Chapitre 10 - La nuit, tous les chats sont gris

7 minutes de lecture

Une énorme panthère apparue près du refuge. Elle s’approcha lentement du garçon et du loup, profondément endormis près de la bâtisse. Il huma leur odeur et releva la tête en reniflant le parfum qui se dégageait de l’intérieur.

C’est pour celle-ci qu’il était là.

Il s’approcha sans bruits de Lahynn.

Elle avait encore l’odeur de la vie en elle.

Le félin émis un râle, se recroquevilla sur lui-même, grogna de douleur et étira son long corps à la verticale. Faisant attention de ne pas se cogner au plafond bas, Lenjja étira ses bras en croix. Les recommandations de sa fille résonnaient dans sa tête.

Elle avait durement raison.

Lenjja repris une longue inspiration afin de calmer les pulsions de la bête, qui se terra de nouveau au fond de son esprit, en ronronnant. Son Entité disparut, il avait retrouvé tous ses attributs humains, ses yeux furent les derniers à reprendre leurs pupilles rondes.

Le vieil elfe pouvait enfin se mettre au travail.

Il détacha la sacoche qu’il portait en bandoulière à la taille. Il en sortit un pot remplie de poudre pourpre, qu’il posa à côté de la tête de lit.

— Avant que je ne commence, tu devrais te tenir éloigner dit-il sans se retourner.

L’inconnu se présenta dans le refuge, visiblement amusé et admiratif des sens aiguisé de son maître.

— Quand avez-vous sentie ma présence ?

— Dès mon départ. Je suis partie avec l’intuition que tu me suivrais et comme je ne t’ai pas sentie pendant ma courses, j’en ai déduit que tu avais fait appelle à ton pouvoir pour cacher ton aura.

— Vous garder un très bon sens de la déduction. J’aurais dût faire plus attention.

Lenjja se releva et le transperça de ses yeux bleus.

— Tu t’es amélioré dans tes déplacements. Mais tu restes prévisible, Ohênn.

Il posa sa main sur son épaule. Ohênn n’était pas né elfe, il le dépassait d’une bonne tête et possédait une force aussi incroyable que son pied était léger.

Il n’était ni jeune, ni vieux. Les cheveux blonds dorés attachés la plupart du temps en arrière. Et des yeux à la limite entre mer et forêt.

Ohênn jeta un œil par-dessus l’épaule de l’elfe.

— C’est donc cette jeune fille ?

Lenjja suivi son regard.

— C’est bien elle. La voici revenue, après onze longues années.

La blessure que le Zàrd avait infligé à la pommette de Lahynn s’était approfondie. Des tâches noirâtres s’étaient multipliées sur son corps. Ses ongles avaient commencé à s’allonger en de longues griffes recourbées.

Lahynn était tombée dans un monde de cauchemar. Les démons la persécutaient, des âmes déchues cherchant un corps à contrôler. Leurs yeux rouges percevaient ses moindres peurs, ses vœux les plus chers, et sa détresse face aux plaisirs qu'ils prenaient à la faire souffrir davantage.

« — Viens ! Rejoins-nous ! Tu es seule. Ils t’ont abandonné. Tu étais leur fardeau, fît une voix qui se réverbérait à l’infinie.

Un faux souvenir fit irruption : Tory la rejetait violemment à terre.

— Nous n'avons pas besoins de toi ! Tu es tellement faible, tu ne survivras jamais ! Hurlait Tory

— Mais je veux vous aider ! Je peux apprendre, si tu me laisse ma chance !

— Il n'y a pas de place pour toi ici ! Autant te livrer toi-même à Tzaïr, je n'aurai pas à le faire moi-même comme ça !

— Tory... je t'en prie, ne me laisses pas, l’avait-elle supplié

Mais il était parti sans se retourner… »

Lenjja alluma l’encens pourpre avec une allumette. La fumée se rependit en une odeur capitonnée dans tout le refuge.

Il releva la chemise de Lahynn, afin de dévoiler son ventre, tâché d’empreintes spectrales noires. Posant la main sur son ventre froid, il récita une formule :

— Ahi mondo seprum kadoff…

Trois cercles nivéens et lumineux apparurent. Ils s’imbriquaient ensemble, l’un en haut et les deux autres à droite et à gauche.

L’Entité.

L’Esprit.

Le Corps.

La fusion des trois donnait un fragment unique : l’Âme.

Le cercle du Corps disparu en premier. Ce n’était pas une emprise du corps.

Puis le cercle de l’Entité disparu à moitié. Son pouvoir était mis de côté afin de ne pas interférer sur l’emprise du troisième cercle, celui de l’Esprit.

Le morceau de l’Âme disparu à son tour.

Lenjja souffla.

Sa vie n’était pas en danger, elle n’aurait aucune séquelle de cette emprise.

Il ne restait qu’un cercle et demi. Ceux de l’Esprit et de l’Entité. Cette dernière se battait contre la menace, comme un corps provoque une fièvre lorsqu’il est attaqué par un virus. Ce qui expliquait les griffes qui avaient remplacées ses ongles et les tâches noirâtre parsemées de poils sombres.

— Ahi dete lrani, ahi ezyum oli ezetelam, entonnât-il.

~~~~~~

« — Tu nous appartiens à présents. Rejoins nous, nous avons besoins de toi, tu ne seras plus seule. Donne-nous ton âme en échange d’une vie sans souffrances.

Une vie sans souffrances… A l’heure actuelle, elle avait l’impression que sa vie était une série de souffrances. Guidée par la peur qui lui empoignait l’estomac et l’écrasante question autour de son utilité sur cette planète.

— Ton sacrifice ne sera pas inutile. Viens tant qu'il en est encore temps.

Lahynn voulait se laisser porter. Elle ne voulait plus lutter et se sentait vidée. Elle était seule. Sans défense.

« — C'est ça ! Viens, tu es sur la bonne voie. Tu seras récompensé pour ton offrande.

Soudain, elle vît une lumière éclatante percer à travers les ténèbres. Si elle avait eu des yeux, elle les aurait plissés. Elle se rendit alors compte qu’elle n’était que pure énergie, dénuée de corps.

— Suis-moi Lahynn. La lumière t’aidera à sortir de la souffrance, annonça la voix portée par le rayon lumineux.

Les ombres ténébreuses sifflèrent :

— Non ! C'est un traître ! Ne le suis pas ! Viens à nous, ils t’ont abandonnés !

Lahynn hésita à s’approcher de cette main tendue… »

Lenjja continuait sa formule, les yeux plissés sous l'effort, sa voix se faisait de plus en plus forte et saccadée :

— Ahi dete lrani, ahi ezyum oli ezetelam…

« Lahynn hésita encore, entre s’enfoncer dans les ténèbres sans résister ou continuer de lutter contre les mains invisibles qui la maintenaient sur place. Elle avait envie de se laisser porter. Elle avait envie de se laisser tomber dans le vide pour ne plus rien ressentir. Tomber au fond de son esprit… »

La sueur perlait sur le front de Lenjja, et le corps de l'adolescente restait désespérément immobile.

« — Lahynn, l''obscurité des ténèbres ne t'apportera rien de bon, crois-moi. Donnes-moi ta main et je te promets de ne plus jamais la lâcher !

— Je ne survivrais pas à d’autres souffrances…

— Ton ami tiens à te dire ces mots : « Tiens bon. Ne pars pas une seconde fois. »

Tory ! Il ne l’avait pas abandonné ! Elle força son esprit à se libérer de l’emprise. C’était aussi difficile que de courir dans l’eau avec des poids aux chevilles. Elle se concentra sur la main sans visage qui venait d’apparaitre du ciel, s’y agrippa avec toute la volonté qu’elle avait en sa possession. Les démons hurlèrent à ses oreilles :

— NON !

— Accroches-toi !

Et elle sera aussi fort qu'elle pût cette main sortie de nulle part, son esprit quitta peu à peu la noirceur des ténèbres, pour arriver à la surface, où l'attendait l'espoir et la vie. »

~~~~~~

Sa poitrine se souleva d'un coup, avalant une grande bouffée d'air frais, qui lui avait manqué. Une image floue apparue, elle sentit des milliers de petites piqures désagréables lui courir sur la peau, son cuir chevelu la démangeait horriblement et le bout de ses doigts avait l’air trop étroit, à ce moment-là. Elle n'eût pas le temps de voir son sauveur, que le sommeil la plomba sur place.

« Encore… » Pensa-t-elle, à l’idée de se sentir de nouveau happée par le monde onirique.

Elle était à demi consciente. Elle ne pouvait ni bouger, ni parler, mais elle savait qu’elle était revenu dans le monde réel.

— Vous avez utilisé toute vos ressources cette fois, annonça une voix assurée et grave. Celle d’un homme.

— L’emprise était tenace, mais elle est sauve, répondit une autre voix plus lente et plus feutrée. Presque à bout de souffle. Celle de celui qui venait de la sortir des ténèbres.

Lahynn sentit deux mains chaudes replacer sa chemise, afin de couvrir son ventre.

— Il ne faut pas tarder. J’ai fait le tour, il n’y a rien à craindre pour cette nuit, repris la première voix.

Il était nerveux et pressé.

— Très bien.

Lahynn sentit son sauveur prendre appui, faisant trembloter le sommier sur lequel elle était allongée, pour se relever.

— Je te laisse te charger d’elle, reprit-il.

Elle entendit un froissement de vêtements qui s’éloignait.

Deux mains, puis deux avant-bras musclés et chauds glissèrent sous sa nuque et sous ses genoux.

Elle était vraiment incapable de bouger. Avec une rudesse maladroite, le premier homme l’attira d’abord contre son torse.

Il sentait bon, un mélange de transpiration, de cuir et de bergamote. Et il avait une chaleur si apaisante… Elle était contente d’avoir quittée les ténèbres.

Lahynn chassa rapidement cette pensée qui risquait d’en amener d’autre avec elle.

Elle devait plutôt rester concentrer sur ce qui ressemblait à son kidnapping.

L’homme prit appuie sur ses jambes et la souleva sans effort. Elle sentit son expiration, chaude, se diffuser sur sa gorge.

Si c’était un kidnapping, elle profiterait le plus longtemps possible de la chaleur de son torse collé à elle.

Dans le fond, elle espérait que son corps ne trahirait pas son émoi et que ses joues n’allaient pas reprendre trop vite en couleur.

L’homme fit un tour sur lui-même, avança de deux pas, se pencha pour sortir de l’abri. Pendant une seconde, elle pût inspirer avec délice le parfum qui se dégageait de sa gorge.

— On les laisse là ? vibra sa voix à travers sa cage thoracique.

— Héwine ne pas tarder à les relâcher. Je lui ai demandée de nous laisser de l’avance.

Lahynn sentit que l’homme hésitait, puis sortir un grondement de sa gorge, répondant à sa propre interrogation intérieur.

Il se mit en marche, serra plus fort le corps de Lahynn contre lui. Elle profita tellement de ce moment que lorsqu’Ohênn se mit à courir, elle s’était de nouveau endormie.

Lorsque Tory ouvrit les yeux, il faisait encore nuit, Valcor se releva également, hébété.

Tory n’attendit pas que les vapeurs du sommeil soient estompées, il fonça vers le refuge. Vide.

— Fais-chier ! cria-t-il en donnant un coup de pied dans la table de chevet qui tomba à la renverse, avant de sortir en courant.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Sitkä ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0