14 - Mon amertume, la mienne et non celle des autres.

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J'entends une voix.

Une voix qui m'appelle, me transperçant le coeur. Une voix pénétrant dans les pensées les plus profondes de mon pauvre esprit.

Mais celle-ci ne semble pas normale, elle... hurle.

Ce sont des hurlements que j'entends.

Je ne comprends rien. Plus rien. Et ce depuis le début de cette nuit fatidique.

Depuis mon retour, je n'ai même plus envie de continuer de "jouer". Je l'ai dit : ce jeu n'a aucun intérêt si je sais que je ne mourrai jamais.

Et maintenant, alors que je suis effondré au sol, je me mets à rêver de ça. Mais... est-ce que je rêve vraiment ?

Ces cris sont extrêmement étouffés, j'arrive à peine à les percevoir. Mais je peux entendre mon prénom, et ce n'est pas la seule chose qui me préoccupe...

Cette voix me donne des frissons d'effroi.

Bien sûr, des hurlements feraient frémir n'importe qui mais... je ne saurais dire pourquoi, l'effet semblait décuplé. Comment est-ce que j'arrive à avoir autant peur d'une voix que j'entends à peine ?

Ça me fait penser à la silhouette que j'avais aperçue la dernière fois, celle-ci m'était, pour une raison qui m'échappe, très importante et la vue de celle-ci s'égarant dans l'horizon m'avait fortement éreinté le coeur.

Pourquoi les rêves que je fais ici sont toujours accompagnés d'une émotion forte ? Et pourquoi sont-ils aussi flous ?

Je n'arrive pas à réfléchir, j'ai toujours les ressentis de ma dernière mort. Je ne pouvais pas crier. Je ne pouvais rien faire, j'étais impuissant. Je ne pouvais que subir silencieusement.

Mon esprit s'embrouille de plus en plus, cette voix me donne envie de sortir tout ce que je ressens actuellement : peur, stress, dégoût, haine, frustration...

Tous ces sentiments affluent à l'entente de ces hurlements. Je pense que ce que j'ai ressenti lorsque je suis mort refait surface à travers ce rêve mais... pourquoi est-ce que cette voix me donne autant la chair de poule ?

Est-ce quelque chose que j'ai entendu lorsque je me faisais tuer ? Est-ce autre chose... ?

Je n'en sais rien. Tout ce que je demande maintenant, ce sont des réponses à tout cela. Il y a de cela quelques heures, ma vie était normale et maintenant, je subis une torture mentale et physique depuis à peine une nuit !

Tout ça ne pourrait sûrement jamais se terminer.

Ces hurlements ne s'arrêtent pas. Ils ne cessent de m'appeler sans que je puisse rien n'y faire. J'ai l'impression... qu'ils ont besoin d'aide.

Mais si je ne peux aider de simples personnes dans un jeu qui est un huis clos, alors comment suis-je supposé sauver une voix dans ma tête ? Je n'arrive pas à comprendre ce que je vis.

Je... je crois que je viens de penser à quelque chose qui me laisse encore plus dans l'incompréhension : et si ce que j'entends maintenant étaient... mes souvenirs ?

bzzzt

Avant que je puisse réfléchir à quoi que ce soit, une vibration me rappela à la réalité. Est-ce que j'étais de nouveau mort ?

Il fallait sûrement que je réagisse d'une meilleure manière, que je me force à créer des réactions appropriées. Que je les rassure en jouant mon rôle. C'est ce que je représente ici. Une figure de confiance, quelqu'un qui doit les guider, quelqu'un qui doit prendre les décisions pour le groupe.

Les bonnes décisions.

Mais il m'est impossible de faire ça maintenant.

Mes pensées se mélangent, je pense à ces cris, je pense à cette silhouette, je pense à Valya qui me criait de "rester en vie." avant que je ne meure.

Je n'ai même pas envie de me réveiller, je sens mes yeux qui brûlent des larmes qui commencent à couler. Je commence à entendre les voix dans la pièce.

Alors, je suppose que je ne suis pas mort. Mais bon, je m'en fiche. Que je sois vivant ou mort, mes sentiments sont les mêmes : j'ai déjà abandonné. Peu m'importe maintenant.

Je me force à ouvrir les yeux, c'est assez difficile quand l'envie n'est même pas là mais j'y parviens malgré tout.

Tout est encore flou alors je me redresse assez lentement pour y voir plus clair.

Et je vois Claria juste devant moi, le visage bien trop proche. J'ai mis quelques secondes à me rendre compte que j'avais également le t-shirt relevé. De base, je me serais énervé ou j'aurais sûrement été gêné mais là, je ne ressentais plus rien si ce n'est l'envie d'abandonner.

L'envie de tout arrêter.

« Je peux savoir ce que tu me fais ? » ai-je demandé tout en me fichant complètement d'une réponse potentielle.

Claria se recula d'un seul coup, l'air visiblement agaçé :

« Alors d'abord, c'est pas du tout ce que tu crois hein ! C'est-

— Je suis censé croire quoi au fait ? Je me fiche de ce que tu me fais tant que ça ne me nuit pas. »

J'ai tellement une intonation triste dans la voix que Claria en est venu à faire une expression plus douce :

« Qu-qu'est-ce qui t'arrive de toute façon ? Pourquoi tu pleurais quand tu t'es évanoui et... pourquoi même maintenant ? »

Je ne me rendais pas compte du fait que mes yeux étaient humides, à vrai dire, j'avais perdu toute importance à ce genre de détail.

« Je ne pleure pas. Je ne pleure jamais. »

Ma voix trahissait le contraire.

« Qu'est-ce que ça peut te faire de toute façon ?! Qu-

— Sorel ! J'ai eu tellement peur pour mon maître !! Ne me refais jamais ça ! »

Je n'avais même pas remarqué Valya juste à côté de moi, celle-ci avait les poings serrés. Elle agrippait fortement son haut en tremblant.

« Qu'est-ce qui s'est passé durant... mon "absence"... »

Ma question eut plus d'effet que je ne le pensais puisque Valya baissa les yeux sans répondre... et étonnamment, celle qui répondit fut Céleste :

« Elle est restée très silencieuse tout le long, à vrai dire, j'avais presque oublié sa présence. Elle s'inquiétait beaucoup vous savez... Mais je suis heureuse de voir que vous allez bien... »

Céleste avait tourné la tête ailleurs en terminant sa phrase, l'air gênée.

« Exactement ! J'ai eu tellement peur ! Je croyais que c'était grave mais maintenant que tu es là, je suis rassurée ! Mon maître ne peut pas mourir après tout hahaha ! Je n'ai qu'à le soigner si ça venait à empirer. »

Ces derniers mots me firent un pincement au coeur.

J'étais déjà trop embrouillé pour penser à quoi que ce soit maintenant, j'étais trop préoccupé par cette voix qui m'avait rappelé la silhouette : quelles en sont les significations si ce sont des souvenirs ? Je n'ai jamais vécu une chose pareille mais je ne vois pas d'autres explications.

À moins que je me mette à avoir des hallucinations, que je me mette à devenir aussi taré que cet endroit.

« Enfin bref, je ne sais pas ce que t'essayais de faire à me déshabiller mais sache que je ne suis pas consentant. »

Mon ton de voix bien trop sérieux pour ce qui ressemble à une plaisanterie fit grimacer Claria :

« Mais puisque je te dis que je n'allais rien faire, c'est, disons, un enchainement d'événements qui ont conduit à- oh et puis zut quoi ! Je t'ai portée durant pratiquement trois heures alors soit au moins reconnaissant ! » cria presque Claria tout en me pointant du doigt.

« Vous auriez juste dû me laisser... » ai-je marmonné assez bas.

— Quoi ? Qu'est-ce que t'as dit ? »

Soupir de ma part.

« Rien. »

Quand je me rends compte que je n'arrive même pas à m'attacher à ces personnes... leur mort est quelque chose de certes horrible à voir mais cela me marque par la violence de l'action et non par l'action en elle-même.

Leur décès devient... un détail.

Alors... pourquoi est-ce que je suis aussi triste ? Pourquoi ai-je perdu toute motivation, toute détermination ?

« Enfin bref, j'aimerais aussi savoir pourquoi tu t'es effondré par terre. J'ai dû te porter tout le long avec Claria et le faire pendant qu'on entend ces ciseaux derrière nous est assez éprouvant surtout pour moi... Dis nous Sorel, est-ce que tu es quelqu'un qui mange assez ? »

Haron avait l'air tellement sérieux dans sa question, est-ce vraiment ce qu'il pense ?

« Mais non ? Maintenant que j'y pense, ça a dû être un manque cruel de mana ! Il faut penser à te recharger voyons ! »

Valya joignit ses mains tout en me regardant d'un regard inquiet :

« Ne me refais plus ça... maître. »

Je ne savais pas comment réagir, beaucoup trop de choses se passaient dans ma tête en même temps et il fallait que je règle chacune de ces choses une par une.

« Si ça peut vous rassurer, je me nourris correctement. »

Tous me regardèrent, ahuris :

« Hein ? Alors pourquoi est-ce qu-

— Désolé de vous avoir handicapé. »

Tout en coupant la parole à Claria, j'ai refermé mon gilet puis je me suis relevé pour observer l'endroit :

ils étaient dans la pièce de réunion. Enfin, celle qui y ressemble beaucoup. Rien n'avait changé.

C'est dans cette fameuse pièce que... urgh !

J'eus soudainement un mal de crâne assez intense, toute la violence de la scène me revint dans le visage de plein fouet. Je suis vraiment censé agir comme si de rien n'était ?

Et maintenant que j'y pense, je suis sûr que ce sale gosse souriant est par là aussi !

Je devais avoir l'air étrange puisque Claria le remarqua :

« Ok Sorel, je sais pas ce qui t'arrive. Tu t'es effondré comme ça au milieu d'une discussion et tu ne donnes aucune explication. Et maintenant, tu agis comme si on nous observait. La fillette n'est pas là, tu sais très bien qu'il faut être silencieux de toute façon. Alors arrête de flipper parce que ça risque d'être c-contagieux après... »

La voix de Claria eut un léger sursaut sur la fin, je suppose qu'elle a peur elle aussi et c'est normal puisqu'on est poursuivi par un démon ! Une créature à l'apparence de petite fille qui peut se régénérer en plus !

C'est quoi ce monstre de jeu vidéo sérieusement ?! J'en ai ras-le-bol de me trouver devant de plus en plus de questions !

« Tu peux dire ce que tu veux Sorel mais le fait de t'évanouir comme ça, c'est super bizarre et assez inquiétant... marmonna Ophélia

— Tu sais ce qui est plus inquiétant ? C'est la situation dans laquelle on se trouve ! J'ai besoin de te rappeler qu'on se fait traquer par une tarée avec une paire de ciseaux et une hachette ?! Tu peux te remémorer le fait que j'ai failli y passer à cause de cette blessure ?! T'as remarqué à quel point on est... complètement impuissant face à elle ?! J'ai l'impression que personne n'a peur ici ! »

J'ai aperçu Valya baisser les yeux, elle a dû être déçue en voyant que son ami est aussi trouillard.

Mais je m'en fiche ! Toute la frustration que j'ai accumulée est ressorti, je tuerais presque quelqu'un pour obtenir des réponses !

« Sorel, arrêtez de crier. »

La voix douce et mignonne de Céleste contrastait totalement avec ma voix paniquée et grave.

J'avais envie de lui répondre que j'en avais rien à faire puisque de toute façon, je recommencerais. Peu importe la situation, si je meurs, je recommence et c'est tout. Je commence même à ne plus avoir peur de la mort en seulement quelques heures...

Alors ça sera quoi au bout de plusieurs jours ?

« On va tous crever de toute façon. Quoi qu'on fasse, on va tous finir par mourir. Une dernière volonté ? »

Je crois que je vais devenir fou.

« C'est quoi ton problème Sorel ?! Tu disais avant de roupiller que t'allais nous protéger et blablabla... t'as déjà perdu toute ta volonté ?

— J'espère que tu seras la première à mourir. »

C'est sorti comme ça. Je ne sais pas ce qui m'arrive, je ne sais pas pourquoi je deviens aussi méchant, aussi défaitiste. Je ne suis pas comme ça. Je ne suis pas comme ça...

Je ne suis pas comme ça.

Claria baissa la tête et serra fort les poings mais ne répondit rien.

« Sorel ! Pourquoi vou-

— Bah alors mademoiselle l'heureuse ? On l'est beaucoup moins d'un coup quand la réalité de ce monde pourri te frappe en plein visage !

— Sorel ! Arrêtez !

— Quand je pense que ce type à la télé a osé dire que tout le monde avait un passé horrible ici ! Hahahaha ! Laissez-moi rire ! À gorge déployée même ! Comment une fille comme toi peut avoir vécu des choses inhumaines quand tu n'arrêtes pas d'afficher ce stupide sourire sur ton visage ?! Au moins, quand tu mourras, tu risqueras plus de sourir-

BAFF

Une violente claque dans le visage interrompit cette phrase dont les mots n'étaient que haine et dégoût, une claque si violente que j'en eus le souffle coupé.

Sauf que ce n'était même pas Claria qui avait fait cela, c'était Céleste :

« Ça suffit maintenant. Souhaiter la mort d'une personne est une chose absolument déplorable. Je ne sais pas ce que vous avez Sorel mais si vous êtes là pour nous affaiblir moralement en ne faisant qu'insulter ou manquer de respect, alors vous êtes une personne lamentable. Complètement indigne de votre titre qui est certes quelque chose que vous n'avez jamais demandé. Essayez au moins de vous comporter comme quelqu'un qui pourrait nous protéger ! C'est ce que nous avons besoin, être rassuré et se sentir en sécurité est la chose qui nous permettra de remporter ce "jeu". »

Je ne savais pas quoi dire. J'étais allé trop loin. J'étais au courant de ça mais je n'avais pas pu m'en empêcher.

Et le fait que ce soit Céleste qui m'ait donné cette claque fut si surprenant que je n'ai même pas réagi. Je suis juste resté le regard vers le bas, en ayant honte de moi-même d'une certaine manière.

Une ambiance pesante régne dans la pièce, l'atmosphère est si lourde et le malaise si présent que ça en devient étouffant :

« B-bon... est-ce qu'on peut arrêter de-

Alors que Valya venait de commencer de parler, une espèce d'alarme se mit à retentir dans la pièce d'une puissance colossale ! Nous nous sommes tous regardés, médusés :

« Qu'est-ce qui se passe ?! » hurlai-je à travers le son qui envahissait toute la pièce et ses alentours dans l'espoir que les autres m'entendent.

En fait, je n'ai même pas eu besoin de demander, la réponse est venue toute seule.

« Ça fait combien de temps que vous êtes là ?!

— Vingt trois minutes, si on se fie à ta montre. »

Claria me répondit avec flegme. Comme si de rien n'était :

« Mais bordel ! Faut qu'on bouge là ! On se grouille ! »

Essayant vainement de diriger le groupe, je me suis précipité vers la porte :

« Sinon, nous avons trouvé une inscr-

— Je m'en fous pour l'instant ! Je te rappelle qu'on est en grand danger à cause de notre distraction. »

Provoqué par moi certes. Je ne sais pas de quoi ils parlent mais là tout de suite, je n'en avais pas le moindre intérêt. C'est pourquoi j'avais coupé la parole à Ophélia. Il n'y avait qu'une chose qui m'importait en ce moment et c'était ma fuite.

« Si vous voulez vivre, je vous conseille de vous bouger ! Vous me montrerez ça quand on sera en sécurité ! »

Un hurlement venant du couloir m'informa du fait que nous n'avions que très peu de temps pour fuir. Elle et ses ciseaux se rapprochaient à une vitesse folle.

cliquetis cliquetis

Son arme parlait pour elle. Même avec une alarme pareille, ce bruit est audible. C'est vraiment quelque chose de saisissant.

« Très bien. »

D'un mouvement ferme, Claria attrapa le bras de Céleste et l'entraîna avec elle à l'extérieur.

« Dépêchez-vous-vous autres. Elle est là. Pas loin. »

Claria ne semblait même pas avoir peur ou ne serait-ce qu'avoir une certaine rancoeur envers moi et vu ce que j'avais dit, cela m'intriguait.

D'un calme absolument exceptionnel, Claria prit les directives (ce qui devrait être mon rôle) en ordonnant à tout le monde de la suivre de très près.

« Désolée Haron mais va falloir courir. »

Haron hocha silencieusement la tête, il faut croire que le calme étrange de Claria avait effet sur tous les autres et ce, malgré le fait qu'une alarme attire la fillette vers nous nous mettant tous en danger.

Lorsqu'Ophélia sortit de la pièce, Claria lui mit la main sur l'épaule :

« Tout va bien aller, ne t'en fais pas. »

Ophélia, ne sachant que dire, hocha elle aussi la tête tout en baissant les yeux puis se mit à se diriger dehors en compagnie de tous les autres.

Il ne restait plus que Valya et moi dans la pièce, la fillette arrivait de plus en plus vite. Les bruits que faisaient ses ciseaux se rapprochaient de plus en plus. Je pouvais le sentir : elle n'était qu'à à peine plus de dix mètres de nous et elle continuait de courir.

Elle sera là dans une dizaine de secondes maximum...

Au moment de sortir, Claria me lança un regard noir de haine.

Et c'est là que j'ai compris mon erreur : j'ai compris qu'il ne faut jamais baisser sa garde ici. Que mes réactions auront toujours des conséquences à la hauteur de ce qu'elles sont.

Claria prit un élan en levant ses épaules et en se penchant légèrement en arrière puis m'administra un coup de pied vigoureux dans la rotule gauche.

Un clac très sec se fit entendre à travers l'alarme et les hurlements de la fillette, je la rejoignis très rapidement en sentant la douleur vive et puissante venir de mon genou gauche qui faisait maintenant un angle très inhabituel.

Sans comprendre ce qui m'arrivait et surtout sans me laisser le temps de réagir, Claria sortit la seringue qu'elle m'avait montrée quand elle m'avait plaqué contre le mur puis me la planta dans la blessure de mon épaule et tout cela d'une vivacité impassible.

Un autre cri de douleur suivit celui que je venais de pousser à cause de mon genou. Je pouvais déjà voir que je recommençais à saigner, elle venait d'ouvrir la blessure qu'elle avait elle-même soignée.

« Qu'est-ce que tu... fous ?! ARGHHH ! »

Claria fit tourner la seringue dans la blessure accentuant la douleur que je ressentais, cette douleur fit remonter ce sentiment d'adrénaline que j'avais ressenti quand je me suis battu contre Haron. Cela m'avait permis de reprendre l'avantage mais là, Claria m'avait déjà mis hors-service en me brisant le genou gauche.

Et bordel ! Qu'est-ce que ça fait mal ! C'est ignoble !

« Claria ?! Que fa-

Céleste se figea sur place, terrifiée :

« Qu-qu-quoi ?! Mais pourquoi ?! Pourquoi ?! »

La voix hurlante de Céleste accompagnait mes gémissements de douleur, je ne savais pas quoi faire entre tenir mon genou ou bien appuyer sur ma blessure pour éviter l'hémorragie.

« Pourquoi est-ce que vous avez fait ça à mon maître ?! Pourquoi être aussi violente ?! » hurla Valya oubliant le fait que j'avais lourdement insulté Claria il y a de cela quelques minutes.

Est-ce vraiment pour ces quelques phrases, ces mots stupides qu'elle avait osé faire ça ? Elle venait de me mener à ma perte pour une ou deux phrases. Pour aussi peu que ça, je m'étais condamné.

« Je... veux voir ! »

La fillette se trouvait à quelques pas devant nous, elle venait du côté des chambres donc s'enfuir s'avérait plus simple que si ça avait été l'inverse mais il m'était impossible de me tenir debout à l'heure qu'il est. Mon genou me faisait horriblement mal, les douleurs étaient cinglantes. Elles me lançaient, me faisant trembler. Cette sensation est tellement désagréable que j'en avais les larmes aux yeux.

Céleste vit la fillette se trouvant devant elle, ou plutôt devant moi maintenant car les geignements que je poussais semblaient l'attirer.

« Eneko vient de trouver sa proie ! »

Encore ce nom, qui est ce type ? Est-ce que la fillette s'appelle "Eneko" ?! C'est un nom de garçon pourtant.

Pourquoi réfléchir à des choses aussi futiles quand je suis sur le point de me faire arracher les yeux ?!

Il ne me restait qu'une seule chose à faire :

« À.. l'aide... Aidez-moi ! »

Valya, qui s'était éloignée sûrement par peur que Claria l'attaque, commença à se rapprocher pour finalement se figer de la même manière que Céleste en voyant que la fillette n'était plus qu'à quelques mètres de moi.

« Par pitié aidez-moi ! Je veux pas mourir ! JE VEUX PAS MOURIR ! »

Je ne voulais plus ressentir ça. Je ne voulais plus sentir le contact de sa lame avec mon orbite oculaire. C'est une sensation tellement horrible, tellement dérangeante.

Et une partie de moi s'accrochait à la vie. On pourrait appeler ça de l'instinct de survie, sûrement... je le sais que je recommencerais mais la peur de mourir avait pris le dessus.

Plus je criais, plus la fillette s'excitait. Et plus elle se rapprochait de moi. Mais je ne pouvais cesser ces hurlements : ils venaient de mon coeur. De ce que je ressentais en ce moment.

« Claria ! Répondez-moi ! Pourquoi avez-vous fait ça ?! » cria Céleste.

Claria ne répondit pas, à la place, elle se tourna vers moi puis avant de partir en courant, me fit part de ces quelques mots :

« Crève, pourriture de menteur. »

Claria se précipita vers Céleste puis la pris sous son bras. Celle-ci tentait désespérément de se débattre :

« Stop ! Stop ! On ne laisse personne mourir ! Espèce de meurtrière ! Claria ! Je... je vous déteste ! »

Les autres me regardaient de loin, la peur se lisait sur leur visage. Ils voulaient peut-être venir mais la fillette les empêchait de faire quoi que ce soit.

Céleste, voyant qu'elle ne pourra pas agir à cause de la différence de gabarit évidente se mit à faire quelque chose qui me rappela une de ses anciennes réactions : elle mordit la main de Claria avec une vigueur qui m'étonna de sa part.

Claria laissa échapper un « aïe ! » tout en lâchant Céleste qui se mit à se précipiter dans ma direction :

« Personne ne mourra ! C'est vous-même qui l'avez dit Sorel ! Alors je n'abandonnerais personne ! Personne ! »

Céleste s'approcha de moi qui gisais à terre avec la gamine qui, étrangement, restait près de moi sans pour autant agir.

Elle ne faisait que rire depuis tout à l'heure, elle semblait savoir, d'une manière ou d'une autre, que j'étais incapable de bouger alors elle se délectait de ce spectacle avant de "passer à table".

« Je ne veux pas être la complice d'un meurtre ! Jamais je ne pourrais vivre avec ce fardeau ! J'aurais dans ce cas pris la vie d'un autre être humain ! Si jamais Sorel ne peut pas se protéger, alors... je-je le protégerais ! Je réussirais... je réussirais là où j'ai échoué auparavant... ! »

Comment ça "auparavant" ?

« Céleste ! Viens par là ma loli ! Tu vas te faire tuer si tu continues et ça, je ne l'accepterais pas ! Laisse le mourir ! Au moins, on pourra sortir d'ici ce matin. On retrouvera notre vie comm-

— Jamais ! La vie ou plutôt la sienne n'a que si peu d'importance pour vous ?! S'il doit mourir, alors je mourrais aussi ! Je ne pourrais jamais vivre comme ça ! »

J'étais bouche bée. Je ne savais que dire face à cet acte de courage indigne de moi.

Céleste s'approcha de la fillette :

« Vous ! Si vous voulez quelqu'un, alors venez vers moi ! Affrontez quelqu'un de votre taille ! »

La gamine (Eneko ?) se tourna vers Céleste tout en se léchant les babines.

« Arrête de jouer les héroïnes Céleste ! Reviens vite ! » fit Claria tout en s'approchant de nous.

Eneko s'approcha de Céleste, l'air méchamment ravi.

« Céleste ! Abrutie ! Reviens ! » hurla Claria qui avait l'air d'avoir plus d'importance pour la vie de Céleste que pour la mienne.

La douleur de mon genou semblait s'amplifier tant et si bien que j'ai choisi de me le tenir tout en gémissant.

Ce qu'était en train de faire Céleste me touchait, agir de manière aussi courageuse tout en risquant sa vie même après que j'ai été aussi violent et que j'ai reçu une claque de sa part... tout cela n'est pas à la portée de tout le monde.

Je ne mérite tellement pas de sa pitié voire même de son aide. Comment arrive-t-elle à trouver l'héroïsme de vouloir me sauver ?

J'étais trop occupé à me tenir le genou, c'est inutile mais je le faisais quand même. Cette blessure est très, très dérangeante à regarder donc j'avais inconsciemment plus mal ici qu'à l'épaule.

Eneko s'arrêta de rire. "Elle" leva la tête vers Céleste puis hurla :

« Je veux... voir ! »

La fillette fit un bond en direction d'une Céleste qui avait l'air de passer le moment le moins agréable de sa vie tout en ayant brandi sa hachette en l'air.

Je n'ai pas réfléchi, ça a été un réflexe : de ma jambe valide, je me suis propulsé vers Céleste. De manière assez maladroite ce qui fait que je me suis retrouvé plus bas que je ne le pensais mais ça a suffi pour que Céleste ne se prenne pas de coup.

Oh que non.

La hachette s'est directement dirigé vers mon visage.

C'est une chose que je ne pensais même pas possible mais j'avais réussi à la protéger même avec une jambe en moins. Elle ne méritait pas de mourir, je devais au moins remplir mon rôle tout en m'assurant de lui rendre la pareille.

La hachette se planta littéralement sur le haut de mon visage, pratiquement sur mon crâne.

J'ai senti une douleur absolument abominable puis un étourdissement extrême. Mais j'ai quand même pu entendre :

« AAAAHHHH ! »

Qui est le hurlement atroce de Céleste qui a été au premier rang pour le "spectacle".

Suivi de celui de Valya d'ailleurs qui n'osait même plus approcher. Je l'entendais à peine pleurer, j'entendais à peine ce qui se passait.

Je souffrais. Horriblement même. Ma vision se floutait de plus en plus, mon ouïe s'amenuisait. La hachette avait littéralement traversé mon crâne verticalement, je la sentais parfaitement bien. Le froid de l'acier couplé avec l'abominable douleur, voilà ce qu'avait permis Claria.

« Sorel ?! Sorel ! Je suis désolée ! Je suis désolée ! Vous n'aviez pas à faire ça ! J'ai essayé de vous sauver mais je n'ai fait que vous achever ! Je suis désolée ! »

Céleste continuait de s'excuser entre des sanglots et des bafouillements que je ne pouvais pratiquement plus entendre. Je sens que mon heure arrive. Encore une fois.

« Oh mon... Dieu... »

C'était la voix de Claria, celle-ci s'était approchée près de Céleste pour voir ce qui restait de moi. Elle venait de se rendre compte de ce qu'elle avait provoqué.

« Céleste... faut qu'on bou-

— Taisez-vous. Je ne veux plus jamais vous entendre ! Meurtrière ! Vous venez de tuer ! Vous venez de prendre la vie d'une personne ! Jamais je ne vous le pardonnerais ! »

Les hurlements de Céleste étaient si durs à entendre autant pour moi que pour Claria au vu de sa réaction.

J'avais envie de dire à Claria de me regarder : de se rendre compte du meurtre qu'elle venait de commettre. Si je n'avais pas eu ce "pouvoir", Claria aurait vécu toute sa vie avec mon meurtre sur le dos. Mais ici, les règles basiques de la vie comme le concept de mort sont modifiées au gré du véritable "maître du jeu". Toute l'importance de cet évènement s'en retrouve annulée pour être réduit au rang de jouet permettant la continuité de la partie.

Je n'allais pas être le témoin de la scène plus longtemps. Je ne sentais même plus la douleur et pire : je n'entendais plus rien.

Oui, j'étais "mort".

Il n'y avait plus rien, encore une fois, cette sensation de vol étrange. Une sensation inexplicable, et pourtant tellement prenante de par son intensité.

Je repense à tout ce qui venait de se passer : comment est-ce que j'allais agir face à Claria maintenant ? Elle venait de me tuer. Je ne vois pas d'autres manières que de lui faire la même chose sans qu'elle le sache. Par surprise.

Est-ce là vraiment la bonne solution ? La vengeance ? Ce qui est sûr, c'est que tout ce que j'ai ressenti et ce que j'ai vécu, je ne vais pas l'oublier. Je n'oublierai pas ce que tu m'as fait Claria.

bzzzt

Je sentais la vibration de mon poignet qui venait de se terminer.

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