Chapitre IV : Thierry

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 J’ouvre les yeux, je vois un plafond blanc avec son éclairage. Où suis-je ? Que s’est-il passé ? Un visage apparaît dans mon champ de vision.

* Bonjour Thierry, je m’appelle Yves et comme toi, je suis télépathe.

* Bonjour, j’ai une douleur affreuse dans la mâchoire.

 Une main se pose sur ma joue, je sens une douce chaleur, le mal s’apaise et devient supportable.

* Tu es aussi guérisseur ?

* Oui, un peu, je peux calmer les algies.

* Où suis-je ?

* Tu es dans une clinique privée, tu ne te souviens de rien ?

* Si, j’étais avec mes parents dans leur voiture et nous avons fait des tonneaux et après c’est le trou noir.

* Oui, ce fut un terrible accident.

* Où sont mes parents ?

 Je sens des ondes apaisantes me parcourir.

* Je ne vais pas te mentir, tes parents ne s’en sont pas tirés, tu es le seul survivant.

 Mes yeux se brouillent. Je mets un moment à encaisser le choc, je sens l’influence d’Yves pour apaiser mon désarroi.

* Jusqu’à ce jour, tu as été maintenu dans un coma artificiel, durant deux mois. Je t’ai amené dans cette clinique pendant les fêtes de Pâques. Dans l’hôpital où tu étais, ils voulaient commencer à te charcuter pour te mettre des prothèses, on t’a récupéré avant qu’ils ne commencent à te truffer de ferraille.

* Je suis délabré à ce point-là ?

* Tout ton côté gauche a morflé, ta moelle épinière est sectionnée. Mais je te rassure rien d’irréparable. Nous allons tout faire pour que l’intégrité de ton corps redevienne opérationnelle. Actuellement, tu es sous l’assistance de machines.

* Je ne sens plus mon corps. Donc je suis un légume ?

* Pour le moment oui. Mais tu dois me faire confiance.

* Je peux avoir un miroir ?

* Je te le déconseille, renouvelle ta demande dans un mois.

* C’est à ce point-là ?

* Thierry, n’essaie pas de pénétrer mon esprit, tu risquerais de te faire mal.

* Oui je constate que ton barrage est solide, excuse-moi.

* Je vais te présenter deux personnes qui vont s’occuper de toi. Le docteur Alexandre, neurologue et Stéphane l’infirmier. Ils vont prendre soin de toi, tous deux sont également télépathes. J’aurais bien mis une infirmière à ton service, mais, vu ton état, je pense que tu préfères avoir un homme pour s’occuper de ton corps.

 Deux nouvelles têtes apparaissent dans mon champ de vision et se présentent télépathiquement. Moi qui croyais être un cas isolé, je me retrouve avec trois télépathes autour de moi.

* Concernant ma petite amie, tu as des nouvelles ?

* Je crois que tu vas être déçu. Le premier mois, elle venait régulièrement te voir ; elle a fini par se faire une raison et a trouvé un autre petit ami.

 Je me retrouve donc seul au monde et à l’état de légume. Pourquoi continuer à vivre ?

* Ressaisis-toi, tu n’es pas seul et, des petites amies, tu en auras d’autres.

 Décidément rien ne lui échappe.

* Pourquoi t’intéresses-tu à moi et veux-tu m’aider ?

* Tu es télépathe, un très bon télépathe, tu as également un don pour la gestion et tu es quelqu’un d’intègre avec un cœur pur. J’ai besoin de personnes comme toi.

* Tu as besoin de moi ?

* Quand tu seras rétabli, tu comprendras.

 Où suis-je tombé ? De toute façon, je n’ai plus rien à perdre puisque j’ai tout perdu.

* Dans ta clinique, vous êtes tous aussi jeunes ?

* Oui (sourire) nous sommes des surdoués.

* Moi qui me croyais un cas isolé, je suis tombé dans une pépinière.

* Oui et bientôt tu en feras partie. Je vais te laisser, tu es dans de bonnes mains. Je passerai régulièrement prendre de tes nouvelles.

 Yves parti, Alexandre prit le relais.

* Nous allons procéder par étapes : d’abord on va s’occuper de la tête, de ton visage ; pour la moëlle, on va y aller progressivement de façon que les douleurs, causées par ton corps meurtri, ne t’assaillent pas. Régulièrement, tu vas passer des scanners pour suivre l’évolution de la reconstitution de ton métabolisme. Stéphane est ton infirmier en titre, il ne s’occupera que de toi ; en cas de nécessité, tu t’adresses à lui.

* Merci docteur.

* Tu peux m’appeler Alexandre ou Alex, ça sera plus simple. On va t’installer un écran au-dessus de ton lit, comme ça tu pourras regarder des films, la télé ou des livres, si tu veux lire.

* Tout ça va me coûter cher, je ne sais pas si ma mutuelle sera d’accord.

* Tu n’as aucun souci à te faire, c’est Yves qui prend tout en charge. Je te laisse, d’autres patients m’attendent.

* (Stéphane prit le relais) Tous les jours, je vais masser ton corps de façon à ce que tes muscles ne s’atrophient pas. Si tu as besoin de quelque chose, tu me préviens, je serais toujours dans les parages.

 Stéphane commence les massages, je ne ressens rien, sauf à partir du cou et du visage.

 On m’installe un écran au-dessus du lit. Stéphane m’en explique le fonctionnement.

* Tu vois le boîtier sur le côté de l’écran, il fonctionne par télépathie. Avec un peu d’entraînement, tu devrais arriver à l’utiliser.

 Après plusieurs tentatives infructueuses, je parviens à le maîtriser.

 Les jours s’écoulent, je passe un scanner par semaine pour suivre l’évolution de mon rétablissement. On m’endort, sous hypnose, pour les interventions, interventions dont j’ignore en quoi elles consistent.

 Un mois passe. Alex arrive.

* Tes résultats sont prometteurs. On va commencer à débrancher quelques machines. La reconstruction de ta moelle osseuse progresse ; toutes tes fonctions vitales sont pratiquement rétablies ; tes organes reprennent leurs fonctions. Tu as de la visite.

 Alex disparaît de mon champ de vision et j’aperçois Yves.

* Bonjour Thierry, comment vas-tu ?

* Bonjour Yves, je vais bien. Je n’ai pratiquement plus de douleurs, à part des démangeaisons dans la mâchoire.

* Les démangeaisons c’est bon signe, ça veut dire que c’est en voie de guérison. J’ai amené un miroir, tu vas pouvoir te voir.

 Il place le miroir devant moi.

* Ton visage est un peu boursouflé, mais ça va progressivement désenfler.

* Mon nez, il était un peu de travers, c’était un souvenir d’une bagarre au collège.

* Il ne te plaît pas comme ça ?

* Si si bien sûr.

* C’est un petit cadeau de la maison (dit-il en souriant).

* Merci.

- Essaie de parler.

 Je baragouine, les sons que je sors sont affreux.

- Ne force pas, tu as tout le temps, entraîne-toi régulièrement, ça devrait revenir rapidement. On va tester ta main droite. Sens-tu quelque chose ?

* Oui tu me tiens la main.

- Bouge tes doigts. C’est bon, la motricité de ta main revient. Stéphane va t’aider à la rééduquer. Dans moins d’un mois tu pourras être mis dans un fauteuil et sortir prendre l’air. Je suis content des résultats.

* Pas autant que moi, je me sens revivre. Yves, je te suis redevable.

 Nous avons discuté une bonne partie de l’après-midi, il s’en alla après m’avoir promis de repasser dans un mois.

 Le lendemain, avec l’aide de Stéphane, je fais fonctionner ma main et commence à parler, ma voix s’éclaircit. Tous les jours, j’ai maintenant le droit de me regarder, mon visage désenfle de jours en jours. Les machines, qui m’entourent, commencent à disparaître. J’arrive à tourner la tête, des sensations commencent à revenir dans mon corps. Je n’ai plus de problèmes pour mouvoir ma main droite, pour la gauche c’est plus douloureux. La tête de mon lit, dans la journée, est relevée. Alex arrive.

- Bonjour Thierry, comment vas-tu ce matin ?

- Très bien Alex. Je commence à avoir des sensations dans tout mon corps, sauf la jambe gauche. Sois franc avec moi, j’ai l’impression d’avoir été amputé.

- Oui, c’est exact, tu as été amputé au-dessous du genou. Il ne faut pas te faire de soucis, tu vas retrouver ta jambe, je ne te parle pas de prothèse. Avec Yves, nous avons mis au point une technique, qui permet de régénérer des membres, comme pour le lézard, quand il perd sa queue, elle repousse. Si tu veux voir ta jambe, je peux te la montrer, mais ce n’est pas tellement beau à voir, du moins pour le moment.

- Non pas la peine, je te fais confiance.

- Te sens-tu capable de reprendre le contrôle de tes sphincters ?

- Je pense.

- On va faire un essai, on va t’enlever la sonde vésicale. Stéphane apporte un pistolet !

 J’arrive à pisser quelques gouttes.

- Je crois que c’est bon, on ne va pas remettre la sonde. N’oublie pas de faire appel à Stéphane si tu as envie de te soulager, sinon tu risques de prendre un bain d’urine. Donc, après ce résultat positif, on va commencer à te réalimenter par voie normale. Au début, ce ne sera pas de la gastronomie, mais des purées, il faut que ton organisme se réadapte.

 Les jours continuent de s’écouler. Je n’ai plus de machines autour de moi, je reprends le contrôle total de mes membres.

 Yves arrive avec un fauteuil roulant motorisé.

- Bonjour Thierry, voici ton nouveau mode de locomotion, prêt pour un essai ?

- Bonjour Yves, avec joie.

 Je vais, enfin, pouvoir sortir de mon lit et de ma chambre, ma joie est à son comble. Stéphane m’aide à enfiler une robe de chambre et, avec Yves, ils me déposent dans la chaise. J’en prends aisément les commandes. Nous sortons dans le parc. Il fait bon, un soleil radieux rayonne, je respire à pleins poumons. Les oiseaux discrètement font entendre leurs mélodies ; les fleurs, dans un arc-en-ciel de couleurs, exhalent leur parfum. J’ai l’impression de sortir de prison et de retrouver ma liberté. Bref, je suis heureux. Cette fois, je revis vraiment.

- A partir de maintenant, on considère que tu es en convalescence. On va te donner une paire de béquilles pour te déplacer dans la chambre et pouvoir t’installer tout seul dans ton fauteuil roulant. Je pense que tu vas pouvoir maintenant prendre tes repas à la cantine de la clinique. Ne dis à personne, en dehors de nous trois, que tu es télépathe. Tu es redevenu opérationnel. Tu auras droit à une infirmière, elle aussi, est télépathe donc de trois on passe à quatre. Stéphane continuera tes massages et, si besoin, tu pourras toujours l’appeler.

- Merci pour tout ce que tu fais pour moi. Dès que ça sera possible, je suis prêt à me mettre à ton service.

- Pas de problème Thierry. Mais en aucun cas, ce n’est une obligation, tu prendras ta décision le moment venu.

 Nous retournons à ma chambre. Yves prend congé en me promettant de suivre mes progrès et de passer de temps en temps me voir.

 Stéphane arrive, accompagné d’une superbe fille aux cheveux châtain clair en chignon. Elle a un sourire, dans un visage angélique, qui rayonne et qui, telle une muse, inspirerait un poète. Son corps de déesse m’émerveille. Je suis comme un gamin, devant un jouet qu’il a, si longtemps, désiré.

- Je te présente Elsa, elle va être ton infirmière et me remplacer. Mais, si tu as besoin de moi, pas de problème, de toute façon je vais continuer tes massages.

- Bonjour Elsa.

* Thierry, tu sembles oublier que je suis télépathe. Les images que tu émets sont flatteuses mais ça me gêne un peu.

 Aïe la gaffe, je me mets à rougir.

* Excuse-moi Elsa, je crois que j’ai foiré notre premier contact.

* Non pas du tout, mais il faut que tu apprennes à te contrôler.

 A mon dernier scanner, Alex décide que je n’ai plus rien à faire dans cette chambre, on me met dans un petit studio donnant sur le parc. Je me déplace de plus en plus avec mes béquilles, Elsa m’accompagne dans mes ballades. J’apprécie beaucoup sa compagnie et succombe à son charme, apparemment nos sentiments sont partagés.

 Ma jambe continue à pousser, mon pied est pratiquement formé, il me manque encore cinq centimètres. Mes massages avec Stéphane se déroulent maintenant dans une salle de sport où je peux, en complément, faire un peu de musculation.

 Le jour suivant, Elsa arrive avec une boîte : elle en sort des chaussures orthopédiques. Un mécanisme permet de régler l’épaisseur de la semelle. Réglée au maximum, elle ne compense que quatre centimètres, mais je peux les utiliser, ça me fait claudiquer, c’est quand même mieux que les béquilles. Elsa, par sécurité, va me chercher une canne.

- Elsa, j’aimerais pouvoir retirer de l’argent, pour t’emmener au restaurant, j’ai envie de sortir.

- Pas besoin de retirer de l’argent. Ce soir, je t’y emmène, mais avant on va aller faire les magasins, tu as besoin de vêtements.

- Tu es un ange pour moi, ça m’ennuie de te mobiliser ainsi.

- ça me fait plaisir de te rendre service, ce n’est pas une contrainte pour moi.

 Je sens de la confusion dans son esprit. Je lui fais un baiser sur la joue en lui murmurant « Merci ». Perdant l’équilibre nous nous retrouvons enlacés. Nous sommes dans une position où ma maladresse me fait rougir de confusion. Le trouble, qui m’envahit, m’enhardit, je lui susurre :

- Elsa je t’aime. (Je resserre mon étreinte, je sens son cœur qui s’emballe)

- Thierry, moi aussi, je t’aime.

 Tels des amoureux de Peynet, nous restons étroitement serrés. Je sens la chaleur de son corps et son odeur qui m’enivre. Je frissonne de bonheur.

 Après cet intermède des plus romantiques, nous partons en ville faire nos emplettes. Je veux payer. Elsa me déclare que, dans le domaine, l’argent n’a pas court.

- C’est quoi le domaine ?

- Je t’en parlerai plus tard.

 Je n’insiste pas et me résigne.

 Je suis heureux. Maintenant que nous nous sommes déclarés, le bonheur rayonne sur nos visages. Nous passons la soirée au restaurant en amoureux. De retour au studio, nous prenons l’air dans le parc, la main dans la main. Je l’enlace, je respire son parfum, le contact de son corps me réchauffe l’âme.

* Accepterais-tu de rester avec moi cette nuit ?

* Oui Thierry !

 S’ensuivit une nuit qui nous emporta au septième ciel.

 Le lendemain, Elsa me propose de venir vivre avec elle dans son appartement en ville. J’accepte avec joie. J’en parle avec Alex qui accepte, à condition que je vienne avec Elsa à la clinique, quand elle prend son service, afin de continuer mes examens et ma kiné. ça me convient. Je prépare ma valise et, le soir, j’emménage en ville. Une fois installé, Elsa commence à me parler du domaine.

- Ici, nous vivons dans un domaine qui appartient au Comte Deboisleu.

- Un domaine ? Il consiste en quoi ce domaine ?

- Tu vas avoir du mal à l’admettre. Mais nous vivons dans une espèce de no man’s land, c'est-à-dire que, pour le monde extérieur, nous n’existons pas.

- Comment est-ce possible ?

- Un dôme nous rend invisible, il nous protège également de la pollution et crée un micro climat.

- Tu me fais marcher, c’est de la fiction !

- Non mon chéri. N’as-tu rien remarqué depuis que tu es ici concernant le climat ?

- Si bien sûr. Il fait toujours une température agréable et il ne pleut jamais dans la journée, seulement la nuit.

- Cela est dû au dôme. Tous ceux qui y vivent sont des initiés.

- Si je comprends bien, les initiés sont ceux qui vivent à l’intérieur et qui sont au courant de son existence.

- Exactement.

- Donc tu es une initiée et moi je suis en train d’en devenir un. Tout ça me dépasse.

- Ne t’inquiète pas, ça deviendra clair quand tu seras intronisé.

- Intronisé ? On va me faire subir des tests, un bizutage ?

- Non, rien de tout ça, on te demandera de garder le secret et d’accepter notre mode de vie.

- Et si je refuse ?

- On effacera tous tes souvenirs concernant le domaine et tu seras rendu au monde extérieur.

- Donc je te perds, non pas question, je t’aime trop. Pour toi, je suis prêt à tout accepter.

 Elle m’enlace et m’embrasse.

- Mon chéri, je ne pourrai plus me passer de toi. Je sais que tu ne me quitteras pas, et que tu ne regretteras pas de faire partie des initiés. Yves me l’a promis et il a de grands projets pour toi.

- Et ces projets consistent en quoi ?

- Je ne peux pas t’en parler, il le fera lui-même.

- Tu me mets sur des charbons ardents.

- Au mois de septembre, il faudra que je te présente à mes parents.

- C’est avec joie que je les rencontrerai, je suppose qu’ils sont aussi des initiés.

- Oui ce sont des scientifiques qui travaillent pour Yves.

- Donc ils sont dans le domaine ?

- Ils ne sont pas dans ce domaine mais dans un autre.

- Ma chérie, ça commence à devenir compliqué, j’ai du mal à te suivre.

- Il faut que tu sois patient. On arrête de parler de tout ça. Tu veux boire quelque chose ? Je vais aller préparer le repas.

- Oui je veux bien un whisky pour faire passer tout ça.

 Elle me sert un whisky et m’embrasse avant de rejoindre la cuisine.

 Yves, à notre prochaine rencontre, tu vas me devoir des explications, car là, je nage complètement.

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