21 - Mon influence sur le futur, la mienne et non celle des autres.

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Mourir fait partie de la vie.

Peu importe ce que les gens veulent, la mort est une règle universelle. Elle viendra vers chacun d'entre nous à un moment ou à un autre puisque c'est ainsi que fonctionne le cycle de notre vie.

Mais cela n'a pas besoin d'être mentionné pas vrai ? Tout le monde le sait très bien.

Alors pourquoi est-ce que ça semble échapper à Christophe ?

Créer tout un jeu, avec ses pièges, ses règles et ses participants en se basant sur une chose simple de prime abord : je peux recommencer lorsque je meurs. Je peux changer le destin de n'importe qui en le sauvant puisque j'ai connu le danger à l'avance.

Mais n'est-ce pas sans intérêt ?

Me voir mourir encore et encore a plus été le but recherché ici. Je n'ai pas vraiment sauvé quelqu'un grâce à ce pouvoir. Alors... pourquoi ?

Serait-ce une vengeance ? Et si oui, pour quelle raison ? Dans ma vie, j'ai tout fait pour éviter les gens. Pourquoi aurai-je un rapport quelconque avec ce type ?!

Son jeu ne respecte pas un principe pourtant simple : celui de la mort. De plus, il semble être dirigé directement contre moi. Comme pour me voir souffrir... et c'est d'ailleurs pour ça que je suis le "maître".

J'aimerais comprendre le véritable but de tout ça, pourquoi est-ce que ces gens sont avec moi et surtout, que lui ont-ils fait pour être là également ?

Parce que je ne pense pas que le simple fait de se divertir puisse constituer un argument recevable face à tant de barbarie.

Non... ça doit être... plus profond que ça.

Je demeure inexpressif. Je suis revenu et comme je viens de le sentir : la vibration s'est terminé.

La première chose que j'ai entendue est la voix de Cristophe récapitulant le choix que je devais faire avec cette histoire de chiffre et de dose de son fichu "médicament". J'en ai rien à faire, sa voix me parvient à peine tellement je ne m'y intéresse pas. J'ai l'impression d'être seul dans cette histoire.

Infiniment seul.

La vue de cette personne sur cette plateforme... me désintéresse subitement. Qui sait, je deviens sûrement un monstre insensible mais je n'ai pas envie de la sauver.

Je vais choisir "un". Comme j'aurais dû le faire depuis le début. Et comme Claria me l'avait conseillé. Jouer les héros ici n'a aucune valeur puisque cela peut s'annuler en un claquement de doigts. Dire que je n'avais pas envie d'avoir de "mort sur la conscience" comme je l'ai si bien dit, je me retrouve à sacrifier une personne que je ne connais même pas pour mon propre intérêt.

Je n'ai pas envie de le sauver... tout en ressentant du regret de ne pas le faire. Mon esprit contradictoire ne va vraiment pas m'aider.

Pourtant, j'ai appris une chose importante avant de mourir. Une chose qui va mettre un terme à quelque chose de bien contraignant depuis un bon moment de la nuit.

Christophe vient de finir de parler, et je sens de nouveau la main de Claria se poser sur mon épaule :

« Je ne vois pas en quoi cela pourrait révéler le passé de l'un d'entre nous mais si j'étais toi, je cho-

— Claria. »

En entendant son prénom d'une manière aussi soudaine, Claria se tut.

« Quel sera l'accomplissement que tu auras en me tuant ? »

Je m'étais tourné vers elle en même temps, cette fois, c'est moi qui avais le regard perçant :

« Que-qu'est-ce que tu racontes d'un coup ?! Il te demande de choisir entre "un" et "deux" et je pense qu'il fau-

— Fuir la question n'a aucun intérêt. Réponds-moi. »

Cette fois, je venais vraiment d'attirer son attention puisqu'elle semblait gênée par la question.

« Pourquoi est-ce que tu remets ça maintenant ?

— Quel est l'objectif que nous avons tous ici mis à part s'enfuir ? »

C'est une question rhétorique mais il me fallait sa réponse. Réponse qui vint quelques secondes après :

« Su-Survivre.

— Exact. Mais Christophe lui veut qu'on s'entretue. C'est une condition de victoire alternative qui permettrait à n'importe lequel d'entre nous de sortir dès maintenant. »

Claria baissa les yeux.

« Me tuer reviendait à l'écouter. À obéir à ses lois, ses ordres. Est-ce que tu ferais vraiment ça sachant qu'il fait subir de tels traitements à des handicapés ?! »

Échec et mat Claria.

Dire ça me permettait de lui faire comprendre qu'il ne fallait pas qu'elle me tue ce qui allait permettre l'union de notre groupe facilitant alors grandement notre survie.

« Sache-le Sorel, jamais je n'aurais voulu tuer quelqu'un... si tu n'étais pas un menteur... ! Ce que tu dis est vrai... je... je comprends oui. Te tuer reviendrait à écouter ce type mais... argh ! Tout s'embrouille dans ma tête ! Pourquoi a-t-il fallu que tu sois comme ça ?! »

Ce que j'aimerais répondre tient en quelques mots : "ce jeu m'oblige à mentir". Mais cela ne ferait qu'aggraver la situation puisque je serais incapable d'expliquer pourquoi sans parler de ce pouvoir. Mais une question me titille depuis longtemps :

« Pourquoi tu détestes autant les menteurs ?! Je sais que ce ne sont pas des bonnes personnes mais de là à vouloir les tuer... »

Cette question eut l'effet d'un électrochoc, le visage de Claria se mit à prendre une expression incroyablement haineuse et sombre.

Les yeux baissés, elle répondit presque en chuchotant :

« Parce qu'ils me rappellent la personne que je déteste le plus sur cette terre. »

J'avoue que celle-là, je ne l'avais pas vu venir.

Claria aurait donc un ennemi, quelqu'un qui a dû lui faire du mal et à en croire la tête qu'elle fait actuellement, ce type doit être la pire des ordures pouvant sûrement rivaliser avec Christophe.

J'étais pris de court, dans l'incapacité de lui répondre alors elle continua :

« Tu me rappelles sans cesse cette personne. Et c'est pour ça que je te hais autant. Mais... je ne pense pas te tuer si ça revient à écouter Christophe. Cependant, il faudra que tu changes pour que je te considère comme un ami. »

Crois-moi, je ne changerais pas juste pour plaire à une seule personne mais le pire, c'est que je n'ai même pas besoin de changer ! Je déteste mentir moi aussi mais j'y suis obligé ! On serait sûrement amis si nous nous étions rencontrés à l'école ou à un autre endroit !

Malheureusement, le destin en a décidé autrement.

C'est avec détermination que je me suis avancé vers la poutre que j'ai réussi à soulever seul puis à déposer, après que les vitres se soient baissées, pour qu'elle forme un pont entre nous et la personne pendant que Claria semblait perdue dans ses pensées.

« Écoute-moi Claria, je suis peut-être un menteur mais je peux t'assurer d'une chose, on sortira d'ici vivant tous ensemble ! Christophe, je choisis "un".

— Très bien. Je commençais à m'ennuyer. »

Je n'ai pas entendu qui que ce soit réagir derrière la porte, je me demande ce qu'ils pensent de ce que je viens de dire...

Malheureusement, je ne me poserais pas la question longtemps puisque mon bracelet se serra puis ce liquide glacial se mit à couler dans mes veines. La quantité est cependant bien inférieure.

Les tremblements arrivèrent assez vite avec cette sensation de froid mais elle était beaucoup moins puissante qu'avant. Ça au moins, Christophe n'avait pas menti là-dessus.

« Est-ce que... le produit fait effet ? » demanda la timide voix de Céleste.

— Oui. »

M'étant positionné devant la planche, je me suis assis comme l'avait suggéré Claria qui me fixait toujours pensive.

Je pouvais contrôler les tremblements, ils étaient désagréables et j'aurais sûrement du mal à marcher droit mais je pouvais avancer sans tomber bien qu'assez lentement.

J'étais parti, une idée fixe en tête : récupérer la clé.

Et c'est à ce moment-là que je me suis souvenu de la conséquence qu'avait mon choix : en regardant la personne, je pouvais m'apercevoir que ses spasmes étaient incontrôlables !

Celle-ci avait l'air de se débattre tant les effets du produit étaient puissants ! Est-ce de ça que j'avais l'air ?

Être témoin de cette scène était bien trop pour moi, si voir une personne endurer une telle souffrance était pour beaucoup dans le malaise que je ressentais, savoir que je pouvais perdre la clé si elle venait à tomber et mourir ne faisait qu'accentuer le tout.

« Qu'est-ce qui lui arrive ?! Pourquoi il bouge comme ça ?! Fais gaffe Sorel... il pourrait te pousser sans faire exprès. »

Claria le voyait aussi mais ça ne semblait pas la choquer plus que ça. Comme si voir des gens dans des états pareils était normal pour elle.

Ou alors, elle cache bien sa peur.

Mètres après mètres, je traversai la poutre tant bien que mal malgré l'agitation frénétique de tous mes membres.

Ce n'était pas très puissant mais ça l'était assez pour me troubler. C'est assez gênant pour garder l'équilibre mais j'étais assis ce qui fait que j'avais un solide appui m'empêchant de tomber.

Je pense que j'aurais pu passer comme ça avec la dose plus importante même si ça aurait été difficile.

Malgré une progression plutôt lente et sûrement un peu ridicule d'un point de vue objectif, je me suis rendu compte que j'étais déjà aux trois quarts de la poutre, la personne se tenait à à peine quelques mètres de moi.

Brrr... ces geignements sont incessants et ils ne sont pas assez forts pour permettre de connaître son sexe. Comme je suis plus près, je les entends mieux et ce n'est pas franchement quelque chose dont j'ai envie.

« T'y es presque, me rappela Claria comme si je ne m'en étais pas rendu compte, attrape la clé et envoie-la-moi !

— Que-quoi ? Tu penses que j'aurais assez de force pour t-te l'envoyer ?!

— Crois-moi que vu le poids que tu fais, tu y arriveras très facilement. »

Je ne prends pas ça comme un compliment.

Tout en marmonnant contre moi-même, j'ai fait de mon mieux pour atteindre mon objectif qui n'était plus qu'à un ou deux mètres...

Mes mains me faisaient mal, les tremblements me fatiguaient, ils sont relativement faibles mais ils ne s'arrêtent pas alors c'est très difficile de faire quelque chose de précis comme par exemple attraper la clé. Alors pouvoir viser et lancer, j'en parle même pas...

C'est avec ces pensées négatives que j'ai posé ma première main sur la plateforme, puis la deuxième : j'y étais !

J'étais enfin arrivé au bout de cette maudite poutre qui me faisait avoir un vertige pas possible à cause du produit. La plateforme est effectivement assez petite, même vue de près : on ne pourrait pas y tenir à plus de deux.

Et je ne pense pas qu'on pourra tenir tout court si ses tremblements ne s'amenuisent pas dans les minutes qui viennent...

Je sais que je me le suis déjà dit mais maintenant que je vois la personne de près, cela m'effraie d'autant plus : est-ce à ça que je ressemblais ?

Un frisson me parcourut l'échine tandis que Claria m'extirpa de mes pensées :

« La clé ! Pense à ça, c'est notre priorité ! »

Il fallait que je soulève la couverture pour cela. Que je voie de quel genre de personne il s'agit mais vu ce qu'on a déjà vécu, ça sera sûrement un autre employé.

Même si les spasmes me font mal au coeur à voir...

Je me suis accroupi pour commencer à retirer le drap lorsque je me suis rendu compte d'une chose effroyable : une roue !

Il y avait une roue !

Cette personne est totalement assise sur un fauteuil roulant !

« C-Claria... ! On a un problème... un gros problème !

— Quoi ?! »

En voulant ouvrir la bouche, je me suis retenue : elle qui accorde autant d'importance à des personnes handicapés, que fera-t-elle si elle apprend que la personne dont nous devons prendre la clé est en chaise roulante ?

« Alors... ? Qu'est-ce qu'il y a Sorel ?! »

Oh et puis zut ! Elle doit savoir !

J'ai alors retiré le drap d'un coup rapide pour qu'elle s'en aperçoive. Celui-ci s'envola doucement puis plana quelques secondes dans les airs avant de finir sa chute sur plusieurs pieux.

J'étais toujours tourné vers la personne ce qui fait que j'ai été le premier à la voir :

je pouvais déjà constater que c'était une femme vue les cheveux qu'elle avait (ou bien un homme, certains ont des cheveux longs) mais la poitrine, elle, ne faisait aucun doute quant au genre de la personne.

Sauf que c'était les seuls éléments visibles de la personne. Tout le reste du corps était couvert par des vêtements bien épais et son visage avait un masque attaché par des sortes de sangle.

Vu ma situation, je ne pouvais pas les retirer mais je pouvais apercevoir notre objectif : sur son cou se trouvait un collier avec la clé attaché.

D'un coup sec, j'ai arraché la clé à la femme qui semblait trembler toujours plus à mesure que le temps passait ce qui n'arrangeait pas la situation.

« Sauve-la. »

Une voix glaçante me transperça, je ne sais pas si j'avais plus peur de ma situation ou du ton que venait de prendre cette voix, voix qui est celle de Claria :

« Je vais prouver à cette pourriture qu'un handicap moteur n'est pas une raison pour se désintéresser d'une personne. Alors je vais te demander par principe de ramener cette personne ici. »

J'avais beaucoup de questions et de réflexions en tête mais une seule me venait à l'esprit immédiatement : est-ce que décider de la vie d'une personne par caprice est une bonne chose ?

Quoi qu'elle dise, il faudrait la sauver.

Mais c'est moi il y a de cela quelques minutes qui ne voulait pas "jouer les héros". Je ne sais pas quoi faire, ni quoi penser...

Mmh... mon petit doigt me dit qu'il faudrait mieux sauver cette femme. Éthiquement parlant, certes, mais également parce que je veux savoir ce que Claria nous cache avec son histoire de handicapé.

Mon esprit contradictoire est vraiment énervant.

« Écoutez Madame, nous allons devoir passer cette poutre sans tomber. Je vais vous porter pour vous asseoir dessus. Faites "oui" de la tête si vous me comprenez. »

La femme semblait me regarder droit dans les yeux et malgré les tremblements qui rendaient difficile une réponse, celle-ci hocha lentement la tête.

« Très bien. Je vais vous porter. »

Malgré mon état, j'étais toujours en mesure de porter une dame qui n'était pas très lourde même si cela restait assez compliqué.

Je l'ai donc soulevé avec un bras en dessous des genoux et l'autre derrière le dos puis d'un geste lent et un peu hésitant à cause de mes tremblements, je l'ai posé à cheval sur la poutre.

Sauf que la femme ne voulait pas me lâcher, elle hurlait mais son masque empêchait le son de sortir. Elle avait peur et c'était compréhensible, moi aussi, j'avais eu peur lorsque j'avais été sous l'emprise du produit avec la dose forte.

Elle m'agrippait de toutes ses forces et je sentais qu'elles étaient faibles... Si Claria a vu juste, cette femme ne peut pas marcher ou en très difficilement capable mais elle peut bouger ses bras et donc ses mains ce qui fait qu'elle pouvait avancer sur la poutre.

« Madame... lâchez-moi. On ne va pas p-pouvoir bouger comme ça. »

Cela faisait plus de deux minutes que nous étions en train de trembler et le produit ne semblait pas s'estomper donc nous avions encore du temps.

Faire l'aller était "simple", le retour va être compliqué.

Si je devais m'occuper de moi-même lors de l'aller en faisant attention et en gardant mon équilibre, je devais à présent le faire en double puisque les tremblements de la femme rendaient la tâche bien plus difficile. Après tout, je suis le "maître du jeu"...

« Claria ! Je vais t'envoyer la clé ! Attrape-la mais fais attention à ne pas la faire tombe- arrêtez de bouger madame ! »

Je me suis interrompu quand j'ai vu que ses tremblements s'intensifiaient puis je me suis sentis stupide de lui dire d'arrêter puisqu'ayant été moi-même victime de ses effets dévastateurs, je ne peux que comprendre ce qu'elle vit.

Il m'était difficile de ne pas la lâcher et mes forces étaient amoindries mais j'ai réussi, d'un geste rapide, à lancer la clé vers Claria qui l'attrapa au vol. Je l'avais même lancé un peu plus loin comme quoi...

Ses hurlements reprennent de plus belle. Il y avait quelque chose qui la dérangeait ! Ce n'est pas possible de se débattre autant ! Est-ce qu'elle avait mal quelque part ?! Si seulement je pouvais lui enlever, si seulement je ne tremblais pas moi aussi...

Il me suffisait de regagner la salle où il y avait Claria. Je devais avancer à tâtons, guetter la moindre faiblesse de la part de la dame.

Je devais, plus que jamais, remplir mon rôle.

La progression se faisait lentement... très lentement. Je devais toutes les trois à quatre secondes la redresser parce qu'elle commençait à se pencher dangereusement sur la droite ou sur la gauche, je pouvais quand même voir qu'elle donnait tout ce qu'elle avait tout en hurlant des choses que seule elle pouvait comprendre malheureusement...

Au bout de deux minutes, nous étions à à peine un peu plus de la moitié ! Je commençais à trembler, non pas à cause du produit, mais parce que l'effet pouvait s'arrêter à tout moment ! Il fallait que nous nous dépêchions !

Alors que je pensais à cela, le haut-parleur grésilla.

Mais contrairement aux autres fois où seul la voix sournoise de Christophe se faisait entendre, ce n'est pas ce que nous avons entendu...

En effet, provenant des haut-parleurs, une douce mélodie au piano se joua. Cela ressemblait à une berceuse mais en légèrement plus rapide. Bien que ma culture dans ce domaine soit très moindre, je peux deviner qu'il ne s'agit pas de quelque chose de connu.

Elle est plutôt jolie à écouter mais l'entendre alors que je suis en train de commencer à paniquer à cause du temps que nous mettons pour traverser cette maudite poutre n'est absolument pas plaisant.

Au contraire, c'est effrayant.

Si ma réaction n'a pas été très importante, celle de la dame handicapée, elle, a été l'exact opposé : celle-ci commença à se tortiller dans tous les sens et à hurler à en cracher ses poumons. Sa voix étouffée, bien que partiel, me faisait comprendre qu'entendre cela ne lui plaisait mais alors pas du tout.

« Qu'est-ce qu'elle a ?! Bordel de- Claria ! Tu peux essayer de la calm- »

Je n'ai pas terminé ma phrase. En relevant la tête, je pouvais voir le regard de Claria... comme changé. Je n'apercevais plus cette lueur qui étincelait et qui était la cause de son regard si profond, ce n'était rien de plus qu'un regard choqué... mais vide. Comme...

...dépourvut d'âme.

« Aaaaah ! Quelle douce mélodie tu ne trouves pas Sorel ? »

Alors que j'étais encore en train de me débattre avec la dame handicapée tout en me posant des questions sur la "Claria" que je venais d'apercevoir, voilà que cette ordure se ramène !

« Eh oh ! Pourquoi on entend de la musique ? Ehh ! faisait la voix étouffée d'Haron.

— Vous avez appuyé sur quelque chose ? continua Céleste avec un ton de voix inquiet.

Je ne voulais pas répondre puisque mon esprit était bien trop occupé entre les tremblements du produit, la dame qui se débattait comme une lionne et Claria qui agissait bizarrement.

« Claria ! On est presque au bord ! Tends-moi la main ! Aide moi !! »

Mes vociférations étaient vaines, tout ce que fit Claria, c'est mettre ses mains sur ses oreilles. Sans changer son expression de visage. Comme un robot.

« Qu'est-ce que tu fous ?! »

Sûrement à cause de mon stress, de mon inattention de seulement quelques millisecondes, de ma fatigue grandissante. Je pourrais trouver mille raisons à ce qui suivit : la dame bascula sur le côté.

J'ai alors tenté de la rattraper avec mon bras le plus vite possible... mais comment faire cela en moins d'une seconde tout en se tenant à la poutre sachant que l'on tremble ?

La réponse est bien simple : on ne peut pas.

C'est impuissant que j'ai assisté à la mort d'une personne dont je ne connaissais que les cris de douleur et de peur.

Mort qui fut rapide à elle aussi : un pieu s'est directement logé dans son crâne, lui transperçant le globe oculaire droit au passage. Ce n'était pas tout, en tombant, ils avaient découpé une partie du masque. Les lambeaux de peaux et de tissu se mélangeaient formant une combinaison affreuse. Le sang giclait déjà à intervalles réguliers.

L'immondice de ce que je voyais était sans nom, la musique douce et enfantine que nous entendions en arrière-plan rendait cette scène doublement atroce à voir. Je commençais à me sentir nauséeux...

Dépité, j'ai pu tout de même apercevoir une bonne partie du visage à moitié découvert : une femme âgée sûrement d'une trentaine d'années avec un visage figé dans la terreur. On pourrait croire qu'elle est morte de peur mais la vue du pieu lui transperçant littéralement le crâne nous vaccine contre l'idée de penser de la sorte.

J'étais à seulement un ou deux mètres de mon objectif, grâce à moi, nous aurions pu nous en sortir tous ensemble et cette femme aurait pu servir d'informatrice parce que j'imagine qu'elle n'est pas là sans raison... à moins qu'elle ne soit comme nous.

En quelques secondes, j'ai réussi à rejoindre Claria. Elle n'avait pas bougé d'un poil, elle était exactement dans la même position. Je suis presque certain qu'elle n'a même pas vu ce qui vient de se passer.

Encore un peu tremblant, je me suis approché pour lui mettre la main sur l'épaule :

« Eh... ! Qu'e-

— LAISSE-MOI TRANQUILLE ! »

Ce hurlement me fit sursauter d'au moins deux pas de distance, je ne m'attendais vraiment pas à ce qu'elle me crie dessus.

Elle semblait d'ailleurs choquée par ce qu'elle venait de faire, c'est en se mettant deux grosses gifles sous mes yeux éberlués qu'elle se mit à répéter très rapidement en chuchotant :

« N'oublie pas de sourire. N'oublie pas de sourire. N'oublie pas de sourire. »

Elle n'arrêtait pas, elle était perdue. Sa respiration était bien trop prononcée pour quelqu'un qui ne bougeait pas.

« Sorel ?! Pourquoi Claria vient d'hurler ?! »

Comme pour lui répondre, les portes qui nous séparaient du groupe se sont ouvertes d'un seul coup, le lourd fracas des portes fit écho dans tout le couloir.

Tout le groupe s'est précipité à l'intérieur à vitesse grand V. Les questions fusèrent :

« Qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi ce hurlement ? Est-ce que quelqu'un est blessé ? »

Je ne pouvais pas répondre à toutes les questions en même temps, alors j'ai pointé du doigt Claria :

« Je sais pas ce qu'elle a... »

Céleste s'approcha puis s'agenouilla :

« Claria ? C'est moi, Céleste. Est-ce que vous allez bien ? »

Tout en parlant, Céleste approcha sa main vers la tête de Claria qui continuait de répéter cette phrase le visage caché derrière ses mains.

BAF

La main de Claria repoussa d'un coup sec celle de Céleste qui était encore hésitante ce qui déclencha un sursaut général.

Elle commençait à m'énerver :

« Bon, c'est quoi ton problème ?! Je sais que c'était une handicapée mais j'ai rien pu faire ! T'avais qu'à m'aider si tu tiens tant que ça à eux ! »

C'est en finissant ma phrase que je me rendis compte qu'elle était horrible...

Céleste leva le doigt :

« Je suppose que c'est cette mélodie qui est responsable de son état. »

Ah oui... je l'avais presque oublié tant elle ne m'intéressait pas lorsque j'étais encore sur la poutre. Elle faisait partie pour moi de l'arrière-plan et pourtant, c'est loin d'être normal.

Des grésillements nous firent lever la tête, ce sont CES grésillements :

« Alors, alors ? On n'a pas réussi à la sauver ? Bah après tout, il ne vous faut que la clé, dites-vous bien qu'elle a servi de sacrifice.

— Elle... est morte ? »

Nous nous sommes retournés vers Claria qui n'avait pas entendu ce que je lui avais dit :

« Je viens de te le dire. »

C'est lorsque Claria s'est tournée vers moi que je me suis rendu compte d'une chose que j'aurais dû détecter depuis le début : Claria... se force à sourire.

Tout. Le. Temps.

C'est en voyant le sourire forcé qu'elle me faisait que je l'ai compris, pas une seule fois ses sourires n'étaient véritables. Ils n'étaient qu'une façade.

Un masque.

« Quelle douce mélodie vous ne trouvez pas ? Un piano si mélancolique, symbole d'un bonheur passé.

— Est-ce que vous voulez dire... que cette musique est liée à Claria ? Ou plutôt à son passé ? »

La réplique de Céleste étonna tout le groupe mais maintenant qu'elle le disait, tout faisait sens : sa réaction, les paroles de Christophe, tout !

« Oh ? J'ai dit ça moi ? »

L'air idiot qu'avait sa voix était loin de nous faire rire.

« M-mais je comprends pas... comment une musique peut déclencher une réaction pareille ?! Et pourquoi l'avoir mise sur les haut-parleurs ?! Je croyais que c'était moi que vous visiez ! Pourquoi s'en prendre à elle ?!

— Sorel. Chaque chose à son importance, en l'atteignant elle, je t'atteins toi.

— Je... je comprends pas ! »

Christophe éclata de rire, puis repris :

« Ne t'en fais pas, tu comprendras très vite ! Bien plus vite que tu ne le penses.

— Bordel ! Vous pouvez pas être clair au moins une fois dans votre vie ?!

— Ce sont des réponses que vous cherchez. Vous pensez vraiment que je vais tout le temps vous les apporter ? Il suffit de regarder le jeu que j'ai mis en place. »

Céleste, qui semblait bien plus sérieuse que d'habitude, fit quelques pas en avant en direction du bord. Elle mit quelques secondes à contempler le désastre sans dire mot.

C'est d'ailleurs au même moment que je sentis mon pouls ralentir et mes tremblements cesser, le produit ne faisait plus effet !

« Je comprends encore mieux la difficulté de l'épreuve que vous avez dû traverser Sorel. Et je pense avoir saisi le but... enfin, je pense.

— Déjà ? s'étonna Ophélia.

— C'est quoi ? demanda Haron

— La personne visée n'était pas seulement Sorel mais également celle gisante en bas. Les deux participaient. Si je me souviens bien, l'un a le produit à forte dose, l'autre à dose moindre. L'un peut donc se déplacer sans trop être gêné mais il doit donc faire constamment attention à l'autre qui est dans un état critique nécessitant de l'aide. Une personne qui tremble presque autant qu'un épileptique aura, bien évidemment, les plus grandes difficultés à se déplacer. »

Céleste se tourna vers la caméra fixée dans l'angle de la pièce :

« Le piège avec la roulette russe avait pour unique but de piéger le malheureux trop curieux qui s'y aventurerait, celui-ci était uniquement faisable par Sorel et les règles impliquent que les deux y participent quoi qu'il arrive. S'ils peuvent mourir aussi facilement, c'est que c'était le but recherché ! Je ne pense pas que la mise en place d'un tel mécanisme ait été fait pour la même raison que la roulette russe. Pour une raison que j'ignore encore, vous essayiez de vous débarrasser des deux en même temps ! »

C'est rare d'être capables d'entendre Céleste parler fort mais c'est d'autant plus terrifiant... Je restais mi admiratif devant une telle capacité de déduction, mi effrayé par le sérieux de sa voix.

« Eh bien ! Je suis content de savoir que tu es celle qui a le plus de jugeote ici. Ça m'évitera de faire des indices barbants. »

Lorsque je me suis tourné vers Claria, je pouvais la voir trembler. Peut-être qu'elle sanglote ? Impossible d'entendre quoi que ce soit de toute manière à cause de la musique qui tourne toujours derrière Christophe...

« Pourquoi faire cela ? Pourquoi cette pauvre personne méritait-elle la mort selon vous ? Et pourquoi cette... musique... »

Céleste se figea. Elle avait l'air d'avoir compris quelque chose... d'important. Quelque chose de si important que cela semblait la troubler.

Je me suis approché :

« Euh... ça va ? »

C'est sûrement la pire des phrases qu'une personne pourrait sortir dans cette situation.

« Je... je crois que... je...

— Quoi ? Articule. »

Céleste serra ses petits poings :

« C-comment s'appelait cette personne ? »

Cette question, sorti de nulle part, apporta la confusion générale.

« On s'en fiche... elle est morte de toute façon... marmonna tristement Ophélia.

— Non. Son nom est important ! Je veux connaître son nom ! »

Céleste était déterminée, mais en même temps apeurée. Je ne comprenais pas pourquoi...

« Il semblerait que je ne peux rien vous cacher mademoiselle Nyakoa. L'identité de la personne joue un rôle fondamental. »

Pardon ?! Connaître son nom est certainement la dernière chose que j'aurais demandée et voilà que l'on apprend que c'est essentiel pour comprendre ce jeu !

« Qui est-elle alors ?! Comment elle s'appelle ?! ai-je hurlé en direction de la caméra.

— J'ai pourtant dit que je n'apportais pas les réponses sur un joli plateau d'argent... Mais je dois dire que mademoiselle Nyakoa mérite une récompense pour avoir trouvé aussi vite que cette personne était également importante. Bon, je vais être fair-play.

— Alors ?! »

Un léger silence de quelques secondes, un silence lourd qui me permit de confirmer mes craintes : Claria était en train de pleurer.

C'est lorsque nous nous sommes tournés vers elle que la voix de Christophe se manifesta à nouveau :

« Cette femme était mère d'une fille et d'un garçon, elle était âgée d'exactement trente-quatre ans. Son anniversaire était le 27 juillet 1985 et elle était de groupe sanguin A+.

— Accouchez ! ai-je hurlé excédé.

— Hahaha... »

Le rire moqueur de Christophe qui ne faisait que s'amuser avec nous me rendait fou !

« Cette femme s'appelait Élisabeth... »

Christophe retint son souffle quelques secondes, puis termina d'une façon brutale :

« Élisabeth Ymise. »

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