Chapitre 11 – Le château de glace

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Tory se tenait adossé au muret surplombant le domaine de l’elfe. Son souffle était court : il avait couru à faire exploser son cœur pendant tout le crépuscule. Le soleil pointait à travers les arbres, laissant des rayons allongés et zébrés près de ses pieds.

Il avait la gorge sèche, son cœur lui faisait mal derrière ses côtés et ses mollets lui brulaient, mais il était arrivé.

Passant sa manche sur son front détrempé, il entendit un imperceptible froissement de vêtement. Il retint son souffle.

Un novice l’aurait confondu avec le bruissement des feuilles.

Tory encocha une flèche sur son arc, la pointant vers la seule ouverture du muret à sa gauche.

— Ne pointes pas ton arme sur moi, lui parvint une voix rude et calme.

Une force lui bloqua le bras, le faisant détourner son arme de sa cible.

Le vieil elfe apparût dans la douce lumière du matin, prenant appui sur son long bâton tortueux.

Ses traits longs et fins, étaient tirés par la fatigue. Ses cheveux blancs-argents, lui descendaient le long des épaules. Ses yeux d'un bleu glacial fixaient son arc. Tory remarqua alors que ses pupilles étaient fendues à la verticale.

Avec son pouvoir, il l’avait cloué sur place.

Tory sentit une présence passer sur lui, comme une bise fraîche et ronde. Presque moelleuse.

Une fois que Lenjja eût fini de sonder le jeune homme, il se détendit. Ses pupilles redevinrent rondes.

Tory sentit la main de fer quitter son enveloppe corporelle. Il garda son arc et sa flèche dans la même main, sans les ranger pour autant.

Lenjja lui sourit et sortit de son manteau une outre d’eau qu’il tendit sans un mot au garçon.

Tory hésita, puis se résigna très vite et prit l’outre sans un remerciement.

Il but de longues goulées sans s’arrêter.

Une fois la poche vidée, il s’essuya la bouche du revers de la main.

Il la rendit à l’elfe en ajoutant :

— Je veux voir Lahynn.

— Je sais.

— Je veux la voir, seul.

— Je me doute.

Il s’attendait à un minimum de résistance de la part de l’elfe.

Le voilà décontenancé.

Il voulait montrer à l’elfe qu’il s’était senti trahi et que sa colère ne passerait pas avec un peu d’eau.

— En attendant, est-ce que je peux t’inviter à entrer ?

— Pourquoi je ferais ça ?

— Parce que tu mérites toutes nos excuses et un bon repas chaud.

Lenjja souriait légèrement, avec chaleur.

Tory souleva ses épaules et rangea son arc dans son carquois.

— Est-ce que vous acceptez les vagabonds accompagnés ? demanda Tory avec désinvolture.

— Qui du loup ou du garçon est le vagabond ? demanda Lenjja, en souriant plus franchement.

A ces mots, Valcor apparût à travers les buissons. La langue pendante, haletant. Il avait suivi Tory à un rythme plus raisonnable.

En passant sous l’arche, surmontée de deux filaments se rejoignant en un point central, ils trouvèrent Héwine. Elle était appuyée sur muret sur une jambe, à leur droite. L’autre jambe appuyée sur l’enceinte, les bras croisés sur la poitrine. Habillée en tenue de soldat, une épée pendant à sa ceinture, elle fixait le garçon et le loup.

Même si elle avait esquissé un sourire, les deux amis n’auraient sût dire s’il était sincère.

— Bien dormi ? demanda-t-elle visiblement amusée.

— La prochaine fois, essayes de nous retenir sans artefact et là, le combat sera loyal, lança-t-il piqué au vif.

L'elfe ne releva pas et se contenta de prendre appui sur sa jambe, donnant une impulsion souple à son corps, afin de reprendre son entrainement plus loin.

Arrivés devant le château, ils eurent un choc en voyant que la légende était vraie. Le bâtiment était entièrement taillé dans la glace, puis avait été poli, pour devenir aussi lisse qu'un miroir.

Si l'on touchait la paroi, elle était glaciale mais ne fondait pas sous l'effet de la chaleur. Son dôme arrondi comme un cône, se dressait fièrement, narguant les rayons de soleil impuissants.

Ils s'engagèrent dans un haut tunnel glacé.

À force de rester le nez en l'air, le garçon se serait pris la haute porte de bois, si Lenjja ne l'avait pas arrêté, d’une main ferme sur l’épaule.

Une fois à l'intérieur, le château dévoila toute sa splendeur. La pièce unique et centrale, dévoilait la douce lumière du jour naissant à travers son plafond de glace, à plusieurs mètres d'eux. Contrairement à ce qu'ils s’étaient imaginés, il faisait chaud à l'intérieur.

À leur droite, brûlait un feu dans une immense cheminée de marbre. En face de celle-ci, se tenait un confortable canapé posé sur un épais tapis. Derrière, était dressée une table entourée de chaises en bois sombre. Deux chandeliers en or placés aux centre, ajoutaient une pointe de sobre richesse au décor.

Mais le plus impressionnant fut la bibliothèque à leur gauche : elle les dominait de sa hauteur, effaçant les murs sous ses innombrables livres.

Le garçon et le loup n'avaient jamais vu autant de livres de leur vie.

Et depuis bien longtemps, de pièce aussi vaste et confortable.

Lenjja invita Tory à s’installer à table, afin de lui servir un mélange de pois, de riz et de légumes. Les elfes étant végétariens, Tory devrait se passer de viande.

Valcor préféra se lover sur l'épais tapis devant la cheminée, afin de profiter du confort et de la chaleur du lieu.

Lorsque Lahynn se réveilla, une fois de plus dans un endroit inconnu, le soleil était déjà haut dans le ciel. Se réverbérant sur le mur de glace, la pièce prenait une douce teinte bleue. Une fenêtre encadrée de marbre y avait été encastrée.

Sa pommette lui tiraillait, elle y porta ses doigts et rencontra un bandage. Sa blessure avait été soignée.

Ses souvenirs étaient brumeux, elle avait le vif souvenir de la panthère qui les attaquait, elle et Valcor.

Par la suite, elle s’était de plus en plus enfoncée au fond d’elle-même…

Soudain, une tête apparue dans l'encadrement de la porte. Les yeux d’Héwine se plissèrent, lorsqu'elle vît que son invitée était enfin réveillée :

— Alors? Bien dormi? Tu dois avoir faim, je t'ai préparé un repas.

Lahynn fut subjuguée par sa beauté, ses longs cheveux bruns, ondulés autour de son visage pâle. Ses yeux bleus clairs lui firent penser aux siens, d'un gris de perle. Malgré sa tenue de soldat, sa féminité tranchait avec son habit.

Héwine posa le plateau sur le lit, avant de s'asseoir en face d’elle :

— J'espère que ça te plaira, je l'ai cuisiné moi même !

— Merci…

Lahynn était gênée, elle ne reconnaissait pas son hôte, et tout en creusant sa mémoire elle prit la cuillère posée à côté du bol de fruits. Elle sentie le regard inquisiteur de l’elfe sur elle. Héwine la scrutait avec une curiosité non dissimulée.

— Il y a un problème ? s’embarrassa Lahynn

Héwine sourit comme une enfant.

— Il y a tellement d’émotions qui traversent ton visage !

Lahynn se sentit mal à l’aise, elle ne savait pas quoi répondre.

— Là ! Qu’est-ce que c’est ? demanda Héwine en désignant son visage et ses yeux qui avaient bougé de droite à gauche et cligné plusieurs fois des cils.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Là, tu viens de froncer les sourcils ! C’est de la colère ?

— Non, c’est de l’agacement. Tu me scrutes et c’est gênant.

Héwine recula vivement, son visage ne trahissait aucune émotion. Mais son geste signifiait de la surprise.

— Comment vous faites les humains, si vous ne regardez pas l’autre en face pour vous parler ? demanda-t-elle en parlant au mur à côté d’elle.

Lahynn se détendit et posa la cuillère.

— Il y a une différence entre regarder et scruter.

— Que de vocabulaires, pour pas grand-chose, souffla Héwine. Tous les humains se posent ces questions ?

— Pourquoi tu dis « humains » ?

L’elfe marqua un temps de surprise, perceptible uniquement par son silence :

— Ca me parait évident, je suis une elfe et non une humaine.

A ces mots, elle releva ses cheveux afin de dévoiler ses oreilles pointues.

Ainsi Lahynn apprit l’existence des elfes et de la raison de son réveil dans ce grand lit bordé de soie.

Héwine prit le temps de lui expliquer qu'elle s'était évanouie depuis la veille au soir, possédée par des esprits malveillants. Le poison avait été injecté dans la queue du Zàrd qui l'avait attaqué, sûrement à l'attention du loup, afin de le mettre hors-jeu et d'atteindre Lahynn plus facilement.

Héwine avait alors utilisé un objet rare, appelé artefact, afin d'amplifier son pouvoir et forcer Tory et Valcor à entrer dans le premier monde, celui des rêves et de l'inconstruit.

— Je possède un pouvoir en lien avec la déesse du monde onirique, Onireyèll. Je suis ce qu'on appelle vulgairement une Rêveuse. Je peux communiquer avec d'autres Rêveurs par ce biais. L'artefact me permet d'aller plus vite, sans passer par la phase du rêve lucide, je peux rester à demi consciente et forcer la conscience de ceux que je désigne.

Lahynn écarquilla les yeux, elle ne savait pas si elle trouvait ce pouvoir tout bonnement génial ou totalement effrayant.

Il faut dire que le ton factuel d'Héwine lui donnait des sueurs froides.

Elle en avait oublié d'avaler sa cuillérée et dû revenir à la réalité pour faire les choses dans l'ordre : avaler et poser sa question.

— Mais.... mais comment ça marche ?

Héwine la fixa, sans bouger le moindre cil. Cette fois elle ne la scrutait pas, mais avait l'air d'être plongé dans une intense réflexion.

— Je ne peux rien te dire, lâcha-t-elle enfin.

Lahynn resta incrédule. Cette fille était décidément très étrange. Ou cette femme ?

— Mais dis-moi, tu as quel âge ? demanda-t-elle pour changer de sujet et sortir de cette embarras.

— Le même âge que toi. A deux années près.

— Deux ans de plus ou de moins ? C'est pas la même chose.

— De plus. Pour moi ça ne change pas grand-chose, vu que je vais mourir dans une centaine d'années. Pas comme vous...

Lahynn se sentit piquée, cet air péremptoire commençait sérieusement à l'agacer, elle avait des fourmillements dans la nuque.

— Alors tu devrais en profiter pour revoir ta manière de parler.

Pour la première fois, elle vit Héwine soulever ses sourcils de surprise.

— Revoir ma manière de parler ?

— Oui, tu me prends de haut, comme si ma vie était moins importante, parce que je suis une humaine.

Héwine garda la silence un instant, leva les yeux au-dessus de la tête de Lahynn, avant de reprendre :

— Tu es en colère ?

— On peut dire ça, c'est vexant !

L'elfe se souvint alors de ce que son père lui avait appris à dire dans ces moments-là.

— Alors je suis désolée. Excuses moi.

Lahynn se radoucit et descendit ses épaules qui s'étaient contractées.

Héwine suivit des yeux le halo d'énergie qui avait enveloppé Lahynn, se rétracter et revenir se lover au niveau de son estomac.

L’Entité de Lahynn. Elle s’était réveillée avec sa colère. C’était donc un prédateur.

Les sens aiguisés de l’elfe lui avait permis de percevoir le halo d’énergie, invisible aux yeux des humains.

La question lui brûlait les lèvres, mais Héwine savait qu’elle n’était pas à propos, pour le moment. La jeune humaine ne savait peut être rien à propos des Entités. Ou alors elles s’appelaient autrement sur Terre.

Le père d’Héwine tomba fort à propos, en toquant discrètement à la porte. Bien sûr, il faisait ça pour prévenir de sa présence auprès de Lahynn.

Héwine avait senti son énergie depuis plusieurs minutes, derrière la porte.

Il prendrait la relève mieux qu’elle.

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