Chapitre 2

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Quelques petits singes, cachés dans les branches touffues d'une clairière voisine, regardaient avec curiosité les deux hommes étonnamment blancs de peau. Ils savaient seulement de ces grands bipèdes qu’il fallait les fuir comme la peste, même si ces deux-là semblaient un peu différents. Alors, sans se faire remarquer, ils observaient leurs faits et gestes. Pour le premier, un humain vêtu de longues pièces d’étoffes sombres, il n’y avait pas grand-chose à en dire. Très visiblement, il dormait. D’ailleurs, les ronflements sonores confortaient l’idée que s'en faisait le chef du groupe de singes, un vieil animal aux poils gris.

Et, en effet, D’Arnot dormait à poings fermés. Cela faisait quelques heures, à présent. Le soleil était haut dans le ciel, mais protégé par l’ombre bienfaisante du manguier sous lequel il s’était écroulé de fatigue, il récupérait des longues épreuves de la nuit dernière. Et il aurait bien aimé en profiter encore un peu. Seulement, Tarzan arriva, survolté, comme possédé par un démon hyperactif !

Profitant du sommeil du marin, celui-ci était parti faire un tour dans la forêt avec une idée en tête : soulager son acolyte. Alors, tel Rambo (un jour...) assurant son bandana, il avait resserré d’un cran le cordon de son calfouette avant de plonger dans les herbes perfides. Perfides parce qu’il n’était pas rare de croiser un jaguar ou de gentils affamés de ce genre. Le cran supplémentaire ? Personne ne sait encore pourquoi… Peut-être pour affiner le taux de pénétration dans l’air en cas de fuite impromptue ? Compter sur une compression du contenu et s’épargner quelques grelottements sonores, à la façon d’un coucou qui sort de sa boîte à heure fixe ? Non, personne ne savait, ne saura jamais pourquoi…
Mais, en attendant, il renforça le serrage de sa boîte à ragoût. Et pour un résultat incontestable : le serrage en bas provoqua, à n’en pas douter, une efflorescence inespérée de ses neurones. En haut, donc !
Et cet ajout d’intellect, ou la neutralisation temporaire de ses bas instincts habituels, lui offrit l’occasion d’inventer un moyen de transport révolutionnaire. Ce qui collait parfaitement et avec un timing idéal à son intention d’aider son prochain. En l’occurrence : le pauvre Capitaine D’Arnot qui, en plus d’être épuisé, ne tarderait à collectionner ampoules et autres misères sous peu.
Et c’est au terme de savants bricolages forestiers, faits au rythme de quelques sifflotements guillerets, qu’il revint armé d’un engin qui allait leur permettre de filer comme le vent sur les pistes rougeâtres qui les mèneraient à Léopoldville.

Et quel engin ! Mais où était-il allé chercher une idée aussi ingénieuse ? Quel dieu miséricordieux s’était donc penché sur son cas pour lui insuffler un tel génie ? Se pouvait-il que Dame Nature, heureuse de retrouver un de ses enfants longtemps disparu, lui ait montré le chemin vers l’indicible ? N’était-ce pas le fantôme d’Henri Morton Stanley qui avait remonté le fleuve Congo depuis les chutes Livingstone pour lui refiler quelques combines d’aventurier ? L’Histoire n’en garda pas trace, ce qui fait qu’à ce jour personne ne saurait le dire. Mais les faits étaient là, sous les yeux ébouriffés de surprise du Capitaine D’Arnot ! Tarzan ne cachait ni sa joie, ni sa fierté. Au point que les singes cités plus haut décidèrent de décamper, inquiets de cette liesse excessive.

  • Mais qu’avez-vous encore manigancé ? fit D’Arnot en se grattant l’entre-jambe, probablement encombré de bestioles nouvelles.
  • Capitaine, répondit Tarzan en brandissant un curieux appareil fait de bois, vous allez m’adorer !

Le jeune homme souriait de toutes ses dents, qu’il avait fort blanches, et attendait un signe de la part de son ami. Malheureusement, ce dernier ne comprenait rien. Il observa la chose offerte à ses yeux mais il était loin d’en saisir l’usage et les fonctions. Ce que voyant, Tarzan se fit un devoir de lui expliquer, bien sûr.

  • Mon cher, ce que vous voyez va révolutionner le monde sous peu ! Je tempère ma fierté, sachez-le, mais il est évident que mon nom s’inscrira bientôt au fronton de tous les Panthéons du monde !
  • Hum…ça je commence à comprendre que le monde a décroché un sacré zozo avec vous… fit D’Arnot en toussotant pour ne pas se faire entendre.
  • Vous voyez cette simple planche de bois ? poursuivit Tarzan sans tenir compte de la réponde du capitaine. Eh bien, je l’ai façonnée avec amour et passion pour en faire une planche sur laquelle monter sans se faire mal aux pieds.
  • Parce que vous comptez monter là-dessus ? fit D’Arnot. Des semelles, quoi ?
  • Et comment ! Mais attendez la suite ! Une planche de bois, aussi belle soit-elle, ne servirait à rien qu’à faire un feu de cheminée si, grâce à mon génie unique, je n’avais eu la judicieuse idée de lui adjoindre quelques noix de coco !
  • Et… ?
  • Eh bien, mon cher, j’ai percé ces noix d’un axe central, fait d’acajou, un bois tellement rigide et solide qu’il pourrait supporter toute la misère du monde sans jamais faiblir (ce qu’il ne manque pas de faire, d’ailleurs, dans ces contrées déshéritées) et j’ai relié le tout en un ensemble cohérent, solide et peu encombrant. Notez que la notion d’encombrement est une donnée essentielle pour toute personne qui voyage !

D’Arnot ne disait rien. Pourtant, il pensait activement… Et se disait que l’autre était définitivement devenu fou, ou qu’il s’était pris quelques noix de coco, justement, sur la tête. Tarzan, constatant que l’autre restait de marbre alors qu’il s’attendait à le voir danser de joie, fit un peu grise mine, mais emporté par son enthousiasme, il continua sa démonstration.
Il jeta la planche au sol, les noix de coco posées sur le sol et sauta dessus ! Les bras écartés pour conserver l’équilibre, les genoux légèrement fléchis, il regardait D’Arnot en souriant comme un benêt.

  • Vous ne comprenez toujours pas ? fit-il entre deux gesticulations savantes.
  • Non ! Et vous commencez sérieusement à m’ennuyer avec vos singeries ! répondit D’Arnot avec hargne.
  • Ne vous fâchez pas, mon ami ! Il est normal que les non-initiés renâclent un peu face au progrès. Avec un « P » majuscule, le Progrès ! Je vais vous expliquer tout de suite !
  • Non et non ! J’en ai assez de tout ce bazar ! Nous devons aller à Léopoldville, m’avez-vous dit ! Alors, indiquez-moi la direction à suivre, et quand vous serez décidé à vous y rendre, vous me retrouverez !

Tarzan, interloqué, resta quelques secondes sans rien dire. Puis, l’œil amusé, pointa une direction vers l’Est d’un doigt bien tendu. D’Arnot se passa la main dans la barbe, réalisant trop tard qu’il avait parlé avec trop de brusquerie, conscient aussi qu’il n’avait aucune chance de rallier la capitale sans l’aide de l’homme-singe. Mais, en bon fils de la Révolution, il décréta d’aller au bout de l’aventure par ses propres moyens. Après tout, il en avait vu d’autres ! Il attrapa quelques mangues qu’il fourra dans ses poches puis, le torse fier et la démarche assurée (pas tous risques) il quitta les lieux, bien décidé à rejoindre la civilisation belge du Congo.

Tarzan le regarda partir. Il en profita pour effectuer quelques ultimes réglages sur sa machine infernale. Après quelques instants, il posa le pied sur la planche, le regard rivé vers l'horizon.

  • Je vais appeler ça...une planche à roulettes !

Puis, d'un pied conquérant, il s'élança à la poursuite du Capitaine D'Arnot.

A suivre…

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