Bêta.

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OLYMPE

Les rires fusèrent dans le temple. L’hilarité était telle que Zeus ne sut s’il était préférable pour lui de se retirer de la réunion en prétendant à une blague ou s’il fallait qu’il rétablisse la vérité. Embarrassé, il écourta les discussions mélangées et les moqueries, tapant de son sceptre sur le sol marbré. L’écho résonna contre les parois, et fit taire les murmures incessants.

Arès, qui était l’un des seuls à espérer que les dires de son père se révèlent vrais, se leva. Sa prestance, fière, détourna tous les regards vers lui.

« J’accepte. » lâcha-t-il, confiant.

Le ventre noué, Zeus ne prononça pas un seul mot. Voilà que ses pires craintes étaient en train de se produire. Son enfant, à qui il espérait un avenir flamboyant et victorieux, réclamait le trône des Enfers. L’imaginer dans les mondes souterrains et horrifiques qu’avaient été attribués à Hadès autrefois lui donnait des sueurs froides insoutenables.

« Père ? »

Zeus tourna la tête vers lui. C’était un bel homme, encore jeune et plein de vie. S’il était impulsif et nerveux, qui plus est le véritable Dieu de la destruction, c’était aussi le favori de sa mère, Héra, qui persuadait sans cesse le monde qu’il était plus que la terreur à laquelle tous l’associait.

« Je crains de ne pouvoir accepter ta requête, fils. »

Il eut l’air blessé.

« Tu ne me crois pas capable de gouverner ? De suivre tes traces ?! vociféra-t-il, prêt à prouver le contraire.

— Il en est hors de question ! »

La voix puissante et féminine de la Reine de l’Olympe se fit entendre, mêlée au vacarme produit par les portes dorées du temple qui s’étaient ouvertes à la volée. Héra, de sa splendeur solaire et charismatique, s’imposa sous le regard étonné des convives. Le bruit de ses talons aiguilles sous sa longue toge retentit sur le parterre immaculé, alors qu’elle s’avançait avec assurance au milieu du Naos. Menton levé, elle jaugea son fils avec fermeté.

« Je refuse qu’il mette un seul pied dans les Enfers, lâcha-t-elle avec clarté.

— Héra, tu es venu. » salua Zeus, formel.

Elle se tourna vers lui avec froideur.

« Si Hermès n’était pas venu m’informer de ce qui se tramait ici, je n’aurais jamais interrompu votre réunion familiale absurde. »

Déméter se râcla la gorge, gênée.

« Tu as toute une ribambelle d’enfants illégitimes, reprit-elle avec amertume. Donne ce trône à l’un d’eux.

— Mère… » tenta Arès.

Il se tut, croisant le regard réprobateur de sa mère. S’en suivit d’un silence de plomb.

« Si personne ne veut des Enfers, s’énerva-t-elle, retrouvez-moi cet abrutit d’Hadès et ramenez-le dans sa demeure ! »

ATHÈNES

Les yeux tombants, Aria peinait à rester éveillée. Sa dissertation d’Histoire, qu’elle n’arrivait à terminer, veillait paresseusement sur sa page de traitement de texte. Un soupir las s’échappa de ses lèvres, et elle s’écroula sur son bureau dans un juron bafouillé.

La porte de sa chambre s’entrouvrit sur Helena, au visage bienveillant, qui s’approcha d’elle avec tendresse.

« Tu devrais aller dormir, jeune fille. Tu reprends les cours demain. »

Gémissant, Aria leva difficilement la tête, et peina jusqu’à son lit avant de s’y effondrer sans demander son reste. Doucement, sa mère ramena la couverture sur ses épaules, et déposa un baiser sur son front.

Le lendemain, lorsque le soleil se leva sur la capitale de la Grèce moderne, Aria ne prit pas autant de peine que la veille à se montrer discrète. Elle dévala les escaliers à toute allure, attrapa son manteau d’un geste rapide, et se précipita dans sa voiture, roulant jusqu’à l’université. Son premier cours était déjà presque terminé, et elle n’était qu’à mi-chemin. A sa droite, son téléphone ne cessait de vibrer, allumant son écran de la photo d’Aras, comme si celui-ci lui criait de se hâter. Une fois sur place, en sueur et essoufflée, elle tomba nez-à-nez avec Mélissa, les bras croisés dans une position qui ne signifiait ni la joie, ni la bonne humeur.

« Non mais t’as vu l’heure ? accusa-t-elle. M. Visilis va te tuer de ne pas avoir rendu ton devoir à temps !

— Je sais, maugréa Aria, réajustant son col. J’ai loupé mon réveil, et la seule chose à laquelle je pense maintenant, c’est à un café corsé. »

Un sourire détendit le visage de son amie.

« On a encore dix minutes avant le prochain cours magistral. Allons au distributeur. »

OLYMPE

« Eh bien allons-y ! s’exaspéra Poséidon. Pourquoi ne pas tout simplement faire le ciel divin entier, puis parcourir chaque particule de la Grèce pour retrouver Hadès. »

Héra, toujours debout, resta statique.

« Je n’en attends pas moins, répondit-elle.

— Ce n’est pas aussi facile, chérie, tenta d’apaiser Zeus. Sans personne pour gouverner les Enfers, l’anarchie souterraine va être telle que les mortels ne s’en sortirons pas. Il faut faire vite.

— Qu’avons-nous à perdre ? intervint Arès. Aucuns d’entre eux ne nous vénère encore.

— Et que fais-tu des Danaïdes, des Titans, des Aloades et des Hécatonchires enfermés ici-bas ? répondit Zeus.

— Nous pourrions les envoyer sur les mortels, et recréer une civilisation ! » s’exclama-t-il, soudain ravis de la discorde éventuelle.

Héra lâcha un soupir exaspéré.

« Ne soit pas stupide, fils, lâcha-t-elle. Beaucoup trop d’entre-nous perdrais la vie en tentant de les enfermer de nouveau.

— Nous n’avons pas d’autre choix que de mettre quelqu’un d’autre qu’Hadès, en attendant qu’on le retrouve. »

ATHENES

« Ça paraît facile, dit comme ça, grimaça Mélissa, le visage plongé dans la paume de ses mains.

— Va simplement lui parler. »

Aria avala une gorgée de café, puis, se tourna légèrement.

« Regarde, elle est toute seule. »

A quelques mètres, assise sur une table en bois de pique-nique, une jeune étudiante aux cheveux colorés buvait son thé habituel. Mélissa, qui crushait sur elle depuis quelques mois, n’arrivait toujours pas à passer à l’aveux.

« Et si elle avait déjà quelqu’un ? paniqua-t-elle. Peut-être qu’elle est mariée, peut-être qu’… »

OLYMPE

« Il a des enfants ? »

Tout le monde se tourna vers Zeus, légèrement accusateur. Si seule Déméter avait été préservée du secret, les autres semblaient tous être au courant de ce qu’il s’était passé vingt ans plus tôt.

« Il a peut-être eu des enfants avant de s’être marié avec ma fille, reprit-elle. Nous pouvons toujours essayer de les contacter ?

— Ce n’est pas si simple… hésita le roi avec appréhension. Il se pourrait qu’il ait une fille mais…

— Parfait ! Qu’attendons-nous ?

— Je l’ai envoyé aux mortels lorsqu’elle est née. »

Un silence régna dans le Naos, jusqu’à ce que les yeux de Déméter s’agrandissent, et se révulsent.

« Qui est la mère de cet enfant ?! »

Embarrassées, les divinités présentes dans le temple de Zeus baissèrent la tête face à Déméter. Ils connaissaient tous son tempérament. Elle était la Déesse de la terre fertile, de l’agriculture et des moissons, mais elle était aussi et surtout une mère. La mère endeuillée de Perséphone, celle pour qui elle avait abandonné les fleurs en hiver. Nombre de fois sa fille lui avait répété qu’elle aimait Hadès de tout son cœur, qu’il ne l’avait pas enlevé, et qu’elle était heureuse à ses côtés, mais Déméter ne l’avait jamais cru. Elle avait passé neuf jours à arpenter la Grèce, criant son nom, avant qu’Hermès, messagers de l’Olympe et surtout de Zeus, lui apprenne la vérité. Même là, Déméter était restée dans le déni le plus total. Alors, lorsque l’annonce du roi prétendait que sa fille avait mis au monde un enfant, et qu’elle n’avait jamais été informée de cet évènement, elle ne fit rien d’autre que rire.

Déméter n’avait pas ri depuis que Perséphone avait quitté la Terre pour les Enfers.

C’était un rire si amer, si effroyable, que personne n’osa répliquer, excepté Zeus, peiné, qui fut forcé d’avouer.

« Elle s’appelle Macaria, et je l’ai envoyé dans une famille de Mortels alors qu’elle n’était qu’un nourrisson.

— C’est impossible… murmura-t-elle, virant à la folie. C’est impossible… Tout cela n’est qu’une mascarade pour me nuire !

— Déméter tu dois m’écouter…

— Non ! hurla-t-elle, sa voix résonnant dans le Naos. Ma fille, ma propre fille, est morte et c’est maintenant que tu m’avoue qu’elle a enfanté ?! »

Elle se tourna vers Héra, puis Hestia, avec une colère dévastatrice.

« Vous étiez au courant, n’est-ce pas ?! cracha-t-elle.

— Démé… tenta la reine.

— Ne prononce pas mon nom ! Vous auriez pu me l’envoyer à moi, qui vivait parmi les mortels, mais au lieu de ça vous l’avez donné à de pauvres humains, qui ne croient même pas en notre existence.

— C’était plus délicat que cela, intervint Zeus, tentant désespérément de la calmer. Elle était un danger pour l’Olympe, il ne fallait pas qu’elle ait accès à nous.

— C’est une Déesse de ma lignée, siffla-t-elle avec acidité. Comment as-tu osé me cacher cela ?!

— Je n’ai pas eu le choix.

— Tu es le roi des Dieux, Zeus. Tu avais le choix ! Tu as toujours eu le choix ! Mais tu as laissé Perséphone partager le trône d’Hadès, et lorsqu’ils ont eu un enfant, tu l’as évincé de l’Olympe sans même me tenir au courant. Tu es un monstre, voilà ce que tu es ! »

Ces paroles firent écho dans ses souvenirs. Il y a vingt ans, Perséphone avait tenu les mêmes propos à son sujet. Était-il réellement un monstre ? Il essayait de faire le bien, constamment, afin de protéger les Dieux de la fatalité. Peut-être qu’il avait fait une erreur, après tout. Aucune des Moires n’avaient rédigées de prophéties au sujet de la descendance de son frère.

D’un pas furieux, Déméter quitta le temple, laissant la réunion plongée dans un mutisme désemparé. Après quelques minutes écoulées, Héphaïstos prit la parole :

« Allons-nous chercher cette fille, père ? »

Il tourna la tête vers lui, puis acquiesça.

« Nous n’avons pas d’autre solution. Elle est peut-être bien la seule qui puisse reprendre les Enfers. »

ATHENES

La chaleur planant dans les rues de la capitale devenait étouffante. Elle qui n’aimait guère le printemps, voilà qu’elle se devait de supporter des températures équivalentes à celles d’été. Décidément, s’il y avait des Dieux en ce monde, ils ne se souciaient guère du réchauffement climatique.

Passant devant un marchand de glace dons son petit camion garé en travers, elle décida de s’arrêter un instant. L’attrait du parfum enivrant de la vanille était décisif, si bien qu’elle glissa des pièces sur le comptoir et commanda un cornet. Le vendeur qui était jusqu’alors de dos, se retourna au son de sa voix, et afficha un grand sourire.

Subjuguée, Aria observa son visage d’une beauté parfaite, lisse et angélique. Elle bégaya quelque chose qui se voulait être un merci, et, à reculons, commença à partir sans pour autant arriver à décrocher du regard cet inconnu.

Elle n’était pas particulièrement réceptive aux hommes catégorisés comme beaux, en général. Les muscles, les bruns ténébreux, les pectoraux tonifiés ou encore les mystérieux au coin de la cours ne lui faisait aucun effet. C’était une des raisons pour lesquelles elle s’était mise avec Adras. Il était charmant, simple, et amusant.

Pourtant, ce marchand de glace n’avait rien d’un humain. Ses cheveux cendrés formaient des boucles parfaitement rondes, et sa peau était lisse. Les deux parties de son visage symétrique étaient sublimées par des iris d’un bleu qu’elle n’avait jamais vu auparavant. Il était la perfection, dans toute sa splendeur, sans aucun artifice. Maintenant, son cœur battait la chamade.

« Je m’appelle Hermès. » salua-t-il, dévoilant une série de dents blanches.

Alors qu’elle marchait encore à reculons, lentement, son dos heurta un mur. Elle déglutit, peu sûre d’être encore dans la réalité. Peut-être était-ce un rêve, après tout. Hermès ouvrit la porte arrière de son camion et s’avança vers elle, inquiet.

« Est-ce que tout va bien ? demanda-t-il, penchant la tête et fronçant les sourcils.

— Euh.. je… bafouilla-t-elle. T’es… Ok, wow. (elle cligna des yeux) T’es quoi ? »

Il lâcha un rire qui avait tout l’air d’être une mélodie lyrique, puis resta à distance raisonnable, évitant d’affoler davantage la jeune femme qui se tenait devant lui.

« Je suis un Dieu Messager. »

Elle se mit à rire aussi, nerveusement, mais ce qui sortit de sa bouche s’apparentait davantage à un étouffement qu’au son qu’avait produit le dénommé Hermès un peu plus tôt. Puis, réalisant ce qu’il avait dit, elle croisa les bras sur sa poitrine.

« C’est très prétentieux, quand même ! C’est pas parce que t’as un nom mythologique que tu dois péter plus haut que ton cul, jeune homme. »

Il se mordit la lèvre, prêt à se moquer, mais se rappela rapidement qu’elle avait été élevée parmi les mortels, et qu’elle n’était certainement pas prête à entendre la vérité. Ramène-là au plus vite, étaient les mots que Zeus avait prononcés avant qu’il ne s’envole vers elle.

« Macaria, tu dois venir avec moi. » lâcha-t-il alors, un peu sérieux.

Elle tenta de reculer encore, sans se souvenir qu’elle était bloquée contre la façade d’un bureau de tabac en vente, et tenta de réfléchir. Dans sa main, la glace avait fondu et s’était déversée sur ses doigts.

« Personne ne m’a appelé comme ça depuis longtemps, répondit-elle peu assurée. Est-ce qu’on se connait ?

— Pas encore.

— Je ne vais pas suivre un inconnu, c’est totalement contraire à ce que m’a enseigné ma mère. »

Il fronça les sourcils.

« Perséphone est venue sur Terre ? »

Il leva l’index, le visage éclairé par la réflexion.

« Oh, tu parles d’Helena, ta mère adoptive, n’est-ce pas ?

— Ok, t’es chelou, soupira-t-elle ayant reprit plus ou moins ses esprits. Il faut que j’y ailles.

— Non attends ! »

Il couru jusqu’à elle, marchant à son rythme effréné.

« Lâche moi, t’es vraiment trop bizarre.

— Ecoute, tu dois reprendre les Enfers le plus rapidement possible, et je dois t’y emmener avant que le Tartare ne libère les monstres qui y sont enfermés.

— Non mais t’es drogué à quoi, au juste ? Mélissa m’avait prévenue de me méfier des hommes beaux, ce sont toujours eux qui profitent de nous sans scrupules.

— Je connaissais ta mère. » lâcha-t-il.

Elle s’arrêta net, au milieu de la rue, et se tourna vers lui.

« Connaissais ? répéta-t-elle. Elle est morte ? »

Il afficha une expression triste.

« Oui. C’était une femme caractérielle, mais elle avait son lot de bienveillance.

— C’est de la folie, ce que tu racontes là. Et puis j’en ai rien à faire, elle m’a abandonné quand je n’étais encore qu’un bébé, tant mieux si elle n’est plus de ce monde !

— Elle n’as jamais voulu te laisser ici, mais ton oncle le lui a forcé. »

Le visage d’Aria se tordit en une grimace d’incompréhension.

« Mon oncle ?

— Zeus, il t’a évincé de l’Olympe pour protéger les divinités de la descendance d’Hadès. »

Elle roula des yeux, exaspérée, puis recommença à marcher.

« N’importe quoi. T’es complètement défoncé, pauvre gars ! C’est vraiment pas sympa de me faire croire à tes conneries. »

Il profita de passer près d’une ruelle pour la tirer loin de la foule. Attrapant son bras, il cacha leur présence dans l’ombre.

« Eh ! »

Tentant de se débattre, Aria lui donna un coup de pied, puis gesticula jusqu’à attraper un spray au poivre dans son sac à main, avant de le menacer.

« Je ne veux as te faire de mal, je dois juste te ramener dans l’Olympe.

— Si c’est une métaphore pour me tuer, ça ne me rassure pas du tout !

— Tu es immortelle, Macaria, soupira Hermès.

— Lâche-moi ! »

Elle tenta de se libérer de son emprise, en vain. Soudain, des ailes s’échappèrent de ses sandales…

Attends, quel mec porte encore ce type de sandales ?!

A son bras, le corps d’Aria devint invisible, et s’éleva dans les airs jusqu’à atteindre les nuages. Si elle pensait qu’à cette hauteur l’air lui manquerait, elle se sentait pourtant bien plus vivante que jamais. Elle n’avait ni froid, ni chaud. Dépassant le ciel des mortels, elle découvrit qu’à mi-chemin entre l’espace et le néant se trouvait le ciel Divin, le même que ses manuels d’histoire décrivaient et illustraient, mais en bien plus époustouflant.

Là, devant elle, se dressait un temple immense, immaculé, illuminé par un soleil éclatant. Alors qu’elle avait crié jusqu’ici, sa voix s’était coupée, coincée dans sa gorge, et lorsqu’elle posa un pied sur le sol de ce qu’ils appelaient l’Olympe, elle se paralysa.

Je dois être morte.

Quoi ? Je suis morte ?!

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