11 - Mon moment de répit et celui des autres.

24 minutes de lecture

« Alors si j'ai bien compris : monsieur Ilsoya n'est jamais rentré de son travail et lorsque mademoiselle Nyakoa a tenté d'aller le retrouver, elle n'est pas revenue non plus... C'est là votre témoignage ? »

Un agent de police en uniforme se tenait en compagnie de beaucoup de ses collègues devant l'orphelinat. Des voitures s'étendaient à perte de vue, il était déjà presque vingt-trois heures et la rue était aussi bondée qu'en pleine journée. Les sirènes, la foule, le bruit était omniprésent :

« snif c'est... ça... retrouvez mes enfants, je vous en supplie ! La petite venait snif d'arriver... la pauvre...

— Monsieur ! C'est plus qu'important ! C'est ma petite soeur ! Elle ne sait pas se débrouiller sans moi ! Je dois absolument la retrouver !

— Du calme mademoiselle ! Hurler ne servira à rien puisque que les choses ne s'arrangeront pas. Nous avons déjà la signalisation de la disparition du fils Mélono. Ainsi que celle d'une certaine "Claria Ymise". Et nous voilà avec deux autres d'un seul coup ! Comprenez que c'est difficile à gérer alors vous êtes malheureusement dans l'obligation de patienter. »

Mayolia, les larmes aux yeux, ne pouvait visiblement pas attendre. La pluie frappait ses joues déjà humides tandis que l'averse en rajoutait au vacarme présent.

« Nous allons recueillir le témoignage du personnel du restaurant. Quatre disparitions en une nuit, ce n'est vraiment pas commun et en particulier quand celle-ci comprend le fils d'un des hommes les plus riches du pays. D'ailleurs, nous devrons attendre pour voir s'il y aura une ranç- attendez, je viens de recevoir un message. »

Le policier sortit son téléphone, puis après l'avoir fixé durant quelques secondes, prit un air très grave :

« Alors ça ! J'y crois pas ! D'autres disparitions ! Comme s'il n'y en avait pas déjà assez ! »

Mayolia recula d'un pas, les yeux remplis d'effroi :

« Q-quoi ? D'autres gens ont disparu ? Je... je veux voir ma petite soeur ! Elle n'a jamais rien fait de mal ! Elle est... tout pour moi !

— Yo. Je vois que j'suis pas le seul à avoir perdu une petite soeur... »

Un garçon se tenait derrière le policier, celui-ci fit se tourner toutes les têtes dans sa direction. Il avait sur lui des écouteurs branchés au téléphone qui dépassait légèrement de sa poche. Il avait mis sa capuche mais son visage était perceptible : des cheveux blonds mi-longs et un regard perçant. Ces yeux orange vif semblaient scruter le moindre petit détail de la scène.

Mayolia le dévisagea :

« Qu-qui êtes-vous ? »

Le garçon, se mit face aux personnes présentes car il avait quelques pas de distance par rapport aux autres, retira l'écouteur de son oreille gauche puis tendit sa main :

« J'm'appelle Aris. Aris Ymise. J'suis le grand frère de la disparue.

— Ah... je suis désolée, je croyais que c'était une mauvaise blague... »

Aris fronça les sourcils :

« Tsss... tu penses vraiment que j'irais faire des blagues dans un contexte pareil... ? »

Aris baissa les yeux, le regard dans le vent :

« Il n'y aurait que toi pour détendre l'atmosphère même dans un contexte pareil, tu es vraiment forte à ce jeu-là...

— Excusez-moi ? Vous parlez de votre sœur ?

— Monsieur Ymise, que faites vous ici ? Vous devriez rester avec les agents. Surtout qu'on vient de m'annoncer plusieurs autres disparitions. Ne vous inquiétez pas, nous retrouverons votre mère... »

Aris baissa les yeux ce qui fait qu'on ne pouvait plus voir son visage :

« Je le sais. Mais en l'espace d'une soirée, j'ai perdu ma petite soeur et ma mère. J'espère qu'elles vont bien. En fait, je suis venue me présenter aux membres de l'orphelinat pour que l'on se soutienne. »

Mayolia baissa les yeux à son tour :

« C'est... gentil de votre part. Et ahem je suis désolée pour votre mère et votre soeur... »

Aris s'approche de Mayolia, lui posa sa main sur l'épaule puis lui adressa ces quelques mots :

« Croyez-moi. Je ferais n'importe quoi pour les retrouver...

— Elles sont importantes à vos yeux...

— Oui. Mais si je mets de côté ma mère qui risque quand même d'avoir pas mal de problèmes, j'ai surtout peur pour Claria. Elle est imprévisible, même moi, je peine encore à la comprendre... »

Mayolia eut l'air visiblement surprise :

« Que voulez-vous dire ? »

Aris fronça encore plus les sourcils, puis, après quelques secondes répondit :

« Je suppose qu'elles sont avec les autres disparus... je n'en sais rien mais vu que les disparitions ont eu lieu en même temps, c'est plus que probable. »

Le policier fit un signe de tête :

« Effectivement, c'est quelque chose que nous envisageons. Pourquoi dites-vous cela ? Votre soeur a- t-elle un problème particulier ? Je sais pour votre mère mais... »

Aris se mit à rire nerveusement :

« Hahaha... »

Le garçon releva la tête vers le policier puis le regarda droit dans les yeux :

« J'ai juste peur que son masque tombe. »

Alors nous avions la même chose en tête : la fillette m'a cherché sans me trouver alors que j'étais devant elle bien visible, elle est en toute logique véritablement aveugle.

« Aveugle hein... ? Nous affrontons une petite fille aveugle et possédant une force hors du commun... »

J'eus un léger sourire :

« On dirait que ce n'est pas réel. »

Valya avait l'air effrayée mais en même temps, attristée :

« La... pauvre. J'ai peur que mon maître soit blessé. En fait, j'ai même peur que n'importe lequel d'entre vous le soit ! Il faut que l'on fasse attention tous ensemble ! »

Celle-ci jeta un regard vers Céleste qui était toujours accroupie :

« J'aimerais savoir pourquoi elle est aussi triste... cette fille n'a vraiment pas l'air d'être dans son assiette. »

Tu sais Valya, beaucoup de gens ne sont pas comme toi.

Je poussai un soupir :

« Ne t'en fais pas Valya, comme tu le sais si bien, j'assurerai mon statut de maître ! Surtout que là, c'est comment je suis appelé par le monsieur qui organise le jeu. Alors, attends Céleste, j'arr- argh ! »

Tout en ayant tenté de me lever, je me suis vite rendu compte que ma blessure ne me le permettrait pas.

Claria eut l'air visiblement surprise que j'essaie de me lever :

« Héhé, je sais que t'es content d'avoir bien répondu mais ce n'est pas une raison pour t'emballer "maître".

— Eh ! Ne m'appelle pas comme ça. Il n'y a que Valya qui a le droit... vu que c'est elle qui a inventé ce surnom de toute façon. »

Valya fit "non" de la tête :

« Mauvaise réponse ! Ce n'est pas inventé, c'est la vérité. Pas bien, méchant Sorel ! Pourquoi renier cette identité ? »

Claria me regardait comme si j'étais un extraterrestre, l'air suspicieux :

« Euh... en fait, c'est quoi votre... relation à tous les deux ?

— Pourquoi tu veux savoir ? »

Pourquoi je rougis ?

« Hahaha ! Je suis sa partenaire ! Jouant à travers les terres de Forest Adventures, contemplant les paysages fantastiques de ce monde parfait ! Voilà notre quotidien !

— Forest Adventures ? Connaît pas.

— Un MMORPG qui se concentre sur d'immenses espaces forestiers aux allures de fantastiques. Un jeu si tu préfères...

— Ne t'en fais pas. Je sais ce qu'est un MMO. Un jeu de rôles en ligne massivement multijoueur. C'est la traduction exacte.

— Je vois. Alors tu sais ce que c'est. »

Claria sembla réfléchir puis repris :

« Vous vous êtes rencontrés sur le jeu ?

— Yup ! C'est là que j'ai trouvé mon maître ! »

Pourquoi Claria pose des questions sur ma relation avec Valya ? En quoi ça la concerne ?!

« Et... vous vous êtes rencontrés comment ?

— Ah... et bien en fait-

— Sorel ! Je crois que ça pourrait faire l'affaire. »

Interrompant Valya (et d'ailleurs, je l'en remercie), Haron s'approcha de nous avec une bande et un rouleau de gaze dans la main :

« Génial. T'as eu ça où ?

— Dans l'étagère juste au-dessus des lits. Elles étaient dans une boîte plastique qui avait l'air récente.

— C'est-à-dire ? Je me renseigne car j'aimerais éviter de me soigner avec quelque chose qui pourrait avoir l'effet totalement inverse.

— Je comprends. Je veux dire, la boîte par rapport à l'étagère, à l'air neuve. C'est comme si quelqu'un l'avait posé avec de quoi se soigner dedans.

— Comme une trousse de secours ?

— Voilà. Exactement. »

Faut croire que l'organisateur est "gentil" d'au moins y avoir pensé...

« Et du désinfectant ? Il y en a ? »

Haron eut l'air un peu gêné :

« Je... ne sais pas trop. Tu peux venir voir ?

— J'arrive. Bouge pas Sorel.

— Oh mais je ne prévoyais pas de faire une telle chose. »

Claria fit un léger sourire pour ensuite se lever en direction des lits et de Haron.

Je jetais un coup d'oeil en direction de Céleste. Ophélia était sorti de sa "cachette" et était assise par terre avec elle qui était agenouillée à côté d'elle.

Celle-ci ne lui parlait pas. Il n'y avait que le silence de leur côté. Ophélia avait le visage baissé, je pouvais apercevoir quelques larmes qui coulaient toujours. Elle sanglote encore je pense.

« Ça me fait mal au coeur de voir ça.

— J'aimerais pouvoir venir aider Céleste mais mon épaule est pour l'instant la seule chose qui me préoccupe. Dès que je suis soigné, j'irai parler à Ophélia avec toi. D'accord ? »

Valya hocha la tête joyeusement :

« Merci Sorel. T'es vraiment gentil. »

Je fais ça pour te faire plaisir Valya, ne vas pas chercher plus loin.

« Tu sais Sorel, quand tu parles avec elle et qu'elle t'appelle "maître", on dirait vraiment un couple aux surnoms très... originaux ? »

Cette fois, c'était Haron qui parlait :

« Toi aussi ? Je le pense également ! Vous allez bien ensemble, c'est un peu ton opposé donc vous vous complétez. »

Regardez moi ce grand sourire de fille satisfaite de ses paroles. Je vais te le retirer moi :

« Bon, je préfère vous le dire : je ne suis pas en couple avec Valya ! Elle ne sait même pas ce que ça signifie ! Et de toute manière, je ne suis pas tombé amoureux d'elle. Arrêtez de parler de moi maintenant. Valya est ma meilleure amie. Point barre. »

Objectif échoué, Claria souriait encore plus :

« Quel mignon tsundere ! »

La ferme.

« Bref, j'ai trouvé de l'alcool à 70° comme désinfectant. Déshabilles-toi Sorel.

— Quoi ?! Qu'est-ce que tu racontes ? »

Claria me regardait avec des yeux de chiots :

« Mais je t'ai prévenu tout à l'heure... enlève juste le haut bien sûr. Je vois pas comment te soigner sinon...

— Ouais... c'est juste la manière dont tu l'as dit. C'était bizarre. »

Lorsque j'ai terminé ma phrase, Céleste et Ophélia s'approchèrent :

« Claria, pensez-vous que vous pouvez vous occuper d'Haron aussi ? Il a l'air également mal en point...

— Yep ! Un après l'autre. J'espère que nous n'aurons pas à toujours utiliser ça... »

J'ai donc, contre mon gré, dû enlever mon gilet et mon t-shirt.

Et passé le fait que je me sente mal à l'aise de me montrer comme ça, j'ai vite retiré cette idée de ma tête quand j'ai vu la blessure qui avait l'air d'avoir empiré avec le choc que j'avais reçu. Mon dos me faisait toujours souffrir mais je pense que c'est juste une question de temps avant que la douleur ne disparaisse.

Je pouvais voir la tête de chacune des personnes présentes faire une expression dégoûtée à la vue de mon épaule. Et je comprends pourquoi : il y avait un petit trou duquel s'échappait un mince filet de sang, cependant, la majorité du sang était sur mon t-shirt et même sur mon gilet. La plaie n'était pas jolie mais elle n'allait pas non plus fortement choquer.

Du moins, c'est ce que je pensais car la première à réagir fut la plus évidente :

« Quelle vilaine blessure... Heureusement que Claria est là pas vrai ? Je ne pense pas que tu puisses te régénérer. »

Je ne pense pas non plus.

« Et dire que c'est à cause de moi... j'ai... vraiment pas assuré sur ce coup... »

Je ne te le fais pas dire.

« Je ne suis pas un spectacle. Arrêtez de tous me regarder comme ça, c'est gênant... »

Je me sentais légèrement rougir mais j'essayais tout de même de me contrôler. Il faut toujours rester impassible.

« Désolée Sorel mais je n'ai pas le choix, hop ! »

Claria prit la bouteille puis en renversa quelques gouttes sur la compresse.

« Bon. C'est là que ça va être moins drôle. Essaie juste de ne pas trop bouger.

— Ça va piquer ? »

Claria me répondit tout d'abord de son sourire habituel :

« Haha ! Ne me dis pas que tu as peur ! Mais pour te répondre...

Celle-ci prit un ton très grave d'un seul coup, ses yeux perçants et assez effrayants revenaient :

... oui, tu vas avoir mal. »

Sans attendre la réaction de qui que ce soit, Claria appliqua la compresse directement sur la blessure.

La douleur ne se fit pas attendre : une intense sensation de brûlure commença à me parcourir l'épaule. Je me suis mis à serrer les dents.

Mais vu ce que j'avais déjà ressenti, cette douleur-là était vraiment faible par rapport à la "dernière fois".

Claria prit une expression inquiète quand elle vit que je fermais les yeux de douleur sans pour autant lâcher ne serait-ce que le moindre cri.

« Ça va ? Tu tiens le coup ?

— Ou-ouais... effectivement, ça pique...

— Je sais. »

Tout en gardant la compresse appuyée sur mon épaule, Claria prit la bande de gaze que lui tendait Haron puis commença à l'enrouler autour de la blessure. Elle faisait ça très soigneusement. Je le remarque car elle n'a pas l'air d'être une fille qui fait attention à ce qu'elle fait, je pense plutôt que c'est une fille impulsive mais qui essaie de donner le sourire aux autres.

« Tu vas aussi doucement parce que t'as peur que j'aie mal ? » demandai-je.

— Hein ? Ah non. C'est ma mère qui m'a toujours dit d'aller doucement quand on met des bandages. Il faut être très soigneuse alors je m'applique.

— Ta mère... c'est elle qui est infirmière, c'est ça ? »

Claria ne me répondit pas tout de suite, elle prit le temps d'enrouler le bandage jusqu'au bout avant de parler :

« Ouais. Enfin... "était". »

Oh.

« Elle a été... virée ? »

Je tente l'hypothèse la plus "optimiste" parce que sinon...

« On peut dire ça. »

Voilà une Claria étonnamment froide dans ses propos. Tout en remettant ses cheveux en arrière, elle repris avec un sourire :

« Enfin bref, nous ne sommes pas là pour parler de moi. Tu es soigné, je vais m'occuper d'Haron.

— Ah euh... oui. J'en ai bien besoin. »

Claria se tourna vers Haron mais resta sur place, celle-ci semblait fixer dans le vide. Lorsque tout à coup, deux échos de gifles retentirent dans la pièce.

Elle venait de se mettre deux gifles avec ses deux mains en même temps !

« Ok, on y va ! »

Comme si rien ne s'était passé, Claria prit la direction d'Haron pour commencer les soins.

Je ne rêve pas tout de même, pourquoi est-ce qu'elle a fait ça comme ça en plein milieu d'une action ?

Céleste, Ophélia et moi avons suivi Claria du regard, l'air incrédule (je ne peux pas vraiment dire pour Céleste mais j'en suis sûr). Le désinfectant faisait déjà effet et ça se sentait : mon épaule brûlait ! Je ne vais pas m'en plaindre mais c'est quelque chose que j'aimerais souligner car ça se sent tout de même très bien. Mais bon, au moins, ça signifie que je suis en train de guérir... enfin, je crois ?

Je l'espère.

« Ophélia, pourquoi tu pleurais tout à l'heure ? »

Ma question fit sursauter Ophélia, elle ne s'attendait peut-être pas à ce que je lui parle ou plutôt que je lui pose une question pareille mais cela m'intriguait : s'en voulait-elle de s'être enfuie ? Ou est-ce autre chose ?

Celle-ci releva un peu ses lunettes avant de me répondre, l'air agacé :

« En... en quoi ça te concerne ? Est-ce que tu me demandes ça juste pour discuter le temps que Claria fasse ce qu'elle a à faire ? Est-ce si peu important que ça pour toi ?

— Si tu ne veux pas en parler, je ne t'oblige pas. Je voulais juste savoir pourquoi une fille pleurait, c'est tout. Ça rend triste Valya tu sais... »

Valya, à l'entente de son prénom, rougit à vue d'oeil :

« Héhéhé... oui, je m'inquiète pour toi. Je sais que cela fait seulement quelques instants que nous nous connaissons mais j'espère que je pourrais devenir ton amie ! Valya aime être entourée de bonnes personnes ! »

Elle est d'ailleurs assez forte pour remonter le moral. Je le sais vu que je l'ai déjà expérimenté pas mal de fois. Quand j'allais mal, elle était là pour me consoler.

« M-merci Valya... mais penses-tu vraiment que je suis une bonne personne ?

— Pourquoi n'en serais-tu pas une ? Tu n'as rien fait de mal pour l'instant, tu es jolie comme tout et tu as l'air d'être sensible. Moi pour l'instant, je t'aime bien. »

Quelle assurance. Tu arrives à légèrement la faire rougir, comme moi tout à l'heure. Vu comment elle était "avant", c'est quelque chose que je ne pensais pas voir d'elle :

« Moi... "jolie" ? Pourquoi ça ? Tu as vu les cernes que j'ai ? Tu penses vraiment que c'est "joli" ?

— Hihi, Sorel aussi en a et pourtant, je le trouve mignon. »

Je n'ai pas vraiment réagi, j'ai l'habitude de Valya qui me fait ce genre de compliment mais Céleste fut celle qui réagit en levant très légèrement la tête :

« Qu'est ce qu'il y a ? Tu le trouves mignon aussi mon maître ? »

J'ai rougi là par contre, Valya venait de poser la question comme si la réponse n'était pas gênante. Céleste bafouilla :

« Ce-ce-ce n'est pas ce que j'allais dire... »

Elle aggripa le bas de sa jupe puis continua :

« En fait, si ce n'est être trop curieuse dans quel cas je m'excuserais d'avoir posé la question : pourquoi avez-vous tous les deux autant de cernes ? Ce n'est pas vraiment commun d'en avoir autant...

— Hahaha ! C'est juste que je passe mes nuits à jouer avec Valya. C'est un simple manque de sommeil. Ce n'est pas une question dont tu devrais t'excuser, c'est normal de vouloir savoir pourquoi vu à quel point c'est marqué sur nos visages... »

Ophélia avait serré les poings tout en baissant la tête puis chuchota presque sur un ton mélancolique :

« C'est a peu près la même chose à un détail près... je ne faisais que passer des nuits horribles.

— Je me répète mais si tu ne veux pas en parler, ne le fais pas. Nous comprenons. »

Je n'ai pas utilisé la première personne du pluriel pour rien, de cette façon, les autres ne peuvent qu'être d'accord avec moi.

« Valya comprend très bien. Si jamais tu dois parler, je serais là. Une amie de mon maître est mon amie.

— Je comprends également, pardonnez-moi d'avoir voulu être trop indiscrète. »

Ophélia nous regardait les yeux presque reconnaissant :

« Merci...

— Et puis franchement, t'as des yeux magnifiques. »

Mais... mais qu'est-ce qu'il me prend ?! Pourquoi j'en viens à dire quelque chose d'aussi gênant ?! C'est vrai que ses yeux bleus sont très beaux mais de là à le dire à l'oral...

La réaction ne fut pas celle que j'imaginais d'ailleurs :

« Je... tout le monde me disait ça avant. Même ma famille. J'ai d'autres atouts physiques non ? Il n'y a pas que mes yeux.

— Tu rivalises en taille de bonnet avec Claria. »

Ahem... je n'aurais pas dû dire ça. Mais c'était presque trop tentant.

« J'ai entendu Sorel. »

Pourquoi est-ce qu'elle arrive maintenant elle ? Elle pourrait croire que je la flatte alors que ce n'est pas du tout le cas !

« I-idiot ! Je parlais de mon visage ! Pourquoi parles tu de mon corps et plus particulièrement de ma poitrine ?! Décidément, les garçons pensent tous à la même chose... ! »

Je vis Haron lever discrètement le pouce en l'air tout en hochant la tête. Pour quelqu'un que j'ai tabassé il y a de cela presque une heure, il arrive tout de même à me soutenir.

« Dis Haron, tu veux finir comme tout à l'heure ? »

Ah, Claria l'a vu.

Vu le regard qu'elle vient de lui lancer, tu ferais mieux de t'excuser...

« Alors, Sorel aime donc les filles à grosses poitrines... Je vois, je vois... »

Au tour de Céleste d'en rajouter, j'ai juste fait une tentative de compliment, très déplacé je le conçois, et me voilà fiché comme un pervers...

C'est de ma faute aussi. Je n'ai pas à faire ce genre de remarques. C'est de l'irrespect :

« Ce n'est pas grave Céleste, ne te sens pas irritée. Tu es mignonne et c'est un atout en soi.

— Qu'est-ce que c'est censé vouloir dire... Valya ? » demandai-je.

Valya haussa les épaules, puis marmonna l'air mesquin :

« Qui sait... »

Claria me fixait, l'air suspicieux :

« Comment en êtes-vous venus à parler de ma poitrine ? »

Quelle question très directe...

« Ce n'est pas de ta poitrine en particulier qu'on parlait mais du fait qu'Ophélia ait de jolis yeux. C'est ce que j'avais dit mais... disons que j'ai fait une remarque déplacée.

— Je le sais. Je te l'ai déjà dit que je t'ai entendu. Alors comme ça, tu trouves ma poitrine attirante ? »

Claria avait dans ses yeux la même lueur que Valya affichait il y a de cela quelques secondes. Cet air taquin.

« Bon, est-ce que nous pouvons cesser de parler de poitrine ?! »

Presque en criant, Céleste nous remit les idées en place.

Nous nous sommes un peu perdus. Moi qui voulais en savoir un peu plus sur Ophélia en lui parlant sérieusement, j'ai fini par tout gâcher en tournant la discussion au ridicule, quel gâchis !

« Je prends ça comme un "oui" Sorel. » fit Claria tout en me faisant un clin d'oeil. »

Soupir de ma part.

« Bon, nous allons devoir sortir de là de toute façon, ça fait déjà dix-huit minutes que nous sommes là...

— Bigre ! Que le temps passe vite dis donc ! »

C'est bon Claria, tu peux arrêter l'ambiance amusante, c'est un dur retour à la réalité.

Tout en remettant mes vêtements, je me suis levé l'air fatigué. Il était déjà plus de vingt trois heures trente, la nuit allait encore être longue...

« Combien de temps ça va durer son jeu ? Imaginons que l'on réussisse à survivre cette nuit, nous passerons la journée ici ? À chercher des infos sur un jeu dont nous ne voulions même pas participer à la base ? Toutes les nuits seront-elles comme ça ? »

La question d'Ophélia me fit réfléchir : même si nous réussissons à survivre, dans quel but auront nous faits cela ? Il n'y a même pas d'objectif à son jeu ! Est-ce que justement "survivre" peut-être considéré comme un objectif ? C'est beaucoup trop vague...

Et puis, en quoi est-ce intéressant pour un quelconque spectateur de regarder des gens lutter pour leur vie sans aucune échappatoire ? Il faut vraiment être quelqu'un de dérangé pour apprécier...

Nous pouvons chercher les informations tout de suite mais visiblement, nous préferions faire attention à ce que la petite ne nous attrape pas.

Cet endroit a l'air de cacher pas mal de choses... et je ne pense pas qu'elles soient joyeuses.

« Tout ce que nous avons à faire pour l'instant, c'est de changer de pièce. Mon épaule soignera je pense. En plus de nous être cachés une vingtaine de minutes, nous avons pu être soignés, Haron et moi. C'est tout ce qui compte. »

Tout le monde hocha la tête silencieusement. Nous voulions sortir d'ici, à n'importe quel prix. Pas chercher des "informations".

Je m'en fiche complètement de ce qui a pu se passer ici, tout ce que je veux, c'est rentrer à l'orphelinat, revoir Mama et pouvoir jouer avec Valya comme nous en avons l'habitude. Ce sont mes raisons de partir d'ici si on ne compte pas le fait que je ne veux pas mourir des mains d'une petite fille.

Mais quelles sont celles des autres ?

Je me mis à regarder les trois filles de manière suspecte : je sais en partie pour Haron, il veut juste revenir chez lui le plus vite possible car il a peur de son père mais il le déteste également. Il y a peut-être d'autres raisons, allez savoir...

Mais les trois filles : je ne connais rien d'elles si ce n'est ce qui est marqué sur leur fiche. Je n'ai, d'un côté, aucune envie de les connaître davantage sur le plan personnel mais si leurs agissements nuisent à notre survie, alors, j'estime avoir le droit de savoir...

Je ne pense pas que beaucoup seront d'accord avec moi mais avec la situation, je pense que c'est le mieux à faire. Je me suis approché près de la porte pour y tendre l'oreille : il n'y avait pas de bruit.

Rien du tout.

Je restais dans cette position parce que je n'y croyais pas : même éloignée, on pouvait l'entendre car ces ciseaux faisaient pas mal de bruit.

Peut-être qu'elle avait arrêté parce qu'elle trouvait ça énervant... je ne sais pas du tout. Je tente des hypothèses mais on s'en fiche après tout, au moins, elle est loin et-

Cliquetis cliquetis

J'eus un sursaut assez prononcé : le bruit de ses ciseaux était juste derrière la porte. Tout le monde avait entendu, je n'étais pas le seul au vu des visages décomposés que je pouvais voir. Nous sommes restés figés sur place, personne ne voulait bouger. Je les comprends, j'étais moi aussi paralysé par la peur. Qui sait ce qui se passera si nous atteignons la limite de vingt minutes par salle ? Il fallait sortir mais en même temps, sortir maintenant signerait notre mort à tous. Les deux choix possibles amenaient à la même fin...

Par chance (peut-être qu'un quelconque Dieu veille sur nous), j'entendis les ciseaux s'éloigner accompagnés des râles de la petite fille.

Ces grognements étaient angoissants, ils instauraient une ambiance particulièrement glauque puisqu'ils étaient, avec les ciseaux, la seule chose que nous pouvions entendre. Je n'aime pas ça. Personne n'a l'air d'apprécier de toute manière.

Rapide coup d'oeil à ma montre : dix-neuf minutes et quarante trois secondes, quarante quatre, quarante cinq... Il fallait sortir maintenant ! Et vite !

Je mis la main sur la poignée pour commencer à ouvrir la porte.

Sans vraiment grincer, celle-ci n'offrit aucune difficulté à s'ouvrir.

Toujours cette obscurité permanente, oppressante. Il n'y avait pas de signes de la fillette, nous pouvions entendre les bruits de ses ciseaux au loin, c'est un point positif.

« Elle est partie ? Elle ne doit pas être loin en tout cas... »

Merci de nous rassurer Claria... c'est sympa.

« Peu importe, je propose qu'on aille dans la pièce juste là en face. »

Tout en parlant, je pointais du doigt la porte juste en face de la nôtre. Il n'y avait pas de différence notable entre les deux.

« Ouais... »

Claria me devança en s'approchant de la porte en question pour directement commencer à l'ouvrir.

« Attends ! Pas si vite ! Et s'il y avait quelqu'un à l'intérieur ? »

Elle avait toujours la main sur la poignée mais elle ne l'ouvrait pas :

« Sorel... si on s'arrête à chaque fois parce qu'on a peur, on ne va pas aller loin.

— C'est ce que je me suis dit et me voilà avec une blessure à l'épaule et un sacré mal de dos. Je n'ai pas envie de voir d'autres gens souffrir, c'est tout. »

Claria sembla surprise puisqu'elle se retourna vers moi, les yeux incrédules :

« Je vois.

— Tu ne me crois pas, c'est ça ?

— Si. Pourquoi est-ce que tu dis ça ?

— Ça se voit. Tu dissimules mal ton mensonge. Dis-le si tu n'a pas confiance en moi ! »

Sans le remarquer, je haussais le ton. Mais je la comprends puisque c'est exactement mon cas aussi. Je ne fais confiance qu'à Valya.

« Ooooh... je comprends. Je ne sais pas mentir alors... ?

— Non. »

Le sourire de Claria devenait... malsain.

« Alors, si-

— Tais-toi. Laisse-moi ouvrir la porte. »

D'un geste sec, je poussai Claria sur sa droite pour me mettre à sa place.

« Et dire qu'il y a deux minutes à peine, tout le monde rigolait l'air de rien... » pensais-je.

Déterminé, je commençais déjà à tourner la poignée :

clac clac

Fermée à clé. Génial, j'aurais fait ça pour rien.

« C'est fermé.

— Ah dommage... j'aurais bien aimé que cela soit aussi facile de trouver un endroit où se cacher. » fit Valya.

Elle avait raison, les autres portes étaient couvertes par des gravats bien trop lourds pour être déplacé à mains nues.

« Au pire, on peut retourner à l'endroit d'avant. Avec le pendu. » marmonna Ophélia.

— Je... préfère ne pas y retourner de suite. Pardonnez-moi mais la vue d'un cadavre me met la nausée... c'est effrayant. »

Je rejoins l'avis de Céleste. Si on retourne là-bas, c'est à la fin de la nuit ou pendant la journée. Je n'aime pas non plus l'atmosphère que dégage cet homme.

« Certes Céleste mais c'est le seul endroit que nous connaissons bien pour l'instant, on sait qu'il n'y a aucun danger et c'est là un avantage. Il va falloir que tu t'y habitue malheureusement... »

Haron rejoignait l'avis d'Ophélia. C'est donc un deux contre deux vu que je n'ai pas envie d'y retourner non plus. Il ne reste plus que... :

« Vas-y Sorel. Après tout, tu es le "maître du jeu" non ? Chacune de tes décisions sera celle que nous écouterons. Elles nous mèneront toujours vers notre survie pas vrai ? Je n'ai aucun avis. Faites comme vous voulez.

— Ah... donc tu ne veux pas être avec Céleste ? Tu as pourtant l'air de bien l'aimer. Je pensais que tu rejoindrais son avis en disant quelque chose du genre "moi, je suis avec ma loli préférée ! " »

Je fis exprès de prendre un ton sarcastique. Si elle lui donne un surnom pareil et qu'elle lui a fait un câlin la première fois qu'elle l'a vue, c'est qu'elle doit l'apprécier au moins.

Claria me dévisagea :

« Et toi ? Je te demandais simplement ton avis.

— Je suis d'accord avec Céleste. Je n'ai pas envie d'y retourner non plus. Même si nous savons qu'il n'y a rien, c'est assez loin et on peut tomber sur la psychopathe à tout moment. Et puis sincèrement, mettez-vous à sa place : vous aimeriez que quelqu'un soit de votre avis non ? Arrêtez de jouer les égoïstes un peu. »

J'en reviens pas que j'arrive à dire ça.

« Je pensais juste que ça serait mieux de se reposer sur une base sûre, mais si elle ne veut vraiment pas y aller, on n'a qu'à chercher une autre entrée. Il doit y en avoir une, forcément. »

Haron finit donc par changer d'avis. Ophélia prit une de ses mèches de cheveux dans la main pour jouer avec tout en répondant :

« Bon, si personne ne veut y aller... Je dois avouer qu'il y a des risques sur le chemin de toute faço-

— Ah. Alors c'est comme ça ?! "Céleste" par ci, "Céleste" par là. Il suffit qu'elle vous demande quelque chose pour que vous lui obéissiez ? »

Claria pointait du doigt Céleste qui recula d'un pas :

« Il va falloir t'y faire Céleste ! Dans ce jeu, on va forcément voir des cadavres alors il faut que tu prennes sur toi si tu ne veux pas que ce soit le tien que l'on voit ! »

Mais qu'est-ce qu'il lui arrive à elle ?! Elle est vraiment soûlante !

« Tu vas baisser d'au moins trois tons toi. Je croyais que tu l'appréciais et te voilà en train de lui faire la morale. Tu ne pourrais pas au moin-

— Qui t'a dit que je ne l'appréciais pas ? »

La bouche encore ouverte, mes yeux se figèrent de surprise :

« D-de quoi ?

— Je n'ai jamais dit que je n'aimais pas Céleste, je lui donne au contraire un conseil : il ne faut pas fuir le danger mais l'affronter.

— C'est ta façon de vivre, ne l'impose pas.

— Tu préfères fuir toute ta vie ? Est-ce comme ça que tu affrontes les problèmes dans ta vie ? Les repousser pour qu'ils ne fassent qu'empirer ?! Ne le prends pas mal Céleste mais c'est une manière lâche d'agir ! Je déteste les lâches. »

Céleste ne disait rien depuis tout à l'heure mais celle-ci prit la parole :

« Comment pouvez vous juger les gens alors que vous ne les connaissez qu'à peine ? Avez vous une mauvaise impression de moi ? Est-ce de cette façon que vous me voyez ? Je pensais pourtant l'inverse... »

Céleste mit ses deux mains derrière son dos :

« Après tout... ce n'est pas tous les jours que l'on me surnomme "Princesse"... »

Claria ne répondit pas. Elle semblait même regretter ce qu'elle venait de dire au vu de son regard envers Céleste :

« Je peux te dire qu'elle ne voulait juste pas aller dans la pièce à cause du cadavre et tu en fais tout un drama là-dessus... si tu étais du même avis qu'Ophélia et Haron pour aller dans la pièce du pendu dès le début, tu aurais pu le dire plutôt que d'inventer cette scène inutile. »

Claria ne me répondit pas, celle-ci s'adressait à Céleste :

« Je suis désolée Céleste. Je n'aime pas ce genre d'attitude et je me suis emportée pour quelque chose de futile à la base... je me suis énervée alors que tu n'es même pas celle qui me met hors de moi en ce moment... pardonne-moi. »

— Et... qui est cette personne ? demanda Valya.

Claria posa le regard sur moi :

« Tu es la mieux placée pour le savoir : ton fameux "maître". »

Un silence, avant que Valya réponde :

« Qu'est-ce qu'il vous a fait ?

— Laisse tomber Valya. »

Celle-ci se tourna vers moi, ne comprenant visiblement rien :

« Après tout, je n'ai même pas envie de savoir pourquoi parce que je m'en fiche. Tu veux me détester ? Très bien. Vas-y. Tu seras loin, très loin d'être la première. J'ai l'habitude des gens qui ne m'aiment pas à cause de mon caractère. Mais malheureusement pour toi, tu vas devoir te coltiner la personne que tu as en face de toi et qui a l'air de t'énerver pour je ne sais quelle raison. »

Je pris un grand sourire, je m'amusais bien de la situation en fait :

« Par contre, n'essaie pas de me nuire car à ce petit jeu... je peux être très fort. Crois-moi. Ce jeu se déroulera bien et comme je l'ai dit tout à l'heure : personne ne mourra et ça m'inclut moi. Au cas où tu aurais cette pensée en tête. »

Je sentis quelque chose me picoter le poignet, c'est une sensation que je connais.

L'air satisfait, je levais le bras pour y apercevoir le "S" blanc sur fond noir tout en prononçant ces mots :

« Bien, maintenant, ça va devenir intéressant. »

Annotations

Vous aimez lire Lor millon ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0