Chapitre 2 – Un nouveau jour

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Onze ans plus tard, sur Ortilâ.

Tory rangea son arc dans son carquois, la chasse était arrivée à son terme.

Cette fois il avait réussi à abattre une perdrix, ce qui constituerait son repas du jour, en plus des quelques carottes noires qu’il avait réussi à subtiliser dans un champ non loin. Le soleil commençait à pointer ses rayons, réveillant peu à peu la population d’Artib.

Le garçon avait voyagé plusieurs kilomètres à l’est de Tapèkh. Cette ville, autrefois le carrefour de toutes les marchandises du pays, n’était plus que l’ombre d’elle-même. Vidée de toute vie, les bâtiments semblaient se recroqueviller sur eux même. Elle était à présent la plaque tournante de marchés obscurs et lieux de rencontre sous la bannière d’Isâârd. L’auberge de La louve noire, en hommage à Kaïa, dont le symbole était à présent perçu comme un mauvais présage, était la seule restée debout.

La terreur s’était abattue voilà presque douze ans sur les villages. Le dieu Isâârd avait de nouveau choisi un hôte, afin de faire émarger sa religion, celle du chaos et de l’incertitude. Les isârois fêtaient ce retour sur Ortilâ avec de grands feux de joies et des festivités pendant plus d’un mois. Festivités qui reposaient sur un cimetière d’iéoniens, les adorateurs de la déesse Iéonïsse de la paix et de l’harmonie.

Tory serra les dents à cette seule pensée. Par égoïsme de leur culte de déments, ils piétinaient plusieurs décennies de paix et s’en réjouissaient. Ils n’avaient aucune pitié et n’allaient pas s’arrêter à quelques prières ou des offrandes, non. Ils préféraient martyriser jusqu’au bout les athées et les iéoniens, qu’ils soient pourvus ou non pourvu de pouvoir.

Perdu dans ses pensées, il ne s’était pas rendu compte qu’il venait de pénétrer le village voisin. Ou plutôt son fantôme. Il ne se souvenait plus du nom de ce qu’il restait de ruines et de plâtre. La nature avait repris ses droits, çà et là, des touffes d’herbes avaient jaillis des interstices et des dénivelés laissés par la bataille. Cette battue, plus qu’une bataille, qui dura plusieurs semaines et qui avait rendu esclaves et tués des centaines d’iéoniens.

Les larmes lui piquèrent les yeux face à ce paysage aujourd’hui si paisible. La mousse formait un tapis vert et moelleux, comme une large éponge qui aurait absorbé et caché le sang qui s’y était répandue.

L’endroit était calme, comme celui qui suit la tempête. Une tempête qui avait fait rage onze ans plus tôt. Le garçon ferma ses yeux émeraude et se recueille pendant une minute, en hommage aux morts.

Il ne sentit la présence d’aucunes âmes sur les lieux.

Puis il reprit son repas et ses armes et continua son chemin.

Une fois arrivé au refuge de pierre, une petite maisonnée pas plus grande qu’un homme et ronde comme un igloo, il déposa son arc et son carquois, puis prit une petite marmite en fonte et s’afféra autour de son repas.

Déplumant avec soin la perdrix, il était de nouveau perdu dans ses pensées. Ou plutôt, ses pensées étaient accrochées à une seule et même idée : le retour de Lahynn dans son monde natal. C’est-à-dire ici, sur Ortilâ.

Depuis plusieurs années il vagabondait à sa recherche, pour ne pas dire depuis son enfance. Jusqu’à ce que le destin lui fasse croiser la route des elfes. Il avait partagé leur repas et avait compris que sa quête était aussi la leur et qu’ils misaient sur une légende selon laquelle elle représenterait l’Espoir du peuple d’Iéonïsse. Les iéoniens. Les fervents pratiquants de la religion basée sur la paix et l’harmonie.

Il apprit alors qu’elle avait traversé un arbre-passeur voilà onze ans et qu’elle venait d’atteindre l’âge de revenir.

Cette coïncidence était trop belle. Cela ne pouvait pas être le hasard, mais le bien le destin qui l’avait guidé jusqu’aux elfes et lui avait ainsi permis d’apprendre la vérité sur la mystérieuse disparition de son amie.

Tory sourit à cette pensée. Lahynn et lui avait été amis enfants, avant que la petite fille ne disparaisse soudainement. Son père avait alors tenté de le rassuré en lui disant qu’elle se trouvait au pays de glace, la région la plus éloignée d’Ortilâ. Par ces paroles rassurantes, son père avait tenté de lui faire comprendre que son amie était morte et que son âme se trouvait dans cette région inaccessible et éloignée.

Etait-ce encore le destin pour que son père se fasse kidnapper par les Tèrck lors de la battue qui décima une partie des iéoniens ?

Le petit Tory avait alors pris sa décision : celle de partir en quête de son amie au pays de glace…

L’arrivée de Valcor lui fit perdre le fil de ses souvenirs. Le loup au yeux d’argent et à la fourrure blanche et grise, les babines rougit par le sang d’une proie dévorée, s’installa non loin.

— Ce sera quoi ce soir ? lui demanda le loup

— Bouillon de perdrix aux carottes noires !

— Tu as de quoi faire bombance, se moqua le loup qui n’aimait pas la viande cuite.

Tory ne releva pas.

— Comment tu te sens ? reprit-il.

— Stressé je crois. Et impatient… En fait, j’en sais rien. Ca fait tellement longtemps que j’attends ce moment, que j’ai du mal à me faire à l’idée de son retour. Me dire que toute ma vie je n’ai fait qu’imaginer et là, on y est.

— Tu sais qu’elle ne pourra pas échapper à la loi Thedehus ? Elle risque de mettre du temps à se souvenir de sa vie sur Ortilâ et va perdre tous ses souvenirs de la Terre…

— Merci, je suis au courant, répondit Tory amer.

Il attrapa son coutela et se mit à évider la perdrix, lançant les morceaux crus au loup qui se délecta de cette viande épargner de la cuisson.

En silence, il prépara les morceaux et mit à cuire dans le bouillon d’eau et de légumes en ébullition dans la marmite en fonte, au-dessus de son feu de camp. En vérité, il était en colère et se sentait égoïste de la faire revenir de force. Tory possédait un pouvoir spécial, qui se transmettait de père en fils, celui de Passeur. En plus d’un Don qui peut nous être accordé à la naissance, il possédait celui de connaitre les arbres-passeurs et leurs destinations.

L’endroit où il campait depuis plusieurs jours possédait un immense chêne, non loin. Demain soir, l’arbre ouvrirait sa porte cosmique, invisible sans le pouvoir d’un Passeur. Le jeune garçon n’aurai plus qu’à prononcer les mots en direction de la Terre et y envoyer le loup comme médiateur.

Une sorte d’embarcation vivante.

Ce pouvoir, il l’avait toujours renié. Il le trouvait égoïste et prisé par des personnes mal intentionnées. Le destin encore ? Ces coïncidences l’auraient presque fait détester le dieu Suprême du destin, Pardéhouss.

Tout était écrit à la virgule près.

Jusqu’à ce pouvoir maudit et héréditaire, dont il était porteur et qui signerait le retour de Lahynn dans ce monde impitoyable.

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