Chapitre 15 – Qaxa, le traître !

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— C'est hors de question !

— Mais voyons Jwane, tu auras juste à t'infiltrer discrètement et...

— Non ! Je suis désolée, je ne peux rien faire pour toi ...

Héwine voulu répliquer mais son père l'en empêcha d’un geste.

— Jwane, je sais que ce que nous te demandons est périlleux, mais tu connais mieux que quiconque ce manoir.

Le regard de Jwane passa de la colère à la tristesse.

— C'est devenu trop dangereux Lenjja. J'ai assez risqué ma vie comme ça. Maintenant je m'occupe simplement de récolter des informations.

Tous garèrent le silence. Ils s'étaient levés avec le soleil et l'espoir en trouvant la jeune femme cachée près d'un village en ruine, dans sa tente en toile qui se fondait au décor. Jwane n'avait pas encore trente ans et pourtant son visage affiné, presque maigre, paraissait plus vieux qu'elle. Ses yeux verts pâle étaient ternes, comme ses cheveux au roux délavé. C'était une grande femme aux corps musclé, à la démarche souple et au regard tantôt cinglant tantôt embué.

Quand Héwine lui proposa de leur rendre un service, en volants les pierres dans le manoir de Tzaïr, elle s'était braquée.

Lahynn fît une énième tentative.

— Mais il n'y a pas un autre moyen ? Comment vous y preniez-vous pour l'Exportation ?

Jwane posa son lourd regard sur celui de la jeune fille qui le soutint non sans ressentir un malaise. L’Exportation. Ce passage, onze ans plus tôt, où Tzaïr raflait les âmes de tous humains et elfs sur son passage. L’Exportation était le moment où les enfants de moins de dix ans étaient emmenés dans un lieu secret. Là-bas, ils subissaient un lavage de cerveau et étaient éduqués dans la foi Isâroise. Jwane y avait participé comme espionne et en profitait, avec l’aide d’un complice, pour cacher les enfants en lieu sûr. Loin des Yeux d’Isâârd.

Le visage de la femme s'adoucit.

— Ma chère Lahynn… Tu étais si petite quand je t'ai confié à ta tante. Et te revoilà onze ans plus tard, replongée à nouveau dans cet infernal tourbillon.

Jwane eut comme un élan d'amour et serra les épaules de Lahynn entre ses doigts calleux.

— Tu es ici depuis quelques jours seulement, mais je sens ta détermination et ton courage. Et je t'admire pour cela. Mais sauras-tu faire face à ton destin ? Te rends-tu bien compte de ce qu’il se passe ici en ce moment ?

Lahynn hocha la tête, mal à l’aise mais déterminée.

— Bien. Alors je n'ai plus rien à ajouter.

Elle se retira et se mît dos au trio. Lahynn s'impatienta.

— Alors c'est oui ou c'est non ?

— Lahynn, Héwine, vous a-t-on déjà raconté l'histoire du Tèrck qui était toujours chargé de s'occuper de l'Exportation des enfants, comme corvée à cause de son insolence ?

Le ton de sa voix était étrangement calme.

— Oui ! Tous les enfants la connaissent, s’avança Héwine.

— Et toi Lahynn ?

— Non, qu'est-ce qu'elle raconte ?

Jwane se retourna, ses yeux avaient repris en couleur.

— C'est la réponse que vous cherchez. Car sache Héwine que ce Tèrck, c'était moi !

L'elfe écarquilla légèrement les yeux de surprise, ce qui était rare. Lenjja lui ne dit rien, il savait déjà.

— Je me faisais appeler Qaxa. J'étais le Tèrck le plus étrange et le plus ennuyeux de tous. Pendant la période de la Récolte, à cause de mon insolence j'étais à la corvée de ce qu'ils appellent l'Exportation. Cette lourde tâche qui consiste à extraire les jeunes enfants de la masse d’humains et de les mener jusqu’à une forteresse secrète. Mais un jour...

~~~~~~


11 ans plus tôt, 10 jours après le départ de Lahynn et Alna sur Terre…

…Une vieille femme tombe à terre parmi le rang de prisonnier, je suis parmi les surveillants et discrètement je sors une fiole cristalline de mon long manteau noir pour recueillir son âme.

Je vois ses côtes se soulever dans un dernier râle, puis s’arrêter pour de bon. Une fumée translucide nacrée, l'âme, entre dans la fiole.

Puis deux Górtes viennent dégager son corps sans vie de la place, la trainant dans les entrailles du manoir. Ces créatures laides à faire peur, ont la gueule fracassée et des pierres de calcaire qui émergent de leur peau. L’odeur aurait pût les épargner, mais il faut croire qu’ils sont l’incarnation de la répugnance.

Parfois des cris surgissent de la forteresse, des cris à vous glacer le sang dans les veines.

Un homme sans âge trébuche et tombe à genoux. Il s'agenouille face à moi, je sursaute de peur qu'il découvre mon visage sous ma capuche.

— De l'eau… implore-t-il

Je ne peux pas parler la langue de cet homme à moins de me faire démasquer.

Le chef des Tèrck, Deikarr, vient à ma rencontre. Il est beaucoup plus grand que moi et sa main gantée de griffes de fer agrippe avec force l'épaule de l'homme. Ce dernier, tente de s'accrocher aux pans de ma tunique.

Il tombe à genoux, face à la file de prisonnier, qui continuent leur chemin.

Je voulais me jeter sur lui, mais ça aurait été me jeter dans la gueule d'un Pugna.

Deikarr prend plaisir à fouetter celui qu'il considère comme un animal. Mais le prisonnier ne bronche pas.

Le chef des Tèrck lève pour la sixième fois son fouet et là mon sang ne fait qu'un tour !

— Ça suffit Deikarr !, dis-je en tèrckis, maintenant fermement son poignet en l'air.

— Tu contestes mon autorité, Qaxa? rétorque-t-il avec dédain, en dégageant son bras.

Je me contente de relever le pauvre homme en sang et de le pousser vers la file en marche.

— Tu contestes ses ordres ! Il a ordonné cinq coups !

Les ordres de Tzaïr sont formels, cinq coups de fouets pour insubordination. Afin de rétablir l’ordre avec efficacité.

— Cet animal n'a pas crié.

Il te réservera un sort bien pire.

— Garde tes paroles ! Elles pourraient bien te valoir la tienne ! aboie t-il.

Les Tèrcks ont cette croyance selon laquelle leur âme peut leur être arrachée à tout moment. Ils ne redoutent pas la mort, mais d’être répudié par la main de leur Maître. Leur Dieu à eux.

Donc, je me contente de siffler, signe d'indifférence en tèrckis.

— Hors de ma vue, Charogne ! hurle Deikarr, tu me répugnes ! Va t'occuper de l'Exportation.

Je me dirigeais vers le manoir en grognant.

Ma mission allait commencer.

Une fois à l'intérieur une odeur de sang me prend la tête, l'aplomb de ma mission me permet de passer à travers la cruauté et faire fît des corps mutilés, à l'odeur du sang et de la sueur.

Mais la pire odeur, reste celle de la peur.

J'entre dans la petite cour où m'attend un autre Tèrck, il surveille les enfants de l'Exportation. Une tâche bien inutile quand on les voit collés les uns contre les autres, le visage caché dans leurs petites mains ou recroquevillés au sol en sanglotant.

Me dire que je peux les aider est plus puissant que de risquer ma vie chaque jour, me rappelant la raison pour laquelle je passe des nuits blanches à échafauder des plans. En voyant ces petites tête innocentes, j'éprouve un élan d'amour et je n’ai qu’une seule envie : les serrer dans mes bras, les rassurer et leur dire qu'ils seront hors de danger et que je prendrais soin d’eux...

Je prends donc la place du Tèrck trop heureux de quitter son poste pour aller s'amuser à terrifier ces pauvres gens, la plupart enfermés dans des cages exiguës.

Une fois le Tèrck partie, je jette un œil au-delà du lac maudit et imite le cri d'un animal pour voir mon coéquipier de l'autre côté de la berge.

Le même cri me parvient.

Je fais rapidement monter les enfants à bords de la barque accostée à nos pieds. A coup de grognements je les bouscule. Les cinq enfants sont dociles comme des agneaux, certains pleurent silencieusement, mais tous restent agglutinés les uns contre les autres. Je me retiens de ne pas les serrer dans mes bras et les rassurer tout de suite.

Ma frustration mise de côté, je fais embarquer les enfants et mon coéquipier tire sur la corde amarrée de l’autre copté. Sans un mot, Etèn tire sur l’embarcation. La scène se passe dans un silence épais et lourd.

Une fois les enfants débarqués, je tire de nouveau sur le canot afin de quitter cette terre inhospitalière.

Je me rends compte trop tard qu’une ombre est apparue dans mon dos.

Une lame rouge, que je connais bien, apparait sous ma gorge.

— Je t'avais bien dis Qaxa que ton insolence te vaudrait ton âme, siffla le chef des Tèrcks à mon oreille.

Il a trouvé mon épée de cristal rouge avant moi.

Je me crispe. Si je reste plus longtemps à cette proximité, Deikarr risque de sentir l'odeur de ma peur.

L'odeur de l'humain.

Celle du Faible.

Une flèche siffle à mon oreille et manque de peu sa cible.

Etèn !

Deikarr me relâche en feulant de consternation. Le tireur est invisible, mais pas sa forte odeur portée par le vent.

— FAIBLE ! beugle-t-il en signal d'alerte, un Faible est sur le territoire.

— Cours ! je hurle en ôrtilin, en direction d’Etèn en poussant violemment Deikarr contre le rempart qui ne réplique pas, sous le choc de ce deuxième affront sans doute. Saisissant la chance que m’a offert Etèn, je lui arrache l’épée de couleur rubis des mains et saute dans l’embarcation en m'éloignant le plus vite possible, d’un grand coup de pied sur la berge et de coups de rames.

~~~~~~


Tout ce passa très vite, les Tèrcks courraient pour être le premier à attraper l'intrus.

Leur chef cria des ordres dans tous les sens, pour rattraper le Faible, lui ramener Qaxa pour le faire payer et que quelqu'un reste pour surveiller les prisonniers désorientés.

Et c'est parmi ce tumulte de capes noires, parmi ces cris et ces tapages, qu'il arriva.

— Que ce passe-t-il, ici ? tonna Tzaïr de sa voix forte, reprenez votre travail !

Ce fut comme un anesthésiant sur la foule de Tèrcks qui se courbèrent et repartirent à leur tâches, comme des loups se soumettant à leur chef, la queue entre les pattes.

— Ô puissant Guêtza, grâce soient les yeux de Notre vénérable Isâârd de vous protéger...

— Cesses tes complaintes et explique-moi plutôt l'origine de ces tapages.

Deikarr n'osait toujours pas le regarder, il était courbé, les yeux rivés vers le sol.

— Un Faible, Vénérable Guêtza. Il s'est aventuré sur vos terres.

— Un Faible dis-tu ? En est tu bien sûr ? demanda froidement Tzaïr.

— Aussi sûr que la flèche plantée à mes pieds, Vénérable.

Quelques minutes plus tard, Etèn fut retrouvé par le flair des Pugna et ramené à moitié assommé par la massue d'un Górte. Deikarr prît fermement la prise du fuyard aux mains de la créature réticente, lui volant ainsi son trophée et sa gloire.

Le Tèrck l'agenouilla de force devant son maître. Etèn avait les cheveux qui lui tombaient dans les yeux, collés sur sa tempe droite ouverte, laissant couler un sang noir. Il soutint malgré tout le regard de l’homme qui s’autoproclamait roi d’Héliègd.

Tzaïr avait le visage taillé à la serpe, ses cheveux noirs coiffés en arrière étaient plaqué sur son crâne de manière impeccable. Ses yeux d’aciers étaient aussi tranchants que des pointes de silex. Son visage était impassible, imperturbable. La flèche entre les mains, il tourna autour de sa proie, se délectant de ce moment.

— Un travail d'expert, le bois est léger, la visée facilité par des plumes d'afath, une pointe en cristal noir. Un travail d'expert, répéta-t-il.

Sa voix s'était faite mielleuse, telle une mélodie douce-amère.

— Rouge, corrigea Etèn le sang pleins la bouche, c'est du cristal rouge.

Tzaïr s'arrêta devant lui pensif, faisant tournoyer la flèches entre ses doigts.

— Une flèche destinée à tuer un Tèrck donc. Et pourtant tu as manqué consciemment ta cible, continua-t-il de sa voix suave

Un sourire naquit, déformant son visage de cire.

Le piège se refermait.

Lentement.

— Il était pourtant à porter de tir, n'est-ce pas Deikarr ? dit-il en ôrtilin en se tournant vers la créature

Le chef des Tèrcks grogna, comprenant l'ironie qui se jouait sur lui à travers cette langue incompréhensible.

— Mauvaise visibilité... parvînt à articuler l'homme

Les gestes de Tzaïr devinrent tout à coups plus vif lorsqu'il prît sa tête et lui pencha violemment en arrière, le clair de lune éclaira son visage tuméfié et la poussière qui s’était collée au sang sur son visage.

— Ne te moque pas de moi ! Qui essayais-tu de protéger ?

Silence.

Sa main glissa le long de la mâchoire d’Etèn, lui maintenant la tête tournée vers le ciel.

Il tentait de violer son esprit, mais aucun visage mis à part un déguisement semblable aux vêtements des Tèrcks.

Qaxa.

Jwane.

Il le lâcha comme s’il avait reçu une décharge, mais se reprît aussitôt. Etèn sourit. Il savait à présent ce qui l'attendait et il cracha sur son manteau royal le sang dans sa bouche. Il cracha le sang d'un homme innocent, qui avait risqué sa vie pour des êtres chers.

— Tu ne la trouveras jamais ! Car seule la déesse Oum que je vénère, te tuera dans ses bras, fils d'Isâârd le lâche, cracha-t-il.

Tzaïr l'observa de haut et en un signe de main le fît amener dans la gueule du manoir maudit.

Les derniers rayons de lunes caressèrent sa tête.

Deikarr resta planté près de son maître, attendant de pouvoir formuler sa requête.

Tzaïr contempla encore la flèche. Évidemment… Une seule personne pouvait connaître cette arme. Le seul point faible des Tèrcks.

— Que fait tu encore là ? N'ai-je pas ordonné que tu reprennes ton travail ?

Le Tèrck hésita, puis se lança devant son impatience.

— Maître que fait-on de Qaxa le traître, il s'est enfui et...

— Détache le fauve.

— Avec plaisir, vénérable Guêtza.

Deikarr eût un raisonnement sourd dans sa poitrine.

Il riait.

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