Chapitre 3 - La lettre. Partie 1/2

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An 2007 sur la planète Terre.


La vielle horloge du clocher, sonna les coups de vingt et une heure, la pénombre terminait de chasser les derniers rayons estivaux.

Les habitants s'agitaient avant la tombée de la nuit, l'ombre des vieilles maisons de pierres s’allongeait pour se fondre à l'obscurité et les rues vides laissèrent place à la vie nocturne. Progressivement le calme s'imposa dans les petites demeures et les foyers s’illuminèrent pour accueillir la fraîcheur de la nuit.

Les habitations du petit village étaient peu nombreuses et cohabitaient à proximité les unes des autres. Leur façade étaient semblables, construites à partir de pierres grises, de toits en ardoises bleuté et de poutres en bois de frêne.

Seule détachée du reste du voisinage, une petite maison aux couleurs cendrées, défiait la nuit grâce à son éclairage artificiel. A travers ses fenêtres encadrées de bois, personne ne se serait douté de la présence de deux étrangères à ce monde.

Alna sortit de sous ses vêtements, ceux rangés au plus haut de son armoire, une lettre pliée en trois.

Cette lettre pesait toujours aussi lourd entre ses doigts. Elle l’avait plié et déplié une cinquantaine de fois et en connaissait les mots par cœur.

Ses propres mots.

Lorsqu’elle relisait ces lignes, c’était toujours à l’abri du regard de sa nièce. Qu’arriverait-il si elle tombait sur une lettre écrite à la hâte, voilà des années, qui lui révélerait qu’elle n’était qu’une passagère sur Terre ?

Alna passa son pouce sur la tâche d’huile au bas de la page. La lettre était déformée à cet endroit à cause de la fiole qui lui était attachée.

Le flacon n’y était plus, Alna l’avais dégoupillé et inhalé comme recommandé sur la lettre, voilà dix ans de cela…

~~~~~~

Alna regardait la petite fille courir en avant, heureuse de découvrir un nouveau village.

La femme sentit sa tête lui tourner. Les mots lui échappaient, comme si son cerveau se vidait de toutes connaissances. Elle sentit une main se poser sur son épaule. Elle crût même que cette main s’y était posé depuis quelques secondes déjà.

Le temps lui échappait.

Elle se retourna avec une lenteur infinie. Elle fut face à l’homme plus rapidement qu’elle ne l’avait imaginé.

Elle sentit que ses joues étaient mouillées. Elle avait pleuré ?

L’homme ouvrit la bouche et articula quelques mots muets. Les mots la frappèrent, comme sortie du néant, agressant sa conscience.

— Ça va ?

Maintenant face à elle, l’homme saisit sa seconde épaule fermement, visiblement inquiet. Elle cligna des yeux et l’espace de cette micro seconde, se sentit partir dans l’inconscience.

Lorsqu’elle ouvrit de nouveau les yeux, un vieux couple s’approchait d’eux.

Elle voulait juste se laisser emporter.

Elle voulait juste dormir…

Alna se réveilla avec une terrible migraine, sur un matelas sommaire. Son corps pesait lourd et semblait ne faire qu’un avec le sommier.

— Lahynn ! sursauta-t-elle en se rappelant la petite courir en avant.

— Elle va bien, ne vous en faites pas, lui parvînt une voix chevrotante.

— Qu’est-ce qui m’arrive ? Je peux la voir ?

— Elle joue dans la cour, vous avez fait un malaise en pleine rue. Voulez-vous un peu d’eau ?

Alna hocha la tête et la vieille dame l’aida à boire sans s’étouffer.

La pièce était plongée à demie dans l’obscurité, ce qui l’empêcha d’avoir une crise migraineuse.

La vieille femme s’appelait Ardiène, un nom original.

Etant donné que la mémoire ne revenait pas à Alna, Ardiène et son mari logèrent la femme et l’enfant pendant presque un mois. Elle fut sur pied au bout d’une semaine, mais ses souvenirs lui échappaient toujours.

Ardiène lui expliqua qu’elle avait sûrement vécu un traumatisme, qui la rendait amnésique temporairement.

Ce qu’elle ne lui avait pas dit, c’était qu’elle-même et son époux, avaient aussi quitté Ortilâ pour la Terre. Ils étaient ce qu’on nomme des Hôtes, des personnes dont la mission était de prendre en charge ceux qui quittaient leur ancien monde.

Lahynn ne fut pas affecté tout de suite par les symptômes, grâce au bloqueur que lui avait donné sa tante en arrivant sur Terre, avant de faire son malaise.

Mais ça, elle ne s’en souvenait pas.

Au début de la deuxième semaine, le Passeur qui les avait amenés sur Terre (et dont elle avait oublié l’existence), lui imprégna de nouveaux souvenirs en mémoire.

La vieille hôte l’avait fait venir et vantait ses miracles liés au magnétisme de ses mains, qui pourrait lui permettre de dépasser son traumatisme et ainsi retrouver sa « vie d’avant ».

Alna retrouva de nouveau souvenirs fabriqués par l’homme :

Elle était enseignante spécialisée dans la botanique, à l’université.

Elle était célibataire et sans enfant. Mise à part sa nièce, dont elle s’occupait depuis que ses parents étaient décédés dans un incendie d’immeuble. Le soir du nouvel an.

Elle aimait la tranquillité et un verre de scotch le vendredi soir, pour se détendre de sa semaine.

Une vie somme toute simple, sans débordement.

La jeune femme retrouva même le chemin de sa maison, qui n’avait pas perdu de son charme.

Elle l’avait laissé telle quelle : un peu de vaisselle était encore posée sur l’égouttoir, la poussière s’était déposé sur les meubles en bois et elle n’avait pas eu le temps de faire le lit de Lahynn, lorsqu’elles étaient partie se promener.

Ces souvenirs étaient factices. Ils se superposaient naturellement à ceux imprimés par le Passeur, afin de raconter une histoire et ne laisser aucun vide dans son esprit.

Le cerveau est ainsi fait et ainsi, la boucle était bouclée.

Deux mois après cet incident, elle reprit son travail de remplacement, afin de se remettre dans le bain et ainsi payer ses factures.

Lahynn fit sa rentrée à la maternelle.

C’était une petite fille introvertie, souvent dans la lune avec une imagination débordante lorsqu’elle jouait avec ses camarades.

Sa tante n’avait aucune crainte.

Sa vie à elle était douce. Pourtant, elle ne se sentait pas pleinement satisfaite. Pleinement complète.

Et cette impression prit de plus en plus de place, jusqu’à devenir une certitude qui naquit un samedi d’automne.

Alna avait emmené Lahynn au parc. La petite fille jouait avec énergie aux jeux pour enfants et la femme lisait son livre en gardant la petite à l’œil.

Un petit garçon se mit à pleurer. Plus jeune que sa nièce, il avait perdu sa mère de vue.

Le corps d’Alna intervint tout de suite et se précipita vers l’enfant en pleure.

Tout va bien, lui dit-elle en s’accroupissant à sa hauteur, je suis là.

— Maman ! Maman ou ?

— Je suis là mon ange, souffla Alna en prenant tendrement le visage du petit garçon entre ses mains.

­— Théo !

Une femme approcha d’elle et du petit garçon.

— Théo mon chéri, je suis là.

L’enfant se dégagea des mains d’Alna, les joues encore pleines de larmes, pour se réfugier dans les jupes de sa mère. Elle lui caressa affectueusement la tête.

— Merci madame de l’avoir consoler, il est très distrait quand on sort…

La femme se tut. Alna regardait l’enfant avec avidité et venait de lever la tête vers sa mère, avec des yeux noirs. La mère plia les genoux et attrapa son petit dans ses bras, embarrassée et visiblement apeurée.

Alna se releva enfin dans des gestes lents. Cette femme comptait lui arracher son enfant.

— Tata ! Regardes ! cria Lahynn du haut de son toboggan.

Le cri strident de la petite sortie sa tante de sa torpeur, elle tourna la tête vers sa nièce qui descendit du toboggan en riant, fière d’être descendue toute seule.

La mère en profita pour sortir du parc à grand pas, son fils dans les bras.

Qu’est-ce qu’il venait de se passer ?

Le temps d’un instant, elle avait eu le sentiment, non, la certitude de revivre un souvenir.

Les larmes s’échappèrent de ses yeux. Son cœur tomba dans sa poitrine.

Son fils. Son fils.

Elle tomba à genoux, incapable de sortir un son. Les mots bloquèrent ses cordes vocales. Elle pleura ainsi, sur le sol amortissant de l’aire de jeux.

Alna ne sut pas à qui parler de cette scène très gênante et déroutante. Son amie Ardiène était peut-être la seule qui soit vraiment à l’écoute. Elle profita de sa journée du dimanche pour lui rendre visite et lui raconter cette scène.

Son amie tendit l’oreille, en lui préparant un thé. Lorsqu’elle lui posa sa tasse brûlante, son regard était passé de la compassion à l’absorption.

— Alna, tu es mon amie et je commence à te connaitre. Je pense que le moment est venue plus tôt que je l’imaginais, malheureusement.

La vieille femme monta à l’étage sans donner plus d’explications à son amie, qui resta pantoise.

— Quel moment ? demanda Alna en élevant la voix pour la porter jusqu’à l’étage.

Ardiène redescendit, la mine grave. Elle tenait dans ses mains un manteau kaki en coton et lui tendit.

— Tu portais ça, quand nous t’avons trouvé évanouie.

La jeune femme prit le vêtement et découvrit un morceau de papier plié, coincé entre les doigts de la vieille hôte. Elle le saisie : c’était une enveloppe cachetée avec une cire verte. Son nom était écrit sur la face, la personne qui avait écrit, avait la même écriture qu’elle.

Elle cassa le cachet de cire, mais Ardiène l’arrêta :

— Alna, écoutes moi avant, s’il te plait. Ce qu’il y écrit dedans, peut te révéler des choses qui changeront ta vie à jamais.

Alna pouffa devant cette scène mélodramatique, mais ravala son sourire lorsqu’elle vit que son amie ne changeait pas de visage.

— Ardiène…

— Je suis sérieuse, Alna. Le mieux serait que tu la lise au calme. Tu peux monter à l’étage si tu veux.

La jeune femme sentit une angoisse lui creuser l’estomac et une curiosité accélérer son cœur. Cette lettre lui faisait peur tout à coup.

Lorsqu’elle fut sur le lit de son amie, elle prit une inspiration et ouvrit la lettre sans réfléchir. L’écriture était couchée, rapide.

Elle l’avait écrite dans l’urgence. Elle ? C’était bien son écriture en tous points.

« Alna,

Si tu lis ces mots, ceux sont bien les tiens.

Tu as dû remarquer la fiole à la fin de la lettre, n’y touche pas avant d’avoir fini de tout lire.

Tu es une étrangère à la Terre. Tu ne viens pas de ce monde, mais d’Ortilâ.

Tu as un fils qui s’appelle Dénaël, il n’a pas encore un an. Tu vas tout faire pour fuir avec lui de ce monde hanté par le chaos.

Ici, sur Ortilâ, les dieux existent et le cycle du dieu du chaos vient de reprendre, nous sommes en 2700 actuellement.

Avec toi se trouve une petite fille, elle représente notre salut, l’espoir de notre monde. Elle s’appelle Lahynn.

Ta mission sera de l’élever loin de ce monde, de lui apporter de l’amour et de la chérir, en même temps que ton fils.

En arrivant sur Terre, vous perdrez tous souvenirs, c’est pourquoi je nous adresse cette lettre.

Au moment de la majorité ortilienne de Lahynn, elle devra revenir sur Ortilâ.

Plusieurs alliés attendront son retour. Tu le sauras le jour où un loup viendra à ta rencontre. Il s’appelle Valcor.

Quoi qu’il se passe, tu es forte Alna.

Dès que tu te sentiras prête, dégoupilles la fiole et met la sous ton nez.

Bonne chance, Résistante.

Alna du passé. »

La jeune femme était sous le choc. Elle avait lu la lettre d’une traite, sans trop en comprendre le contenu. Elle décolla la fiole au liquide transparent, à peine l’avait-elle dégoupillé qu’un souvenir émergea devant ses yeux, dans son esprit.

Le moment où elle écrivait l’édite lettre.

~~~~~~

Deux jours avant la fuite d’Ortilâ d’Alna et de Lahynn.

Yamir agur.

Un fragment de ses souvenirs vint se ficher dans la lettre qu’elle venait de finir d’écrire à la hâte. L’effet lui donna un haut le cœur qui failli la faire vomir. Le papier tremblota et reprit son aspect rigide. Les mots disparurent comme s’ils avaient été dilués avec ce souvenir et la feuille redevînt vierge.

On toqua à la porte. C’était lui.

— Alna ? Qu’est-ce que tu fais ?

La présence de son corps dans la pièce lui donna un frisson dans le dos, la question était anodine seulement en apparence.

Elle se retourna avec un sourire flottant. Jériio tenait leur fils dans ses bras et le visage de Dénaël s’illumina quand il rencontra les yeux de sa mère.

— Rien. J’étais seulement en train d’écrire à ma sœur, répondit Alna.

Jériio déposa Dénaël sur sa couverture.

— Ah oui ?

Il s’approcha de sa femme et déposa un baiser sur son front.

L’emprise serra sa gorge.

Il prit le papier entre ses doigts.

— Mais… Tu n’as rien écrit encore.

— Oui, souffla Alna, j’ai… je n’ai pas vraiment trouvé les mots juste.

Elle était à demi soulagée. La barrière magique n’était pas perceptible.

Jériio posa sa main sur son épaule. Elle leva la tête vers lui, il la regarda au plus profond de ses yeux.

— Ma douce Alna. Tu as toujours le mot juste.

Il reposa la lettre et continua de la regarder intensément, sans lâcher son épaule.

L’Entité d’Alna eut un sursaut au fond de son esprit.

La jeune femme baissa les yeux sur sa lettre vierge

— Tu as raison. Je vais lui écrire avec mon cœur.

Avec toute la force dont elle était capable, elle contrôla les tressautements de sa main et se saisie de sa plume plongée dans l’encrier.

Jériio relâcha enfin son emprise et fit demi-tour.

— Je te laisse à ta tâche et pour ne pas te déranger, j’emmène Dénaël avec moi.

La goutte d’encre s’étala sur le bureau. Alna avait suspendu son geste avant d’arriver à sa lettre.

La porte se referma.

Il savait.

~~~~~~

Les souvenirs explosèrent dans sa tête. Elle se revoyait, elle et Jériio, leur idylles, la construction de leur maison et sa grossesse arrivée de manière impromptu. La famille de Jériio qui s’opposa à leur union et encore plus à leur progéniture.

Ils vécurent heureux tous les trois. Très vite Jériio saisit l’opportunité de travailler comme chef d’arme auprès du roi Hartos, du royaume d’Héliègd. Très vite, il passa conseiller du roi et pu ainsi y avoir des appartements avec sa famille.

Ils vécurent heureux, avant que le royaume ne soit soufflé par le chaos.

Avant que Jériio ne révèle sa vraie nature au monde.

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