Un peu de paix.

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 Clémence a lâché le petit bouquet de fleurs qu’elle avait dans les mains. Elle a fait demi-tour. Elle s’en est allée. Son cœur s’est apaisé sur le chemin. Elle sait, au fond, qu’il reviendra vers elle. Elle n’est pas rien. Elle est tout, pour lui. Amélie, leur bébé, son frère, les autres, toutes ces autres, il ne les aimera jamais comme il aime Clémence. Elle a gardé espoir. Dans sa chambre, seule, indéfiniment. Les semaines ont passé. Puis les mois. De longs mois. Et puis un jour, Clémence abandonne. Après des mois de chasteté, de fidélité absolue à un homme qui l’a rejetée, Clémence sort de chez elle, et baise. Elle couche avec tous ceux qui passent, ceux qui lui plaisent, ceux qui lui plaisent moins, ceux qui ne ressemblent pas du tout à Estéban, ceux qui lui ressemblent encore moins. Elle se débauche, on peut le dire. Elle se moque de tout. Ce n’est pas tant de l’autodestruction que du rattrapage. Elle aurait dû se libérer d’Estéban avant tout ça. Avant de souffrir. Avant d’espérer. Avant d’attendre. Elle revit sa vie, morne, fade, avec ses bons mois, les mois où elle a du mal à nourrir sa mère, les fois où elle croise Estéban sans le voir à l’hôpital, les fois où elle se souvient qu’il y travaille aussi. Soudain, il y a Antoine. D’un seul coup, comme ça. Il y a Antoine. Il n’a pas frappé, il n’a pas prévenu, il est arrivé là.

 Antoine, c’est l’amour qu’elle n’a jamais connu. Il n’est pas niais, il n’est pas collant, il n’est pas violent. Il est tout un tas d’autres choses qui en auraient fait un partenaire idéal. Solide, aimant, drôle, ambitieux, un brin imbu de lui-même. Très sûr de lui. Des qualités, des défauts, qui promettent une vie de couple agréable, calme, entrecoupée de périodes plus troubles sans lesquelles on s’ennuierait. Ce n’est pas l’homme parfait. Pour une fois, Clémence choisit la voie de la raison : elle lui fait la cour. Quand elle passe devant son agence, elle porte des jupes courtes, elle sourit, elle passe une main dans ses cheveux. Il est promoteur immobilier. Il a donc aussi l’avantage d’être blindé de thune. Quand il décide d’apprivoiser Clémence, il voit grand : bouquets de roses livrés à son appartement, champagne, grands restaurants. Il a le goût de n’être jamais fade.

 Clémence, à ce moment, a décidé depuis longtemps de ne plus se laisser miner par Estéban. Elle est plus forte que ça.

 Estéban, lui, a renoncé à Clémence. Définitivement. Du moins le croit-il. En rencontrant Paul, ce petit être tout neuf fraichement sorti des entrailles d’une femme qu’il a un jour aimé, il a grandi. Il s’est senti père. Il s’est senti fort, investi d’un devoir que lui seul pouvait accomplir, investi d’un rôle sacré. Sa passion pour la jeune blonde ? Oubliée comme un mauvais rêve. Paul, ce fils, a terminé son deuil. Il a repris sa place. Celle qu’il n’aurait jamais dû quitter. Bon père de famille, semble-t-il. Enfin … Oui, admettons. Pour l’instant.

 Clémence, se laissant désirer, se délecte de l’emprise qu’elle a désormais sur Antoine. Cela ne va jamais très loin, il pose ses propres limites. Mais c’est délicieux. Il prend soin d’elle comme jamais personne n’a pris soin d’elle. Elle peut s’occuper de sa mère avec le sourire : elle sait que plus tard, c’est elle qu’on couvrira de caresses, de mots tendres, de baisers. Avec lui, Clémence a attendu. Elle a voulu prendre son temps. Elle a voulu mettre toutes les chances de son côté. Faire les choses bien. Elle s’investit. Elle polit cette relation, la plus saine qu’elle n’a jamais eue. Ça fait du bien à l’âme. Elle est sereine.

 Mais les erreurs de Clémence la rattrapent. Se taper la moitié des carabins de sa classe, ça a un prix. Trainer au bar trop souvent, trop tard, trop seule, ça se paie. Un jour ou l’autre, quand on laisse les radins s’occuper du préservatif, on reçoit la note. L’addition est salée, pour Clémence. Un mardi, en amphi, Clémence s’écroule. Elle se sent broyée. Ses jambes se dérobent, son corps pèse mille tonnes, son ventre … Son ventre la fait tellement souffrir qu’elle ne saurait mettre de mot sur la douleur. Clémence a mal. Elle pleure, elle hurle. Ce sont les pompiers qui l’emmènent à l’hôpital. Elle ne sait pas qui a appelé. Elle ne sait rien. Sa vue est trop floutée par les larmes, son cerveau est paralysé par le mal dont elle souffre pendant des heures. Sur une échelle de un à dix ? Douze, peut-être même treize. On pense à une appendicite. Mais l’examen révèle tout ce qu’il y a de sale et d’impur chez Clémence. C’est du moins ce qu’elle se dit. Droguée à la morphine, elle comprend à peu près ce que le gynécologue lui explique. Une infection, un abcès, un traitement lourd d’antibiotiques.

 Bref, Clémence regrette. Une IST à vingt ans … Il n’y aura probablement pas de séquelle, vous ferez plus attention la prochaine fois. Non, pas de prochaine fois répond Clémence. Plus rien. Elle a l’impression de n’être plus qu’une épave. Elle se sent atrocement sale. Comme si un million de douche ne pouvait pas réparer. Rien ne peut réparer. Elle est tombée malade. Ce n’est rien d’affolant, pourtant, tentent de la rassurer les médecins. Mais Clémence ne veut rien savoir. Trop d’hommes, trop de passages, trop de bêtises, trop de confiance. Elle se félicite simplement de ne pas avoir couché avec Antoine. Elle s’en serait trop voulu. Elle aurait eu trop honte. Maintenant, elle veut rompre. Honnêtement. Lui dire, parce que de toute façon, il faudra bien le dire à quelqu’un. Ismaël … Elle ne saura pas lui expliquer. Pas tout de suite. Son séjour à l’hôpital dure une semaine. Antoine vient la voir tous les jours avec des fleurs différentes et des chocolats. Il essaie de lui remonter le moral. Elle n’a pas encore le courage de lui avouer. Elle attend de sortir.

 « Je m’en fous. » C’est ce qu’il répond, lorsqu’en vrac, dans un appartement qu’elle a vidé de ses affaires vaguement disséminées, elle lui raconte. Elle a attendu un peu, encore. Plusieurs jours. Plus d’une semaine. La fin de son traitement. Elle a trouvé la force. Elle lui a dit. Et il a répondu « Je m’en fous ». Clémence secoue la tête. Les larmes remontent, elle a le nez qui pique, la gorge serrée. « Tu ne comprends pas ». Antoine est doux. « Si, je comprends très bien ». Il la prend dans ses bras. Il la caresse, lentement. Avec tellement de tendresse que Clémence en meurt de honte. Elle a honte. Elle a envie de disparaitre. Mais elle est prisonnière des bras infiniment bons d’Antoine. Ils étaient dans le salon, mais maintenant il la porte jusqu’à la chambre. Il la déshabille. Elle refuse, d’abord. De nombreuses fois. Mais Antoine lui sourit, la cajole. Il ne veut pas lui faire l’amour, non, pas vraiment. Il veut la guérir. Il prend sur lui. Il refoule la peur, qui est quand même là, et il lui montre qu’on peut encore aimer, même après une maladie. Avec ses mots, ses baisers, ses caresses, Clémence revit. Elle entend. Elle ressent. Pas de capote, pas de plaisir, pas de gémissement qui dure une éternité. Juste de longs va-et-vient, de longs moments passés dans les bras l’un de l’autre. Guérir Clémence. Pas de son infection, non. La guérir de la peur, de cette mortification qui lui a fait marcher la tête basse et les yeux rivés sur ses chaussures. Lui redonner confiance. Les hommes, cette étrange espèce. Ils y passent la nuit entière, et une partie de la matinée, entrecoupées de sommeil.

 L’infection de Clémence ne quittera jamais sa mémoire. C’est un traumatisme qu’elle refoulera toute sa vie. Antoine a essayé. D’une certaine façon, il a réussi. Pour vivre sa vie, Clémence n’a besoin que d’une illusion. L’illusion d’être guérie suffit. Cette sensation lui reviendra à la figure de temps en temps, elle en pleurera, et elle voudra mourir. Mais ce sera passager. Ce ne sera pas facile, mais ça ira. Elle ne tombera pas amoureuse d’Antoine. Il gardera une place importante dans sa vie. Ils resteront amis. Il ne lui en voudra pas. Il est trop bon pour cela.

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