Piastre

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"Qu'on m'arrache le cœur, il germerait encore." De Henri Pichette

La symphonie des souvenirs joue souvent des tours au vieil homme. Il suffit parfois d'un simple regard pour que soit à jamais ancré dans la mémoire, un visage, un sourire. Il suffit parfois d'une douce brise, pour que demeure pour toujours le parfum d'une peau. Il en est certaines que Piastre, les yeux fermés, pourraient se rappeler comme s'il les embrassait. Le plus souvent pourtant, l'esprit estompe le souvenir, s'en défait sans retour en arrière possible. Il tombe dans le néant pour ne plus revenir sinon au détour d'une taverne, près d'un âtre doré. C'est ainsi qu'il vit ou revit à Tréguier la jeune femme. Sans souvenir d'elle mais avec la certitude pourtant de ne pas être apprécié. Il se remémore sans peine les instants fugaces d'agacement à La Rochelle, mais rien d'une brune qui y aurait assisté peut-être. Navré, il l'est de ne pouvoir répondre avec autant d'engouement au premier abord. Mais à défaut de lui rendre ces francs sourires dont elle demeure détentrice, il répond aux instants qui suivent avec toute la douceur dont il peut faire montre. Rattraper le temps perdu est toujours possible quand les deux parties en initie la démarche. Ainsi, la première soirée est agréable à n'en pas douter. S'il n'a pas rit, il a sourit. S'il n'a pas toute les réponses, il a toutes les questions. Et de fil en aiguille, de bouton en pistil, l'oiseau fait son nid, germe les bourgeons de l'appréciation mutuelle. Une promesse est lancée de se revoir le lendemain mais connaissant trop bien ses propres habitudes qui le font veiller tard et peu de jour, il n'est pas aussi serein qu'elle.

Le lendemain, au soir d'une nouvelle journée passée dans un vide sans but qu'est son existence quand, le De Machaut la retrouve. Surpris ? Autant que de voir la taverne presque pleine. En deux semaines de séjour, c'est la première fois qu'il trouve autant de monde. Il fait connaissance avec de nouvelles têtes mais une seule l'intéresse suffisamment pour qu'il reste. Peu de mots. Beaucoup de rires cette fois. Peu de discussion sérieuse, beaucoup de regards appuyés. Tout cela a-t'il un sens ? Il est facile de laisser son esprit dériver sur la pente dangereuse de l'imagination. Il est plus ardu de la remonter, à mains nues, lorsque la conscience revient. Profiter simplement. Elle le fait si bien, si aisément qu'il en serait presque confus, le vieil homme. Il n'en montre rien. Ou presque. En partant, il oublie sa canne. Atour indispensable de son apparat, il peut faire sans mais ne veut faire sans. Elle est autant un outil précieux qu'un rappel du passé. Un fantôme qui le hante de son plein gré et dont jamais il ne se défera au risque de laisser les erreurs se répéter. Ce serait signer son arrêt de mort. Si pareilles erreur était commise encore, il filerait droit vers Yulhia la supplier de le tuer sans même réclamer ce mariage qui était convenu. L'exaucerait-elle ? Aux dernières nouvelles, il était déjà mort pour elle. Ce qui est mort ne saurait mourir. Ainsi, sans pouvoir s'assurer d'une mort certaine, c'est une vie incertaine qu'il se doit de mener et en aucun cas cela n'est possible sans cette canne. Il doit la retrouver.

Première étape, la taverne. Il est presque sur de l'y avoir laissé. Pourtant, revenu sur ses pas, dans un creux de fréquentation pour ne croiser personne, la canne a disparu. Rien sous son siège. Rien sous aucun des sièges. Mais elle ne pouvait être qu'ici. Il se souvient parfaitement être entré en la tenant dans sa main, en s'y appuyant pour son numéro de vieillard. De fait, si la canne n'est pas là, c'est que quelqu'un l'aura prise. La traque peut débuter. Pour l'heure, ses souvenirs sont intacts, il se souvient des personnes présentes, dont la jeune brune qui tourmente ses réflexions. Serait-elle ? Souvenez vous de l'imagination mentionné. Elle tourne à plein régime dès lors. La jeune femme peut très bien s’être emparé de l'objet pour obliger Piastre à la revoir. Ou bien tout simplement pour éviter qu'elle ne se perde entre de mauvaises mains qui n'en ferait un usage qu'inadéquat. La seconde hypothèse est bien plus plausible, mais la première est plus tentante. Qu'il serait doux qu'une telle action se confirme pour qu'il puisse déceler en celle-ci l'intention recherchée. Revenir sur terre est primordial. A défaut de savoir avec précision ce qu'il en est, le mieux est encore d'aller trouver la dite femme et de lui demander ouvertement. Il fait nuit néanmoins. Tard il l'est déjà et débarquer chez elle, où que cela soit, ne serait pas convenable. La bienséance lui interdit une telle entreprise qui pourrait trop facilement être détournée, si elle était découverte. Dans un éclair de lucidité, le vieil homme quitte les lieux pour gagner la mairie. L'accueil en est ouvert comme toujours et les registres publics avec. Celui des artisans lui indique, à sa grande surprise, que la brune est botaniste. Un autre signe ? Les registres sont d'une grande aide, quand on sait chercher un peu. L'adresse de son échoppe est notée à côté de son nom. Il ne lui reste plus qu'à y faire un tour dans le mince espoir qu'elle y soit. Pas si mince quand on connaît un botaniste. Lui-même s'est perdu de nombreuses soirées et nuits dans ses jardins luxuriants. Laissés aux bons soins de quelques apprentis à La Rochelle, il sait qu'à son retour, rien n'aura changé sinon que de nouveaux plans auront poussé pour agrandir jour après jour ce paradis secret. Si son instinct ne le trompe pas, elle aura ce vice en elle. Ce besoin de toujours s'assurer la perfection.

Déjà, d'un pas assuré, laissant de côté son faux semblant de vieil homme, il toque à la porte de l'échoppe. Il est méconnaissable. Déjà si sur de lui, la démarche change un homme. Il tambourine maintenant sur la porte.

- Ode !

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