Piastre

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"Quarante ans est un âge terrible, car c'est l'âge où nous devenons ce que nous sommes." De Charles Péguy

Autour de lui tout dort. Les rues sont vides et les allées désertes. Il peut crier, tambouriner. Personne n'est réveillé, car personne il n'y a, sinon lui. Peut-être même qu'Ode est ailleurs, peut-être qu'il s'est trompé, qu'elle est différente et mène une autre vie. La Botanique est difficile, capricieuse dans ses aléas. Il peut s'écouler plusieurs semaines sans qu'aucune commande ne vienne, puis moins d'une demi-journée où des dizaines s'accumulent. Sans exagération. Autour de lui tout dort. Pas un chat, pas une âme, juste le vent d'hiver qui ravive d'un rouge ses joues glacées. C'est un temps à neige, un temps à se laisser surprendre par la bise venue, et son grand manteau blanc que l'hiver en surplus apporte sur sa fin. Un temps de neige que pourtant Tréguier ne doit pas souvent voir. Il est fort rare que les côtes soient recouvertes. Encore moins les côtes bretonnes qui jouissent d'un climat particulier. Le sel dans l'eau et dans l'air fait fondre les premières tentatives et fait mourir les dernières. Un temps de neige qui l'emmerde. Le froid, le vent humide, qui vous brisent le moral et vous gèlent les os. Un temps de chien qui vous fiche le bourdon. Autour de lui tout dort. Ou presque.

Après l'attente et le silence que le bruit des coups de poings qu'il donne sur la porte perturbe, c'est une voix de l'autre côté du bois qui grommelle en retour. Il a finalement bien fait de venir ici car il avait en fin de compte raison à son sujet. Elle lui ressemble bien assez pour qu'il devine ses allées et venues nocturnes. Quand on est botaniste, le jardin est notre bien le plus précieux. Plus encore qu'une enclume à un forgeron ou qu'un dé à coudre pour un tisserand. C'est la vie elle-même que l'on manipule et que l'on fait croître du bout des doigts. C'est bien plus satisfaisant, plus gratifiant qu'une étoffe ou qu'une arme. C'est approcher l’œuvre du Très Haut dans sa plus grand simplicité, dans sa toute première nature.

La porte s'ouvre enfin et le vieil homme cesse d'y faire résonner son point. La jeune brune au visage contrarié l'intime d'arrêter son capharnaüm.

- Il fait nuit, l'échoppe est fermée! Que vous arrive-t-il Aotrou Piastre de Machaut ?

N'en sait-elle vraiment rien ? Il reste coi un instant, en proie à une intense réflexion qui demeure secrète et d'autant fulgurante. Si bien qu'elle poursuit.

- Ne restez pas dehors, vous allez attraper la mort en plus de réveiller tout le quartier.

Reprenant ses esprits et laissant à la dérive la dérive elle-même, il affiche dès lors un franc sourire. Qu'importe la finalité, s'il s'avère qu'elle a pris la canne pour la cacher et lui jouer un mauvais tour, il ne pourra pas lui en vouloir, il ne saura pas. Il est parfois des personnes qui, par leurs simples regards, ou leurs simples sourires, désarment les nuées, apaisent les frondes. Sans doute est-ce là bien différent pour chacun et que nul n'est sensible de la même sorte. Mais en ce qui concerne le De Machaut, il a trouvé en l'Ode, une ode à l'apaisement, un appel à la bonté. Curieux quand on connaît un tant soit peu le vieil homme pour qui tout est prétexte à l'affrontement. Il entre donc enfin, délaissant la rue et le temps de neige pour une plus saine chaleur d'intérieur. Mais qu'on ne s'y trompe pas, la raison de sa venue demeure bien en tête de l’Éclopé et nulle ne saurait l'en détourner. Il répond donc enfin d'un ton neutre, mais bien plus adouci qu'il ne le veut, à cause d'elle.

- Je vous prie par avance de me pardonner, Madame, si je vous dérange de si mauvaise heure. La raison en est la suivante. J'ai semble-t-il égaré ma canne et me posais la question de sa nouvelle location. J'ai retracé de mes pas le parcours emprunté mais nulle trace je n'ai trouvé en cette taverne du début de soirée. Vous y étiez aussi peut-être auriez vous remarqué cet objet sauriez m'indiquer où le retrouver ? J'ai conscience que ma venue indue est inappropriée et sans doute penserez vous que cela aurait pu attendre demain mais convainquez vous du contraire. Il est primordial que je retrouve ma canne, je ne puis attendre davantage alors sûrement pas demain. Saurez vous m'aider, Madame ?

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