Chercher trop loin

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Le bruit de nos semelles contre le béton a résonné entre les façades, accompagné d'un fredonnement joyeux. Dog semblait absolument satisfait, comme si le fait de victimiser un gosse de mon âge l'avait revigoré. Mal à l'aise - je tremblais un peu et commençais à avoir mal au ventre, comme si je subissais le contrecoup de la scène d'avant - je marchais à ses côtés mais peinais à le suivre.

- Je le connaissais.

- Hm ?

- Le mec d'avant.

Je n'avais aucune idée de pourquoi je lui disais ça (peut-être que je voulais juste qu'il arrête de chantonner comme un psychopathe).

- Ah bon.

- Il est dans mon... notre école.

Dog a ricané.

- J'avais pas remarqué.

Un silence, durant lequel je me suis rappelé ce que mon frère m'avait dit : Dog séchait souvent, c'était sans doute lui qui avait poussé Hakeem à faire pareil.

(En réalité, c'était ce que je pensais sur le moment mais j'allais finir par comprendre que c'était bien plus compliqué que ça et qu'arrivé à un certain stade, dégager du temps constamment devenait une nécessité.)

- Tu crois qu'il tiendrait dans un des casiers de l'école ?

Dog me fixait avec un sourire immense.

- T'es pas bien, bordel.

Je n'avais pas pu m'empêcher de m'écarter légèrement, vraiment pas rassurée par cette facette que je lui découvrais : entre celle qui me faisait des propositions dégueulasses et celle qui semblait prendre son pied à violenter des gens, je commençais sérieusement à me demander ce que Hakeem trouvait à ce mec.

D'un bond, Dog s'est rapproché.

- Ça t'a pas plu, cette soirée ?

J'ai voulu dire non, mais mon chaperon a abattu sa main sur mon épaule.

- Sois sincère, ok ?

J'avais pas envie de faire l'effort et pourtant j'y ai vraiment réfléchi, à sa foutue question : tout ce qui pouvait m'apporter des bons points auprès du gang était bienvenu. J'ai repensé au Gore et à la boisson qui m'a brûlé la gorge, à la chaleur bizarre qui avait allumé ma gorge et mon ventre juste après, alors que Dog me guidait à l'extérieur.

- Le bar, ça allait encore.

Le punk a hoché la tête comme un prêtre au confessionnal.

- Et après ?

- Hmm.

Après, c'était compliqué. J'avais eu peur, mais pas vraiment pour le type : plus parce que je ne voulais pas être choquée par ce que à quoi j'aurais éventuellement pu assister. Mais ça avait eu un côté presque fascinant, de voir Dog opérer et l'autre s'écraser pendant que je lui faisais les poches. J'avais aimé être réellement utile, aussi. Plus qu'avec Gold.

J'ai haussé les épaules.

- Je me suis pas ennuyée.

Mon indifférence - calculée - l'a fait rire. Il y a eu un silence, que j'ai brisé avec hésitation :

- Par contre, c'était dégueulasse.

- De quoi ?

J'ai eu de la peine à le dire :

- ... quand tu l'as embrassé.

- Ah, ça !

Et il riait de plus belle, presque trop fort. Je me suis un peu écartée, mal à l'aise. Entre le baiser et la menace du cran d'arrêt, franchement, je n'aurais pas su dire ce qui m'avait fait le plus de peine pour la victime. Dog a continué :

- J'ai simplement voulu offrir un beau spectacle à la vioque, c'est tout.

J'ai grimacé, c'était plus fort que moi.

- Y'a pas à dire, ton frère a un meilleur sens de l'humour que toi.

- Oh, ça va.

Comme prévu, on a retrouvé Hakeem devant le Gore à 22h30 - il me semble qu'on avait même un peu d'avance. Mon frère attendait nerveusement et Dog lui a quasiment sauté dessus. Après une poignée de main complexe et hilare, le punk lui a fait le rapport de ce qui s'était passé, chaque détail semblant le remplir d'une joie qui me dépassait. Comme Gold, il a chanté mes louanges avant de conclure que Face allait être content. Hakeem a acquiescé, attentif et je guettais ses réactions, en quête d'un signe de fierté quelconque.

- Vous restez faire la fête ?

- Pas une veille de classe, mec.

Dog s'est marré - j'avais fini par comprendre que c'était sa réponse par défaut.

- Comme si ça t'importait.

- Ça importe à ma soeur.

Je n'en étais plus aussi sûre, mais j'ai fermé la gueule. Le punk m'a lancé un regard moqueur.

- Ok, ok. Si la princesse a besoin de ses 8 heures, qui suis-je pour juger ?

J'ai soupiré, hésitant à répliquer. Hakeem l'a fait à ma place, lui ordonnant de fermer sa gueule avec un sourire avant qu'on se sépare. Sur le chemin du retour, le même interrogatoire : est-ce que j'allais bien, est-ce que Dog s'était bien comporté. C'était oui à chaque fois, sans vraiment plus de précisions : en réalité, j'étais crevée et j'avais qu'une envie, rentrer à la maison.

Les rues qui se faisaient plus lumineuses, plus accueillantes. En vrac, on y a croisé quelques couples sortant de bars, un SDF qui mendiait, des regards soupçonneux avant de retrouver notre immeuble et l'ascenseur dans lequel nous sommes rentrés en silence. La clé dans la serrure puis l'appartement blanc, désert. Alors que je me débarrassais de ma veste, un détail m'a figée : un billet solitaire, qui dépassait.

- Oh.

- Quoi ?

Hakeem s'est approché. J'ai saisi l'argent, me suis retournée pour le lui montrer.

- Dog a oublié de compter ça, on dirait.

Un silence, suivi d'un sourire. Mon frère a haussé les épaules.

- Nan, il est jamais négligent avec le fric. Il a dû te laisser ça exprès.

Je suis restée muette, perplexe, sans trop comprendre pourquoi Dog aurait agi ainsi. Devant ma tête, Hakeem s'est marré.

- Ça veut dire quoi ?

- Que t'as fait du bon boulot.

Hakeem m'a ébouriffé les cheveux.

- Va pas chercher trop loin.

J'aurais aimé.

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