7 - Se cacher pour ma survie et celle des autres.

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« Monsieur ? Puis-je tout de même vous poser une question si ce n'est pas trop vous importuner ?

— Hmmm... qu'y-a-t-il ? Je suis un peu occupé avec la tournure que prennent les évènements. »

Un homme assez mince et plutôt bien habillé se trouvait debout devant un homme qui à l'inverse de son interlocuteur avait l'air très décontracté : celui-ci avait une tasse de thé dans la main droite qu'il touillait à intervalles réguliers avec une petite cuillère en argent.

Il était assis dans un fauteuil en cuir assez massif donnant l'impression que l'on puisse s'y plonger à plusieurs, l'homme dans le fauteuil avait également les pieds posés sur une petite table en bois, c'est certainement cela qui lui donnait cet aspect très désinvolte.

Ceux-ci se trouvaient dans une pièce assez sombre, les seules sources de lumière étant les télévisions et la petite lampe de chevet sur le bureau de l'homme au fauteuil.

« Étiez-vous au courant pour ce... ahem... léger problème ?

— Vous voulez parler de "ça" ? Non. Pas du tout. »

L'homme debout fut visiblement choqué :

« Pourtant... quand vous avez demandé les recherches, nous n'avons rien trouvé sur "ça", ne pensez vous pas qu'il faudrait interrompre le jeu pour régler cela ?

L'homme au fauteuil éclata de rire, un rire qui résonnait dans la pièce assez vide de meuble. Seul le matériel informatique occupait l'espace vide :

« Ben voyons ! Va leur apporter des chocolats chauds tant que t'y est ! Nous verrons comment notre maître s'en sortira face à ça. »

L'homme au fauteuil arborait un sourire menaçant :

« J'avoue que j'ai été surpris de sa tentative de meurtre mais notre bon vieux Sorel a su réagir ! Je pense qu'il a compris la leçon que lui a enseignée notre brave petite ! »

— C'est vrai... vous avez raison. Personne n'oublierait une chose pareille... »

L'homme debout eut un léger frisson mal dissimulé.

« Brrr... quand même, se faire retirer l'oeil... quatre fois.

— C'est dingue pas vrai ? On sait de quoi elle est capable après tout... »

Toc toc

« Entrez. »

Une femme entra dans la pièce, celle-ci avait un paquet de feuilles dans la main droite et semblait assez pressée.

« Je viens de... oh. Eh ben Christophe... je vois que vous aimez être dans le noir. Plus dans l'ambiance j'imagine ?

— Qu'est-ce que vous voulez ma chère ? Vous avez l'air assez affolée.

— Il y a de quoi... il y a un joueur qui n'est pas censé être là. Ou plutôt une joueuse.

— Quoi ?! Encore une fille ? Il y en a déjà assez là !

— Christophe... je suis sérieuse.

— Ici, c'est monsieur. Je ne t'appelle pas Alice n'est-ce pas ? »

Alice remit ses lunettes en place :

« Mais vous me tutoyez... monsieur.

« Bon bref, qu'est-ce que c'est que cette histoire de joueur ? Qui est-elle et comment est-ce que c'est possible ?

« Elle répond juste au nom de "Valya". Mais... vous devriez voir cela. »

Alice tendit un dossier à Christophe qui n'était visiblement pas très inquiet.

« Alors... voyons voir. »

Christophe scruta le dossier dans ses moindres détails. Les deux autres personnes s'étaient tus. Personne ne parlait pendant que Christophe lisait. Un silence où seul le bruit que faisaient les ordinateurs se faisait entendre.

Le silence qui dura pendant une trentaine de secondes cessa aussi vite qu'il avait commencé :

« Ha... ha... hahahahaha ! »

Le rire de Christophe emplit une nouvelle fois la pièce. Celui-ci était bien plus fort que le précédent.

« Mais je ne savais pas ça ! Hum... ça pose quand même légèrement problème. Je vais bien devoir faire une annonce parce que je viens d'avoir une idée... excellente. »

— Mais... pourquoi ? Qu'avez-vous encore derrière la tête ?

Christophe se retourna vers l'homme debout à l'air excédé puis lui prononça ces simples mots :

« Je m'adapte. »

« Un arrêt cardiaque ?! Comment tu le sais Claria ?! » cria Ophélia.

— T'occupe ! Sorel ! Réanime-le ! On ne va pas le laisser mourir même après ce qu'il vient de faire ! On va sérieusement discuter avec lui ! C'est ce que tu viens de dire non ? "Personne ne mourra !" ! »

Claria était en train de me hurler dessus sans même penser que cela pourrait attirer la fillette. Mais elle avait raison, j'étais allé trop loin. J'aurais juste pu le neutraliser à terre grâce à nos différences de gabarit mais je me suis acharné sur lui. Il était maintenant en danger de mort et c'était encore à cause de moi.

J'ai, malgré mon manque total d'expérience dans le sujet, pratiqué un massage cardiaque. Je ne savais même pas comme m'y prendre, je ne faisais que faire des appuis répétés sur sa poitrine mais cela ne semblait pas s'arranger. Le visage d'Haron était composé d'un rictus de douleur assez terrible, il me faisait penser à celui de Claria quand je l'avais trouvé à l'agonie la toute première fois.

Je... préfère ne plus y penser pour le moment...

Je ne sais pas si ce type est surveillé par un ange gardien ou si j'avais un talent inné pour ça mais Haron reprit d'un coup une respiration normale après une grande inspiration suivie maintenant par des halètements.

Cliquetis cliquetis...

Non ! Non, non, non ! Ce n'était vraiment pas le moment pour que tu arrives toi !

« Qu'est-ce que c'est ? » demanda Céleste, l'air encore un peu affolé, tout en s'étant retournée vers la fin du couloir que nous ne pouvions pas apercevoir à cause de l'obscurité.

Rapidement, je pris Haron par le col tout en ordonnant à tout le monde :

« Il ne faut vraiment pas rester là ! C'est ce qui nous pourchasse !! Il faut s'en aller d'ici et vite !!

— Même si ce que tu dis est vrai, Haron ne peut visiblement pas courir ! Il faut qu'on se cache alors ! répliqua Claria.

— Et... comment est-ce que tu sais ça ?! me demanda Ophélia.

— Cachez-vous ! »

Ignorant totalement la question d'Ophélia, je pris la direction d'une porte au hasard qui était la plus proche derrière moi et commença à tirer la poignée de toutes mes forces.

C'était ouvert ! J'en revenais pas ! On pouvait réellement se cacher là-dedans !

Je n'avais pas le temps de me demander "Pourquoi ?" "Comment ?". Je ne voulais plus que cette peste me retrouve, je ne voulais plus mourir. Il fallait que je survive.

« Par ici, vite ! Ne me posez pas de questions et venez ! »

Malgré le fait que j'avais l'air vraiment louche, chacun m'a suivi à l'intérieur de la pièce plus ou moins rapidement.

Cliquetis cliquetis...

Le bruit de ses ciseaux se rapprochait, elle était au bout du couloir et surtout en mouvement vers nous. Alors que tout le monde se précipitait vers moi (ou plutôt vers la porte) pour rentrer, j'entendais les bruits qui se rapprochaient de plus en plus : elle avançait vite, très vite... trop vite.

Il fallait que tout le monde me fasse confiance ce qui sera difficile avec ce que je venais de faire...

Pourtant, personne ne protesta et tous s'exécutèrent sauf Haron que je trainais avec moi :

« T'as de la chance que tu ne sois pas en train de continuer à crever parce que jamais je ne t'aurais fait de bouche-à-bouche. »

Pas de réponse de sa part, il se concentrait sur sa respiration qui était haletante, saccadée. Il semblait quand même souffrir même si c'était moindre par rapport à juste avant.

Nous étions enfin tous dans la pièce que je refermai rapidement tout en faisant attention à ne pas la claquer.

Cliquetis cliquetis...

Elle se rapprochait dangereusement. Ses bruits s'entendaient très bien. Elle était juste derrière la paroi. Il ne fallait pas faire un bruit...

Pas. Un. Bruit.

« Où sont... ils ? »

Sa voix monstrueuse se fit entendre tout en confirmant mes doutes : elle était bien à côté de nous.

Je jetais un coup d'oeil vers les autres avant d'éteindre ma lampe torche pour assurer notre discrétion :

à ma droite, il y avait Claria et Ophélia. Entre elles et moi, il y avait la porte fermée et juste à ma gauche, il y avait Céleste. J'avais devant moi Haron qui s'était un peu calmé et qui était donc plus discret. J'étais malgré moi assez proche de la porte donc il ne fallait vraiment pas que je fasse de mouvements.

J'éteignis la lampe torche, personne ne réfuta ce choix car ils avaient compris que ce n'était pas pour rien si je les avais pressés à se cacher. En effet, nous pouvions entendre la respiration dérangée de la fillette, je dis "fillette" mais sa voix ressemblait à celle d'un démon. Elle était aiguë comme une petite fille mais prenait des tons assez graves par moments, cette fillette n'est vraiment pas normale...

Nous étions dans le noir, en train d'attendre une mort probable... Enfin, seul moi savait que nous étions vraiment en danger de mort. J'étais sûrement la personne qui était la plus effrayée dans la pièce parce que je savais le danger que représentait cette fille.

Je ne le savais que trop bien.

« Mais... qui est-elle Sor-

Céleste avait commencé à chuchoter pour me poser une question mais je l'interrompis immédiatement car j'avais remarqué que la fille s'était approché vers la porte. J'avais entendu ses petits pas se rapprocher.

La poignée commença à tourner, lentement, très lentement...

J'ai eu un réflexe assez étrange (qui fut plus un sursaut qu'autre chose) mais j'avais mis ma main sur la bouche de Céleste pour lui couper la parole. J'avais toujours la main sur elle quand j'ai sursauté et aie donc plaqué Céleste contre le sol seulement avec ma main gauche. Je n'aurais jamais pu faire ça si c'était n'importe qui d'autre mais avec elle, c'était aisé bien que ce n'était absolument pas intentionnel.

La porte finit par s'ouvrir.

Cliquetis cliquetis...

Elle était là.

J'allais plaquer la tête de Céleste contre le sol quand je me suis repris en essayant de la rattraper mais un mauvais appui fait que je suis tombé avec elle, et le problème était que j'étais "sur" elle.

Une situation très délicate dans le sens où nous devions être totalement silencieux. Je ne pouvais même pas m'excuser oralement ou bien par geste car nous étions dans le noir complet. Je me sentais à la fois gêné et complètement apeuré, une sensation très étrange et tout aussi désagréable.

« Non... pas là... »

La voix de la fillette était terrifiante car elle respirait très fort à chacun de ses mots. Ses paroles étaient spasmodiques ce qui accentuait l'angoisse qu'elle procurait. Elle était restée sur le pas de la porte sans vraiment rentrer dans la pièce, une aubaine pour nous.

Tout d'un coup, je sentis avec ma main droite quelque chose d'assez troublant, vu la position très délicate dans laquelle j'étais, il était normal que je puisse atteindre "ça".

Je touchais la capuche. Qui était par terre. Vu que Céleste avait été plaquée contre le sol, sa capuche était tombée elle aussi sous l'effet de la gravité. Elle avait le visage complètement à découvert car je sentais avec ma main la capuche qui était contre terre.

La scène dura bien une trentaine de secondes et c'est une chose qui ne me plaisait pas du tout. Si jamais Claria ou n'importe qui me voyait, la situation allait vraiment être difficile à expliquer...

Cliquetis cliquetis...

La fillette restait sur le pas de la porte, pas un bruit ne se faisait entendre. Seule sa respiration dérangée représentait l'ambiance sonore de notre situation.

Soudainement, elle se retourna et commença à repartir par là où elle était arrivée. Comme si c'était un robot : elle s'était retournée d'un coup. Elle commençait maintenant sa marche dans le couloir opposé pour sûrement repartir vers le chemin de gauche.

Une fois que ces bruits de ciseaux s'étaient éloignés, je sentis la porte se refermer doucement. Je suppose que c'est Claria qui avait fait cela car elle était la plus proche de la porte mais de l'autre côté.

Bien évidemment, le destin aime s'amuser avec moi.

J'avais posé la lampe par terre et Claria venait de la récupérer. Je n'avais pas anticipé l'arrivée de la fillette et dans la précipitation, j'avais posé la lampe par terre. Ce qui fait donc que c'est elle qui l'avait prise car j'étais... "occupé".

Illumination soudaine de la pièce vers... moi. Et donc vers la situation.

Je me suis rapidement relevé pour me mettre devant Céleste et donc la cacher.

La réaction de Claria fut aussi immédiate que la rapidité de mon mouvement :

« Qu-qu-quoi ?! Qu'est-ce que tu faisais à ma loli toi ?! »

Bien qu'elle chuchotât, son ton de voix avait l'air d'être assez remonté.

« Un enchaînement de mauvaises actions, dit toi juste que je lui ai sauvé la vie.

— Ah oui ? En la tripotant ?

— Mais je ne la tripotais pas ! Je suis juste tombé ! Et éteins la lumière, sa capuche est tombée !

— Tu me dois de sérieuses explications... ! »

Après avoir dit cela, Claria éteignit la lumière qu'elle avait dirigée sur moi. J'avais envie de lui dire d'arrêter de parler comme si Céleste était sa protégée, ce n'est pas son enfant ou quelque chose qui lui ressemble après tout. C'est une fille qui a notre âge donc il ne faut pas la sous-estimer à cause de son apparence juvénile. Chose que j'avais faite et que je reproduirais plus...

Nous entendions Céleste remettre sa capuche alors que nous étions dans le noir complet. Nous ne savions même pas dans quelle salle nous nous trouvions.

« C-c'est bon... je...

— Je ne pense pas que tu dois me remercier, je t'ai fait tombé alors c'est la moindre des choses que je ne dévoile pas ton secret en plus. »

À vrai dire, j'avais été vraiment curieux de savoir ce qui se cachait sous cette capuche mais je n'avais pas envie de passer pour le méchant et je respectais son choix. Si elle ne veut pas se montrer, alors, c'est son droit.

Céleste ne répondit pas, j'espère juste qu'elle ne m'en veut pas pour avoir presque fait dévoiler son "secret". Je dois bien me faire voir auprès de chacun des joueurs, c'est une décision que j'ai prise après les deux massacres que j'ai dû subir visuellement et physiquement...

« Passe moi la lampe Claria, c'est mon téléphone je te rappelle. »

Claria ne répondit pas. Le silence dans lequel nous avions attendu recommençait. Pris d'une légère inquiétude, j'ai réitéré ma demande :

« Claria ? Arrête, t'es pas drôle... donne moi mon téléphone.

— C-Claria ? Pourquoi je ne te sens plus à côté de moi ? »

C'était la voix d'Ophélia, elle qui était à côté de Claria, c'était assez effrayant d'entendre ça.

J'ai alors recommencé à l'appeler mais légèrement agacé :

« Bon Claria, arrête avec t- »

Tout d'un coup, je vis une lueur aveuglante juste devant moi, suivi du visage de Claria éclairé par le dessous :

« BOUH ! »

Je fis un léger sursaut, il faut dire que je m'y attendais un peu.

« Wahahaha ! Je t'ai fait peur ? Punition pour le tripoteur ! »

C'était prévisible. J'étais franchement irrité de l'entendre m'insulter de pervers quand les enchaînements d'évènements ont été malencontreux et quand ceux-ci m'ont amené à ça...

Tout de même, j'avais eu peur qu'il lui soit arrivée quelque chose...

« Mais Claria ! On essaie d'être discret et toi, tu continues avec tes blagues pourries ! T'as pas l'impression qu'on est pourchassé par une fillette psychopathe ? »

Claria fit une mine boudeuse :

« Rooh... on ne peut jamais rigoler avec toi... s'pèce de peloteur !

— Mais c'était un accident !

— Peu importe Sorel, nous verrons ça plus tard, je vous signale qu'on a un blessé avec nous ! »

Ophélia se fit entendre en nous rappelant ce pour quoi nous nous étions cachés. Haron était toujours en danger. Nous ne connaissions pas son état actuel, il pouvait être au bord de la mort comme il pouvait très bien aller. Je ne sais pas, je ne suis pas médecin...

« Bien bien... tiens, Sorel. »

Claria me redonna mon téléphone toujours allumé.

« D'abord, on regarde la pièce et ensuite, on essaie de voir si Haron est en danger. »

Je donnais les ordres bien que j'ai juste envie de le laisser mourir. Mais il ne fallait pas. Si nous sortions et que les gens apprenaient que j'avais indirectement tué le fils Mélono, j'allais avoir de sérieux soucis...

D'un rapide geste de la main, je dirigeai le faisceau lumineux vers le fond de la pièce dont nous n'avions rien vu depuis que nous étions entrés.

Si je devais décrire ma première réaction, ça serait une espèce de haut-le-coeur. Une frayeur interne mais sans aucune réaction externe. Ce ne fut pas le cas d'Ophélia qui poussa un petit cri de frayeur :

devant nous à à peine quelques mètres juste au dessus d'une table que l'on pourrait assimiler à une table d'opération se trouvait un cadavre d'homme pendu sur la tuyauterie.

Voir cette corde me donnait des frissons sans que je sache réellement pourquoi, sûrement parce qu'elle était reliée au cou d'un être autrefois vivant ? Je ne sais pas...

Celui-ci avait deux cavités béantes sur la face. Le sang séché avait perlé sur ses joues ce qui donnait l'impression qu'il avait pleuré. L'homme portait une blouse d'infirmier tout à fait classique. Ce qui choquait, c'était le fait qu'il soit suspendu dans les airs et retenu par une corde.

« Qu-qu-qu'est-ce que c'est que-

— C'est un pendu. »

J'avais dit ça de la manière la plus plate possible, comme si j'en voyais tous les jours alors qu'Ophélia était en train de commencer à paniquer :

« Ce n'est pas ce que j'allais dire ! Pourquoi s'est-il suicidé ?! Et puis, qui c'est ?!

— Je ne sais pas. Je ne suis pas d'ici. »

J'étais effrayé certes, mais il fallait que je prenne sur moi. Il ne faut pas que je laisse mes émotions me dominer. Je devais prendre chaque évènement de manière rationnelle. Commencer à paniquer parce que l'on voit un pendu est la pire des réactions. Cette fillette nous entendra d'une manière ou d'une autre et c'en sera fini pour nous...

« Mais, mais...

— Il faut que vous gardiez votre calme. »

À ma grande surprise, Céleste venait d'élever la voix. Je pensais qu'elle allait rester silencieuse à cause de ma... ahem... "gaffe" de tout à l'heure.

« C-comment je suis supposée garder mon calme quand on se fait traquer par une fillette aussi sinistre et qu'il y a un pendu au regard vide dans l'endroit où nous nous réfugions ?! Comment je suis censé faire ?! Conseille-moi si tu es si forte que ça !

— Je ne peux pas vous conseiller mais je peux vous persuader. Si l'enfant que nous venons de voir vous entend, je ne pense pas que vous serez apte à vous plaindre après. Faites comme moi et réfléchissez aux conséquences de vos réactions plutôt que vos réactions elles-mêmes. »

C'est un discours qui m'irait à merveille. Je ne pensais pas que Céleste pouvait faire la morale...

« Je... ne veux pas finir comme lui c'est tout... j'ai juste peur de ce qui pourrait nous arriver. Si ça lui est arrivé, pourquoi pas nous ?

— De toute manière, nous ne pourrons jamais savoir ce qui est arrivé à ce type. Il s'est suicidé. Point. Il ne faut pas s'embêter à chercher quelque chose d'aussi futile. »

"futile" ? Je viens de dire qu'un cadavre pendu est "futile" ?

Claria m'interrompit d'un geste de la main :

« Ce qui me fait peur en revanche, c'est la raison de son suicide. »

Silence, de réflexion je pense.

Céleste répondit :

« Il y a mille et une raisons de mettre fin à ses jours. Nous ne pouvons pas connaître les détails de la vie de ce malheureux... »

Nous avions tous, sans peut-être même le vouloir, la voix qui tremblait légèrement.

Nous étions face à un cadavre. Un corps sans vie. Dépourvu d'âme. C'est très rare d'être témoin de ce genre de scène, j'ai pourtant déjà vu le cadavre des joueurs présents avec moi mais cela avait été bref. Ici, j'avais tout le temps de "contempler" le défunt. Être dans la même pièce qu'un mort est assez étouffant pour moi et également pour les autres à la seule sensation de mal être dans laquelle nous étions. C'est presque comme si nous pouvions sentir sa présence, c'est vraiment difficile à expliquer... il était mort mais il ne semblait pas l'être. J'étais assez confus, faire face à cet évènement est très difficile même si c'est quelqu'un que nous ne connaissions pas...

Et dire que je venais de qualifier cela de "futile" ? Suis-je déjà en train de m'habituer à tout cela ? Ça n'a rien de naturel.

Pour essayer d'occuper mon esprit à autre chose, j'ai commencé à inspecter la pièce grâce à mon téléphone : c'était une chambre d'hôpital.

Clairement, je ne voyais pas d'autre moyen de décrire cette pièce : un lit comme ceux qu'on trouve dans ce genre de bâtiment, une table de chevet avec un pot de fleurs qui était fanée d'ailleurs, un néon au-dessus du lit etc...

Tout autour de nous se trouvaient plusieurs armoires, celles-ci semblaient remplies de produits trop compliqués à décrire pour un simple élève de lycée comme moi. Il n'y avait que les mêmes bouteilles si je devais vraiment les comparer mais celles-ci doivent sûrement être différentes.

« Nous sommes dans un hôpital abandonné ? »

Ma question était rhétorique, je ne voyais pas d'autres bâtiments possédant ce genre de pièces.

« Je pense plutôt que nous sommes dans un asile psychiatrique... »

Pas bête. Je n'y avais pas pensé, il semblerait que Claria pouvait réfléchir à ce que je vois. Je la sous-estime trop...

Ophélia prit la parole :

« Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

— Regarde, nous sommes poursuivis par une espèce de fille qui a l'air d'avoir de graves problèmes car je ne vois pas pourquoi elle se baladerait comme ça avec des ciseaux. »

Et une hachette. Mais seul moi le savait.

« Il y a des chambres qui ressemblent à celles des hôpitaux dans les asiles. Et si quelqu'un s'est suicidé, il en avait sûrement marre de la façon dont il était traité...

— Je ne pense pas. »

Claria fut étonné du fait que je réfute ce qu'elle disait :

« À mon avis, les patients qui ont de graves problèmes ont droit à la camisole de force pour qu'ils se suicident pas ou qu'ils agressent les médecins, de plus, cet homme porte une blouse de médecin. Bon après, je ne suis jamais allé dans ce genre de bâtiment donc bon...

— Effectivement, j'avais oublié ce détail. La camisole de force est utilisé sur les patients les plus dangereux et est donc assez rare, mais son utilisation s'est raréfiée aujourd'hui. Il y a des moyens chimiques pour ça. Même si je ne me souviens plus de leurs noms...

— Moi, ce qui me choque, c'est le fait que tu connaisses tout ça. Tu veux devenir médecin plus tard ? »

Je ne sais pas pourquoi je pose cette question, je m'en fiche complètement après tout...

« Non, j'ai juste... quelques connaissances dans le domaine malgré moi. »

"Malgré moi" ? Elle est forcée ou bien ?

Je ne pourrais pas le savoir maintenant de toute façon car Claria changea de sujet :

« Bref, revenons à Haron. Je vous rappelle qu'il est en danger là ! »

C'est amusant de voir à quel point les personnes peuvent changer de comportement selon le sujet d'une discussion. Claria qui a tout le temps cette bonne humeur abusive avait parlé avec un ton vraiment sérieux. Ça me donnerait presque envie d'en savoir plus sur elle.

« Claria a raison, nous devons voir si Haron va bien. »

Après que Céleste ait prononcé ces mots, j'ai commencé à soulever Haron pour l'amener sur le lit. Même s'il fait à peu près cinq à six centimètres de moins que moi, il pesait tout de même son poids. À moins que je sois juste quelqu'un qui n'ait pas l'habitude de porter des gens...

J'ai porté Haron jusqu'au lit pour l'allonger. Celui-ci respirait difficilement et semblait souffrir au vu de son expression faciale, des gouttes de sueur apparente sur son visage confirmaient le fait qu'il soit effrayé. Il avait peur de mourir, mais ici, la mort peut venir bien plus vite que nous le pensons. C'est donc pourquoi nous devions faire tout notre possible pour le maintenir en vie et même mieux, le soulager.

J'en viens presque à avoir des remords de l'avoir autant frappé, il faisait vraiment de la peine à voir : en plus de la sueur présente sur son front, il avait le nez qui saigne et une marque rouge assez imposante sur l'oeil gauche. Tout est de ma faute, quand bien même j'avais "défendu" Céleste, je m'étais acharné sur lui. Pour mon image, ça n'allait pas rajouter des points...

Non Sorel, ne culpabilise pas. Il a fait une tentative de meurtre, c'est juste inacceptable !

« Qu'est-ce qu'on est censé faire maintenant ? Je préviens juste en vous disant que si jamais le bouche-à-bouche est nécessaire, ce n'est pas moi qui le ferai.

— Nan pas besoin, regarde. »

Claria tout en ayant parlé me pointa du doigt Haron.

Celui-ci semblait se calmer, sa respiration se faisait plus lente. Ça va alors, s'il se soigne tout seul, c'est beaucoup mieux.

« Je-je vais mieux ? Je... vais mieux, oui. Tout va bien aller. Je-

Haron s'interrompit d'un seul coup quand il posa le regard sur moi, je voyais dans ses yeux à peine éclairés par ma lampe qu'il avait peur que je recommence.

« C'est bon. Je ne te ferai rien tant que tu n'agresseras personne ici. Je m'inclus dans le lot mais je pense que cette idée à dû s'envoler en même temps que ta maîtrise de toi ! »

Je ne pense pas qu'à la place d'Haron, j'aurais bien aimé recevoir des insultes mais celui-ci n'a pas réagi. Il s'est simplement redressé :

« Je vais mieux, c'est bon. On peut commencer les recherches.

— Arrête de te forcer à ce point, ça se voit que tu es complètement fatigué. On va rester là pendant une dizaine de minutes puis on changera de salle pour te laisser récupérer.

— Pourquoi tu veux changer de salle ? On est bien caché ici non ? demanda-t-il

— Je te rappelle que ce type à la télé nous a dit de changer de salle toutes les vingts minutes, ça doit faire cinq minutes qu'on est là.

— Bon maintenant, Sorel réponds-moi, tu faisais quoi avec Céleste tout à l'heure ?!

J'ai l'impression que quand Claria a une idée en tête, elle s'y accroche et elle ne la lâche pas. Je déteste me justifier pour des choses insignifiantes mais je n'avais pas vraiment le choix ou l'image que j'essaie d'avoir ne fera que ternir.

« Je vais plutôt te dire ce qui se serait passé si je n'étais pas intervenu : cette fille nous aurait repérés et nous nous serions tous fait tué !

— Disons que je te crois mais... pourquoi persistes-tu à dire que cette fille veut notre mort ? T'avais l'air de le savoir avant même qu'elle arrive. D'ailleurs, t'as aussi deviné que c'était une fille.

— Tu cherches à faire quoi ? Me culpabiliser ? J'ai juste une bonne vision et pour le fait qu'elle soit dangereuse ou pas, je te propose d'aller lui demander. J'ai vu une fille qui s'approchait avec des ciseaux l'air menaçant, je n'ai pas réfléchi et je vous ai dit de me suivre pour qu'on se cache. Et je pense que j'ai eu raison. »

Je me suis dis que Claria devenait assez insistante quand il s'agissait de Céleste. Et c'est énervant de voir que cette fille prend le rôle de l'ancienne Ophélia.

Je dis ça mais si ça se trouve, Ophélia ne tardera pas à réagir de son ancienne façon, elle a l'air assez instable émotionnellement.

« De toute façon, je suis juste tombé en la faisant se taire. Ne va pas te faire d'idées bizarres que ça soit toi ou Céleste : je ne suis pas quelqu'un comme ça du tout. »

Céleste ne disait rien bien qu'elle soit la principale personne concernée dans l'histoire. Finalement, elle marmonna simplement :

« J'ai juste été un peu surprise... c'est bon Claria, je n'ai pas été blessée et c'est ce qui compte.

— En revanche, il y en a un ici qui est blessé je vous rappelle. Au lieu de s'attarder sur cet incident, nous ferions mieux de questionner Haron sur sa santé. Je vous le répète depuis tout à l'heure ! »

En disant cela, je remettais tout le monde sur le problème principal sans que la discussion n'échappe comme c'est souvent le cas avec eux.

« J'aimerais te poser une question Haron : est-ce que tu es fragile du coeur ?

Cette question fut suivie d'un lourd, très lourd silence. Un silence presque total si nous n'entendions pas la fillette au loin dans les couloirs jouer avec ses ciseaux. Haron ne répondait pas, un air grave se dessinait sur son visage.

Quelques larmes coulèrent sur ses joues :

« C'est... comme une épée de Damoclès au-dessus de moi... quoi que je fasse, c'est là, à m'attendre. Attendre que je sois faible, que je sois comme je l'étais il y a quelques minutes. Attendre que mes émotions prennent le dessus pour se jeter sur moi... »

Personne ne parlait. Le silence était entrecoupé de ses légers sanglots.

« Je me déteste. Je déteste "ça". »

Tout en ayant parlé, Haron serra fort le poing.

« Alors... vous êtes vraiment malade... ?

Toujours aucune réponse de la part d'Haron face à la question de Céleste qui semblait embarrassée de la poser.

Celui-ci semblait repartir dans un monologue mais son visage s'arrêta net de penser. Haron se tourna vers moi, les yeux mouillés par les larmes puis me demanda sur le ton du désespoir :

« Sorel... dis-moi, comment devient-on "parfait" ? »

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