Le froid et la force de l'homme avaient eu tôt fait de calmer le cochon terrifié. Il ne faisait plus que trembler de temps à autre, un mince couinement étouffé s'échappant de temps à autre de sa bouche. Tout à ses pensées, l'homme avançait dans les bois dénués de végétation, ses pas s'écrasant lourdement dans la neige qui lui arrivait jusqu'au-dessus des pieds. Son regard fixe sur le sol, c'est à peine s'il relevait les yeux de temps à autre, zigzaguant entre les arbres dans une direction bien précise. Il connaissait parfaitement sa destination, et même sans cela, il savait qu'il l'aurait trouvé sans aucun problème. Quelque chose le poussait, lui et sa charge, à se rendre en un endroit précis. L'esprit obnubilé par la tâche qu'il lui restait à accomplir, il ignorait totalement son jeune poursuivant, qui prenait un luxe infini de précautions pour ne pas être entendu. Si son père n'avait pas été aussi préoccupé, il l'aurait sûrement entendu depuis longtemps. Mais pour l'heure, le garçon grelottant de froid mais poussé par la curiosité suivait de loin son père sans être inquiété le moins du monde.

Ils marchèrent ce qui sembla une éternité pour l'un et pour l'autre, l'un en raison de son jeune âge, ce qui rendait cette traque d'autant plus épuisante qu'elle ne l'était déjà et à une impatience caractéristique, l'autre par la simple angoisse qui l'habitait, grandissant à chacun de ses pas. Et autour d'eux, alors qu'ils progressaient de plus en plus loin dans la forêt, une atmosphère inquiétante imprégnait les lieux, n'accentuant que d'autant plus le trouble du père tout en commençant à créer un certain malaise chez son fils qui traînait derrière lui. Les arbres paraissaient de plus en plus distordus et resserrés entre eux, leurs branches droites se pliant et se repliant sur elles-mêmes, la neige dévorait chaque son à un point que le silence en faisait vrombir les oreilles, quant au ciel, il semblait devenir de plus en plus noir, le scintillement des étoiles et la pâleur de la lune cachés comme par un étrange voile obscur. Le cœur battant à tout rompre, l'enfant se retrouvait de plus en plus loin de son père, et la crainte de se retrouver seul au milieu de cette forêt soudainement terrifiante achevait de le glacer. Mais alors qu'il sentait les larmes lui montaient et que, n'y tenant plus, il allait pousser un sanglot plaintif pour appeler à lui celui qu'il suivait depuis tout ce temps, celui-ci s'engagea entre deux arbres formant une arche de leurs branches, disparaissant à la vue du jeune garçon. Contraint de continuer, le garçon se rapprocha en traînant les pieds.

L'homme se tenait déjà presque au milieu d'une clairière circulaire lorsque l'enfant finit par atteindre l'arche végétale. Autour de l'espace dégagé, plusieurs grosses pierres parsemaient le périmètre, incongrues par leur nombre et leur disposition. De là où il était, le garçon ne pouvait pas discerner les symboles gravant chacun de ces blocs tous plus gros que lui que la végétation ignorait, et quand bien même les aurait-il vu qu'il n'aurait pas été pris de la crainte superstitieuse. Peut-être leurs dessins auraient-ils éveillé une quelconque angoisse, une peur ancestrale et animale, en réponse à ce que ces angles abruptes et ces courbes enlacées semblaient évoquer. Mais de toute façon, son attention entière était portée sur son père, sa curiosité ayant repris le dessus sur son émoi d'avant. Avec douceur, l'homme posa le cochon qu'il avait apporté jusque-là au centre de la clairière, et, debout bien droit, le dos tourné à son fils, ses poings gantés crispés le long de ses flancs, il attendit.

Il ne devrait plus tarder.