Chapitre 4

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Une carte, une dague et un mort



Au petit matin, Noria se réveilla avec le piaillement des oiseaux. Elle s’étira de toutes ses forces et ouvrit les paupières. Hirelda ne se trouvait plus dans leur lit. Libérée de ses ronflements, elle aurait pu continuer à dormir, mais il lui fallait vite se mettre en chasse de ce voleur.

Elle se redressa et se frotta les yeux. Le flou de la lumière se dissipa. Les traits d’Allen sirotant une boisson chaude se dessinèrent petit à petit, alors qu’il observait l’extérieur depuis l’une des grandes fenêtres. Noria avait l’impression d’avoir un garde du corps, toujours sur le qui-vive.

– Bonjour Allen, dit-elle en sortant du lit.

Lorsque les yeux du jeune homme se posèrent sur elle, il recracha sa gorgée de thé et toussa. Il se retourna vivement en se grattant la tête, les joues totalement rouges. Noria, amusée par sa timidité, se dépêcha d’enfiler sa jupe et son maillot avant que le pauvre ne tombe dans les pommes.

– C’est bon, tu peux te retourner.

– O-oui.

Il n’osait pas. Toujours le dos tourné, il s’en alla servir une tasse de thé à Noria. Il lui apporta, le regard cloué au sol. Noria accepta le breuvage encore chaud avec plaisir. Elle huma la bonne odeur de menthe qui s’en dégageait et le dégusta lentement. Comme son compagnon, elle se posta à la fenêtre pour y voir la ville. Du troisième étage, ils avaient une vue sur les tous bâtiments qui s’étendaient à perte de vue. Au loin, elle aperçut les murailles qui se dressaient entre Oktarim et leur prochaine destination : les faubourgs.

En bas de la rue, des enfants chahutaient en courant dans tous les sens, manquant de renverser les passants. Des érudites armées de montagne de livres déambulaient à grande vitesse pour ne pas rater leur cours, tandis que les marchands alpaguaient les clients en hurlant leurs bonnes affaires.

Noria sursauta lorsque leur porte s’ouvrit à la volée. Hirelda débarqua dans la chambre à grands pas, puis s’affala bruyamment dans le canapé.

– Ça y est, notre marmotte est réveillée ? railla-t-elle.

Noria lui tira la langue.

– Oui ! Je suis même prête à partir. Quel est le programme ? On va directement visiter les faubourgs ?

Hirelda ricana.

– J’ai eu une super idée aussi…

Allen la scruta avec attention. Noria fut surprise, car Hirelda n’était pas douée pour inventer des plans. La plupart du temps, ceux-ci étaient pleins de défauts et présentaient de grosses failles. Noria l’invita à lui dévoiler d’un signe de la main.

– Nous allons faire une fausse bourse pour que l’un de nous se la fasse voler ! Avec un peu de chance, il s’agira de ce Kain !

Noria resta pantoise. Bouche ouverte, elle devait reconnaitre qu’il s’agissait d’une bonne idée. Malgré les imperfections… N’importe qui pouvait leur subtiliser la bourse sans pour autant que ce soit Kain. De plus, cela risquerait d’attirer l’attention et de se retrouver face à d’autres bandits.

– Super idée ! s’exclama Allen. Je vais la porter !

Noria secoua la tête en rigolant. Évidemment, Allen restait un peu trop naïf et ne cherchait pas très loin. Hirelda remarqua le comportement de son amie et grimaça.

– Tu as une meilleure idée ? lança-t-elle.

Noria haussa les épaules.

– Pas spécialement, mais ton plan à plusieurs failles.

Hirelda croisa les bras et haussa les sourcils, prête à l’écouter. Allen semblait tellement sérieux que cela la faisait sourire.

– Déjà, commença Noria, n’importe qui peut la voler, pas forcément le voleur que l’on cherche. Je trouverai ça étrange qu’il s’en prenne deux fois au même groupe. Surtout que Fayen nous a bien prévenus qu’il agissait aux quatre coins de la cité. De plus, Allen fait trop peur, personne n’osera le voler.

Le jeune homme hoqueta de surprise. Il observa tour à tour les deux femmes, cherchant quelqu’un pour le défendre. Noria lui sourit, ce qui le poussa à détourner le regard. Il passa les mains dans ses cheveux et se racla la gorge.

– T’as pas tort, avoua Hirelda. Mais on peut essayer quand même ? On a qu’à aller près de la porte qui mène à la ville pauvre, avec une fausse bourse à ma ceinture.

Rien ne pouvait la faire changer d’avis. Même si son plan était à la fois bon et mauvais, elle voulait quand même tenter sa chance. De plus, Hirelda restait une tête de mule impossible à faire changer d’avis. Noria s’avoua vaincue et la laissa faire ce qu’elle voulait.

Dans un ricanement, Hirelda enferma des morceaux de ferrailles dans une petite bourse de cuir qu’elle avait trouvé, puis l’accrocha à son short. Elle se leva et prit une belle pose en montrant la bourse près de ses fesses.

– Alors ? Alors ?

– Superbe ! avoua Noria.

– Tu vois, mon idée te plait !

– Non, je parlais de tes fesses.

Hirelda se redressa puis secoua la tête.

– Même pas drôle ! Je sais déjà que j’ai une belle paire de fesses ! Bon aller, on y va !

Hirelda quitta la chambre la première sous les rires de Noria. Allen, lui, ne savait pas où se mettre dans cette situation. Il lui emboita le pas de Noria qui le hélait.

Ensemble, ils traversèrent la ville dans l’espoir de se faire voler la fausse bourse par Kain. Hirelda semblait sûre d’elle. Noria l’observait de temps en temps, et, les sourcils froncés, elle parcourait les rues dans l’attente de se faire débourser. Noria ricana, mais se retint de lui faire la moindre remarque. Si elle croyait dur comme fer à son plan, autant la laisser faire.

En route pour la sortie nord, les trois amis découvrirent le quartier des artisans. Les forgerons battaient le fer pour concevoir des armes tous plus magnifiques les unes que les autres. Attirée par une enseigne dorée, Noria scruta la femme travailler une lame. Elle frappait de son marteau sur ce qui s’apparentait à de l’argent, tandis que la chaleur du fourneau la faisait transpirer à grosses gouttes.

Plus loin, des tailleurs confectionnaient des habits en tout genre. Chacun sa spécialité, ce qui permettait aux habitants d’acheter les vêtements qu’ils souhaitaient. Hirelda s’approcha de la vitrine, émerveillée par des manteaux semblables aux siens. Malheureusement, ils n’avaient plus le moindre sou pour s’en procurer. Elle pesta et continua d’arpenter la cité.

– Ne t’inquiète pas, on reviendra faire des emplettes si tu le souhaites, proposa Noria.

– Y’a intérêt ! Et tu seras là aussi !

Noria ne répondit pas. Elle n’y croyait toujours pas, mais elle préférait garder ce côté négatif pour elle. Ses amis ne méritaient pas de le subir. Elle suivit Allen, alors que la grande porte nord apparaissait au loin. Et quoi de mieux pour protéger l’intramuros de la violence des quartiers pauvres, qu’une grosse caserne et de nombreux soldats.

La plupart des gens qui tentaient d’entrer dans Oktarim étaient fouiller par la garnison. Les personnes un peu louches étaient emmenées dans le bâtiment d’à côté, tandis que des archers postés sur les toits se tenaient prêts à intervenir.

– Eh bien, ça ne rigole pas ici, déclara Hirelda.

– Faites attention, prévint Allen. La garde à l’air à bout de nerfs ici. Ça se lit sur leur visage.

Comment ne pas l’être ? Ces soldats se frottaient à de la racaille tous les jours. Des jeunes essayaient de franchir le barrage en passant sur les côtés, mais plusieurs soldats les rattrapèrent. Des personnes se plaignaient des conditions qu’ils subissaient, braillant à tout va et insultant tous les guerriers qui s’approchaient d’eux. Las de les entendre râler, ils les repoussaient violemment.

Le groupe de Noria se faisait le plus petit possible, mais cela n’empêcha pas un garde de les interpeller.

– Vous allez où ? demanda-t-il d’une voix brute.

Hirelda voulait lui apprendre les bonnes manières, mais Allen la tira en arrière pour se placer face au surveillant.

– Nous nous rendons dans les faubourgs, nous cherchons un voleur.

Comme toujours, Allen choisissait l’honnêteté lorsqu’on lui posait une question. Même si Noria appréciait, elle lui avait souvent conseillé de faire attention à la personne en face de lui. La vérité pouvait lui apporter beaucoup de problème s’il ne restait pas sur ses gardes.

– Ah oui ? s’étonna le soldat.

– Il nous a volé notre bourse, cet enfoiré ! s’énerva Hirelda. Je suis sûre qu’il est là-bas !

Le garde ricana en faisant un geste de la main.

– Vous avez peu de chance de le retrouver.

– Mais nous cherchons…

Noria coupa Allen avant qu’il ne révèle bien trop d’information à cet inconnu.

– … un moyen de le dénicher. Et je ne vois pas d’autre endroit que celui-ci, termina Noria.

Le garde soupira et les scruta un à un à travers son casque d’argent. Il haussa les épaules et leur fit signe de passer.

– Faites attention au retour, nous procédons à beaucoup de fouilles, prévint-il.

– Pas de problème, nous n’avons rien à cacher, répondit Allen.

Les trois compagnons passèrent enfin la porte pour se retrouver dans les faubourgs. Rien à voir avec l’architecture intramuros. Seul un chemin de terre serpentait entre des maisons de bois, parfois construites rapidement pour offrir un gîte à ses occupants. Elles menaçaient de s’effondrer, mais les habitants n’en avaient cure. Ils profitaient de ce toit pour tenter de survivre, malgré leur pauvreté flagrante. La lumière du soleil dévoilait leur vêtement et leur peau sale. Les visages harassés par la fatigue, les corps maigres presque famélique, Noria découvrait un aspect du monde qu’elle ne connaissait pas.

Elle se demandait la raison pour laquelle tous ces gens venaient immigrer dans la grande ville d’Oktarim. Pour la première fois, elle ne se sentit pas en sécurité, et instinctivement, elle se rapprocha d’Allen, tandis que des yeux envieux se braquèrent sur le groupe. Entre les bâtiments, des voleurs profitaient des coins sombres pour tendre des embuscades à des pauvres hommes.

Quelques soldats patrouillaient, mais ils ne semblaient pas faire attention à ces violences. Ils discutaient entre eux, ne prêtant aucune attention aux enfants qui leur demandait un peu d’argent pour pouvoir manger. Au contraire, ils les repoussaient de gestes brusques avant de se hâter vers la sortie.

– Bon… Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda Allen. L’ambiance n’est pas aussi bienveillante qu’à l’intérieur.

Noria observa les alentours à la recherche d’une idée. Deux bâtiments se différenciaient des autres, surtout par leurs tailles. Noria s’approcha du plus près, où un panneau indiquait « banque », accueillait les autochtones de son symbole marqué d’une bourse et de pièces.

En s’approchant de l’entrée, elle croisa des gens désespérés au teint livide. Certains, en pleurs, s’effondraient sur le parvis en bois. Noria aida une femme à se relever, alors qu’elle sanglotait les mains dans la boue.

– Que se passe-t-il, madame ?

L’intéressée se redressa et implora la Titanomancienne.

– Aidez-moi ! Je n’ai pas assez pour rembourser ma dette ! Nowo va me tuer !

Noria fronça les sourcils à ce nom.

– Comment ça ? demanda Hirelda en croisant les bras. Qu’est-ce qui se passe là-dedans ?

La femme essuya ses larmes d’un revers de la main avant de se relever.

– Nowo offre de l’argent aux habitants pour qu’ils puissent s’acheter suffisamment à manger, puis il demande à être remboursé en un an. Mais il demande presque deux fois plus que l’emprunt…

– Quoi ? hurla Allen.

Noria n’en revenait pas. Ainsi, voilà comment le roi du marché noir se faisait de l’argent pour assouvir sa domination ?

– Les gardes ne font rien ? s’étonna Hirelda.

La femme cracha par terre.

– Qu’ils aillent pourrir dans les méandres de la corruption. Ils sont tous achetés par cet être ignoble !

Noria avait une furieuse envie d’en découdre avec lui. S’ils arrivaient à se débarrasser de cette gangrène, peut-être qu’elle offrirait à cette population une vie bien plus digne.

– Il se trouve à l’intérieur ? demanda la titanomage.

– Non… Nowo se cache quelque part. Seuls ses sbires s’occupent de toutes les formalités.

Noria soupira. Cette affaire allait être bien plus compliquée que prévu.

– Je n’ai plus qu’à tenter ma chance au casino…

Les trois amis dévisagèrent la jeune femme.

– Le casino ? demanda Allen perplexe.

– Un endroit où l’on fait des jeux d’argent. Souvent, les clients perdent et deviennent encore plus endetter, mais quand on gagne, c’est suffisant pour tout rembourser.

Hirelda s’emporta en faisant de grands gestes.

– Mais attendez, vous n’allez pas jouer alors que vous n’avez déjà plus rien ? s’énerva-t-elle.

– Quel choix ai-je ? répondit-elle, lasse, en haussant les épaules.

La femme prit la direction de l’autre grand bâtiment situé à quelques dizaines de mètres, sous le regard perplexe du groupe. Noria ne comprenait pas pourquoi les dirigeants de la ville ne mettaient pas fin à cette horreur. La pauvre n’allait jamais s’en sortir de cette façon, et que lui arriverait-elle si elle ne parvenait pas à rembourser sa dette ?

– Dégage d’ici, sale pauvre !

Les Titanomanciens se retournèrent. Une femme à la belle chevelure blonde et vêtue plus dignement trainait un homme d’une cinquantaine d’années par le pied. Elle le jeta dans la boue et épousseta sa veste mi-longue noire. Elle tourna autour de lui, en prenant soin de le montrer du doigt.

– Pitié, Fécia, laisse-moi te rembourser plus tard ! supplia le client.

Elle eut un rictus avant de sortir la dague accrochée à la ceinture de son pantalon de cuir noir.

– Voilà ce qui arrive à ceux qui ne peuvent pas payer malgré un allongement de temps !

Elle agrippa les cheveux de son client pour lui trancher la gorge. Il avait beau implorer pitié, son sang se répandait rapidement sur le sol, alors qu’il suffoquait. Il finit par s’écrouler dans un dernier râle d’agonie, tandis que Fécia remettait en place son chapeau haut de forme.

Allen était prêt à intervenir, mais Noria l’en empêcha. Il s’agissait sûrement d’une personne proche de Nowo, et il ne fallait pas qu’ils se fassent remarquer. Peu à peu, la foule s’écarta de ce spectacle terrifiant, et les soldats ne semblaient pas enclins à aider qui que ce soit dans ce taudis.

Les Titanomages s’éloignèrent de ce bâtiment pour découvrir les jeux d’argents. Implanté dans un édifice bien plus grand, le gérant proposait de nombreux jeux de cartes dans une ambiance musicale reposante. Un barde jouait du luth tout en racontant ses difficultés dans la vie. Le pauvre avait ramé pour se relever de difficulté financière, mais y était parvenu grâce à ce bâtiment.

Noria savait qu’il s’agissait sûrement d’un mensonge. Tout était fait pour appâter les clients afin de voler leur argent : des serveurs passaient entre eux pour leur proposer une collation gratuite, les tables de jeu offraient des fauteuils confortables et le gérant plaisantait avec tout le monde.

Impossible de le rater. Vêtu d’une longue veste rouge bordeaux avec un pantalon à carreau jaune et bleu, il se baladait avec quatre gardes du corps au visage carré et menaçant. Il triturait son monocle en tapotant les épaules des nouveaux venus. Avec deux trois blagues bien préparées, il les poussait à se rendre à une table pour y jouer leur argent.

Il arriva au niveau de Noria. Il la contempla d’un large sourire en époussetant sa moustache.

– Eh bien, eh bien ! Des Titanomanciens, ici ? Voudriez-vous vous joindre à nous ?

Noria ne savait pas quoi répondre à cet individu. Comme à son habitude, Allen s’interposa entre elle et lui.

– T’es qui toi ? demanda Hirelda en croisant les bras.

Le gérant et ses comparses eurent un fou rire. Il essuya ses larmes du bout des doigts avant de reprendre son calme.

– Je m’appelle Jimdin Almea, je suis le gérant de cet endroit magique où tous vos désirs deviennent réalité.

– Tous nos désirs ? s’étonna Hirelda. Lesquels ? Devenir pauvre ?

Le sourire de Jimdin s’effaça brutalement.

– Nous offrons la chance à ces gens d’éponger leur dette, jeune fille ! répondit-il d’un air mauvais.

– Oui, bien sûr. Je viens de voir le gars-là, dit-elle en pointant un croupier du doigt, sortir une carte qu’il avait soigneusement collée sous la table.

Jimdin écarquilla les yeux et observa la table de jeu.

– Ne jouez pas madame, cria Hirelda à la cliente qui se faisait arnaquer, vous allez perdre. Ils trichent !

Le gérant claqua des doigts et ces quatre gorilles les jetèrent dehors en vociférant plusieurs menaces. Hirelda continuait de hurler à tout vas que tout ça n’allait que creuser leur dette, mais la population était tellement prise au piège qu’elle espérait gagner quand même.

De nouveau dehors, les Titanomanciens errèrent dans les rues du faubourg. Le temps passait, et Noria se demandait si elle n’allait pas devoir trouver un autre plan pour retrouver son argent. Ce serait peut-être plus simple de dénicher un boulot qu’ils pouvaient faire rapidement, plutôt que de retrouver Kain, ou de résoudre le problème de ce taudis pour Fayen.

Il se faisait de plus en plus tard. Le soleil se couchait derrière la cime de la forêt au fond de la ville. Les jambes flageolantes de fatigue, Noria espérait rebrousser chemin pour retourner dormir à l’auberge. Leur première journée n’avait rien donné, et cela lui pesait sur le moral. Elle était tellement contente de découvrir enfin un moyen de se débarrasser de sa malédiction, mais son objectif s’éloignait à mesure qu’ils avançaient.

C’est à ce même moment qu’ils dénichèrent la seule taverne des faubourgs. Installée loin du tumulte du centre-ville, près de la forêt, elle offrait un endroit calme à sa clientèle attablée sur une belle terrasse de bois illuminés par des guirlandes de lanternes.

– Si on allait manger là-bas ? proposa Allen. Ça a l’air d’être un peu plus décent comme endroit.

– Pourquoi pas ! répondit Hirelda d’un haussement d’épaules. Ce serait mieux que de rester dehors. On comment à se les geler !

Rien à voir avec la taverne de la ville. À peine rentrer, Noria sentit une odeur pestilentielle lui agresser les narines. Un mélange de bière et de vomi dans lequel se noyaient quelques clients. Une serveuse lavait le sol avec une serpillère encore plus crasseuse, tout en dévisageant l’homme qui la séduisaient maladroitement, sûrement dû aux plusieurs grammes d’alcool dans le sang.

Noria préférait dormir dehors à la belle étoile, dans le froid et même sous la pluie, plutôt que de rester dans ce taudis infâme. Mais Allen rejoignit le barman, un homme d’une cinquantaine d’années plutôt bien habillé par rapport aux autres personnes. Il rangeait des verres quand il fut interpellé par le titanomancien.

– Que voulez-vous ? demanda-t-il.

Allen scruta les bouteilles alignées derrière lui, à la recherche d’une boisson simple. Noria ne trouva que des alcools forts venant de plusieurs régions, ainsi que des tonneaux de vin dans un coin. Rien qui pourrait leur faire passer une bonne soirée…

Un énergumène s’accouda au bar, à côté de Noria. Lorsqu’il tenta vainement de la draguer, celle-ci eut un mouvement de recul avec son haleine pestilentielle. Noria lui expliqua qu’elle n’était pas intéressée par un poivrot en son genre et lui demanda de partir sans causer de problème. Il l’insulta de tous les noms, en faisant des gestes menaçants, mais Allen s’interposa, prêt à frapper si besoin. Le client s’éloigna en grognant et en titubant.

– Laissez tomber, dit le barman de sa voix à la fois calme et menaçante, cet homme va aller cuver dans un coin le temps qu’il se remette.

Il épousseta sa longue moustache qui encadrait sa bouche, puis se redressa. Il possédait un joli monocle d’argent, qui allait parfaitement avec son costume. Il portait un gilet noir par-dessus sa chemise grise, qui contrastait avec les dégaines miséreuses de sa clientèle.

– On voudrait… commença Allen.

– Savoir où se trouve Kain Dolko. Vous le connaissez ? coupa Hirelda sous le regard intrigué de ses amis.

Le barman récupéra trois verres sous la barre et leur tendit.

– Je le connais. C’est un petit voleur qui traine dans le coin. Par contre, je n’ai aucune idée d’où le trouver. Je suis navré.

– Mince… répondit Hirelda.

– Pas la peine de nous servir, soupira Allen. Ce vaurien nous a volé notre bourse.

Un sourire se dessina sur le visage du barman.

– Ça ne m’étonne pas… ricana-t-il. Je vous l’offre.

Noria accepta avec plaisir. Elle récupéra son verre et suivit Allen dans les allées. Ils s’installèrent dans un coin de la taverne, le plus propre, et burent tranquillement.

Entre-temps, les clients devenaient de plus en plus saouls et des bagarres finirent par éclater. Personne n’intervenait, même lorsqu’ils se fracassaient les chaises en pleine tête pour tenter de gagner un combat d’ivrogne. Bientôt, plusieurs corps jonchaient le sol, et le sang se mêla à la bière et au vomi.

Noria secoua la tête, dépitée.

– Franchement, mais qu’est-ce qu’on fait là ? demanda-t-elle.

– Il faut qu’on…

Mais Hirelda ne termina pas sa phrase. Un individu s’approcha d’eux. Ses cheveux noirs crasseux tombaient devant son visage marqué par l’âge. D’énormes poches sous les yeux, il semblait au bord du gouffre.

– Qu’est-ce que vous voulez à Kain ? questionna-t-il.

Noria fronça les sourcils. Elle observa ses amis un à un, avant de lui répondre.

– Il nous a volé notre bourse et nous en avons terriblement besoin !

L’homme baissa les yeux vers la table, en pleine réflexion. Il scruta ses interlocuteurs avec insistance, restant plusieurs secondes bloquées sur la couleur de leurs cheveux. Noria remarqua le doute dans son regard. Il savait très bien où il se trouvait, mais elle ne savait pas ce qu’elle pouvait lui dire pour lui prouver sa bonne foi.

L’inconnu se redressa. Il scruta les alentours avec nervosité, avant de se baisser vers Hirelda.

– Venez chez moi dans la nuit, je vous arrangerai une rencontre.

Noria aurait bien voulu protester, mais il se fondit rapidement dans la clientèle bruyante. Il échappa à quelques coups, repoussa un autre, puis sortit en vitesse de la taverne. Les trois amis se regardèrent, perplexes, ne sachant quoi faire. Noria sentait le piège à plein nez. Ce type louche n’était pas de bon augure, jamais il n’allait leur permettre de rencontrer Kain.

Cet endroit était vraiment un lieu radicalement différent de son village. Les Titanomanciens ne connaissaient pas toutes cette agitation bruyante, effrayante. Ils ne se faisaient jamais de cachotterie ni de coup tordu capable de nuire à la vie de l’un des leurs. Noria ne comprenait pas pourquoi les Humains continuaient de se détruire les uns des autres. Ils agissaient comme si c’était naturel.

– Bon, on y va ? proposa Hirelda.

Noria la dévisagea, surprise.

– Tu plaisantes ? Tu crois vraiment que ce gars connait Kain ?

– Il vient de nous le dire !

– Je pense qu’il ment, appuya Allen. Il était bien trop suspect pour nous dire la vérité.

– Oui, bah avec nos pouvoirs, il ne pourra rien nous faire de toute façon.

– Et t’as son adresse ? demanda Noria.

Car il avait omis de leur donner avant de partir. Mais Hirelda dévoila un morceau de papier.

– Eh oui ! se moqua-t-elle. Il me l’a glissé dans la main avant de partir.

Noria secoua la tête. Elle essaya de lui faire entendre raison, mais Hirelda était une vraie tête de mule. Impossible de lui faire changer d’avis, de plus, ses arguments étaient suffisamment convaincants pour entrainer ses amis avec elle : ils n’avaient pas d’autres pistes. Obligée d’accepter, Noria demanda à Allen de bien les protéger. Il frappa le point sur son torse et lui promit qu’il ne lui arriverait rien.

Le temps passa et la taverne se vidait petit à petit. Les clients quittaient les lieux dans un état déplorable. La serveuse, maintenant aux commandes à la place du barman, poussait les derniers alcooliques pour nettoyer tout le chantier qu’ils laissaient derrière eux.

Noria, Allen et Hirelda suivirent les indications de l’inconnu pour se rendre chez lui. Dehors, quelques braseros brûlaient pour offrir un peu de chaleur aux quelques passants qui restaient dormir dans les rues, tandis que des lanternes aux cristaux d’essences éclairaient les allées principales. Noria sentit une pointe de culpabilité. Ces personnes sans domiciles mourraient de faim et de froid, pendant que son peuple vivait paisiblement, mais elle ne pouvait rien y changer hormis chasser Nowo de ces terres.

Les faubourgs s’endormaient et la population se barricadait dans leurs maisons. Les individus encore à l’extérieur n’inspiraient guère confiance. Vêtue de noir avec des capuches dissimulant leur visage, ils attendaient dans l’ombre pour détrousser les passants. La nuit tombée, plus aucun garde ne patrouillait dans l’allée centrale.

Le groupe arriva devant la maison de l’homme. Ils empruntèrent l’escalier de l’entrée qui craquait sous leur pas. Une torche brulait à côté de la porte, surement un signe que quelqu’un se trouvait déjà là. Noria frappa sur le battant, mais son coup le poussa. La porte s’ouvrit légèrement dans un grincement inquiétant. Allen s’imposa pour entrer le premier, la main sur le pommeau de son immense épée.

Allen ouvrit un peu plus et entra avec prudence. Noria et Hirelda sur ses talons, ils se retrouvèrent dans un petit salon agrémenté de plusieurs bougies, qui offraient une lumière dansante aux rythmes des flammes. Un repas attendait sur la petite table, mais visiblement, personne n’y avait encore touché.

Une odeur de sang les guida jusqu’à la cuisine. Le cœur de Noria se serra dans sa poitrine. En passant l’encadrement, le corps de cet inconnu jonchait le sol, la gorge tranchée, et son sang se répandait tout autour de lui.

Allen pesta et vérifia tous les recoins de la maison, à la recherche de l’assassin, mais elle était vide.

– C’est sûrement une dague qui a fait ça, déclara Hirelda en examinant la blessure. Le pauvre n’a pas vu son agresseur.

– Comment tu sais ça ? s’étonna Noria.

– il n’y a pas de trace lutte, observa Hirelda.

Un élément interloqua Noria. Elle s’accroupit près du corps, sur lequel avait été déposée une carte de jeux : l’as de pique.

Leur seule piste venait de se faire assassiner…

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