Gamma

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OLYMPE

Il fallait le voir pour le croire. L’Olympe. Aria n’en croyait pas ses yeux, tant le paysage qui s’offrait à elle était digne d’un film de science-fiction. On dit du Mont Olympe qu’il est une montagne si haute qu’elle traverse les nuages, et qu’ici, cachés des mortels, règnent les dieux et les déesses de la mythologie grecque antique.

Et bien c’est du n’importe quoi.

Il y a bien un Mont Olympe, c’est vrai. Aria y était allée dans le cadre de ses recherches pour ses devoirs universitaire. Mais ce qui se dressait devant elle actuellement n’avait rien d’un temple construit sur une montagne. Elle était littéralement dans le ciel, le ciel divin pour être plus précise. Un ciel qui était n’était ni visible de l’espace, ni de la terre ferme, et pourtant, elle prenait ancrage sur les nuées de Grèce.

Le paysage entier lui semblait irréel. Le fait même qu’elle soit debout sur un chemin fleuri au milieu d’une mer de nuages n’avait rien de logique dans son esprit. Persuadée d’être morte et d’avoir atteint le paradis, elle s’avança les jambes tremblantes jusqu’au Temple de Zeus.

Tentant de décrypter le tableau mythique qu’elle était en train d’observer, elle se servit de ses études historiques pour qualifier – et rendre plus réel – la bâtisse vers laquelle elle se dirigeait. C’était un temple diptère, décastyle, entièrement entouré d’épaisse colonnes dans un art typiquement grec antique. Les escaliers de pierre qui rejoignaient le crépis étaient au nombre de trois. L’un était droit, et les deux autres sur les côtés du péristasis rejoignaient la plateforme de terre et d’herbe qui entourait le temple. La frise qui surmontait l’architrave était mêlée de métopes en marbre et de triglyphes en or massif, le tout dans une architecture dorique.

Si les temples de la Grèce antique étaient habituellement ornés de couleurs vives, celui-ci se contentait des matériaux rares et sublimés, tels que la pierre précieuse, l’or et le marbre blanc. Une autre différence sauta aux yeux d’Aria, alors qu’elle approchait de l’entrée. Se tournant vers Hermès, les sourcils elle froncés, elle s’arrêta devant la porte.

« Si nous sommes réellement dans l’Olympe, sur la terre des divinités, pourquoi diable avez-vous un lieu de culte ? »

Il se mit à rire à l’évocation de ce mot biblique, puis secoua la tête nonchalamment.

« C’est davantage une demeure qu’une bâtisse religieuse, répondit-il.

— Attends… C’est la maison de Zeus ? »

De nouveau, il éclata de rire face à son incrédulité.

« En quelque sorte. Les appartements de notre roi sont dans l’Adyton, fermés d’accès. Le Naos, lui, est réservé aux réunions et aux visites.

— Si je n’étais pas un minimum informé de l’architecture grecque, je ne comprendrais rien à ce que tu dis. » lâcha-t-elle.

Hermès ferma le poing, s’apprêtant à toquer, mais Aria l’en empêcha.

« Qu’est-ce que tu fais ? »

Il tourna la tête vers elle, sourcils froncés.

« Je… Toque ? On ne peut pas entrer comme ça dans le temple, tu sais.

— Non, mais je veux dire, tu es habillé en humain, là. »

Elle désigna d’un geste de la main son accoutrement. Toujours déguisé en vendeur de glace et portant un tablier vert arborant un logo peu avantageux, elle l’imaginait mal se présenter face à un roi. Pourtant, il haussa les épaules.

« Nous ne sommes pas si différents, tu sais. »

Les yeux arrondis, elle n’osa répliquer. Alors, Hermès frappa enfin à la porte dorée, qui s’ouvrit à l’instant.

Émerveillée, Aria suivit le messager en regardant tout autour d’elle. Les murs étaient si hauts qu’elle peinait à déchiffrer la sculpture du plafond. Accordé à l’immensité, le Naos dans laquelle ils avaient fait irruption était de taille semblable à la moitié d’un terrain de football. De forme rectangulaire, la pièce était entourée de trois marches d’escalier en marbre, excepté au fond, ou l’estrade était un peu plus haute que les autres. Sur la plateforme élevée était serti de trois trônes – thronos, dans le lexique biblique grec – qui ressemblait à ceux que l’on avait l’habitude de voir sur les peintures antiques de la mythologie. Deux petits en marbres blancs sur les côtés, et l’un grand en or sculpté au milieu, sur lequel se tenait un homme en costard cravate bleu pastel. Par déduction – et aussi parce qu’il semblait porter une couronne – elle en conclus qu’il devait s’agir de Zeus en personne.

Zeus ? En costard ?

Elle se courba, genoux à terre, dans une sorte de révérence royale, ce qui fit rire Hermès et le roi, avant que ce dernier ne lui demande de se relever. Rouge écarlate, elle croisa ses doigts avec nervosité. Est-ce que le Dieu suprême de la Grèce était en train de se foutre de sa gueule ? Ah, la honte, pensa-t-elle, bien que quelque part dans son esprit, tout ça avait encore les traits d’un rêve.

« Macaria, avance un peu. » demanda Zeus d’une voix qui se voulait douce, mais qui rendait autoritaire.

Contrariée, elle exécuta l’ordre, elle s’approcha de l’estrade. Elle l’avait imaginé bien plus vieux, plus ridé, avec une longue barbe grise bouclée. Un peu comme dans les sculptures d’époque. Au lieu de ça, il avait les cheveux mi-long d’un blanc aussi net que le sien, légèrement ondulé, qu’il avait attaché en queue-de-cheval, et aucun pli n’entachait son visage. Pourtant, quelque part, elle ne lui donnait pas la jeunesse d’Hermès.

« Est-ce que je suis morte ? » demanda-t-elle après un instant de silence.

Il secoua la tête négativement.

« Si tu étais morte, tu serais aux Enfers. » répondit-il.

Elle se mordit la lèvre.

« Alors ce doit être un rêve. »

Derrière elle, Hermès retint un rire.

« Tu es une Déesse, Macaria. La descendante d’Hadès, mon frère, et de Perséphone, la fille de Déméter. »

Soudain, quelque chose frappa son esprit. Bien sûr ! La mythologie grecque était dans son programme d’histoire en première année de licence. Elle avait dû retenir l’arbre généalogique de tout les Dieux depuis Cronos et Rhéa. Ce qu’elle avait retenu de plus frappant ? L’inceste. Il y avait de l’inceste partout. Une grimace de dégoût déforma son visage, imaginant Zeus épouser sa propre sœur, Héra. Par peur d’offenser le roi, elle évita le sujet.

« Je ne voudrais pas vous manquer de respect, Votre Altesse, mais je ne suis pas sûre d’être la fille que vous recherchez. »

Il se leva, son sceptre en main, et tapa un coup sur le sol, faisant résonner les murs du Naos. Elle sursauta, prête à se complaindre en milles excuses, mais elle fut interrompue par l’arrivée d’une femme, par l’Adyton, derrière les trônes. Instantanément, Aria se sentit complexer. La femme qui en était sortie était d’une beauté qui surpassait son idée de Déesse. Ses cheveux châtains, lisses, descendaient gracieusement jusqu’au milieu de son dos. Sa démarche était si légère qu’elle avait à peine entendue ses escarpins frapper le sol, et sa robe était digne des plus grands couturiers de la terre. Frappée par la jalousie, Aria baissa la tête.

« Héra, voici la fille d’Hadès. » lança Zeus en désignant Aria du menton.

Alors c’est elle, pensa la jeune fille. Héra, la reine des Dieux. Qui pourrait rivaliser avec une femme pareille ? D’accord, dans la mythologie, elle est la sœur de Zeus, et sa femme. Mais vous avez-vu son visage, son corps, tout ?

« Macaria, donc, sourit-elle, la sublimant davantage. La couleur de tes cheveux est celle de la royauté, au moins Hermès n’a pas pu se tromper.

— Je suis désolée, intervint Aria avec gêne. Je ne veux pas avoir l’air désobligeante, mais je ne suis pas sûre qu’avoir les cheveux blancs suffit à faire de moi une Déesse de l’Olympe. Je veux dire, vous m’avez vu ? »

Dans l’instant, elle s’imaginait à côté d’Héra, prétendant être du même sang, de près ou de loin. Elle n’était qu’à peine une adulte, étudiante dans une faculté, et voilà qu’on la mettait dans le même panier que cette femme qui sortait tout droit d’un fanart ? Toute ces paroles n’avaient aucun sens à ses yeux. Dans peu de temps, elle se réveillerait, constatant que ce n’était qu’un rêve duquel elle se moquerait avec Adras.

Adras. Un pincement au cœur la saisit subitement. Si toutes ces choses avaient la moindre chance d’être vraies, que dirait-elle à son petit ami ? Il la croirait folle, sans doute. Une Déesse, et puis quoi encore ?

« Je comprend que tu sois perdue, mon enfant, reprit Héra avec bienveillance. Malheureusement, ton destin est scellé depuis la mort de ta mère.

— Perséphone ? »

Zeus hocha la tête.

« J’ai du mal à comprendre, c’est vrai. Ecoutez, j’ai étudié votre monde durant des mois, et il ne m’est apparu aucune fille d’Hadès ou de Perséphone dans mes manuels.

— La mythologie antique que l’on vous enseigne à l’école est mêlée de deux choses fondamentales : des fabulations, et un brin de prédiction. »

Ça y est, Héra l’avait perdue. Destin ? Légende ?

« Il y a longtemps, alors que mon mari créa les humains, il souhaita que tous se mettent à croire en nous, Dieux et Déesses. Nous vivions une période de crise, après la Titanomachie. L’Olympe nécessitait des matériaux de construction, et ses habitants de la nourriture. C’est la raison pour laquelle nous avons fait en sorte que les mortels croient en notre existence, et nous voue un culte. C’était aussi une manière pour nous de connaître leurs vœux, et d’accéder à leurs demandes.

— Cependant, continua Zeus, pour croire à notre existence, nous avons dû raconter nos péripéties, dans les grandes lignes. Apollon n’étant pas encore né, les arts n’étaient pas vraiment notre point fort. C’est ainsi que nous avons fait appel aux Moires.

— Oh, les trois vieilles femmes qui se partagent un œil ? supposa Aria.

— Les Divinités du Destin, précisa Héra. Clothos, Lachésis et Atropos. Elles travaillent le fil de la vie. L’une le tisse, l’autre le déroule et la dernière le coupe.

— Au-delà de leur fonction liée aux mortels, continua Zeus, elles ont aussi la science infuse. Elles savent tout. La passé, le présent, et l’avenir. Elles ont alors rédigé les premiers contes et mythes à notre propos.

— Lorsqu’elles ont acceptées, elles ont mentionné une seule règle : nous, divinités, ne devions en aucun cas prendre connaissance de ce qui était raconté. Car au-delà de nos actions passées, il y avait aussi celles de notre avenir. C’est la raison pour laquelle tu connais le prénom de nos enfants avant que ceux-ci ne soient nés. Mais les humains ont surpassé la connaissance.

— Ils ont ajoutés des mythes auxquels nous ne sommes pas associés, afin d’évincer ce qu’ils considéraient comme inconnu, poursuivit le roi. Alors, peu importe ce qu’il y a dans ton manuel d’histoire, non seulement nous ne devons jamais être au courant, mais en plus tu peux être sûre que plus de la moitié de ce qui est écrit ne sont que des histoires que les anciens grecs ont racontées. »

Les légendes entourant les Dieux et Déesses de l’Olympe avaient traversés tant de générations, qu’Aria peinait à croire qu’au moins quelque chose dans ces ouvrages était vrai. L’existence même des divinités la laissait sans voix. Que penserait les scientifiques face à un homme en costard qui prétendait avoir créé les humains ? Avec réflexion, elle pensa que tout cela devait être une blague. Si ce n’était pas un rêve, c’était au moins une caméra cachée.

Alors, elle éclata de rire.

Héra, étonnée, regarda son mari. Ils avaient invité la fille d’Hadès et voilà qu’elle se moquait d’eux ? Zeus frappa de nouveau le sol de son sceptre. Le bruit fut si imposant et lourd qu’il fit taire l’hilarité d’Aria. Cependant, elle n’évinça pas l’idée que toue cette mise en scène n’était qu’une mauvaise plaisanterie.

« Où sont l’équipe de tournage ? demanda-t-elle, regardant tout autour. Il y a bien quelqu’un qui filme, pas vrai ? Toutes ces conneries ne peuvent pas être réelles. Je suis sûre que Mélissa est derrière tout ça ! Elle qui voulait impressionner la fille du thé, ça ne m’étonnerait pas que son excentricité l’ai poussé à faire quelque chose de ce genre. Les murs sont faits en quoi, du carton ? J’espère qu’Adras n’est pas derrière ça non plus, sinon…

— La ferme ! coupa Zeus d’une voix puissante, qui résonna contre les parois de pierre. Je suis le véritable Dieu de la foudre. »

Bien sûr, pensa-t-elle, roulant des yeux. Un roi en costard, à croire qu’ils n’avaient pas assez de budget pour des toges antiques.

Se sentant humilié, le Maître des Dieux se leva, furieux, et avança d’un pas déterminé vers Aria. Il attrapa violemment son bras, jusqu’à la traîner hors du temple, ignorant ses gémissements. Puis, alors qu’il la lâcha sans douceur sur les marches d’escaliers du péristasis, il sortit quelque chose de sa poche.

C’était un petit éclair, de la taille d’un stylo. La lumière qui en émanait était éblouissante, presque solaire. L’objet s’agrandit jusqu’à devenir aussi gros que son sceptre, puis il le pointa sur la mer de nuage qui s’étalait sur l’Olympe. Soudain, celle-ci vira du blanc au gris foncé, et un bruit détonnant retentit. Un orage. Un orage violent, qui s’étendait sur toute la nuée, éclairant l’immensité d’une multitude d’éclairs tous plus bruyant les uns que les autres.

Encore à genoux après avoir été balancée là, sur l’une des marches de marbres, Aria regarda sans un mot Zeus, le Dieu suprême, créer un orage pour les mortels.

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