Chapitre 3 - La Lettre. Partie 2/2

11 minutes de lecture

Sur Terre, toujours en l’an 2007.

À seize ans, Lahynn vivait seule en compagnie de sa tante, Alna. Elle avait le teint clair et ses yeux gris comme des perles, s'opposaient à ses longs cheveux foncés.

Elle était l’opposée de sa tante, au visage rond boutonné d’yeux noisettes et encadré d’un carré blond.

Lahynn n’avait plus aucun souvenir de ses chers parents. Cela ne lui manquait pas, elle avait grandi et s’était épanouie auprès de sa tante.

Son enfance fut construite autour du sport, de soirées lecture avec sa tante et de rêves prégnants, la nuit. Elle aimait raconter ses rêves à sa tante au petit matin, des rêves emplis d’aventures, de rires et de personnes aimantes. Elle ne ressentait que de l’amour dans ces moments.

Alna l’écoutait, mais Lahynn sentait dans son petit cœur d’enfant que sa tante ne partageait pas sa joie. Elle le voyait à la façon dont Alna souriait juste avec la bouche, mais que ses yeux restaient figés dans l’oubli.

A chaque journée qui suivaient ses confidences, elle se sentait maussade et ses rêves se faisaient de plus en plus rares. Alors elle avait décidé de les garder pour elle. Et depuis, elle vivait des aventures palpitantes et c’était devenu son secret.

Hormis cela, Alna était sa plus grande supportrice dans tous ce qu’elle entreprenait, et Dieu savait à combien de hobbies elle s’était prise de passion. Elle avait commencé par l’escalade pendant quelques années, mais avec son corps fluet et souple, la tâche était devenue trop simple et elle ressentait le besoin de trouver un sport qui lui permettrait de faire sortir des émotions qu’elle maîtrisait de moins en moins. Depuis qu’elle avait atteint ses quatorze ans, elle sentait monter en elle des vagues de violence et de colère, qui tranchaient avec son introversion naturelle. Elle démarra donc par la boxe anglaise, qui fut un bon exutoire au début. Mais elle avait encore des moments d’impatience, et l’impulsivité commença à faire ses débuts.

La salle de classe l’étouffait à mesure que les heures s’allongeaient. Elle s’ennuyait car elle saisissait rapidement la théorie et se trouvait à avoir des impatiences dans les jambes. La seule solution qu’elle trouva, était de se perdre à travers la fenêtre, à sa gauche.

— Mademoiselle Lèrt, ce que je dis n’a pas d’importance on dirait !

Lahynn émergea de sa nouvelle contemplation dans l’oubli.

— Si, si ! Excusez-moi, madame.

Madame Laurent se tourna de nouveau face à la classe, replaça ses lunettes sur son nez, légèrement agacée et reprit la lecture de son livre « Les Misérables ».

— Excusez-moi madame, lui parvînt une voix basse et moqueuse derrière elle, avec quelques pouffements.

Lahynn sentit une vague de chaleur enflammer ses joues et les poils de sa nuque se hérisser.

— Lèrt, tu fais pitié !...

— Fermes-la Magalie !

Lahynn s’était retournée avec rage, sa camarade blonde fit mine de ne pas comprendre sa réaction.

— Lèrt ! Duval ! C’est quoi le problème ? s’agaça sérieusement la professeure de français.

— Je ne sais pas madame, je parlais à Océane et elle m’insulte.

Lahynn sentit ses yeux s’agrandir face à cette mauvaise foi.

— T’es sérieuse ? Tu t’en prends tous le temps à moi !

— Ça suffit ! s’écria madame Laurent. Vous allez toutes les deux vous expliquer auprès de la conseillère principale !

— Mais madame, j’ai rien fait ! s’offusqua Magalie.

— Mademoiselle Duval, vous n’aviez déjà pas à bavarder en classe, comme vous l’avez souligné une seconde plus tôt.

Lahynn attrapa ses affaires en vitesse, folle de rage elle les avait entassés en désordre dans son sac à dos.

Elle quitta la classe, sans prêter attention aux injonctions de sa professeure qui lui demandait d’attendre qu’elle leur remette un mot signé, pour la conseillère principale.

Sa période d’adolescence s’en trouva troublée, elle comprit alors qu’elle n’était pas comme les autres.

En décalage.

Les autres élèves de sa classe le comprirent aussi et certains commencèrent à se moquer de sa façon d’être. Ainsi commença le cercle vicieux des moqueries et du rejet.

Lahynn prît sur elle pour s’éloigner encore plus de ces élèves et se réfugier dans son imaginaire et son sport.

Jusqu’au jour où, assise dans le couloir à lire son roman, elle se fit arroser par un gobelet rempli d’eau. Une des élèves avait simulé un trébuchage, pour faire intentionnellement tomber le contenu de son verre.

C’était de nouveau Magalie, qui partit d’un grand rire moqueur.

Lahynn entra dans une colère noire. Sans contrôler ses mouvements, elle se jeta sur la queue de cheval blonde de sa camarade et la flanqua au sol. La jeune fille tomba sur le dos et Lahynn la roua de coups sans ménagement.

La bagarre fut rapidement maitrisée, sa camarade s’en sortit avec un œil au beurre noir, quelques hématomes sur les avant-bras et une grosse bosse derrière la tête.

Alna fut convoquée dans l’établissement et Lahynn écopa d’un renvoi de trois jours du lycée pour coups et blessures.

S’en suivit une longue discussion avec sa tante. Celle-ci n’était pas en colère contre elle, Lahynn aurait même juré avoir vu une pointe de fierté passer dans ses yeux. Alna lui apprit que la violence ne pouvait que la desservir, surtout entourée de témoins qui n’allaient retenir que son accès de colère.

Alna lui avait proposé de la changer d’établissement, mais depuis cet incident, le reste de ses camarades n’osèrent plus s’en prendre à elle, et Lahynn goûta enfin à la paix. Elle n’en avait pas parlé à Alna, mais cette colère avait été comme une révélation de quelque chose enfouie dans son cœur. Pour la première fois depuis la quête d’elle-même, un sentiment de vie s’immisça en elle.

Cette pulsion de vie amena avec elle des questionnements sur elle-même et sur certaines questions restées sans réponse. Un événement annuel en particulier refît surface bien assez vite.

Ce soir, la fête battait son plein. Les rires, les boutades et le vin circulaient librement. Les discussions, quant à elles, devaient se faire une place parmi le brouhaha.

Coincée entre deux géants, une petite silhouette se dessinait, un large sourire fendait son pâle visage rond, encadré d'une chevelure dorée, coupée au carré.

Alna affichait certes une attitude des plus joyeuses, servant ses convives d’une deuxième part de gâteau, pourtant à travers ses yeux noisette, nageait une mélancolie adoucie par les festivités. Douze ans aujourd’hui qu’elle avait croisé pour la première fois le regard de son fils et que leurs destinés s’étaient coupés net.

La coutume fut que ce jour, celui de son anniversaire, serait fêté tous les ans.

Le gâteau n’avait pas de bougies et la supercherie passait pour une fête ordinaire, le soir d’un cinq août.

Elle n’avait pas eu le cœur de la partager avec qui que ce soit et avait gardé ce secret au fond d’elle-même, car elle avait été contrainte de le laisser sur Ortilâ. Contrainte, pour sauver une autre vie. Et sa culpabilité était le prix de son abandon.

Deux heures plus tard, une fois que les derniers invités quittèrent la maison, les deux femmes s'affairaient des derniers rangements de la soirée.

Lahynn finissait de faire la vaisselle, et comme chaque année la même question lui brûlait les lèvres, sans qu'elle n'ait le courage de la remettre sur le tapis. La dernière réaction d’Alna, l'année précédente, restait un souvenir amer et brumeux.

~~~~~~

Sa tante, installée dans le fauteuil, faisait des mots croisés. Lahynn nettoyait les dernières traces de festivité quand elle lança sa question sans crier gare.

— Alna ? J'ai une question, pourquoi on fait cette fête tous les cinq août ?

La jeune femme en avait cassé la mine de son crayon de surprise, deux lourdes secondes tombèrent.

Alna se radoucit et se leva le plus naturellement pour se diriger vers la cuisine à la recherche d'un taille-crayons, tout cela sans un mot.

— Euh... Alna ? Je t'ai posé une...

— J'ai entendu ! riposta-t-elle, mais où ai-je rangé ce taille-crayons de malheur ? Lahynn, va voir dans la salle de bain, s’il-te-plait !

L’adolescente leva un sourcil, circonspecte.

— D'accord…

Lorsqu'elle revînt, sa tante nettoyait frénétiquement la vaisselle.

— Alors ?

— Bon Lahynn, arrêtes avec tes questions ! C'est clair, non ? En plus j'ai une terrible migraine, alors un peu de calme je te prie.

— Mais...

— Tu n'as pas ta chambre à ranger par hasard ? la coupa Alna.

Abasourdie par ce soudain agacement, Lahynn n'avait pas cherché plus loin, elle était montée dans sa chambre, jurant tout bas.

~~~~~~

Se mordillant la lèvre inférieure, elle prît son courage à deux mains et se lança :

— C'était bien ce soir... Enfin, je veux dire la fête.

Elle savait que ses chances pour en savoir plus, étaient minimes avec ce genre de tentatives.

— Oui, Jean-Pierre a peut-être un peu forcé sur la bouteille, rit Alna.

— Quelle idée aussi, de faire une soirée en été avec autant d'alcool, ironisa l'adolescente.

Sa tante devînt aussitôt sceptique.

— Cela ne te ressemble pas de faire ce genre de blague ! Ou veux-tu en venir ?

Lahynn baissa les yeux sur l'assiette qu'elle était en train d'essuyer, sans oser répondre.

— Lahynn...

— Pourquoi cette fête ? En quel honneur ?

Alna blêmit, prise de vertige elle arriva jusqu'à l'évier, le regard fixe, pour s'y agripper fermement.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Tu veux t'asseoir ? paniqua la jeune fille.

— Non, ça va aller, il faut juste que je prenne l'air, se justifia sa tante en cherchant quelque chose des yeux, puis elle s'empara de la poubelle et se dirigea vers la porte. Sa nièce la retînt par le poignet.

— Désolée si je t'ai blessé, mais si tu as un souci, il ne faut pas le garder pour toi.

— Pas de problèmes ma luciole, un simple vertige, mentit-elle en se voulant rassurante.

Lahynn n’était rassurée que de moitié et se contenta d’ajouter :

— Bon, je vais me coucher alors.

— D’accord, passes une bonne nuit.

Lorsque Lahynn fut dans l'escalier, elle entendit un soupir de soulagement.

Une fois sur le trottoir, Alna délaissa la poubelle et fixa les étoiles. La mélancolie la saisit de nouveau. Se tenant tout prêt de la culpabilité qui l’accompagnait tous les jours, depuis son abandon. Quelque part, loin, très loin, son fils devenait un jeune homme. Un inconnu. Perdue dans ses souvenirs, elle eut un hoquet de stupeur lorsque du coin de l’œil, une forme blanche s’approcha. Un énorme loup apparut, sa fourrure albâtre et étincelante tranchait la pénombre, ses antérieurs étaient chaussées de gris, sa tête tout aussi blanche était balayée de striures grises sur le museau.

— Alna... souffla-t-il soulagé.

— Valcor ! s’étrangla-t-elle.

C’était donc vrai. La lettre disait vrai « Plusieurs alliés attendront son retour. Tu le sauras le jour où un loup viendra à ta rencontre. Il s’appelle Valcor. ».

Avant de poursuivre, le loup chercha des yeux, quelque chose d'invisible parmi la pénombre.

Il repéra ce qu'il cherchait. Là, sur la poubelle d'en face, un chat de gouttière au pelage sombre les épiait.

Le félidé gonfla le dos et le menaça d'un miaulement rauque, la queue tremblante de colère.

Le loup le fixait menaçant et retroussant ses babines, laissa paraitre des crocs acérés, blancs comme neige.

Lentement, il s'avança le regard foudroyant, plein de mépris. Le chat feula, avant de s'enfuir. La gueule de l'animal s'anima d'une étrange façon, semblable à un sourire satisfait.

Quand il se tourna vers la jeune femme, elle était de marbre, figé par la stupeur. Pas maintenant… Pas aujourd’hui.

— Je sais pourquoi tu es là.

Se sentit-elle obligée de lui lancer presque avec rage, mais le souffle lui manquait pour paraître un tant soit peu menaçante.

— Elle a eu ses seize ans depuis un mois déjà. Il est temps.

Alna n’avait pas d’arguments à lui soumettre. Il en avait été décidé ainsi : elle emmènerait la jeune Lahynn, l’Espoir de la population, jusqu’à sa majorité ortilienne. Elle serait élevée loin du chaos afin de conserver son esprit et son âme, les plus éloignés de l’horreur et de la misère. Une larme, puis deux, roulèrent lourdement le long de ses joues. Valcor eu un geste en avant :

— Tu sais...

— Montes à l'étage pour minuit, trancha-t-elle, tu ne disposeras que de très peu de temps.

Le loup se ravisa et hocha la tête, en signe d’approbation.

Alna se tourna, laissant déborder ses larmes, et rentra, le cœur lourd, dans la petite demeure.

Valcor resta transi, posa son arrière train sur le sol, les oreilles plaquées sur la tête. Frustré.

Quand revint sur le trottoir d'en face, le chat à la robe sombre. Il poussa un miaulement, tel un vieux chat galeux, à la voix enrouée par tant de mauvais jours.

Leurs yeux jaunes-argents se croisèrent et en l'espace d'un instant le félin avait disparu.

Un clignement d'œil suffit à sa dissipation.

Son odeur comme son ombre n'étaient plus.

Ne se préoccupant plus de la question, Valcor marcha vers la résidence, aussi silencieux que la nuit.

Le cadran de la cuisine affichait à présent de ses aiguilles, minuit moins dix. Valcor gravit les marches du sous-sol donnant sur le salon. Un endroit modeste aux tapisseries et aux meubles de bon goût, suffisamment sobres pour donner l’illusion d’un emménagement permanent. Le reflet d’une étrangère à ce monde qui ne s’était installée que partiellement.

Le parquet vieilli laissa s'échapper quelques grincements irréguliers et la cheminée voyait peu à peu ses cendres étouffer les derniers points de braises.

À pas de velours, il s'attaqua à l'escalier menant aux chambres. Une porte entrouverte, une respiration lente et profonde, lui indiqua que la chambre de Lahynn lui était ouverte.

Il poussa la porte du bout du museau, quand il fut stoppé par l'effleurement d'une main sur sa croupe.

Alna lui apparut avec un pâle sourire sur le visage, les yeux gonflés. Elle s'accroupit à sa hauteur, découvrant dans le creux de sa main un bijou scintillant.

— Alna, c’est...

— Il vous sera utile, le coupa-t-elle d’une voix tremblotante.

Les mots ne valaient rien. Contre toute attente, Alna attrapa le loup et le serra fort contre elle.

— Je suis désolée Valcor, pardonne moi. Prenez bien soin d’elle ! Elle est la prunelle de mes yeux. Elle n’est pas de ma chair, mais c’est comme ma fille. J’ai déjà failli en tant que mère avec mon fils…

Tous ses souvenirs d’Ortilâ lui étaient revenus avec l’apparition du loup de son monde natal. Il avait provoqué une brèche, un pont entre ces deux mondes. Elle se souvenait pourquoi elle avait quitté son fils. Elle se souvenait pourquoi elle avait pris la décision de sauver Lahynn. Elle se souvenait qu’elle était une résistante au régime de Tzaïr et qu’elle fomenterait sa révolution de loin.

— Ils te méritent tous les deux. Un jour ils comprendront tes choix. Merci pour tout, Alna.

Le pendentif autour du cou, Valcor s'approcha de l'adolescente. Montant sur le lit, les quatre pattes de chaque côté de son svelte corps, la tête au-dessus de son doux visage somnolent.

Il jeta un dernier regard sur le visage ravagé d’Alna. Et, posant sa truffe sur le front de la jeune fille, tous deux disparurent dans une pluie d'étincelles argentées.

Alna ferma la porte sur la chambre occupée une seconde plus tôt. La vieille horloge de chêne sonna ses douze coups.

« Iéonïsse, mère de nos mères, protèges tes enfants… »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Sitkä ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0