Ne le dire à personne 1/52

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  La porte s’ouvrit dans un grincement, la lumière éclaira alors le sous-sol et l’escalier. Du haut des marches, on pouvait voir que l’endroit servait de débarras. Des meubles étaient entassés ici et là, couverts par des bâches en plastique pour certains et tous prenaient la poussière depuis des années. L’homme passa le seuil, tira sur une chaînette pour allumer la lampe au-dessus de sa tête avant de refermer derrière lui. Il descendit lentement l’escalier, les marches en bois grinçaient sous son poids alors que sa main glissait paisiblement sur la rambarde. L’individu portait une chemise noire, un t-shirt flashy dessous, un jean délavé et des petites bottines. L’éclairage situé dans son dos, plongeait son visage dans l'ombre, ne laissant voir que ses cheveux courts, bien coiffé et l'anneau à son oreille gauche. Il s’arrêta un instant pour contempler un tableau appuyé contre le mur, c’était la photo d’une femme nue, en noir et blanc. Le jeu de lumière faisait toute la beauté de cette pièce. Les ombres dissimulaient les parties intimes du modèle, accroupi comme si elle se préparait pour une épreuve de course. Il se détourna pour naviguer entre les obstacles entreposés dans la cave.

  Il régnait ici une forte odeur de renfermé et de poussière, mais également d’un parfum subtil et fruité. L’individu se figea de nouveau pour allumer la bougie d’une petite lampe de chevet posée sur un meuble. La chiche lueur éclaira une zone plus spacieuse où le sol avait été couvert d’une autre bâche en plastique. Des sanglots résonnèrent alors et l’homme afficha un sourire désolé.

  Devant lui se tenait une femme, les bras en croix, maintenus par des cordes reliées aux murs. Son maquillage avait coulé en des traces noires sur ses joues, ses yeux émeraude et rougis par ses pleurs se posèrent sur celui qui la séquestrait. Elle ravala ses larmes pour tenter de se montrer plus forte. La jeune femme devait avoir tout au plus la vingtaine. Sa chevelure ardente tombait jusqu’au milieu du dos, les mèches s’entremêlaient ici et là. Elle portait une belle robe noire en soie qui contrastait fortement avec sa peau blanche mouchetée de tâches de rousseur. L’un de ses pieds était nu, l’autre portait encore un talon aiguille, ses jambes semblaient épuisées de la porter. Elle paraissait faible et nerveuse. Ses membres tremblèrent mais elle tentait de rester digne, fière jusqu’au bout.

  L’homme fit un pas vers la prisonnière, il leva la main, ce qui la fit tressaillir. Ses doigts effleurèrent avec délicatesse la joue de la demoiselle pour essuyer une larme qui avait perlé. Il se retourna pour s’éloigner de quelques enjambées. Il prit une bassine et un chiffon qu’il rapporta pour les déposer sur le meuble à côté de la jeune femme. Sans un mot, il trempa le chiffon dans l’eau et vint nettoyer le visage de sa prisonnière avec une délicatesse et un soin méticuleux. Le temps s’écoula lentement, plusieurs minutes s'écoulèrent où les deux individus se fixaient parfois dans les yeux, sans que l’un ne dise quelque chose à l’autre. Le geôlier posa le tissu et contempla son travail, le visage de la jeune femme était propre, plus aucune trace de maquillage et sa peau était légèrement rose à force d’avoir été frictionnée. Il tenta un sourire, se voulant rassurant, mais sa victime se contenta de détourner le regard.

 – Vais-je mourir ici, demanda-t-elle? Ou comptes-tu seulement me torturer ?

  Il tira une chaise pour s’y assoir et poussa un long soupir. Il se passa la main sur le visage puis dans les cheveux, l'air pensif. Les coudes appuyés sur ses genoux, penché en avant, il porta toute son attention sur la dame en noir.

 – Je t’ai raconté le décès de mon père ? C’était un homme bon, mais il est tombé malade. Maman ne voulait pas qu’il aille à l’hôpital, elle disait qu’on n’avait pas les moyens. Je me souviens encore, le voir là, allongé dans son lit… La respiration difficile et l’écouter parler dans ses délires. C’était difficile pour moi, un petit garçon de six ans.

Il passa sa tête entre ses mains avant de renifler bruyamment. L'otage l’observait, en silence, incapable de se mouvoir, elle n’avait d’autre choix que de l’écouter.

 – Un soir, alors qu’il avait une hallucination et qu’il hurlait, je suis allé le voir pour le calmer. Il m’a reconnu entrant dans sa chambre et m’a même demandé d’avancer pour le voir, se remémorait-il en souriant. Il m'a passé sa main dans mes cheveux et me fit un sourire. La crise était passée. Il m’avoua alors que c’était maman qui le rendait malade. Qu’elle le détestait de lui avoir offert un fils et qu’elle en voulait à son argent. Avant que je puisse lui répondre, maman était entrée dans la pièce et elle m’avait ordonné de sortir en hurlant. Et… le lendemain matin, j’apprenais le décès de papa. Il était mort dans son sommeil, s’étouffant avec sa propre salive.

  De colère, le tortionnaire se redressa pour faire les quatre cents pas sous les yeux apeurés de la jeune femme. Celle-ci se risqua alors à prendre la parole.

 – Je n’ai rien à voir là-dedans. En quoi suis-je responsable de la mort de ton père ?

 – Rien. Tu n’es pas ici pour ça. Tu es ici car… ma mère. Notre mère, s’est remariée avec un riche homme d’affaires et a eu un second enfant : toi.

 – Et tu m’en veux ? Je n’étais même pas née, comment aurais-je fais du mal à ton père ?

 – Je ne t’accuse de rien. Je t’explique les choses. Tu es ici, car cette femme a voulu qu’il en soit ainsi. Elle t’a droguée et amenée ici pour t’y attacher. À l’heure qu’il est, elle s’est déjà rendue à la police pour signaler ta disparition. Et tu sais pourquoi elle fait tout ça ?

 – Qu’est-ce qui me dit que ce n’est pas toi ? Tu sembles m’en vouloir de la disparition de ton père. Tu as très bien pu me droguer et me séquestrer. Pour te venger de notre mère.

 – L’assurance décès. S’il venait à t’arriver quelque chose, tes proches et donc notre mère, toucheraient une somme rondelette d'argent. Si je suis toujours en vie, c’est parce que je n’en possède pas. Lors de mon adolescence, j’ai commencé à poser beaucoup de questions, elle s’est arrangée pour me faire voir un psychiatre qui non satisfait de me bourrer d’antidépresseurs, m’a ensuite fait interner.

 – Tu souffres d’une pathologie. Tu as été diagnostiqué malade, paranoïaque et dangereux pour toi et pour les autres.

 – Et tu avoueras que ça l’arrange bien, non ? J’ai appris que ton père, mon beau-père, est mort dans un accident de la route. J’en ai donc déduit que tu serais la prochaine.

 – Tu es cinglé, vociféra la demi-sœur.

 – Tu crois que je te raconte tout ça pour quoi ? Je te retrouve, attachée dans la maison de mon enfance. Sans que tu saches où tu es, ni pourquoi. Si je te libère sans te révéler la vérité, que crois-tu que tu vas faire ? Te rendre aux autorités et dire que ton demi-frère t’a agressée et séquestrée ? Demi-frère qui s’est échappé, non sans mal de l’asile où il était enfermé. Je veux juste que tu saches la vérité, que tu comprennes quel genre de monstre est notre mère. Avant de m’accuser, essaie une seconde de réfléchir à ce que je viens de te raconter. Tout te semble sorti d’une histoire farfelue inventée par un malade mental ? Ai-je levé la main une seule fois sur toi durant ton enfance ? Ai-je été méchant ou injuste avec toi, ne serait-ce qu’une fois ?

  La prisonnière ne répondit rien, elle baissa les yeux et chercha dans sa mémoire. Avant qu’il soit diagnostiqué comme dangereux, il n’avait jamais rien fait de violent envers elle ou qui que ce soit. Et s’il disait vrai ? Et si leur mère était une dangereuse psychopathe qui avait tué ses précédents maris ? Elle vit alors son frère s’avancer pour défaire ses liens, libérant ses poignets. Elle perdit l’équilibre, trop faible pour se tenir debout mais il la rattrapa pour la soutenir, lui faisant un sourire apaisant auquel elle répondit. Oui, elle le croyait. Elle voulait avoir confiance en lui. Son cinglé de frère ne l’était peut-être pas. Elle pleura dans ses bras, rassurée de comprendre qu’elle n’allait pas mourir dans cette pièce lugubre.

 – Tu vas rentrer à la maison. On va chercher ce que tu peux raconter pour justifier ton absence. Mais la vérité, le fait que tu étais ici, que notre mère t’ait fait ça et que je t’ai trouvé… Si on veut qu'elle se trahisse et parvenir à la pièger. Il ne faudra dire à personne ce qu’il s’est passé aujourd’hui. Tu m’as compris ? Il ne faudra le raconter à personne. Pas avant d'être sûrs qu'elle paye pour tout ça.

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