Dompteuse de l'air - Pseudo : Dompteuse

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Les mains posées sur la barre, elle aimait à sentir les soubresauts des rafales sur la bête.

Les deux pieds rivés au sol, elle s’imaginait dompteuse de l’air.

Elle préférait cela au sous-marin où elle avait officié naguère, comme quartier maître. Coincée plusieurs jours d’affilés dans un espace confiné qui empestait les vapeurs de diésel et la sueur. Ces années, plongées dans le noir, furent vite effacées sur la passerelle de la frégate Argo. Sa quille avait vu défiler de nombreux fonds marins avant que Sarah ne soit affectée vers d’autres cieux.

Désormais sous cette coque, la seule eau qui y s'écoulait était le fruit de la condensation des nuages. Passer de l’eau à l’air l’avait libérée. Sa carrière, tout comme elle, avait pris son envol. Lieutenant de vaisseau, elle était responsable de l’Orque et de son équipage. Le dirigeable sillonnait les cieux pour ravitailler les rares terres qui subsistaient encore. Se retrouver aux commandes d’un bâtiment, affrété pour le transport de denrées et muni de deux cabines de passagers, n’assouvissait pas sa soif d’aventure. Mais sa motivation, source de son emprise sur son destin, ne s’était pas tarie ; ce n’était qu’une étape pour convaincre l’amirauté que sa condition féminine était un atout pour les inéluctables combats qui s’annonçaient.

Le zérac était, de tous les quarts, son préféré. Prendre la barre de minuit à quatre heures était pour elle un moment de sérénité, surtout par une aérologie pareille. Elle contempla par la verrière le ballet des vagues, magnifiées par la lumière de la pleine lune, que dessinait le pinceau invisible des alizées sur l'océan. Quelques ombres, enfantées par la rencontre de la lune et de rares cumulus, effleuraient la surface et venaient gommer par endroit l’écume. Un durcissement sur la gouverne de direction la sortie de ses songes, un souffle imperceptible. Elle vérifia le compas et corrigea le cap. En alerte, elle attendit le prochain soubresaut, en vain. La Voie lactée qui striait le ciel la happa vers d’autres horizons.

Des pas interrompirent ce moment de plénitude. Elle laissa la place à la relève, sans oublier de lui notifier ce léger vent de travers par bâbord.

Quittant le poste de pilotage, elle suivit, à pas feutrés, la coursive centrale de la nacelle vers la poupe. Elle grimpa l’escalier en colimaçons qui permettait d’accéder au pont supérieur, ouvrit l’écoutille et se faufila à l’extérieur. Elle traversa la plateforme, en jetant un regard sur l’énorme enveloppe emplie d’hélium qui trônait au-dessus de sa tête. Appuyée sur le garde-fou, elle ferma les yeux comme pour mieux ressentir les caresses du vent.

Elle sentit l’effleurement doux et léger de Zéphyr sur sa joue. Il immisça ses doigts dans sa nuque puis remonta jusque dans ses cheveux. Des mèches se mirent à virevolter sous son souffle, tels des pavillons flottant sur le mat d’un vaisseau. Elle se laissa enivrer par l’instant.

Une brise plus humide lui fit ouvrir les yeux. Ils venaient de pénétrer dans un nuage. Tous les feux de navigation avaient été allumés donnant à la vapeur d'eau une blancheur immaculée, tel un drap de soie blanc qui les enveloppait.

Une main, bien réelle sur son épaule, la fit sursauter et rompit le charme.

— Orque, drôle de nom pour un dirigeable.

Elle ouvrit les yeux et les braqua, telle médusa, sur le perturbateur.

Elle toisa ce passager atypique, loin des habituels voyageurs que l’amirauté lui imposait en transit. Il n’avait ni l’allure d’un officier supérieur ni celle d’un magistrat de l’assemblée. L’apparence d’un mercenaire lui seyait excellemment.

— Car il sait utiliser les courants d’air pour fondre sur sa proie, lui répondit-elle avec aplomb.

— Et une fois la proie atteinte, vous leur envoyez les carottes que vous avez en soute… railla-t-il .

Son orgueil piqué à vif, elle serra les poings pour se contenir.

— Une fois bien équipé, ça pourrait peut-être le faire, lança-t-il pensif.

Sa curiosité piquée à vif, elle se ressaisit.

— C’est-à-dire ?

— J’ai cru comprendre que vous avez servi sur le redoutable et sur la frégate Argo, éluda-t-il.

— Vous semblez bien informé.

— Toujours, lorsque je dois recruter, lâcha-t-il en tournant les talons.

Une rafale fit s’envoler son foulard, découvrant ainsi sur sa nuque un tatouage.

— Un Athénien ! S’étrangla-t-elle.

— Plus depuis que mon nom est inscrit sur un ostrakon.

Elle avait entendu parler de cette coutume associée à ce terme. Les Athéniens gravaient sur un tesson de céramique le nom d'un des leurs lorsque celui-ci était banni de l'île.

Qu'avait-il donc fait pour avoir été exclu ?

Alors qu'elle dévisageait l'étranger, elle nota que ses yeux s'écarquillaient.

— Bon sang ! c'est bien la première fois que je vois de la pluie flotter ! s'exclama-t-il.

Elle tourna la tête et fut subjuguée par le spectacle qui s'offrait à elle. Une myriade de gouttelettes d'eau était comme suspendue dans les airs. Un lent et sublime ballet aérien se déroulait devant elle.

— impossible, se reprit-elle. La pluie ne flotte pas, elle tombe...

Lorsqu'elle comprit que le dirigeable chutait à la même vitesse que la pluie, donnant ainsi cette fausse illusion de gouttes légères comme la plume, elle se précipita vers l'écoutille.

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