Ceux qui Combattent les Démons

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Une fenêtre illuminait la pièce. Ses flots d’or paisibles faisaient ressortir la blancheur des draps au milieu des murs de pierre et des grincements métalliques. Des nones, rassemblées dans un coin, bavardaient doucement, sans se douter que de leurs patients endormis, l’une faisait semblant, la douleur l’empêchant pour l’instant de disparaître. Si elles lui avaient recousu et bandé l’abdomen, perforé de part en part et béni de manière à assurer sa survie, nulle magie n’avait autorité sur la douleur, nulle autorisation ne permettait de risquer le péché en empêchant la passion. Celles rappelées au ciel devaient y retourner.

Mais ce n’était pas d’elle que les Vierges parlaient, c’était de l’inconnu et de l’anneau qu’il ramenait, qu’aucune d’entre elles n’avait pu toucher sans risquer de se brûler. Les rumeurs, déjà nombreuses, allaient bon train dans les couloirs silencieux, allant jusqu’à perturber les prières de murmures curieux. Elles le savaient, dès que leurs frères et sœurs finiraient leurs offices, le nombre de visiteurs allait devenir incontrôlable. Ils auraient besoin d’explications, d’informations et tout ce qu’elles pourraient leur dire, c’était d’attendre que l’archevêque arrive. Ils n’étaient qu’un monastère de province, entourée de maisons, on entendait les vitraux vibrer et les voitures rouler en contrebas.

La cloche sonna. Et la porte s’ouvrit. Malgré le silence religieux, les respirations précipitées, les pas faisaient de l’humble pièce une grotte où résonnaient, étouffées, les voix des fantômes du passé. Dans leurs robes sombres, sous leurs guimpes, leurs soutanes et leurs croix, moines et moniales s’attardaient autour de l’homme inconscient, examinaient ses mains, son visage, son corps à peine blessé dont la maigreur transparaissait sous les draps blancs. Il dormait, immobile, du sommeil des anges.

En face, appuyée sur ses oreillers, la plus gravement blessée serrait les dents. Si elle respirait mieux en ces lieux bénis, son corps avait souffert de son initiation. Mais ce n’était pas important. L’anneau était en sécurité. Ils n’avaient plus qu’à se débarrasser de l’autre énergumène, le renvoyer dans son bordel et tout serait réglé. Ils avaient le plus important. Le reste pouvait attendre.

« Monseigneur vient d’arriver ! Monseigneur vient d’arriver ! »

Un novice hurlait dans les couloirs, l’écho de ses pas se répercutait jusque dans la tête déjà souffrante de Beatrice. Celle-ci, déjà profondément blessée par l’irrespect des siens, déshonorée, salie par l’expérience traumatisante qu’elle avait vécue, se sentait désormais abandonnée de tous. Elle ne pouvait pas avoir droit à un instant de calme ? Un instant de paix, de salut ?

Instantanément, la foule rassemblée s’éloigna de la porte, acculée avec les nonnes guérisseuses au fond de la pièce. Entra, avec sa barrette écarlate légèrement de travers, un homme d’un âge avancé, ses robes longues s’écartant précipitamment pour éviter que ses pieds ne leur marchent dessus. Il s’arrêta au pied du lit de la jeune femme, qui voulut se redresser et retomba sur ses oreillers avec un gémissement. L’archevêque s’approcha du lit, joignit les mains et commença une longue liturgie. Tous les présents l’imitèrent et prièrent de concert, à l’exception de l’homme qui, réveillé par le novice, referma aussitôt les yeux.

Un grincement plus tard et, derrière la porte, surgit un fidèle qui portait une chaise et permit au vieil homme de s’installer confortablement au chevet de son Envoyée.

« Envoyée Beatrice, vos souffrances n’ont pas été vaines. Vous avez retrouvé l’anneau de Junon et pour cela, vous accéderez dès votre rétablissement à l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean et vous obtiendrez l’autorisation d’accéder aux archives du Saint-Siège, comme vous le souhaitiez. Mais pour pouvoir complètement rassurer Sa Sainteté, je dois m’assurer qu’aucun péché mortel n’est lié à cette récupération, vous comprenez, au vu des circonstances…

– Je comprends parfaitement, Monseigneur. Voilà mon compte rendu de cette journée d’horreur. Je me suis effectivement rendue dans la demeure que l’on m’a indiquée et qui se trouvait être un siège de l’impureté. Grâce aux dispositions prises par mes compagnons, j’ai dû rendre visite à chacun de ces acolytes du Diable et par la conversation leur tirer une confession. Il m’a fallu souffrir leur contemplation, subir les élucubrations plus ou moins vérifiables de ces êtres inqualifiables et ce oh, si longtemps que jusqu’en le rencontrant, j’ai cru que toute cette sainte quête n’était qu’une scénette pour se jouer de moi. Mais quand j’ai vu qu’à son doigt brillait l’anneau de foi, je l’ai prié de m’accompagner, il a douté et… C’est là qu’on nous a attaqués. Un démon de niveau trois, un horrible sourire narquois, j’ai eu beau prier de toute ma voix… Je suis désolée, j’ai échoué.

– Et lui ?

– Il… n’a pas lutté. Je le tirai d’un côté, le démon de l’autre, il se contentait de respirer, comme si c’était tout ce qu’il lui restait. Je ne saurais dire s’il est des nôtres… Il n’a même pas lutté, il… s’offrait…

– Comme attendu d’un tel pécheur. Je vous félicite, Envoyée Beatrice. Vous pourrez également remercier l’Ordre des Jeunes de Saint Léon qui vous a récupérée ainsi que Frère Hamed qui a renvoyé cette immondice d’où elle venait. Votre rapport sera transmis au Pape. L’Église prend les choses en main à partir de maintenant. Reposez-vous, les bénédictions ne font pas que du bien, vous le savez. »

L’archevêque s’éclaircit la gorge, se leva et, sans un mot, tourna les talons. La porte s’ouvrit devant lui, mais ce n’était malheureusement pas par magie, un jeune émissaire du pape, reconnaissable à son col brodé d’un fil rouge, le bouscula sans ménagement. Avant que quiconque ait pu lui demander des comptes, l’enfant de chœur s’écria :

« Une Porte des Enfers s’est ouverte ! Ils arrivent ! »

Et le silence retomba.

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