Chapitre 14 – Méandres de souvenirs

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Lorsque Tzaïr s’était réveillé, voilà presque douze ans de cela, ce fut une explosion. Jériio, qui abritait le dieu du chaos, avait réussi à atteindre un poste de conseiller auprès du roi. Très vite, il fit construire plusieurs pièces sous le manoir, officiellement destinées au stockage de vivres et de vins, à l’abri de la lumière. En secret, il fit construire un second sous-sol destiné à ses expériences et ses collections, les plus sordides et les plus extravagantes. Le roi mourut rapidement après l’ascension de Jériio. Personne n’osa faire le rapprochement et l’homme prît d’une main de fer la direction du royaume. C’est à la suite de cette effrayante découverte qu’Alna avait cherché à fuir la Terre du Regard avec son fils.

Une chose dont Lenjja était sûr, c’était que Tzaïr avait en sa possession une partie des pouvoirs des élémentaires et afin de rétablir un équilibre, Isindh sera utile pour localiser les élémentaires. Lahynn enfila ledit pendentif qui se posa froid sur son sternum.

— Comment fonctionne le pouvoir d’Isindh ?

— Je ne connais pas l’étendue de ses pouvoirs, ce pendentif a été donné à tes parents par un bijoutier qui disait avoir reçu une visite divine. Ce que je sais en revanche c’est que nous aurons besoin des sphères en cristal qui contiennent les immunités des élémentaires.

— Et ou sont ces sphères ?

— Nous savons que Tzaïr les garde dans son manoir. Demain on nous irons voir Jwane, une vieille amie.

En fin de journée, Héwine lui fît visiter l'étage du château, ses cinq chambres, la salle de méditation et la salle secrète, donc l’elfe gardait toujours la clé sur elle. Elle n’ouvrit pas la porte, car derrière se trouvait ses artefacts liés à son pouvoir.

Elles continuèrent plus loin à travers le couloir, qui s'élargissait des deux côté, en une pièce spacieuse, éclairé de tout son long par une baie vitrée, qui offrait une vue panoramique sur la montagne des Trois Sages. Une chaîne de montagnes, coiffées de neige reflétant les rayons rose du soleil couchant.

Elles descendirent le double escalier, scindés en deux autour d’un immense arbre décharné et argent. Lahynn n’avait pas remarqué cet arbre lors de sa fuite, lorsque son Entité avait pris possession de son corps. La pièce ouverte comportait sur la gauche une longue table en chêne entourés de chaises. En face, brûlait tranquillement un feu de cheminée. Et à droite l’immense bibliothèque qui laissa Lahynn bouche bée.

Héwine la tira afin de lui montrer la première pièce la plus importante du château : les cuisines. Trois personnes s’affairaient autour d’un dîner végétarien, l’air était embué de vapeur, d’odeurs poivrées, fumées et fraîche en même temps. Il y avait des marmites sur plusieurs feux, des rôtissoires et un four en pierre.

Lahynn aurait voulu faire un tour afin de voir de plus près les mets qui lui donnaient l’eau à la bouche rien qu’à l’odeur, mais Héwine la tira de nouveau afin de lui montrer la seconde pièce la plus importante de ce château : les sources chaudes. Les bassins étaient reliés directement au château par un système de tuyauteries plongées dans la terre. Le bassin était creusé dans le sol, remplie d'une eau chaude d'où s'échappait une vapeur blanche.

Héwine lâcha sa main, ferma la porte à double tour et, sans prévenir, retira ses vêtements sans pudeur. Lahynn, gênée, détourna les yeux. L’elfe entra dans l’eau et Lahynn se permis de jeter un œil sur son corps à demi émergé. Elle portait une longue cicatrice, fine et rouge, de l’épaule à la hanche.

— Ne sois pas timide, viens ! enjoignit Héwine en se tournant vers Lahynn.

— D’accord, mais tournes toi d’abord…

Héwine ferma les yeux, sans se tourner. Lahynn n’était pas à l’aise de devoir se déshabiller devant l’elfe, d’autant plus qu’elle n’était immergé qu’à moitié, exposant ainsi ses seins. Lahynn ne s’était jamais montré nue face à qui que ce soit et avait un complexe de sa petite poitrine. Alors que celle d’Héwine était tout juste opulente et se dressait fièrement.

La jeune femme se dépêcha de rentrer dans l’eau presque brulante, se cachant du mieux qu’elle pût de ses mains. Héwine fermait toujours les yeux.

— Tu peux les rouvrir, parvint la voix de la jeune fille à sa droite.

Lahynn était immergée jusqu’au cou.

— Tu vas vite avoir trop chaud comme ça, mis en garde l’elfe en détachant ses lourds cheveux noirs qui tombèrent dans son dos.

Héwine était l’incarnation de la perfection, se surprit à penser Lahynn.

Après s’être détendues et nettoyées dans les bains, les filles enfilèrent des vêtements en lins blancs, une veste indigo pour Lahynn et bleue nuit pour Héwine. Elles essorèrent leurs cheveux dans des serviettes en coton.

En voulant se diriger vers la salle à manger, Lahynn se trompa de direction et tomba dans un vestibule où trônait une masse informe de plus de deux mètres. Cachée sous une couverture, elle ressemblé vaguement à une statue.

— Ma mère.

— Comment ?

— La statue, c'est ma mère, lui apprit Héwine. Mon père n'a pas eu le courage de la déplacer, alors il a préféré la cacher à ses yeux. Il ne s'est toujours pas remit de sa mort.

— Je suis désolée...

Héwine eu un faible sourire.

— La vie est étrange, Notre Mère nous protège des yeux d'Isâârd, mais ne peut rien contre ses maléfices.

Les deux filles fixèrent cette couverture informe, comme si la statue d’Hénola allait prendre vie et faire tomber cette couverture d’un large geste.

Le soir venu ils se réunirent pour manger et Lahynn fît la connaissance d’Ohênn, le grand homme qui avait soutenu Lenjja, quand il l'avait soigné.

Ohênn n'était pas bavard, il ne parlait que pour appuyer des dires, sinon son visage restait impassible. Ses cheveux blonds étaient attachés par une queue basse. Sa forte mâchoire étaient adoucit par son regard bleu-vert. Il était arrivé depuis plusieurs années parmi la famille de Lenjja, il avait un grand sens du service, mais peu de la parole. La plupart du temps transparent, il riait peu comme si un mutisme s'était tissé autour de lui.

Lahynn comprit alors que c’était l’homme qui l’avait porté deux fois jusqu’au château. Elle garda le nez dans son assiette de cèpes braisés à la sève et au persil, gagnée par la honte, car elle se souvenait de son émoi, la première fois qu’il l’avait porté contre son torse chaud.

La table recelait de mets plus appétissants les uns que les autres. Tory et Valcor avaient été également conviés. Tory ne se fit pas prier pour ce second repas copieux et se servit de nouveaux en pois sautés à la graisse, qui avaient un goût fumé tout à fait étonnant. Valcor profita encore du tapis moelleux, comme un simple chien domestique. Il n’était pas friand du végétarisme de ses hôtes.

Héwine essayait encore une fois, malgré les interdictions de son père, de lire les pensées d’Ohênn grâce à son pouvoir télépathique. Mais il lui en empêchait grâce à sa bulle annule magie. Pouvoir qu'il semblait utiliser constamment ou qui se réveillait naturellement en cas d’intrusion. Cet homme l’intriguait, il était sans passé, taciturne et avait surgit de nulle part afin de se mettre au service de son père.

La nuit arriva vite, la déesse Ouménaléa remplaça le dieu du jour Ezhop, dans un éternel cycle circadien. Une fois seule dans son lit, Lahynn se tourna et se retourna dans les draps en soies, sans parvenir à trouver le sommeil. Finalement elle se décida à prendre un châle et à sortir dans l'enceinte du bâtiment. La lune éclairait suffisamment la cour, pour qu'elle ne cherche pas son chemin à tâtons. Une forme était allongée dans la pente d'une petite butte de terre, juste après l’arche de pierre.

— Insomnie ? lui demanda Tory.

— On dirait…
Elle s'assit à côté du garçon, ils ne s’étaient pas parlé de la soirée.

— Tu sais pour notre dispute...

— C'est déjà oublié.

Il l'avait coupé, comme s'il s'était attendu à cette tentative. Lahynn ne mordilla la lèvre inférieure.

Silence.

— T'as eu les réponses à tes questions ? reprit Tory.

Sa voix semblait déranger le silence que la nuit s'efforçait de poser, elle hocha la tête.

Silence.

— Valcor est parti en chasse ? reprit-elle.

— Oui.

Lahynn se mit à arracher quelques brin d’herbes, frustrée de sentir Tory aussi froid.

— La nuit est fraîche ce soir, soupira-t-elle

— Mais bon sang Lahynn ou veux-tu en venir ? Aller crache le morceau quoi !

— Mais c'est plutôt à toi qu'il faut poser la question ! Pourquoi tu ne parles pas ? J’ai l’impression que tu m’en veux ? s'emporta-t-elle

Tory eût un sourire puis il ria, ce qui ne fît qu'attiser la frustration de la jeune fille.

— Vas-y, rit ! Je te préviens que bientôt t'aura plus le temps pour ça ! se vexa-t-elle

— Ah, Enfin je te retrouve ! Tu n'as pas changé, tu sais ? Toujours aussi gentille et délicate, ricana-t-il en se tournant vers elle.

— Mais qu'est-ce que tu racontes à la fin ? Et arrête de rire comme un gogne tu m’énerves !

— Sans cesse cette expression. J'ai tout le temps été un gogne pour toi ! il ria de plus belle.

Lahynn se radoucit, sa curiosité piquée.

— Pourquoi tu dis ça ? Tu te moque encore de moi ?

— Non, non du tout. Mais enfin, tu ne te souviens vraiment pas ? Quand on était petits, on jouait souvent près de la rivière, tu avais peur des grenouilles que j'attrapais.

Lahynn hocha pensivement la tête, soudainement replongée dans un souvenir…

Elle s’éloigne précipitamment de l’eau, en voyant le petit garçon espiègle aux cheveux en bataille, lui courir après, une grenouille gigotant dans ses petites mains, riant de sa bêtise.

Il riait, et elle criait.

— Sale gogne puant ! Tu vas me le payer ! Et elle s’enfuie à toute jambe en le voyant approcher.

De toute façon, elle est plus rapide que lui. Et elle aime qu’il tente toujours de l’attraper, c’était leurs petit jeu. Puis Tory remet la grenouille près de la rivière, et s’avance les mains en évidences, preuve que la plaisanterie est finie. Une voix les hèle, c’est la mère de Tory qui les appelle pour boire un lait au miel.

— On fait la paix ?

Tory tend la main pour sceller ce pacte, qui sera de courte durée.

— Seulement si tu arrives à courir plus vite que moi !

Et elle s’élance en direction de la maison de Tory, légère et vive…

— ... Oui, je te traitais de « gogne puant » et puis on allait boire du lait au miel chez toi....

Ils en rirent, se rappelant d’autres souvenirs d'enfance, surgissant de cette mémoire sélective.

— Tu sais après ton départ, je me suis senti seul. Mais on m'a assuré que tu reviendrais, que tu étais loin d'ici, à l'autre bout d’Ortilâ. Le nombre de fois où j'ai voulu partir à ta recherche… Puis j'ai rencontré Valcor, encore louveteau.

— Je suis désolée Tory, nos vies ont pris des chemins tellement différent.

— C’est du passé maintenant et ça ne sert à rien d’imaginer ce qu’aurait été notre vie autrement.

Tory passa ses mains derrière sa tête et invita Lahynn à en faire de même afin d’observer le ciel noir constellé d’étoiles, comme éclairées par la lune.

— Et puis… Demain je verrais encore ta tête de gogne puante !

Il reçut un coup de coude dans les côtes et laissa échapper un rire.

Lahynn sourit, le regard plongé dans l’immensité de la toile qu’Ouménaléa avait tiré au-dessus de leur tête.

Tory se souvenait distinctement de leurs jeux d’enfants. Qui aurait pût imaginer ce qu’aurait été leur vie quelques mois plus tard ? Lahynn se sentait coupable d’avoir grandi loin de la famine, de la peur et de tout ce que la guerre laissait derrière elle.

Elle l’avait abandonné ici.

Si seulement elle avait sût à l’avance ce qui l’attendrais sur Terre, elle aurait demandé à ce que son ami soit du voyage. Si seulement…

Elle soupira. Tory avait raison : cela ne servait à rien d’imaginer ce qu’aurait été leur vie autrement. Puis elle se leva en s’époussetant, soudain prise de fatigue. Tory préféra rester dehors:

— Je suis habitué à dormir à la belle étoile. Et les endroits clos ne m’attirent pas vraiment. Je suis un vagabond dans l’âme.

Il avait parlé sans détacher ses yeux émeraude du plafond étoilé. Elle eut un élan de compassion, voulu l’enlacer mais retint son geste. Au lieu de cela, elle lui lança un « bonne nuit » rapide et regagna sa chambre.

Une fois partie, Tory soupira et releva sa manche. Il toucha distraitement les quelques plumes sombres sur ses bras, avant de se lever et se laisser happer par la forêt, aux douces et sinistres respirations des arbres endormis.

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