Au début

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Certaines personnes sont entrées dans le business par nécessité, d'autres par révolte. Ce n'était pas mon cas, j'avais des prédispositions mais pas de réelles raisons. J'avais des connexions mais lesdites connexions faisaient de leur mieux pour se cacher. Sauf que voilà, shit happened : je suis entrée dans le business par totale inadvertance, le pur fruit du hasard. Un véritable exploit et - accessoirement - la preuve que la vie est une connasse.

Encore maintenant, je me souviens avec une netteté photographique du jour où cette vie m'a embarquée. Je me souviens de la ruelle crasse, des grandes silhouettes sombres. Du hurlement qui s'est échappé de moi, du regard du type à terre quand il m'a vue. Il m'avait prise pour une victime, ce con. S'il avait su...

Mais on n'y est pas encore : avant le début de la fin, il y a tout un prologue.

Papa et maman étaient scientifiques. Deux vrais geeks qui ont longtemps attendu d’être reconnus pour leurs travaux, leurs articles. En 72, ils ont eu mon frère et deux ans plus tard ils m’ont eue moi, mais au fond je doute que ça ait vraiment affecté leur vie. Non pas qu’ils ne nous aimaient pas, mais il y a eu plus important assez vite.

C'était pas si mal parti, pourtant. On aurait presque pu former une famille soudée, au début, avec nos parents souvent à nos côtés, qui alternaient présences et attentions pour que nous ne soyons pas seuls, que nous nous sentions aimés. Ça n'a pas duré longtemps mais ce fut un temps béni, du peu que je m'en souvienne. Il faut dire que j'étais très jeune lorsqu'ils firent LA découverte, celle qui allait changer leur vie et la nôtre avec.

Je ne sais pas la nature exacte de la source de ce changement. Si c'était un théorème, une invention ou autre chose encore. Mais toujours est-il que, du jour au lendemain, mes parents et leur équipe se retrouvèrent propulsés au rang de célébrités dans leur milieu, invités de partout pour mener interviews et conférences. A New Los Angeles bien sûr, mais bien vite ailleurs aussi. Plus loin. Et bien entendu, ils gagnèrent de l'argent. Pas mal d'argent.

La vie changea, à la maison. Du studio miteux situé en plein milieu d'une zone puante, nous avons déménagé à l'intérieur de la ville, aux derniers étages d'un grand immeuble. L'appartement était très grand, très blanc aussi. Clinique, moderne, plein de meubles bizarres et une vue sympa. Avec l'appartement, nous avons fait la connaissance de celle qui nous garderait lorsque nos parents seraient absents : Rosie.


Rosie avait la cinquantaine, les cheveux sombres et le regard dur. Elle n'était pas si vieille, pourtant on sentait à son allure qu'elle en avait vu d'autres. Je garde d'elle le souvenir d'une femme à la beauté sévère, gentille sous des allures strictes ; sa carapace à elle, sans doute. Mais ce qui me marquait le plus, c'était son professionnalisme : à chaque coup de fil de mes parents, à chaque heure supplémentaire, elle était là. À nous réconforter les premières fois qu'ils ne rentraient pas, à nous gronder pour qu'on bouffe nos légumes, qu'on fasse nos devoirs. Une solide éducation qu'on allait faire éclater gratuitement, juste parce que l'occasion se présenterait. Parce qu'au fond, Rosie n'était pas nos parents et que nos parents n'étaient pas là. Ils étaient dans d'autres villes, d'autres pays, d'autres continents même. Aux quatre coins du globe.

Je n’ai pas envie de les juger, pas envie de mettre ce qui nous est arrivé sur le compte de leur absence : on a déconné, on était les seuls coupables. Qu’eux aient été là où pas, je doute que ça ait vraiment changé grand chose. Je ne leur en ai jamais voulu.

Par contre, entre moi et la Science, c’était une autre affaire.

La Science - avec un grand S, donc - était la passion de mes parents et la raison pour laquelle ils s’étaient éloignés de nous. Je m’étais par conséquent puérilement et totalement désintéressée du concept, refusant d’y accorder la moindre forme d’attention et bien entendu, mes notes s’en ressentaient. Hakeem quant à lui n’aimait de toute façon pas l’école : il faisait des efforts parce qu’il tenait à me montrer le bon exemple, mais au fond je voyais bien que l’institution scolaire était loin de le passionner. Ça avait mal commencé, en somme. Pourtant on n'était pas malheureux. Juste un peu perdus déjà.

Du pain béni pour les emmerdes qui nous attendraient au tournant.

Mes premières années d’école ne furent pas notables. Mise à part ma volonté de ne rien assimiler de ce qui touchait aux Sciences, j’étais plutôt une bonne élève - un peu insolente parfois mais juste assez pour ne pas m'attirer d'ennuis. Casse-cou aussi, il parait, toujours à lancer des défis aux garçons à la récré. Mais je faisais partie de ces enfants qui aimaient sincèrement l'école et adorais l'Histoire, en particulier. Imaginer comment s'était formée la civilisation me faisait rêver, à tel point que mon enthousiasme contaminait mes camarades. Je ne compte plus nos jeux historiques, inspirés par les cours et l'image que l'on se faisait des siècles passés : nous étions chasseurs, natifs, chevaliers et quand nous jouions, c'était comme si on changeait vraiment d'époque et de mentalité. Socialement parlant, j'étais plutôt dans la moyenne. J'avais des camarades de jeu, des amis, des ennemis. Une routine.

Puis un jour, cette routine s'est brisée.

Le reste aussi, mais il a fallu attendre plusieurs années.

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