Un type bien

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Nauséeuse j'ai avancé alors que Dog me soutenait. Je titubais, on s'est éloignés du Gore pour s'enfoncer dans d'autres rues plus petites encore, un labyrinthe caché entre les avenues. Alors qu'on dépassait une benne d'où s'échappaient des miaulements suspects, Dog a repris la parole :

- Des petits cons ont trouvé ça amusant, de vendre leur came sur notre territoire. Je vais leur régler leur compte et toi, tu vas m'aider.

J'ai levé les yeux vers le punk et je me suis rendue compte qu'il souriait. Engourdie et pas rassurée, j'ai demandé :

- Tu veux dire quoi par leur régler leur compte ?

- Tu vas voir.

On a marché encore un peu puis j'ai fini par me dégager quand je me suis sentie un peu mieux : ça tanguait toujours autour de moi mais l'air de la nuit me faisait du bien, m'aidait à rester lucide. D'un côté, je me demandais bien en quoi j'allais pouvoir aider Dog puisque je ne savais pas me battre mais de l'autre, je n'étais pas sûre qu'il me répondrait si je le lui demandais. Je suis donc restée muette, à traîner à côté de lui tout en cherchant à reconnaître les rues qu'on parcourait.

On a fini par arriver près d'un petit square que j'ai reconnu tout de suite puisqu'il était en bordure de mon quartier. Dog s'y est engagé puis s'est arrêté quelques mètres plus loin, derrière un grand arbre posé entre deux bancs. Avant que je ne puisse lui demander ce qui lui prenait, il m'a pris le poignet et m'a attirée vers lui.

- Regarde.

Sa main a désigné l'entrée d'une ruelle, un peu plus loin. Deux ombres s'y tenaient, l'une appuyée contre un mur et l'autre à côté.

- C'est eux ?

La mâchoire de Dog s'est crispée et quelque chose de sauvage est passé dans son regard.

- Ouais.

Un silence. Mal à l'aise, j'ai parlé un peu trop vite.

- Tu veux que je fasse quoi ?

- C'est simple.

Dog m'a fait pivoter et m'a placée face à lui. Je me suis dégagée, le foudroyant du regard. Sans se laisser démonter, il a poursuivi :

- Va vers eux et distrais-les, le temps que j'arrive par derrière et que je les chope.

Il s'éloignait déjà. Je lui ai pris le poignet sans réfléchir.

- Attends !

Il s'est retourné, ne souriait plus. Un peu désespérée tout à coup, je lui ai demandé, avec moins d'assurance que prévu :

- ... je leur dis quoi ?

Haussement d'épaules.

- Que t'es perdue, que tu recherches de la dope... je sais pas. Trouve quelque chose.

Et lui de s'éloigner, disparaître dans les ombres d'une autre veine. Nerveuse, j'ai commencé à traverser la place tout en me demandant si j'avais vraiment la moindre chance de paraître convaincante. Les silhouettes des deux types s'est précisée et je me suis rendue compte qu'ils n'étaient pas vraiment plus vieux que moi (il me semblait même que j'avais croisé l'un d'entre eux à l'école).

L'un de leurs regards a croisé le mien et leur conversation s'est arrêtée. J'ai fait de même, à quelques mètres. L'idée m'a traversée que je devais avoir l'air sacrément conne mais j'avais la tête embrumée et je ne savais toujours pas quoi dire.

- On peut t'aider ?
Pas agressif, mais pressant. Le malaise semblait présent des deux côtés.

Je me suis rapprochée.

- Hey.

Le type que je connaissais déjà vaguement m'a adressé un signe de tête. J'ai fait l'effort de lui sourire. Ça me semblait moins difficile de paraître à l'aise avec des mecs de mon âge.

- J'ai entendu dire que vous vendiez des... trucs.

Un regard qui passait entre eux. J'essayais d'être tranquille, d'agir comme si je n'avais rien à me reprocher. L'un des deux mecs - celui que je ne connaissais pas, cette fois - m'a rendu mon sourire, les mains dans les poches.

- Ça dépend, quel genre de trucs tu veux ?

J'ai repensé à quand j'avais dû aller chercher Craig.

- J'organise une fête et je cherche de quoi l'animer. Tu vois le genre ?

Je m'y connaissais à peine, mais ils n'avaient pas à le savoir. Mon bluff a visiblement marché puisque l'un des types a hoché la tête comme si je venais de lui faire une commande précise. Doctement, il a commencé à énumérer :

- On a de l'herbe, de l'exta, de...

Un bruit sourd, il n'a jamais pu finir. J'ai vu son regard se figer alors qu'il tombait, sa silhouette remplacée par celle de Dog hilare, souriant de toutes ses dents. L'autre mec - celui que je connaissais - a reculé et m'a fixée avec une sorte de complicité horrifiée, comme si j'étais censée être aussi surprise que lui. D'une enjambée, le punk l'a rejoint et l'a soulevé au col, le plaquant contre le mur avec une violence qui l'a fait grimacer. Je savais pertinemment qu'une part de moi aurait dû être choquée par le spectacle et pourtant, je ne ressentais rien. Aucun des détails de la scène - le regard paniqué du type, le sourire de Dog, la batte de base-ball qu'il tenait dans son autre main et qu'il avait eu l'air de sortir de nulle part - ne m'échappait et pourtant ça ne provoquait rien en moi.

Dog a ricané.

- Alors c'est toi, le morveux qui nous pique nos clients...

Le gosse a couiné :

- P-pardon ! On le refera plus !

J'ai vu son regard plonger par-dessus l'épaule du punk et jauger le corps inerte, par terre. J'ai fait de même, légèrement inquiète malgré tout : quelques secondes m'ont suffi pour voir qu'il l'avait juste violemment assomé.

Le bruit de quelque chose qui tombe par terre, suivi d'un cri d'effroi aigu comme celui d'un rongeur. J'ai tourné la tête : la batte roulait au sol et, dans la main libre du punk, il y avait un cran d'arrêt au manche d'un rose ridiculement vif. Ma gorge s'est serrée quand j'ai vu Dog l'élever au niveau de la gorge du gamin, le forçant à lever la mâchoire.

- Tu te rends compte que t'es sur notre territoire, là ? Que le fric que t'as amassé, c'est comme si tu nous l'avais fauché ?

Nouveau cri de terreur alors que la lame s'enfonçait dans la peau. J'ai senti ma respiration se bloquer, comme si mon corps réagissait sans pour autant que mes émotions fassent de même. Un pas en avant, j'ai tendu la main vers Dog. Sans détourner le regard, il a dit :

- Pas maintenant, princesse.

Je me suis figée, tendue.

Docile.

Il y a eu un silence poisseux, où personne ne bougeait. Puis, très doucement, le punk a repris :

- Tu comprends que je ne peux pas laisser passer ça ?

Aucune réponse. La lame s'est avancée un peu plus et un filet rouge s'est mis à couler de la gorge du garçon. Son regard a tenté de dériver vers moi mais la douleur l'a rappelé à l'ordre. Incapable de continuer de fixer la victime mais sans pouvoir me détacher de la scène non plus, j'ai bêtement bloqué mon regard sur les cheveux argent de mon chaperon.

- Réponds.

- Ou-oui ! Je comprends !

- Bien.

Quelques secondes de silence, maîtrisées comme si Dog suivait un script. Aimable, il a repris :

- Ma copine va te fouiller, récupérer ton fric et ta came. Si tu cries, je t'égorge.

- O-ok.

Il m'a fallu quelques secondes pour me rendre compte que la copine, c'était moi et que j'avais tout intérêt à me bouger. Je me suis approchée puis, rapidement, j'ai plongé mes mains dans les poches du sweat-shirt du gosse et ai commencé à en sortir tout ce qui me tombait sous la main : sachets plastique remplis d'herbe, champignons racornis et pilules multicolores : à chaque nouvelle prise, Dog hochait la tête et, comme si ça avait été un signal, je les glissais ensuite dans le sac qu'il portait dans son dos. Puis, après la drogue, un porte-monnaie rouge avec une tête de mort que j'ai vidé de ses billets. Mon coeur cognait alors que je les fourrais dans mes propres poches : ça faisait beaucoup d'argent, plus que je n'en avais jamais eu dans les mains. Je n'ai rien trouvé d'autre alors je me suis éloignée d'un bond, comme si j'avais été brûlée.

- Y'a plus rien.

Ma voix me semblait étrangement calme et distante.

Dog a hoché la tête puis a reporté son attention sur le gosse. J'ai gardé mes yeux au sol : même si j'avais tenté de ne pas le fixer pendant que je le fouillais, je n'avais pas pu m'empêcher de remarquer qu'il tremblait comme un lapin et sentir l'odeur aigre de sueur terrifiée qui s'échappait de lui.

D'un ton badin, Dog a repris :

- Fais pareil avec l'autre.

J'ai obéi, me penchant sur l'inconscient. Il semblait roupiller comme un bienheureux, ignorant la rudesse du réveil qui l'attendait. Le même manège, soudain interrompu par un bruit de respiration étouffée.

Je me suis retournée vers la source et suis restée figée : à l'entrée de la ruelle, il y avait une vieille dame à l'air outré. Pourtant quelque chose clochait : elle avait l'air choqué mais presque pas assez. Alors que je suivais son regard, j'ai compris pourquoi.

Les yeux fermés, Dog avait posé sa bouche noire contre celle du type, mimant un baiser passionné mais qui avait surtout l'air grotesque. J'ai grimacé, perturbée : c'était dégueulasse et très dérangeant. Lentement, je me suis retournée vers la femme : cette dernière a froncé les sourcils puis s'est éloignée, pestant au passage sur la jeunesse de nos jours.

A croire qu'elle ne m'avait même pas remarquée.

Dog s'est détaché du garçon qui a inspiré d'un coup, une expression de franc dégoût sur sa gueule dégoulinante.

- C'est bon ?

Mon chaperon s'adressait à moi. Je me suis relevée.

- Ouais, j'ai pris ce qu'il avait.

- Je peux te lâcher ?

Le type a hoché la tête vigoureusement alors que Dog abaissait son arme. Me rapprochant d'eux, j'ai récupéré la batte sans trop savoir ce que j'allais en faire : je ne voulais juste pas que quelqu'un d'autre que Dog ou moi la saisisse. Avant qu'il ne le lâche, le punk a repris :

- Si on te revoit traîner dans notre coin, je ferais bien plus que t'embrasser. C'est compris, mon grand ?

- Ou-oui.

Le cran d'arrêt a glissé dans la poche de Dog et j'ai senti mes muscles se raidir alors que je voyais les phalanges du punk se crisper : une seconde, le temps d'un coup à l'estomac qui a visiblement coupé le souffle du mec et l'a laissé à genoux sur le bitume. Puis mon chaperon l'a lâché, marchant vers moi avec une assurance tranquille. Il a tendu la main.

- Ma batte, princesse.

Mon regard a glissé vers l'arme restée au sol. Au moment où je l'ai saisie, ma prise s'est resserrée. Je n'avais pas envie que le massacre continue.

- Je la mets dans ton sac ?

Une expression de surprise franche s'est peinte sur les traits de Dog puis, tout à coup, il a éclaté d'un rire sauvage et tranchant. Une tape virile, un peu trop violente dans mon dos.

- Si tu veux, ma belle.

Son regard était pressant mais joyeux, presque euphorique dans sa violence.

- Dépêche, j'ai envie qu'on se casse d'ici.

Je me suis exécutée puis on s'est éloignés. Alors qu'on quittait la ruelle pour le square, j'ai jeté un oeil en arrière : penché au-dessus du corps de son complice, le type sanglotait comme un bébé.

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