avais plus peur de voir la mort que de la vivre... et ce n'est pas normal.

La douleur est une chose mais elle n'est que temporaire, je n'ai qu'à souffrir pendant quelques instants pour recommencer. Pour tous les sauver.

Tout le monde s'est effondré en même temps. Ce bruit lourd de corps tombant sur le sol... Il reste très effrayant, très glauque.

« Attendez, je ne comprends plus rien. Pourquoi est-ce que tout le monde s'est effondré ? Ils-ils vont bien ?!

Pour la première fois, quelqu'un assistait à la mort de tous les autres et était au courant de ce qui m'arrivait, et cette quelqu'un, c'était Valya ! Quelle chance qu'elle ait réussie à ne pas être victime du jeu elle aussi. Je pouvais enfin tout lui dire ! Juste, juste pour quelques instants !

Mais avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, un grésillement d'où je connaissais parfaitement la provenance m'interrompit dans ma démarche :

« Alors tu en arrives à là ? Tu te suicides toi aussi ? En temps normal, j'aurais laissé la petite s'occuper de toi mais je ne pensais pas que tu allais volontairement dire ce que tu ne dois pas. Je pensais que ton égoïsme allait te faire continuer la partie. Tu as bien changé Sorel. Mademoiselle Valya doit bien s'en rendre compte.

— Pourquoi est-ce qu'il parle de suicide ? C'est C-C-Claria qui s'est suicidée ! Pas mon maître ! »

Valya a tant de mal à affronter la réalité, si je pouvais essayer de la lui censurer, je le ferais.

« C'est ce que je subis à cause de lui ! Si je parle de ce pouvoir à qui que ce soit ici, tous ceux qui ont entendu meurent et je suis tué ensuite en guise de punition ! Sauf que ma mort se répète plusieurs fois ! Plusieurs fois ! Tu te rends compte ?!

— C'est... c'est horrible ! Pourquoi vous faites ça monsieur ?! Pourquoi est-ce que vous vous acharnez à ce point sur lui ?! »

J'ai, pour la première fois, assisté à une Valya en colère. Je n'ai jamais vu ça, c'est assez troublant. Toute mon angoisse pour mon futur très proche s'était suspendu pour laisser place à un état que je jugerais d'indescriptible. Une sorte de milieu entre la fascination et la peur.

« Ne pose pas de questions inutiles s'il te plaît. Tu n'aurais jamais dû être ici, je pourrais te tuer si je le voulais.

— Ne la touchez pas ! »

J'ai hurlé de toutes mes forces :

« Si vous voulez me tuer, allez-y ! Je peux supporter la douleur pour créer un meilleur futur ! Mais ne touchez pas à Valya ! Ça n'a rien à voir avec elle !

— Sorel... »

Valya était au bord des larmes, chose que je n'ai jamais vue non plus, et cela ne faisait que renforcer ce que je ressentais actuellement : de la détermination.

« Et pousser une fille qui n'est même pas majeure au suicide, ça vous a bien plus ?! Est-ce que vous savez ce que ça fait d'écouter un discours qui vient du coeur mais qui est complètement effacé par votre mécanisme de voyage dans le temps ?! »

Je le sens également, ma vision se brouille. Je vais rejoindre Valya dans les larmes.

« Et tu sais ce qui me plaît encore plus ? Voir les efforts mis dans ces paroles. C'est quelque chose de très amusant et très stimulant. »

J'avais envie de venir l'étrangler. De le voir souffrir avant de mourir. Je ne comprends toujours pas cette haine qu'il a envers moi. La comprendrais-je un jour ?

Tout le discours de Valya, la réaction des autres qui semblaient traumatisés après la découverte du corps... tout ça allait disparaître en un instant comme si ça n'avait jamais eu lieu. Excepté moi et ce type, personne ne se souviendra des efforts que chacun avait fait pour essayer de surmonter cette épreuve !

Mais je peux changer le cours de notre histoire. J'ai cette capacité malgré moi, je peux remonter dans le temps et les sauver toutes les deux. Il me suffira de prendre le produit à forte dose... et à résister. C'est une femme handicapée, je ne peux pas lui laisser la dose la plus élevée cette fois. Il fallait que je prenne sur moi.

Que j'affronte ce cauchemar une dernière fois avant la fin de la nuit.

« Alors tue-moi ! Qu'est-ce que tu attends ?! Tue-moi et remonte le temps jusqu'avant l'épreuve ! Là, je triompherais ! Tue-moi !! »

Au même moment, je sentis mon poignet vibrer, le regard toujours assez confus, je pus lire ce que j'avais lu la première fois et qui m'avait mis dans un état des plus déplorables :

"Fin prématurée de la partie pour cause de mort de tous les joueurs. Début de la séquence de punition."

Je pensais ne jamais revoir ces lignes, et pourtant...

Le bracelet se resserra et cette sensation horrible me parcourut tout le bras de nouveau, je ne pouvais désormais plus bouger et presque plus parler.

« Sorel ! Qu'est-ce qui t'arrive ?! »

Valya essayait tant bien que mal de me porter mais en vain, j'étais bien trop lourd pour elle. Elle m'a reposé au sol, exténuée de fatigue et de tristesse.

« Qu'est-ce que je peux faire ?! Je veux t'être utile, je suis ta partenaire ! »

Malgré le fait que j'ai déjà eu l'occasion de voir Valya être impuissante face à mon agonie, cela me faisait toujours de l'effet dans le mauvais sens du terme. Elle est toujours si joyeuse, si pleine de vie que la voir dans cet état-là est déplaisant au possible.

« Sorel ! Réponds ! Ne quitte pas ce monde tout de suite ! On a encore tellement de choses à faire, tellement de mondes à explorer ! Je... ne me laisse pas !! »

Ce hurlement déchirant acheva de me briser mentalement, mon corps à, tout seul, décider de s'évanouir mais seulement à moitié. Sûrement sous le coup de la douleur. Le produit ne me tuait pas, il m'immobilisait.

Mais à ce que j'ai pu ressentir ensuite, il arrêtait également le coeur au bout d'un moment. J'étais toujours conscient mais je n'entendais plus rien, seule la vision floue de Valya et la très légère sensation des larmes qui me tombaient sur le visage me rappelaient que j'étais toujours vivant. Sauf que je sentais mon coeur ralentir de plus en plus. De plus en plus.

Puis il s'est éteint. Je ne sais pas si on appelle ça un arrêt cardiaque mais c'est peut-être le cas. C'est comme ça que je suis mort même si je trouvais cette mort bien trop douce...

Un léger flottement et je me suis retrouvé, non pas en face du jeu mais en face de Valya, pleurant à chaude larmes.

C'est comme si mon corps s'était endormi, puis réveillé au même moment. J'assistais de nouveau à Valya me suppliant de me relever, de me battre, de... vivre. Mais j'en étais incapable, j'entendais à peine ses plaintes, tout son chagrin me parvenait en plein coeur. Ce n'est pas une douleur physique que Christophe voulait m'infliger mais bien une torture mentale. Voir et revoir Valya qui me pleure alors que j'agonise et que je ne peux même pas la rassurer. Lui dire que tout ira mieux après. Cela m'était impossible. Je n'avais qu'en face de moi une Valya seule et désespérée, apeurée par la situation dans laquelle elle se trouve.

Et après quelques trentaines de secondes, me voilà de nouveau mort. Exactement de la même manière. Lentement, mais sûrement.

J'ai vécu ce moment de douleur morale quatre fois de suite. Et si c'est moins violent à voir, ça l'est tout autant à ressentir.

En quelques mois, Valya était devenu une amie si chère à mes yeux que je la considérais presque comme une soeur. Une fille avec qui j'aurais grandi. Nous avons les mêmes goûts, les mêmes passions et une grande âme d'enfant malgré notre âge.

La voir pleurer, avoir peur et être incapable de faire quoi que ce soit pour m'aider, pour changer la situation, ça me faisait aussi mal qu'une vulgaire paire de ciseaux plantés dans l'oeil.

Moins gore, moins sanglant mais tout aussi angoissant à expérimenter. Je me rends compte que Christophe pouvait être subtile s'il le voulait. Un homme aussi brillant mais tellement pourri, cela relèverait presque du gâchis...

Qu'est-ce que je suis en train de penser moi ? Si je vois ce type en face, je le tue, sans hésiter. Alors je ne vais pas commencer à avoir de la pitié pour un homme aussi misérable.

Je vais me battre pour tout changer.

Je commence à être habitué à cette sorte de flottement. C'est le signe que je remonte dans le temps j'imagine...

Encore un peu dans les vapes, je suis finalement arrivé là où je devais être après être passé au travers d'une Valya en larmes.

Ce que je vis me fit effet même si je le savais déjà : Claria qui était vivante.

Et c'était un de mes objectifs, car le deuxième n'allait pas être de tout repos puisqu'il fallait que je réussisse le jeu.

Mais tout de même, voir Claria me faisait vraiment plaisir. Même si elle me déteste, je sais que je pourrais lui sauver la vie. Après tout le malheur que je venais de traverser, voir quelqu'un qui était supposément suicidé apporte son lot d'émotions. Je n'écoutais même pas Christophe récapituler pour la troisième fois les effets des médicaments, j'étais presque admiratif face à mon courage mais j'étais d'autant plus déterminé à mieux connaitre Claria et ses problèmes suicidaires. Tout ce que je sais, c'est que ce genre de personne devrait tous avoir au moins une chose :

« Je ne vois pas en quoi cela pourrait révéler le passé de l'un d'entre no- »

Je me suis plongé sur elle pour la prendre dans mes bras. Je sais que c'est le genre de choses que l'on fait lorsqu'on est amoureux ou très proche de la personne mais ce n'était pas de l'amour que je ressentais pour elle mais une profonde et sincère compassion.

Je me devais de la rassurer. De l'empêcher de commettre cet acte de scarification puis de suicide. Il fallait que je fasse tout pour qu'elle comprenne qu'elle n'est pas seule ici.

Claria eut un léger cri de surprise mais elle ne cherchait même pas à se débattre tant la surprise prenait le dessus.

Elle prit finalement la parole :

« Qu'est-ce que tu m-me fais ? P-pourquoi tu-

— Est-ce que tu tuerais quelqu'un qui t'enlace de la sorte ? Si tu me tues, ou qui que ce soit d'autres, tu ne feras que satisfaire Christophe puisque tu lui auras obéi. Rappelles-toi de ce que nous avons lu sur leur jugement face à l'handicapée. Obéirais-tu à quelqu'un qui pense de la sorte ? Écoute, nous tenons tous à toi ici, irais-tu tuer des gens qui s'inquiètent pour toi ? »

Je ne pouvais pas voir le visage de Claria mais je sais qu'elle doit être bouche bée en ce moment. J'ai relâché mon étreinte et me suis mis face à elle, elle ne comprenait toujours rien vu la tête qu'elle faisait :

« Tu peux me détester, j'ai l'habitude de la haine que les gens me portent. Mais laisse-moi te prouver que malgré les mensonges que je suis obligé de faire, je peux être quelqu'un de bien. »

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