Prologue

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 Le silence est une notion très relative. Il n'y a guère que les sourds pour se vanter de connaitre l’absence de son la plus complète. Souvent, ce qu'on aurait pu prendre pour un silence est parasité par un bruit léger, si discret, si ridiculement perceptible que le cerveau n’en prend même pas compte. Clémence pense que le silence règne dans la pièce simplement parce que personne ne parle. Elle n’a pas conscience de se tromper.

 Dehors, l'orage gronde. À l'intérieur, les souffles errent. On perçoit un frottement de tissus, quelques lattes qui grincent sous le poids des corps qui s'emmêlent au fur et à mesure que le temps passe. Ils se rapprochent et se collent, s'étreignent et se lâchent, tournent, s’entrechoquent. On entend deux respirations qui finissent par se confondre, le bruit des cheveux qu'on tire et qu'on caresse, celui des ongles qui griffent une chair tendre.

 Le silence n'existe pas.

 Clémence n'aimerait pas être anosmique. Elle vit de ses odeurs. Si elle ne pouvait plus exister à travers les parfums, elle en mourrait. Si elle ne pouvait sentir les aiguilles de pins qui jonchent le sol, les draps vaguement imprégnés par une lessive bas de gamme, ou le parfum d'Estéban qui lui rappelle le cade, elle ne saurait plus respirer. L'air de la pièce est lourd : ça pue l'homme, ça pue l'amour et les hormones. C'est une fragrance entêtante, celle du bois, de la sueur et de la pluie, avec un reste d'encens datant d'une éternité. Si Clémence ne pouvait pas sentir le sel et le cèdre, sur le cou d'Estéban, sur son torse, l'odeur du savon au citron sur ses mains qui la caressent, si elle ne pouvait pas sentir l'odeur chimique de son shampoing, elle ne le toucherait pas.

 Et si Clémence ne pouvait pas goûter ...

Il n'y a qu'une chose que Clémence ne regrette pas : c'est de renoncer à ses yeux. Le noir est complet, l'obscurité oppressante et rassurante à la fois. Ils ne voient rien ; personne ne peut les voir. Ils pourraient s'être trompés, ils pourraient être dans les bras de parfaits inconnus.

 Le géant qui la couvre de caresses, elle pourrait le peindre, le sculpter avec une précision qui l'étonne elle-même. Chacun de ses traits forme une image précise dans sa mémoire, chaque fois qu'il la touche, chaque fois qu'il l'embrasse, elle l'imagine à la lumière, beau. Dieu qu'il est beau, quand il l'aime sans retenue ! Dans l'obscurité, plus rien n'existe ; elle les aveugle pour mieux exacerber leurs autres sens. Leurs corps entrelacés se savent par cœur, car ils ne font qu’un, pour quelques heures encore.

 La nuit est reine.

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