Chapitre I : André

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 Nous sommes mi-août, je n’ai pas le moral. Depuis ma séparation avec Michel, je vis chez une amie qui m’a prêté son appartement. Elle rentre de congé à la fin du mois et je n’ai toujours pas trouvé de logement. La rentrée en fac est prévue début septembre. Une chambre d’étudiant ou une colocation serait l’idéal, c’est vrai que je m’y prends un peu tard.

 Tout en flânant, j’arrive place du commerce, il fait chaud, la canicule qui persiste depuis plusieurs jours rend les gens amorphes. J’ai la gorge sèche, je prendrais bien un rafraîchissement. Peut-être aussi l’occasion de rencontrer d’autres étudiants qui, comme moi, cherchent un logement.

 La place est bondée, les tables en terrasse sont presque toutes prises, à croire que tout le monde s’est donné rendez-vous ici. Un gars, seul à une table, me dévisage. C’est vrai qu’il est pas mal : châtain mi-court, mince, élégant. Me drague-t-il ? C’est un peu gênant. Je passe à proximité de sa table, il m’interpelle :

- Bonjour, si vous cherchez une place, je suis seul et je veux bien partager ma table.

- Ce n’est pas de refus, je vous remercie.

- Excusez-moi si je vous dévisage, mais j’ai l’impression de vous connaître.

- Vous devez faire erreur, je ne pense pas vous avoir rencontré.

 Je hèle un garçon et commande une eau gazeuse citronnée.

- Bizarre, vous ne me semblez pas inconnu, on a dû se croiser… Au fait, moi c’est Yves. Je suis de passage sur Nantes. Bien que j’y aie un appartement, je ne suis pas souvent dans la région.

- Enchanté, moi c’est André, je ne suis pas de passage et, contrairement à vous, je cherche un logement.

- Tu fais quoi dans la vie, si ce n’est pas indiscret ? Je viens de te tutoyer, j’espère que ça ne te gêne pas.

- Non ça ne me gêne nullement, je suis étudiant en sociologie.

- Je travaille dans l’informatique, j’ai monté une petite entreprise « FuturMatique ». Actuellement, je développe un système d’exploitation capable de se passer d’antivirus.

- ça a l’air Intéressant. Mais excuse-moi, l’informatique, je n’y comprends pas grand-chose. Je me contente d’utiliser les ordinateurs pour faire des recherches sur le net et rédiger mes documents.

- Oui, le net un outil bien pratique, j’y vagabonde souvent … heu …, je pense avoir trouvé d’où je te connais.

 Aïe, la cata, la honte.

- André, tu rougis, désolé si ça te dérange. J’avoue que j’ai beaucoup apprécié tes photos.

- Pour moi, c’est la honte. J’avais besoin de fric et mon ami m’avait proposé de faire comme lui de poser nu pour un site gay.

- Je vois. Gênant quand tu tombes sur un client du site, mais j’avoue avoir aimé et fantasmé sur tes photos, tu es pas mal : bien bâti, cheveux bruns ondulés, svelte.

- Arrête, s’il te plaît, n’en rajoute pas !

 Un silence s’installe. Nous sirotons nos boissons, je sens qu’il me détaille. Discrètement, j’en fais autant. J’aime bien ce genre de garçon, il a une certaine classe, bien sapé, il ne doit pas être dans le besoin, il a un regard profond. J’aimerais bien savoir ce qu’il pense de moi, apparemment je ne le laisse pas indifférent.

- Pour me faire pardonner, je t’invite à dîner ce soir, et s’il te plaît, ne refuse pas mon invitation.

- J’accepte, mais je n’ai rien à te pardonner, c’est ma faute, je n’aurais pas dû me laisser entraîner dans ce deal.

- Au moins, ça nous a permis de nous connaître. On se retrouve ici vers 19h30 ?

- Ok, à tout à l’heure.

 Nous nous séparons. Dans quelle galère me suis-je fourré ! Je n’aurais jamais dû accepter de faire ces photos. Aujourd’hui, je suis tombé sur un mec bien, beau, de mon âge, mais demain si je tombe sur un vieux cochon ?

 Je rentre prendre une douche et me préparer pour ce soir. André, cesse de rêver ! C’est vrai qu’Yves semble être un gars épanoui et intéressant, mais que ferait-il d’un minable comme toi, impudique, qui s’expose sur le net.

 19h30, la place du commerce est plus calme et moins populeuse. Ah ! Je le vois il semble me chercher. Je croise son regard, il vient vers moi.

- Te voilà, j’avais peur que tu ne viennes pas.

- J’ai accepté ton invitation. Je ne suis pas du genre à poser des lapins, mais je vais te demander quelque chose, on ne parle pas de mes photos.

- Promis, j’ai envie de te connaître, mais sur un plan moins physique. Que penses-tu du petit restau qui fait l’angle ? A moins que tu ne connaisses autre chose de plus sympa ?

- Non c’est très bien, il est correct ainsi que ses prix.

- Le choix est fait, allons-y ! Il y a de la place en terrasse, si tu es d’accord.

 Nous nous installons dehors, la température est plus clémente. J’appréhende un peu ce rendez-vous, j’espère qu’il ne va pas me trouver un peu naze. André, tu fais des études en sociologie, pourquoi avoir peur, sois positif et décontracté, (plus facile à dire qu’à faire).

- Je te vois pensif, quelque chose ne va pas ?

- Je vais être franc avec toi, j’ai peur de te décevoir.

- Me décevoir, en quoi ? Je pourrais dire la même chose, monsieur le sociologue.

- Tu as raison. Mais ma vie a, jusqu’à ce jour, été faite de déceptions.

- Sois positif ! Ce soir, on fête une amitié naissante, et j’espère que tu n’as rien contre. Commandons un apéro pour détendre l’atmosphère.

 Tout a l’air si facile pour lui, il faut que je sois à la hauteur, il a raison, soyons positifs. Ses yeux noisette qui me fixent me troublent.

- André, j’ai envie de te connaître, d’en savoir plus sur toi, et comme je te sens réticent, je vais commencer par te parler de moi.

- ça me va.

- Nous sommes tous les deux homo, je ne pense pas m’être trompé ?

- Non, tu ne te trompes pas et je suis content d’avoir la confirmation pour toi.

- J’ai eu une vie déplorable dans ce domaine, j’ai eu deux petits amis. J’habitais Paris, ville de perdition. Le premier, qui a été pour moi la révélation de mon homosexualité, fut le grand amour mais il était volage, il se dispersait et me rendait jaloux. Il avait eu une enfance difficile : un beau-père qui l’humiliait et abusait sexuellement de lui. Il voulait que je partage avec lui ses conquêtes, je n’ai pas pu, il me rendait malheureux. Un jour, il m’a demandé s’il pouvait reprendre sa liberté, je ne pouvais qu’accepter, je ne supportais plus cette situation. En moins d’un mois, j’ai trouvé un autre garçon. Physiquement, c’était moins intense mais au moins il paraissait stable, et pour moi, l’amour n’est pas que physique. Mon ex qui s’est aperçu que je l’avais remplacé est revenu à la charge, il voulait que l’on se remette ensemble, je crois qu’en lui j’avais éveillé de la jalousie. Je lui ai fermement fait comprendre que je n’étais pas une girouette. Malheureusement, ça s’est mal terminé, il s’est suicidé. Depuis je me sens coupable, était-ce à cause de moi ? Je ne le saurai jamais. Quant au deuxième, avec qui je pensais avoir trouvé la stabilité, un jour, il m’a quitté pour un autre garçon. On est resté en bons termes et l’on s’écrit, une fois par an, pour nos anniversaires. Voilà en gros ma vie. Depuis, je vis seul. Je n’ai plus mes parents, ils sont décédés cancer et crise cardiaque. Je ne me plains pas, je ne suis pas dans le besoin, l’héritage m’a aidé à faire face… A toi maintenant.

- Merci de t’être ainsi confié, à mon tour, d’être sincère avec toi. J’ai perdu mes parents dans un accident de voiture, il y a un an. Ils ne m’ont pas laissé grand-chose, on ne roulait pas sur l’or. J’avais un petit ami, un copain de lycée : ça a commencé par des regards qui en disaient long puis des mains baladeuses. Je crois que tous les deux on découvrait notre penchant pour le milieu homo. Ce fut mon premier amour, il était intense. Puis un jour, il s’est laissé entraîner par un photographe qui cherchait des modèles gays pour un site porno. Et moi, bêtement, je l’ai suivi sans réfléchir. Je ne te cache pas qu’au début, j’ai aimé ça, rencontrer plein de jolis garçons et batifoler avec eux. Mais ça n’a pas duré longtemps, j’ai commencé à réaliser que j’étais exposé sur le Net et que je risquais de tomber sur des gens, qui comme toi, auraient vu mes photos. La honte m’a envahi, mais trop tard, je ne pouvais plus revenir en arrière. Mon ex n’a pas compris mon revirement, on s’est engueulé et ce fut la rupture. Mon histoire est moins triste que la tienne. Mais comme toi, je suis seul, sans héritage, heureusement j’ai une bourse, il me reste un peu d’argent de mes parents et j’ai pu décrocher des petits boulots, qui me permettent de vivre décemment. Voilà tu sais tout sur moi !

- Oui, ton histoire est moins triste, mais nous sommes tous les deux libres et sans attaches. Je vais te sembler brutal et culotté, je sens une attirance vers toi, accepterais-tu de devenir mon petit ami ?

- En effet tu es direct, je ne sais pas quoi répondre…, moi aussi j’éprouve quelque chose à ton égard. Es-tu sûr de vouloir un petit ami impudique qui expose sa nudité au monde entier ?

- C’est un détail. Oublie Internet, vois les choses sous un autre angle. Si tu te focalises sur cette erreur, tu n’avanceras plus et tu te condamnes à vivre dans la solitude.

- Je sais que tu as raison, mais j’ai peur d’un échec et de lendemains douloureux.

- Alors tu ne me fais pas confiance, mon petit socio. Tu es vraiment dur avec toi. Ne dis plus rien, réfléchis, analyse la situation et sois objectif.

 Le repas se termine dans un silence qui devient oppressant. J’ai l’impression d’avoir gaffé et j’appréhende qu’il se résigne devant ma réticence et me laisse tomber.

- Il se fait tard, déjà 22h10. Je paye et on va faire un peu de marche, histoire de digérer. Inutile de sortir ton porte-monnaie, c’est moi qui t’ai invité. Dis donc, tu m’as l’air un peu pompette ?

- Ne te moque pas de moi, j’ai un peu forcé sur le vin, je n’ai pas fait attention.

- Chic, je vais pouvoir abuser de toi. Soyons sérieux, on va marcher un peu, ça te remettra les idées en place.

 L’addition payée, nous voilà partis. J’aimerais que la soirée s’éternise, je suis un peu euphorique, mais bien. Je l’envie, il rayonne, tout lui semble si facile. Je me sens bien en sa compagnie. Il y a longtemps que je n’ai pas ressenti une telle sérénité. André, ne gâche pas ces moments, il faut que tu sois à la hauteur, que cette relation puisse durer.

- A quoi penses-tu André ?

- A notre rencontre, il y a un bail que je ne me suis pas senti aussi bien.

- Il ne tient qu’à toi pour que ça puisse durer ! Tu connais ma position et mon souhait, la balle est dans ton camp.

- Oui je sais... On se dirige vers la fac, c’est exprès que l’on va dans cette direction ?

- Pas exactement, car vois-tu c’est aussi vers mon appartement que l’on va, me feras-tu l’honneur de venir le visiter, comme ça tu sauras où j’habite.

 Pas folle la guêpe, je vois où il veut en venir, il ne perd pas de temps. André peut être une chance pour toi de changer ta petite vie misérable.

- Tu ne dis rien, tu as peur ? Rassure-toi je n’ai pas l’intention de te violer.

- Me violer ? Je crois que c’est déjà fait non ? Avec les photos que tu as vues, je n’ai plus rien à te dévoiler.

- Tu te trompes, si je t’ai violé avec les yeux, peut-être que j’ai aussi envie de te violer avec les mains.

- Ok, tu as gagné !

- J’ai gagné quoi, le droit de te violer ?

 Nous nous sommes mis à rigoler de bon cœur, dieu que ça fait du bien. Nous sommes arrivés devant un bâtiment assez cossu, est-ce là qu’il habite ?

- Nous sommes devant ma garçonnière. Prêt pour la visite ? Tu n‘as pas peur ?

- Non, je n’ai pas peur.

- J’habite au premier, pratique quand l’ascenseur est en panne.

- Tu penses à tout, pratique aussi pour passer tes amants par la fenêtre, ça leur donne une chance de s’en tirer.

- Je vois que tu ne manques pas d’humour, c’est bien tu te dérides enfin.

- C’est grâce à toi, j’ai passé une après-midi sympa.

- Alors, allons jusqu’au bout de la nuit.

 Pas mal comme garçonnière. Si seulement je pouvais en trouver une comme ça, malheureusement, ce n’est pas dans mes maigres moyens.

- Tu aimes ? Ce n’est pas grand mais confortable : une chambre avec un grand lit qui ne demande qu’à être partagé, une salle d’eau, un séjour, une petite cuisine et un réduit qui pourrait être aménagé en petit bureau.

- Tu as de la chance, en plus la vue est magnifique.

- Mets toi à l’aise, enlève ton blouson. Tu veux boire quelque chose, un coke, un soda ?

- Un coke, s’il te plaît.

- Installe-toi, fais comme chez toi, je ramène les boissons.

 Il a vraiment de la chance. J’éprouve de la jalousie, je suis idiot. Pourquoi un tel sentiment, ce n’est pas mon genre.

- C’est bien, tu as choisi la banquette, je vais pouvoir me mettre à côté de toi.

Je sens que je vais rougir, il va encore se moquer de moi.

- Détend toi, je ne vais pas te manger, du moins pas tout de suite.

 Il me prend la main, un frisson et des palpitations m’envahissent. Est-ce ce qu’on appelle un coup de foudre ?

- Tu trembles… André, … J’ai envie de toi.

- (je balbutie) Moi aussi.

 Il m’enlace et m’embrasse, une bouffée de chaleur monte en moi, je ne peux plus me retenir, je suis vraiment nul.

- Un problème ?

- Je suis nul, je n’ai pas pu me retenir. (Il rigole)

- Au moins ça prouve que je ne te laisse pas indifférent. T’inquiète pas, bois ton coke, je vais te donner un slip, tu iras prendre une douche, j’en prendrais une aussi et vu l’heure, on ira se coucher, j’espère que tu es d’accord pour rester.

- Au point où j’en suis, autant aller jusqu’au bout, tant pis si je m’en mords les doigts après.

- Sois positif et fais-moi confiance.

 La nuit fut torride. On a fait l’amour une bonne partie de la nuit. Il fait jour, je suis seul dans le lit, m’a-t-il abandonné maintenant qu’il a eu ce qu’il voulait ? Je me lève, houlà j’ai mal à la tête, les effets du vin. Je me dirige vers la cuisine où j’entends du bruit.

- Bonjour André, un café ?

- Bonjour, tu es là ?

- Bah oui, où veux-tu que je sois ? Je suis chez moi, je n’ai pas le droit à un bisou.

- Scuse ma question idiote mais ce matin j’ai mal aux cheveux.

- Tu veux une aspirine ?

 Je l’embrasse, il me prépare une aspirine et une tasse de café. Mes idées ne sont pas claires, ai-je fait une bêtise en acceptant de venir chez lui ?

- As-tu une réponse à me donner après cette folle nuit ?

- J’ai passé une nuit d’enfer, tu fais l’amour comme un dieu, par contre j’ai l’impression d’avoir été nul. Une réponse à quelle question ?

- Merci pour le compliment. Ma question était : veux-tu devenir mon petit ami ?

- Oui, … En espérant que tu ne le regretteras pas.

- Si tu restes franc et correct avec moi, pas de problème.

- Je jure...

- STOP, ne jure pas s’il te plaît. Je te demande seulement de me faire confiance et de ne pas trahir ma confiance.

- Ok promis.

- On prend notre petit déjeuner et on passe chez toi récupérer tes affaires. Maintenant, tu habites ici.

- Je n’ai pas grand-chose à récupérer : mon linge, mes bouquins et quelques bibelots.

- Pas de problèmes on prend la voiture et s’il le faut, on fera plusieurs voyages.

- En plus ça m’arrange, je dois quitter l’appartement à la fin du mois. Mais es-tu sûr de vouloir de moi chez toi ?

- André ! Je t’ai demandé de me faire confiance, tu l’as oublié ? Il faudra que je te présente à la concierge, elle a le double des clefs et vient faire le ménage tous les lundi après-midi, tu n’as pas à avoir peur, c’est une femme de toute confiance.

- ça fait beaucoup à encaisser, j’ai un peu honte, j’ai l’impression d’être à ta charge.

- Non t’inquiètes. Ma situation me le permet, en plus que tu sois là ou pas, ça me coûte la même chose. Et je t’aime, ça je peux te l’affirmer et j’espère que c’est réciproque.

 Ma réciprocité, je lui confirme avec un baiser. On prend le petit déjeuner, une douche, et nous voilà partis vers ma tanière.

- Tu n’as pas grand-chose à déménager, un seul voyage devrait suffire.

On est de retour avant midi. Une fois dans l’appartement :

- Je mets tout ça où ?

- Où tu veux, comme tu peux le constater j’ai peu d’affaire ici. Je ne fais que passer, donc tu es chez toi au sens le plus large possible. Tu en fais une tête.

- Si je comprends bien, tu vas me laisser tout seul.

- Désolé André, mais j’ai un travail, mais ne t’inquiète pas on se verra souvent et il y a le téléphone. En plus il faut que tu bosses, j’aurais besoin d’un sociologue dans mon entreprise, alors je compte sur toi.

- Tu m’abandonnes quand ?

- Le 18. On est le 15, on a le temps de planifier tout ça. J’ai plusieurs choses à voir et à régler avec toi.

- Plusieurs choses à voir ?

- Oui, par exemple tes photos. Comme tu le sais, je suis dans l’informatique et je pense que Sonia, avec qui je travaille, va pouvoir m’aider.

- Tu as une femme dans ta vie ?

- J’en ai même plusieurs, serais-tu jaloux ? Dans mon entourage, il y a pas mal de femmes. Mais rassure-toi, les femmes j’ai essayées, mais ce n’est pas mon truc. D’ailleurs tu devrais en faire l’expérience, ça te conforterait sur ton choix sexuel.

- Franchement ça ne me tente pas du tout. Je t’ai coupé, désolé, tu parlais de Sonia.

- Oui, elle est très forte et je pense qu’elle devrait pouvoir faire disparaître toutes tes photos du Net.

- Si elle y arrive, je lui ferais un gros bisou, pourquoi ris-tu ? Elle est moche ou vieille ?

- Non non ! Elle n’est pas moche mais tu comprendras quand je te la présenterai aux vacances de fin d’année. D’ailleurs, débrouille-toi comme tu veux, mais Noël et Nouvel An, on les passe ensemble chez moi, donc n’accepte pas d’invitation pour cette période. Deuxième chose, ne rigole pas s’il te plaît, j’ai un don.

- Tu m’intrigues, il consiste en quoi ce don ?

- J’ai des visions prémonitoires et, en me concentrant, je peux voir dans l’avenir à court terme. C’est un secret entre nous, tu n’en parles pas.

- Tu avais vu notre relation ?

- Pas vraiment, il n’est pas toujours bon de vouloir voir l’avenir. Pour toi quand je t’ai vu, il y a eu un déclic en moi, j’ai compris que ma solitude allait prendre fin.

- Moi quand je t’ai vu, j’ai flashé, quelque chose m’attirait vers toi.

- Mon magnétisme... Si je te parle de ce don, c’est que je vais m’en servir pour t’aider. Tu vas remplir une grille de loto, tu n’auras pas tous les numéros, mais suffisamment pour gagner cent mille euros, exactement quatre-vingt-dix-neuf mille cinq cents euros. Je n’aime pas faire ça, mais au moins tu n’auras plus de soucis d’argent.

 Je reste ébahi, sans trop y croire. Est-ce comme ça qu’il a pu acheter cet appartement ? Je le rejoins dans la cuisine où il commence à préparer notre repas.

- Je constate que tu as aussi un don pour la cuisine.

- Fous-toi de moi ! Ce soir, ce sera à ton tour de me montrer tes talents culinaires.

- No problemo.

 Il y a bien longtemps que je ne m’étais pas senti aussi bien dans ma peau. Après un petit repas sympa, dans une ambiance joviale, couronné d’une sieste crapuleuse, nous partons faire des courses. Arrêt au tabac pour faire ce fameux loto que je dois payer car il veut à tout prix que ce soit mon loto. Ensuite les magasins où le choix des produits m’incombe puisque je dois composer le menu du soir. De retour il me présente à la concierge : une petite bonne femme souriante, style mamma, avec des cheveux bruns bouclés.

- Bonjour Mathilde, je vous présente André, qui va occuper mon appartement.

- Pas de problème mon gars ! Alors, ça y est, tu t’es casé ?

- Mathilde !

- Il est pas mal ton ami ! Bon, tu lui as dit pour le ménage car, je suppose, que je continue comme dab ?

- Oui il est au courant, je lui ai parlé du Dragon qui débarquerait tous les lundis.

 Gros rire, nous prenons congé.

- Ne t’inquiète pas, elle est un peu familière, mais c’est quelqu’un de bien.

- Avec toi, tout semble si facile que mes inquiétudes commencent à s’estomper. Mais …

- Oui mais ?

- J’ai l’impression que tu me caches beaucoup de chose.

- André, on commence seulement à se découvrir, sois patient, bientôt il n’y aura plus de secrets entre nous. En plus, ça fait un beau sujet pour mon petit socio.

- Arrête avec ce diminutif, ça fait un peu sociopathe.

- Oups, je n’y avais pas pensé, tu as raison.

L’après-midi se déroule dans le calme, devant un film à la télé.

- Je vais commencer à préparer notre repas, en espérant maîtriser la cuisine, car là il va falloir que je découvre ses petits secrets.

- Je ne suis pas dupe, merci pour l’allusion.

- Je n’ai pas pu l’éviter celle-là, excuse-moi.

- Ne fais pas un repas trop lourd, sinon, tu risques de le regretter si je m’endors trop vite au lit.

- Ok chef !

 Après notre dînette, nous nous installons devant la télé pour attendre le tirage du loto. Je suis un peu fébrile. A-t-il vraiment ce don de prémonition ? Le tirage commence, je reste sans voix, tout se passe comme il l’a prédit. Il se lève et revient avec une petite bouteille de champagne.

- Ne fait pas ces yeux, on va arroser ton loto !

- Je vais être franc avec toi, je l’espérais mais n’y croyais pas vraiment.

- Au moins tu n’es plus obligé de te disperser avec des petits boulots et tes études seront plus sereines.

 Je le prends dans mes bras et l’embrasse. Mon cœur bat la chamade. La soirée se termine et une nouvelle nuit folle s’ensuit.

 Le 17 août arrive. À ma grande déception, ça commence à sentir la séparation prévue demain matin. Yves me présente sa carte d’identité et me demande la mienne.

- Merci. Maintenant, je connais ta date de naissance, bientôt 19 ans, et je n’aurais aucune excuse si j’oublie ton anniversaire : 26 octobre, tu es un scorpion.

- Et toi, 15 mai : un taureau, 24 ans, tu ne les fais pas, je pensais que tu avais le même âge que moi papy.

- Tu aimes bien me taquiner. Je ne vais pas te rater à la prochaine occasion. En astrologie, on dit que les signes zodiacaux opposés sont complémentaires, donc tu es ma moitié et on est fait l’un pour l’autre.

- Je rigole. Mais en fait, je suis un peu triste. Demain tu pars et je vais me retrouver seul.

- Tu sais la vie est ainsi faite, j’ai des obligations, tout comme toi. Et des séparations nous en vivrons certainement plus d’une mais pense aux joies de se retrouver. Je te téléphonerai régulièrement.

- Il faut que je te donne mon numéro.

- Inutile, tu vois le boîtier blanc sur le guéridon, on appelle ça un téléphone et, en plus, comme c’est moi qui l’ai fait installer, j’en connais le numéro.

- Tu marques un point, mais moi je n’ai pas ton numéro.

- Inutile c’est moi qui t’appellerais, tu risquerais de m’appeler en plein rendez-vous et ça serait gênant. En tout cas, je te promets de tout faire pour fêter ton anniversaire avec toi.

- Je m’incline, mais ça va être dur.

- Tu sais, la voisine de palier est mignonne ou tu as aussi Mathilde (rire).

- grrrrrrrrrrrrr.

- On va faire des photos.

 Nous nous prenons en photo. On fait le tri et le cadrage sur le PC, ensuite nous les transférons dans deux cadres photo numériques.

- Comme ça, tu ne pourras pas m’oublier, je ferai de même une fois à la maison, je te mettrai, bien en évidence, sur ma table de nuit.

 La soirée et la nuit se passent dans la tendresse et la tristesse.

 Je dors comme un loir. 9h10, je suis seul dans le lit, un pressentiment me pousse à me lever et à courir vers la cuisine. Pas de Yves en vue. Les larmes envahissent mes yeux. Il y a un mot sur la table de salon : « André, tu es mignon quand tu dors. Comme je n’aime pas les adieux, je n’ai pas voulu te réveiller. Je sais que cela ne va pas te faire plaisir, mais tant pis. Je t’aime, tu es en train de changer ma vie, jamais je n’ai ressenti un tel bonheur. Je t’embrasse mon amour. Yves ».

 Je reste prostré dans le fauteuil à lire et relire ces quelques lignes.

 Nous sommes le 20 août, je m’habitue à l’appartement que je trouve trop grand. Il manque une présence. Mon portable sonne.

- Eric (le photographe du site porno), c’est toi ? Que t’arrive-t-il ?

- C’est la cata, notre site s’est fait pirater. Les photos d’une dizaine de nos plus beaux mecs ont été effacées, dont les tiennes et celles de ton ex. On a voulu restaurer et comme, par magie, nos sauvegardes ont été écrasées. On est tombé sur un hacker balaise, on n’arrive pas à le pister.

- Oui, en effet, ça doit être un coup dur pour ton site. Je ne suis pas informaticien, je ne peux rien faire pour toi.

- Je sais. Je ne t’appelle pas pour ça. Es-tu d’accord pour refaire une série de photos ? Bien sûr, tu seras payé. Michel, (mon ex), est d’accord à condition que tu le sois aussi. Apparemment, il t’aime toujours et voudrait se remettre avec toi. Il m’a dit qu’il t’appellerait après mon appel.

- Eric, pour moi, faire ces photos, ce fut une erreur, et cette erreur je ne veux pas la renouveler. En plus, maintenant, j’ai un petit ami qui, je pense, ne serait pas d’accord.

- Dis donc, tu n’as pas perdu de temps. J’en connais un qui ne va pas être déçu ! Je suis prêt à te payer le double.

- N’insistes pas, c’est niet.

- Dommage, je te laisse, bisou.

 Je reste pensif, je me sens libéré d’un poids. Le portable se remet à sonner. C’est mon ex.

- Bonjour Michel.

- Eric t’a appelé ?

- Oui, il m’a parlé du piratage du site.

- Tu es d’accord pour refaire des photos ?

- Non pas question. J’ai commis une erreur et je ne veux pas la renouveler.

- Je me doutais de ta réponse. Je regrette notre dispute, je te demande pardon. Comme toi je vais refuser. André, donnes moi une seconde chance.

- Michel trop tard, j’ai un petit ami. C’est un garçon sérieux et je l’aime. Je vais reprendre une de ses expressions : « je ne suis pas une girouette !».

- Laisses-moi te voir, on en parlera de vive voix. En plus, tu as déménagé, je suis passé chez toi et j’ai appris que tu avais quitté les lieux.

- Désolé Michel, il faut que tu te fasses une raison. Fais comme moi, cherche-toi un gars qui corresponde à ton caractère, on n’était pas fait pour vivre ensemble. Avec le recul, maintenant, j’en suis sûr.

- André, tu me manques.

 Il raccroche brutalement. Je me laisse tomber dans le fauteuil, Yves, tu es incroyable, avec toi tous mes problèmes s’effacent les uns après les autres. J’aimerais t’avoir au téléphone pour partager ce moment, ce n’est pas juste, tu aurais dû me laisser un numéro où je puisse te joindre.

 Une après-midi banale, je suis devant la télé, j’ai terminé mon plateau-repas. Le téléphone sonne, mon cœur fait un bond dans ma poitrine.

- Yves ?

- Bonjour mon chéri, j’ai quelque chose à te dire.

- Tu me manques. Moi aussi, j’ai une bonne nouvelle à t’annoncer.

- Tu es enceinte ? (Gros rire) Vas-y, commence, je t’écoute.

- Le photographe du site porno m’a appelé, leur site a été piraté et bon nombre de photos ont été effacées, dont les miennes. Il m’a proposé d’en refaire une série, il est prêt à me payer le double.

- Tu as accepté, j’espère.

- Grrrrrr ! Jamais plus je me laisserai exhiber sur le net. Merci, tu es génial.

- Je t’appelais pour la même raison. Ce n’est pas moi qu’il faut remercier mais Sonia.

- Je lui dois une nuit d’amour.

- Pas de problème, je vais lui dire, sûr qu’elle va être ravie.

- Je plaisante. Si je dois la rencontrer, je ne voudrai pas qu’elle se jette sur moi, ça serait la honte de ma vie.

- En tout cas elle a fait fort. Elle a même pisté tous les clients du site qui ont piqué tes photos et les a effacées sur leur disque dur.

- Génial, même les tiennes ?

- Elle ne pourra jamais effacer les miennes, car elles sont en trois D, visuelles et tactiles, et gravées dans ma tête. Maintenant, tu n’as plus d’excuses pour rater tes études. Pour ta thèse, tu dois décrocher une mention « très bien ».

- Tu es exigeant, tu surévalues mes capacités.

- Alors je me contenterai d’une mention « bien ».

 Notre discussion dura une bonne partie de la nuit.

 Arrive le jour de la rentrée à la fac. Je suis prêt pour reprendre sereinement mes études, plus de soucis en tête, ça devrait être du gâteau.

 Un lundi, en rentrant, je trouve Mathilde sur le pas de porte de l’immeuble.

- Alors mon gars, tu as passé une bonne journée ?

- Bonjour Mathilde, on peut dire ça.

- T’aurais rien oublié ce matin ? (Elle agite un trousseau de clefs entre deux doigts)

- Zut, dans la précipitation j’ai oublié mes clefs.

 Je tends la main pour les prendre, elle recule la sienne.

- Viens prendre un café et je te rendrai tes clefs.

- C’est du chantage Mathilde, j’accepte. Au fait, merci pour le repassage, vous n’êtes pas obligé de le faire.

- T’inquiètes mon gars. Tu es tellement ordonné que je n’ai pas grand-chose à faire, à croire que tu fais le ménage avant que je passe.

- Il est bon votre café.

- Je le fais à l’ancienne, j’ajoute un peu de chicorée. Tu sais je ne suis pas le dragon qu’Yves t’a décrit. De temps en temps, tu peux passer prendre un café. Et, si tu as besoin de moi pour faire des courses, tu n’as qu’à laisser une liste et l’argent sur la commode de l’entrée.

- Merci Mathilde, vous êtes une mère pour moi.

- Tu devrais t’occuper de ta voisine de palier, elle est mignonne, et, souvent, elle me parle de toi, elle est un peu curieuse. Je pense qu’elle est amoureuse.

- Mathilde !

- Ok, mais quel gâchis ! Vous les homos, vous êtes souvent mignons et gentils et toutes les filles craquent. C’est vrai que l’on dit que les tapettes attirent les souris. (Gros éclat de rire).

 De temps en temps, je croise Michel (mon ex), qui revient régulièrement à la charge pour que je retourne avec lui, ça devient pénible. Puis un jour, je m’aperçois qu’il a trouvé quelqu’un et, apparemment, ça à l’air de marcher ; du coup, quand je l’aperçois, il m’ignore. Une bonne chose de réglée.

 Les jours passent, un train-train s’installe, mes études me passionnent. Yves m’appelle régulièrement.

 Comme promis, il passe deux jours avec moi pour mon anniversaire, deux jours intenses qui se terminent trop vite. Cette fois, je me suis arrangé pour être réveillé avant son départ, je ne lui laisse pas l’occasion de partir en catimini. Je pus verser une larme dans ses bras avant son départ.

 Je commence à préparer ma thèse, j’ai plein d’idées en tête que je mets noir sur blanc, un squelette commence à prendre forme. Je passe mon temps à faire des recherches sur Internet que j’imprime. J’en profite également pour passer sur le site d’Eric pour m’assurer que mes photos n’ont pas refait surface, et, c’est avec étonnement que je m’aperçois que Michel s’est de nouveau laissé tenter et qu’il y a entraîné son petit ami. Je les plains, ça m’étonnerait que leur liaison puisse durer longtemps.

 Maintenant, j’attends impatiemment les fêtes de fin d’année.

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