Rain, c'était comme ça que Face m'avait appelée. Et - comme si d'un seul coup, plus personne ne s'amusait à me cacher des choses - il m'a expliqué que le passage était un rituel d'initiation classique dans la Meute et qu'il n'aurait décemment pas pu me laisser m'en sortir sans ça, tu comprends, question de tradition. Mais j'avais eu de la chance dans mon malheur : la plupart des membres de la Meute (Hakeem inclus) s'étaient fait battre plus longtemps et par plus de personnes.

Dans un silence de plomb, mon frère et moi-même avons quitté le QG. Je traînais des pieds, encore tremblante et avec tout mon corps qui me lançait, gémissait en silence. Je pleurais sans bruit, aussi et mon frère m'a soutenue lorsqu'il l'a remarqué.

- Je suis désolé, Raïra.

- C'est pas grave.

Je sentais mes larmes couler mais je n'étais plus vraiment triste. C'était comme si un grand froid s'était emparé de mes émotions, comme si tout ce que je devais ressentir traînait derrière moi, à distance - je me voyais de loin.

Hakeem m'a fixée quelques secondes puis, avec une force qui m'a fait mal, m'a serrée soudain dans ses bras.

- Je suis tellement fier de toi, putain. Je te le jure.

Comme j'aurais adoré les entendre, ces mots, plus tôt ! Mais c'était bien trop tard, là. Comme à travers du brouillard, je me sentais m'en foutre gentiment, tout en ayant une conscience aiguë que j'allais chérir ce souvenir avec du retard, alors que tout me rattraperait.

On est rentrés avant minuit, étonnement - j'aurais pourtant juré avoir passé plus de temps au QG. On a pris l'ascenseur et, devant la porte, Hakeem m'a lâchée.

- Ça va aller ?

- Ouais, bien sûr.

J'avais mal, c'était terrible - des genoux jusqu'à la poitrine, mon corps pulsait et me lançait terriblement. Mais c'était rien d'insupportable, je pouvais sécher les larmes qui avaient coulé et faire semblant d'aller bien.

Le bruit de la clé dans la serrure, la porte qui s'est ouverte. Papa était allé dormir mais maman était restée debout et nous a accueillis avec enthousiasme : le film était bien ? Et le boulot, pas trop pénible ? Hakeem souriait, je faisais pareil tout en me sentant presque religieusement reconnaissante que ce soit maman et non Rosie qui nous avait accueillis : pour sûr, notre gouvernante aurait tout de suite vu que mon sourire faisait faux.

- Vous avez l'air fatigués. Allez dormir, on parlera demain.

Comme un zombie, je suis rentrée dans ma chambre. Sans allumer la lumière, je me suis débarrassée de mes vêtements. Ça lançait, mon corps protestait et je grimaçais machinalement à chaque mouvement alors que j'enfilais le t-shirt que je mettais pour dormir. Puis, plus épuisée que je ne l'avais jamais été, je me suis laissée tomber sur mon lit avec l'impression de chuter d'un immeuble. Quelques secondes à fixer les étoiles fluorescentes que j'avais collées au plafond puis, dans un sursaut d'agonie, j'ai réussi à glisser les draps sur moi.

Et à ce moment-là, seulement, tout s’est mis à m’atteindre.

La fierté, la peur, la honte, l'excitation, le dégoût, la colère, la joie, tout se mêlait en un ouragan dégueulasse, qui me faisait déborder et gémir en silence, aux prises avec ces émotions que je tentais de renier. Et les hématomes qui éclosaient sur ma peau, mon corps qui frémissait - j'avais eu de la chance mais on ne m'avait pas épargnée - sans s'arrêter jusqu'au matin, jusque dans mes rêves confus où je revoyais le QG, l'odeur des cheveux de Mina et le sourire de Dog juste avant qu'il me rosse, encore et encore.

Quand j'ai enfin émergé, c'était le réveillon.

J'avais des bleus partout et un nouveau nom.